FÉMINISTE EN TERRE D’ISLAM

Publié le par Socialisme libertaire

IBTISSAME LACHGAR


Interview d’IBTISSAME LACHGAR.  

Par Francine Sporenda.  

Ibtissame (Betty) Lachgar est une militante féministe. Elle a étudié à Paris la psychologie clinique, la psychopathologie et est spécialisée en criminologie et victimologie. En France, Betty s’est engagée dans plusieurs luttes : d’abord en 1994, pour les droits des LGBT, ensuite pour les droits des femmes, les migrants et contre l’extrême-droite. En 2009, elle a co-fondé le M.A.L.I (Mouvement alternatif pour les libertés) dont elle est la porte-parole. M.A.L.I. est un mouvement de désobéissance civile universaliste, féministe et laïque. Elle a été remarquée en 2009 avec sa première action de protestation et de combat pour la liberté de conscience, l’organisation du pique-nique des « dé-jeûneurs » pendant le Ramadan. Le mouvement défend aussi les droits sexuels et reproductifs. Betty n’hésite pas à prendre des positions publiques courageuses sur des sujets sensibles ou tabous dans une société conservatrice où l’islam est religion d’État, d’où intimidations, menaces et arrestations des militants.
Elle a aussi créé le « Jour international contre l’homophobie » (IDAHOT). 

 

Francine : Quelles réflexions t’inspire la campagne #balancetonporc dans le contexte marocain ?

Ibtissame Lachgar :  Bien sûr, je voulais aussi #balancer les agresseurs. Il y a un silence assourdissant dans le « milieu » que je fréquente ou que je fréquentais autour de la question des agressions sexuelles. J’ai beaucoup lu de statuts de femmes au Maroc disant ne pas avoir attendu ce # pour savoir qu’ici, toutes les femmes ont déjà été harcelées. Ce qui est déjà, bien entendu, grave en soi. Mais au-delà du harcèlement sexiste et/ou sexuel, je dénonce ce que nombreuses femmes engagées subissent de la part de militants et journalistes connus et reconnus. On le sait, on en parle entre nous, on fait des black-lists, mais ces hommes continuent à agir en toute impunité. Ces hommes luttant soi-disant pour l’égalité et le respect des droits des femmes ont été nourris au biberon à ne pas respecter les femmes et à croire que le corps des femmes est à leur disposition et, dans ce milieu progressiste, ils font mine de confondre liberté sexuelle et consentement. La naissance du mouvement du 20 février a aussi ouvert un boulevard à des nombreux camarades sexistes et agresseurs. Et ces hommes, comme d’autres intellectuels et chercheurs, osent sans vergogne et sans honte faire des déclarations à la presse ou écrire sur le sujet afin de dénoncer les violences sexistes et sexuelles dont sont victimes les femmes au Maroc. C’est une double violence que ces « bitards » (comme j’aime les nommer), nous font subir.

F.: Que penses-tu de l’agression par une bande d’adolescents d’une jeune fille invalide dans un bus récemment à Sidi Bernoussi, qui n’a suscité aucune réaction chez les autres passagers ? Qu’est-ce que ça nous dit sur le problème du harcèlement de rue au Maroc et sur la réaction de la société marocaine à ce problème ?

I.L. : Le harcèlement sexiste et sexuel est un problème majeur dans la société marocaine.  Il fait partie des violences contre les femmes et est le fruit d’une misère sexuelle patente. Dans le cas de la jeune femme dans le bus, il s’agit d’une agression sexuelle en réunion. Ce qu’il faut souligner, c’est qu’on ne peut évoquer ces sujets et essayer d’y remédier si on n’y voit pas un élément de ce qu’on appelle le continuum de la violence. Et justement, nous pourrions émettre cette hypothèse : la victime est une femme. Dans une société machiste et patriarcale, elle sera sûrement coupable de quelque chose, d’être là, d’être en compagnie de personnes du sexe opposé, d’être une femme tout simplement, voire consentante à ce qu’il lui arrive parce qu’elle est là, en compagnie d’hommes…

