★ Quelle autogestion ?

Publié le par Socialisme libertaire

anarchisme autogestion

 

« Autogestion (beaucoup l’auront remarqué) est un terme ambigu. En effet, les libertaires ne sont pas les seulEs à s’en réclamer. Par le passé, des organisations réformistes comme le PSU ou certains courants du PS n’ont pas hésité à brandir l’étendard de l’autogestion.

Le flou conceptuel qui entoure ce mot nous engage donc à en produire une définition précise.
 

L’autogestion libertaire 

Si le terme autogestion est intégré tardivement aux concepts clés de l’anarchisme, ses principes n’en sont pas moins indissociables du communisme libertaire. Pour les libertaires, l’autogestion doit être envisagée selon deux aspects : comme but et comme moyen.

L’autogestion comme but.

L’autogestion libertaire ne peut être conçue que sous la forme de l’autogestion intégrale ou de l’autogestion généralisée. Elle ne peut prendre sens que si elle englobe au moins trois domaines.

1- La production.

L’autogestion de la production suppose une propriété collective des moyens de production : ceux-ci, pour être autogérés, doivent appartenir à la collectivité et non à l’État ou à des intérêts privés. L’autogestion de la production signifie en premier lieu que les décisions ( sur ce que l’on produit et sur la façon dont on le produit) doivent être prises collectivement, sans passer par la délégation de pouvoir. Elle implique aussi une rotation des tâches (compte-tenu des compétences de chaque individu), sans relation de hiérarchie entre le travail intellectuel et le travail manuel. Enfin, l’autogestion intégrale n’est possible que si une égalité parfaite règne entre les productrices et les producteurs, ce qui ne peut se réaliser pleinement qu’avec l’abolition du salariat. L’on voit bien cette forme d’autogestion comprise comme pouvoir collectif n’est réalisable que si elle s’applique à de petites unités de production, sans quoi la délégation de pouvoir s’imposerait comme une nécessité.

2- La distribution et les échanges.

Pour que les relations entre les unités de production restent autogérées, elles doivent être coordonnées sur le mode du fédéralisme et non de la centralisation étatique. Cette condition suppose la coordination des différentes unités par des déléguéEs révocables à tout moment et soumisEs à un mandat impératif issu des assemblées de base. Autrement dit : les déléguéEs n’ont aucun pouvoir de décision et ne sont que les porte-parole de leurs assemblées.

3- L’autogestion politique.

Si l’on prend le terme politique au sens d’administration de la vie collective, l’autogestion généralisée est nécessairement politique. Elle implique que toutes les décisions concernant la vie collective soient issues d’assemblées ou s’exercerait la démocratie directe. Ici encore, cette forme d’organisation n’est possible que dans le cadre de petites unités (quartiers ou villages) coordonnées horizontalement sous la forme du fédéralisme libertaire. Cette autogestion politique implique nécessairement l’abolition de l’État, comme pouvoir vertical et centralisateur.

Si l’on dégage toutes les conséquences du projet autogestionnaire, on voit qu’il se confond avec le communisme libertaire dont nous nous réclamons. A celles et ceux qui nous rétorqueraient que ce projet est utopique, nous ferons remarquer qu’il a déjà été réalisé (certes imparfaitement) par le passé. L’exemple le plus évident nous est fourni par les collectivités agricoles et industrielles en Espagne entre 1936 et 1939.
L’autogestion comme moyen. La cohérence entre les fins et les moyens est une des principes fondateurs de la pratique libertaire. Pour les libertaires, il va de soi que l’on ne peut atteindre un but (l’autogestion généralisée) par des moyens qui s’y opposeraient (la prise du pouvoir étatique par exemple). Concrètement, cette exigence se traduit pour nous par notre effort pour contribuer à l’auto-organisation des luttes. Dans toutes les luttes où nous nous impliquons, nous nous interdisons de prendre le pouvoir mais faisons en sorte que les assemblées soient décisionnelles et que toute forme de délégation soit soumise à un mandat impératif.
 

