★ SUR LA PHILOSOPHIE ANARCHISTE : CHOISIR LA LIBERTÉ
★ Extrait de Maurice Fayolle : Réflexions sur l'anarchisme
(Librairie Publico - 1965)
« Sur le plan philosophique, l'anarchisme se définit clairement et sans ambiguïté par rapport à tous les autres systèmes philosophiques : il s'oppose au principe d'autorité et lui oppose le principe de liberté.
À ce niveau, son argumentation est irréfutable : elle s'appuie, en effet, sur une très longue expérience vécue : celle de l'histoire humaine prise dans la totalité de ses dimension temporelles et géographiques. Et ce avec une telle constance que nulle réfutation n'apparaît possible. L'Histoire est là, en effet, pour démontrer que, partout et toujours, dans tous les temps et tous les lieux, l'autorité et la liberté se sont constamment opposées. Cette opposition permanente, on la retrouve dans toutes les branches de l'activité humaine, en politique aussi bien qu'en religion, en art aussi bien qu'en science : contre l'autorité qui prétend imposer le silence et l'immobilité, la liberté se dresse pour contester et revendiquer la parole et le mouvement. Mieux encore, cette opposition fondamentale, on la retrouve à l'état mythique dans la plupart des grandes théologies : c'est la révolte de Prométhée contre Zeus, aussi bien que celle de Satan contre Dieu. Au-delà des mythes, qui sont toujours la transposition imagée d'une réalité, l'Histoire démontre ainsi que l'autorité a toujours été l'idéal, le moteur et l'arme des gouvernements, des dominateurs, des maîtres ; la liberté, l'idéal, le moteur et l'arme des gouvernés, des opprimés, des esclaves.
Toutes les démonstrations, toutes les arguties dialectiques ne peuvent rien contre cette évidence : autorité et liberté sont, non des fictions philosophiques, mais bien des réalités vivantes de la vie des humains. Elles s'opposent en thermes irréconciliables, mais ne peuvent se nier, ni s'ignorer : toute la vie des sociétés repose sur leur équilibre instable. Entre ces deux adversaires, il n'y a jamais de coexistence pacifique, mais seulement des périodes plus ou moins longues de paix armée, des trêves que viennent rompre, soit un sursaut de l'autorité (réaction), soit une offensive de la liberté (révolution). Après quoi, un nouveau cycle recommence -- une nouvelle veillée d'armes.
Mais cette lutte incessante que se livrent l'autorité et la liberté, ce n'est, en définitive, que l'expression philosophique d'une réalité sociale bien définie : le combat qui dresse en permanence ceux qui subsistent contre ceux qui asservissent. Autorité et liberté deviennent ainsi les deux termes symétriques et opposés d'une unique proposition : la lutte de classe.
De sorte qu'on peut poser comme un axiome démontré par l'analyse historique que :
a) un accroissement de l'autorité provoque toujours une régression des libertés ;
b) un gain des libertés se fait toujours au détriment de l'autorité.
Jusqu'à ce point, la démonstration est irréfutable : tout est clair, net, logique. La difficulté commence à partir du moment où l'on veut situer, "dimensionner" la liberté -- et, par contrecoup, l'autorité -- dans le contexte de la vie sociale.
Peut-on supprimer toute autorité ? Peut-on concevoir une liberté illimitée ? En posant ces questions, nos adversaires affectent le souverain et railleur mépris de ceux qu'une certitude illumine : laissons ces adorateurs de l'autorité et ces contemplateurs de la liberté se bercer dans un sommeil qui leur dissimule le mouvement de l'Histoire : on ne vend plus d'humains enchaînés sur les places de nos marchés.
Mais, parmi les anarchistes eux-mêmes, des camarades s'interrogent : l'autorité est néfaste, mais peut-on concevoir un monde sans autorité ? La liberté est le but suprême des aspirations humaines, mais ne risque-t-elle pas, sans limites et sans frein, de basculer dans le chaos ? En d'autre termes, l'anarchie n'est-elle pas une utopie et le combat que nous menons un mirage ? Ce sont des questions embarrassantes, mais auxquelles il faut répondre.