Il est triste de constater que, tant dans certains médias que dans le débat public, le débat est orienté. Cela révèle que les constats concernant les violences fondées sur le genre ne semblent pas être pris en considération. On est plutôt dans l’appréhension des violences en général. Le débat a été orienté vers les questions de sécurité en général et dans les transports en public en particulier. Or, il ne s’agit là que de répondre à la demande sociale face aux violences dans leur ensemble (qui sont recrudescentes dans le pays). Le caractère machiste et la particularité des violences masculines sont négligés, elles sont invisibilisées et exclues de la réflexion politique (les violences contre les femmes et les femmes elles-mêmes !). On est encore loin d’une véritable reconnaissance de ces violences.

D’où l’urgence de briser ce continuum qui existe entre les violences, qui prend naissance dans l’éducation ou plutôt dans l’absence d’éducation en général et sexuelle en particulier, et plus généralement dans la domination masculine et le système patriarcal engendrant une construction de stéréotypes sexistes et de genre.

On ne peut être dans l’indignation face aux violences physiques et rester dans l’indifférence face aux stéréotypes de genre et au sexisme ordinaire– parce que les stéréotypes genrés nourrissent les inégalités.

L’espace public est fait par les hommes pour les hommes (comme le reste d’ailleurs…). Et dès le plus jeune âge, on inculque aux enfants des différences de traitement entre les filles et les garçons et donc une différence dans leur place dans l’espace public : les filles et les femmes n’y ont pas leur place. Pourtant le sexisme ordinaire, et moins ordinaire, ne fait pas bondir. Le sexisme est pourtant une attitude discriminatoire –tout comme le racisme- fondée sur le sexe et les stéréotypes qui y sont associés. Il existe au Maroc des lieux interdits aux femmes ou des endroits dans certains lieux interdits aux femmes (le comptoir des cafés par exemple). Une ségrégation qui est de mise en toute impunité et dont personne ne semble s’indigner. Et de ce sexisme naît un espace machiste qui, sous couvert d’une supposée et assumée domination des hommes, entraîne des attitudes qui s’expriment par le harcèlement et de manière plus extrême par la violence sexuelle. Des attitudes visant à contrôler et dominer les femmes. Un imaginaire où le corps des femmes ne leur appartient pas, c’est un objet désirable et désiré pour un homme désirant, les femmes–étant sans désir–ne sauraient exprimer un quelconque refus ou consentement.

On en vient à l’existence d’une culture du viol qui légitime ces discriminations et ces pratiques portent atteinte à la dignité des femmes en les blâmant. C’est le cas au Maroc des établissements interdits aux femmes ou interdits en soirée. Les femmes, des tentatrices, nous dit-on, qui seraient coupables d’exciter la libido des hommes.

Les violences contre les femmes trouvent leur origine dans le manque d’éducation, les préjugés répandus dans la société mais également dans les publicités et les institutions. Par exemple, dans la législation marocaine patriarcale qui est complice, au vu de l’impunité dont jouissent trop souvent les hommes coupables de violences. Une justice et des politiques (n’oublions que le PJD, parti islamiste, est au pouvoir) ouvertement masculinistes qui légitiment certaines formes de discrimination et de violence au nom d’une moralité misogyne, de la religion et/ou d’une idéologie obscurantiste.

F.: Que penses-tu du « féminisme islamique » de Lallab en France ? Les considères-tu comme proches des islamistes ?

I.L. : En tant que féministe universaliste laïque, je ne cautionne nullement le féminisme dit islamique ni musulman. Féminisme musulman si on parle des militantes musulmanes qui ne sont pas en « terre d’Islam » et féminisme islamique lorsque les femmes sont dans un pays qui applique les lois issues de la charia. Je crois pleinement en une universalité des droits qui ne sauraient reconnaître de couleur de peau, de frontières, de religion, de sexe ou de classe sociale. Et cela vaut pour les droits des femmes.  Je rejette cette dichotomie entre pays du nord et du sud ou entre orient/occident qu’on constate trop souvent. Les droits sont les mêmes pour toutes, ou du moins devraient l’être.  Je ne peux accepter des arguments du style : oui, mais…. Mais on est dans – tel pays-, mais la culture n’est pas la même, mais c’est un pays musulman, mais ce sont leurs traditions, mais… mais… Autant avec des si on peut faire des choses autant avec les mais, on ne fera rien.

