★ A propos du camp de concentration franquiste d’Albatera (1939)
" Le camp de concentration franquiste d’Albatera (Alicante) fut l’un des plus cruels et inhumains qui aient existé en Espagne après la fin de la guerre civile, au point que certains l’ont baptisé l’« Auschwitz espagnol ». Les conditions de vie dans le camp, qui a fonctionné d’avril à octobre 1939, étaient très dures. Les prisonniers ne recevaient que des miettes de pain et des sardines. La soif dont les prisonniers souffrirent, à cause du manque d’eau et de l’énorme chaleur qui régnait sur place, était épouvantable. Il y eut des tortures, toutes sortes d’humiliations ainsi que des exécutions. Les prisonniers disposaient chacun d’un numéro, de sorte que si l’un d’eux s’échappait ceux qui portaient le numéro précédent et le suivant étaient abattus.
« Franco a envoyé plus de 22 000 personnes dans le camp de concentration d’Albatera, et beaucoup y sont mortes déshydratées », explique le professeur et écrivain Isabel María Abellán Cartagena, qui enquête depuis plusieurs années sur ce qui s’est passé dans ce lieu où seules les chambres à gaz manquaient pour qu’il corresponde à un camp d’extermination nazi. En se fondant sur l’histoire d’Isidro, un républicain anarchiste qui a souffert et survécu à l’enfer et avec qui l’écrivain a eu de longues conversations après l’avoir rencontré en 2009, Abellán vient de publier le roman Isidro. Récit du camp de concentration d’Albatera.
Isabel María Abellán, professeur d’histoire à l’Université, explique que « dans cette saline d’Albatera, le gouvernement de la IIe République a construit un camp de travail pour les prisonniers de droit commun, où il n’y avait jamais eu plus de 700 personnes, alors que sa capacité était supérieure à 2000, et après la guerre civile Franco y a organisé un camp de concentration. Je me suis intéressée au sujet d’une manière imprévue, en enquêtant sur la IIe République dans la communauté valencienne, à la recherche de lettres de personnes qui s’étaient regroupées dans le port d’Alicante pendant les derniers jours de la guerre civile ».
Il ne fut pas facile pour l’enseignante de faire des recherches sur ce camp de concentration, sachant qu’après sa fermeture « l’endroit a été déclaré zone dévastée et que les machines ont tout rasé pour ne laisser aucune trace. Puis une agglomération artificielle a été créée (San Isidro), qui a été peuplée par des gens venus d’Aragon et du nord de l’Espagne. La première maison a été livrée en 1956. Il est impossible d’obtenir beaucoup de données parce qu’on a pris grand soin de ne pas laisser de traces, fait en sorte que tout disparaisse, mais les gens de la région connaissaient l’histoire. San Isidro a commencé par être un hameau dépendant de la ville d’Albatera, mais est devenu maintenant une municipalité indépendante ».
Avec tout le matériel recueilli et les témoignages de plusieurs personnes, Abellán a choisi d’écrire un roman. « Comme je suis enseignante, il me semble plus pédagogique pour mes élèves d’écrire un roman plutôt que de faire un discours pour un congrès, qui aurait quelque chose de plus académique », dit-elle.
L’historienne cartagénoise affirme que « le 1er avril 1939, à la fin de la guerre civile, des milliers de personnes attendaient dans le port d’Alicante les navires promis par la France. Certains sont arrivés, mais Franco a par la suite empêché d’autres navires français d’accoster. Les troupes franquistes séparèrent les femmes et les enfants. Les hommes furent regroupés. Certains furent abattus sur place dans le château de Santa Bárbara d’Alicante et d’autres emmenés dans un champ appelé Los Almendros (les amandiers). Max Aub a écrit un livre à ce sujet. C’était le printemps et les prisonniers avaient tellement faim qu’ils ont même mangé les feuilles des amandiers. Ils n’y sont restés que quelques jours ».
« Les premières semaines, poursuit Abellán, entre 20.000 et 22.000 personnes furent regroupées dans le camp de concentration d’Albatera. D’après les témoignages que j’ai recueillis, ils étaient entassés comme des lapins, ils devaient se tenir debout, car ils ne pouvaient pas s’asseoir, et la surpopulation était terrible. Dans ce lieu se trouvait Isidro, qui demeura là du premier jour jusqu’à la fermeture du camp de concentration (octobre 1939). En août, beaucoup sont morts déshydratés. Ils souffraient d’une faim atroce, mangeaient à peine, et on ne leur donnait qu’un peu d’eau tous les deux jours. Comme c’était une zone saline, c’était comme dans un four où les prisonniers cuisaient. Les maladies, la faim, la déshydratation, tout se mêlait. »
Isabel María Abellán a trouvé l’histoire d’Isidro si terrible qu’elle a décidé de l’adoucir par la littérature. « Dans le roman, il y a des aspects réels de l’histoire d’Isidro, d’autres relèvent de la fiction. La grande licence littéraire qui m’a offert beaucoup de possibilités dans l’écriture est la création d’un personnage féminin, Käthe. Quand j’ai commencé à écrire l’histoire, je l’ai trouvée tellement dure que j’ai pensé que personne ne voudrait la lire. »
Pendant deux ans et demi, l’écrivain a entretenu une relation étroite avec Isidro, de l’âge de 93 ans jusqu’à sa mort. « J’insiste sur la façon dont il a réussi à survivre, parce que la beauté de l’histoire d’Isidro est qu’il s’agit d’une histoire de survie et d’amitié. Non seulement il se soucie de sauver sa propre peau, mais il aide beaucoup de gens et son humanité est très émouvante. »
Le roman Isidro [1] est une histoire vraie, avec une touche de fiction. Isidro est un milicien anarchiste dans la Barcelone des premiers moments de la guerre civile. Des brigadistes arrivent du monde entier, dont Käthe, une jeune femme fuyant l’Allemagne nazie. Ainsi commence une histoire qui se développe entre le front d’Aragon, la Barcelone convulsive de 1937 et un camp de concentration, celui d’Albatera, où furent transférés depuis le port d’Alicante tous ceux qui ne réussirent pas à partir pour l’exil à la fin de la guerre. "
[ Traduit de l’espagnol de La crónica del pajarito par Floréal Melgar ]
[1] Ce roman n’a pas été traduit en français, mais il m’a semblé intéressant d’évoquer à travers lui l’existence de ce camp, largement ignorée dans notre pays. [Ndt.].
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