Précisons tout de suite un point important : l'autorité dont il est question ici est celle qui s'impose à autrui par la contrainte, la violence ou la peur -- et non celle qui s'impose naturellement par son rayonnement moral. Il s'agit donc de cette autorité qui, dans la société, s'exprime par la puissance et se manifeste par la domination. Quant à la liberté, il s'agit, évidemment, du droit que doit (ou devrait) avoir tout humain d'agir sans contrainte.
Le problème social que pose la dualité de l'autorité et la liberté a été magistralement étudié par Proudhon, notamment dans ce livre que ne devrait ignorer aucun anarchiste : "Du principe fédératif".
Le fondateur de l'anarchisme social y est très clair : autorité et liberté sont des réalités coexistantes et opposées dans tous les régimes. D'où il en tire une classification logique en :
A - régimes d'autorité : a) monarchie ou patriarcat (gouvernement de tous par un seul) ; b) panarchie ou communisme (gouvernement de tous par tous) ;
et B - régimes de liberté : a) démocratie (gouvernement de chacun par chacun) ; b) anarchie (gouvernement de chacun par chacun). Ceci étant une classification théorique. En fait, ni l'autorité ni la liberté n'existent à l'état pur dans aucun régime. Il s'ensuit des combinaisons variables qui donnent naissance à des régimes hybrides. Cependant, dans les deux premiers cas, la primauté est à l'autorité, dans les deux seconds, la primauté est à la liberté.
Il ne s'agit là que d'une différence, mais elle est essentielle : les deux catégories de régimes s'opposent puisqu'ils tendent vers des finalités opposées : le premier tend vers une toujours plus grande concentration de l'autorité ; la seconde vers une toujours plus grande extension de la liberté. Mais à ce niveau de l'argumentation intervient une donnée philosophique d'une importance considérable : celle d'un rejet, d'un refus catégorique de toute conception finaliste de l'Histoire. En effet, l'évolution, c'est-à-dire le mouvement de l'histoire ne peut s'achever que de deux manières possibles : par la perfection atteinte, à partir de laquelle il n'y aurait plus de mouvement, donc plus d'Histoire, ce qui est absurde ; ou par la fin de l'Histoire, c'est-à-dire par la disparition de l'espèce humaine, ce qui hors de discussion.
Toutes ces considérations sont, je crois, nécessaires, pour bien situer le problème de la liberté et de l'autorité, pour définir les "dimensions" de la liberté en société anarchiste.
"La révolte n'est nullement une revendication de la liberté totale". Disons-le donc nettement, la liberté anarchiste ne saurait être celle de piétiner les plates-bandes d'un parc public ou d'en dévaster les massifs fleuris. Pas plus que celle d'ignorer le code de la route en roulant à gauche ou en brûlant les feux rouges. À la liberté DE l'individus s'opposent la liberté, le bien et la sécurité DES individus. Ceux-ci sont donc parfaitement le droit de placer des gardes et des agents là où il est nécessaire, afin d'empêcher de nuire ceux qui veulent nuire.
Mais alors quelle différence avec la société autoritaire ? Ces différences seront au nombre de deux et capitales : le "service d'ordre" sera orienté vers la prévention et non vers la répression, comme c'est le cas actuellement ; et les membres de ce service d'ordre seront nommés, non par le pouvoir, mais par les collectivités intéressées, responsables devant elles et révocables par elles.
Soyons réalistes. La société idéale est un mythe, puisqu'elle suppose la perfection. La société à construire, la société anarchiste sera un régime qui, au-delà de la démocratie et plus qu'elle, sera orienté vers la liberté. À travers des structures changeantes, parce qu'adaptables aux formes changeantes de l'évolution, elle tendra vers le self-government, le "gouvernement de chacun par chacun", selon la définition de Proudhon, vers une perfection qui ne sera jamais atteinte intégralement. Dans la société la plus autoritaire, il existe toujours des parcelles de liberté. Dans la société libertaire, il demeurera des parcelles d'autorité, dont l'important diminuera au fur et à mesure que les humains apprendront mieux l'usage de la liberté.
Entre les deux pôles opposés autour desquels se cristallisent les société humaines, il faut faire un choix clair et décisif : ou l'autorité avec son cortège de "grandeur" et d'esclavage ; ou la liberté avec ses difficiles pratiques.
La anarchistes ont choisi la liberté. »
- SOURCE : Bibliothèque Libertaire
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