L’autogestion non libertaire 

Comme nous le rappelions dans l’introduction, nous ne sommes pas les seulEs à nous réclamer de l’autogestion. On peut distinguer deux formes d’autogestion non libertaire.

1- L’autogestion cache sexe.

Cette forme d’autogestion n’est qu’un trompe l’œil permettant au capitalisme (privé ou étatique) de continuer à exploiter avec l’assentiment (plus ou moins général) des travailleuses et des travailleurs. L’autogestion yougoslave, à l’époque de Tito en fournit un exemple. La responsabilisation des travailleurs, leur participation aux décisions de la direction, la cogestion ne suppriment pas l’aliénation , mais la renforcent. Cette prétendue autogestion n’est qu’une forme d’auto-aliénation. Ses avatars modernistes s’affublent de différentes étiquettes (démocratie participative, comités de quartiers, etc.) mais obéissent au même principe : il s’agit d’obtenir le consentement de celles et ceux que l’on domine ou que l’on exploite en leur donnant l’illusion de participer aux décisions.

2- L’autogestion de résistance.

Cette forme d’autogestion est mise en œuvre par les travailleuses et les travailleurs lorsque leur entreprise est menacée. Il s’agit ici de sauver les emplois d’une entreprise en faillite en se l’appropriant (Lip en 1973, entreprises récupérées en Argentine). Cette forme d’autogestion présente un double aspect. D’une part, elle est l’expression d’une radicalisation de la lutte. Quand les travailleuses et les travailleurs ne s’escriment plus pour trouver un repreneur pour l’entreprise, mais s’approprient les instruments de production, les libertaires ne peuvent que soutenir ce pas en avant vers l’autogestion et la prise de conscience politique.
D’autre part, quand ces entreprises récupérées se pérennisent, d’autres problèmes surgissent. Pour pouvoir survivre dans le cadre de l’économie capitaliste, elles doivent intégrer les contraintes du marché et sont conduites progressivement à reproduire les cadres hiérarchiques de l’entreprise traditionnelle : hiérarchie des salaires, division des tâches de décision et d’exécution, etc. Ces difficultés rencontrées par les entreprises autogérées à l’intérieur du capitalisme sont bien la preuve du caractère illusoire de l’autogestion réformiste. On aurait tort de croire que l’autogestion pourrait se généraliser par un grignotage progressif de l’économie par des entreprises autogérées ou coopératives. L’autogestion généralisée implique une rupture radicale avec la société capitaliste et étatique.

L’autogestion dans nos pratiques quotidiennes.

Néanmoins, nous ne pouvons pas considérer l’autogestion libertaire comme un idéal que sa pureté rendrait inaccessible. Nous devons interroger nos pratiques quotidiennes si nous ne voulons pas reproduire, malgré nous, des comportements hiérarchiques et autoritaires qui feraient obstacle à sa mise en œuvre. Nous devons nous efforcer de faire vivre la démocratie directe dans nos syndicats, associations et collectifs. Cette exigence ne peut se réduire à une simple référence théorique. Nous savons bien (y compris dans les organisations libertaires) que la prise de pouvoir peut être informelle et s’effectuer -à notre corps défendant- sur le mode de la confiance réciproque et de la compétence reconnue. Nous devons rester vigilantEs et faire en sorte que toutes et tous puissent prendre la parole dans les assemblées (y compris les moins exercéEs), en veillant à une véritable rotation des délégations et des compétences. L’autogestion ne se réduit donc pas à un but plus ou moins éloigné, mais doit s’imposer à nous comme une exigence dans nos pratiques quotidiennes. »
 

Quelques conseils de lecture :

- L’autogestion : une idée toujours neuve (Éditions d’Alternative libertaire) 
- L’autogestion anarchiste (Éditions du Monde Libertaire
- Maurice Joyeux : Autogestion, gestion directe, gestion ouvrière (Éditions du Groupe Fresnes-Antony de la Fédération Anarchiste) 
 

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