Avant toute chose, je ne dirais pas qu’elles sont islamistes mais elles sont sur un terrain glissant dans le sens où, souvent, leur discours et leurs justifications rejoignent les propos des Frères musulmans ou de certaines personnalités rétrogrades.  Et il y a leurs accointances directes avec des féministes obscurantistes, avec le mouvement « manif pour tous », avec des militant-e-s anti IVG…

Bien sûr, la question du voilement des femmes est essentielle dans la lutte universaliste laïque. Le voilement des femmes vient d’une interprétation ou plutôt d’une prescription rigoriste. Et surtout, c’est tout sauf un simple vêtement, c’est un vêtement sexiste ET politique. Comme c’est une injonction vestimentaire qui renvoie au pouvoir masculin, le voile va à l’encontre de ce que prône le féminisme ; à savoir l’égalité des sexes. C’est un symbole de l’oppression des femmes. En faire une revendication principale est très dangereux, en plus d’être (à mon sens) parfaitement anti-féministe. Lallab en fait son drapeau, or le voile est l’étendard du modèle islamiste, dont elles soutiennent par là même les injonctions machistes. Le féminisme a pour but de garantir l’égalité politique, économique, culturelle, personnelle, sociale et juridique entre les femmes et les hommes. Il vise à lutter contre toutes les discriminations et les inégalités dont sont victimes les femmes et a pour objectif leur émancipation. Alors que l’association est censée défendre et faire entendre les voix des femmes victimes d’oppressions racistes et sexistes, le cœur de sa lutte participe à un ensemble de violences patriarcales.

Quels sont concrètement les sujets féministes traités par l’association ? Qui et que défendent-elles ? Une émancipation qui n’en n’est pas une et des femmes qui n’existeraient pas en tant que telles, mais qui resteraient des objets d’appropriation. Alors que Lallab est censée défendre et faire entendre les voix des femmes victimes d’oppressions racistes et sexistes, le cœur de sa lutte reste bel et bien centré sur l’ensemble des injonctions patriarcales.

Dans le fait de militer en faveur d’un féminisme des valeurs musulmanes contre un féminisme « occidental » et « blanc », il y a une résonnance indigéniste (et indigeste) raciste– en plus de renvoyer à une idéologie inégalitaire et islamiste. C’est ce que dénonce le mouvement laïque et universaliste – dont je fais partie- et qui a été pour cela—de façon oh combien facile — qualifié de fasciste. Ne nous trompons pas de fascisme. Victime d’une dictature religieuse, je parle bien là de fascisme religieux

F.: Il y a au Maroc un approche du féminisme représenté par Latifa Jbadi et Asma Lamrabet basée sur une re-lecture des textes religieux musulmans, et postulant que la lecture de l’islam qui a prévalu est une lecture misogyne et qu’une autre lecture est possible qui serait compatible avec certains droits pour les femmes. Pensez-vous que cette approche du féminisme est justifiée dans des pays où l’islam conserve une forte emprise sur la société ? Peut-on puiser dans l’islam les arguments pour lutter contre le système patriarcal ?

I.L. :En tant que laïque convaincue, je pense que la religion doit rester dans la sphère privée et que le religieux doit être séparé du politique. Les religions participent à l’asservissement des femmes, à leur soumission et à leur humiliation, elles ne peuvent pas participer à leur émancipation. Les religions sont misogynes par essence et l’Islam n’échappe pas à la règle. Ni réforme ni réinterprétation de cette religion ne permettra la libération des femmes. 

Nadia Yassine disait : « Moderniser l’Islam en le féminisant ». Une réinterprétation ou une réforme du Coran peut faire évoluer certaines choses dans des domaines particuliers, le domaine économique par exemple, mais pas en ce qui concerne les droits des femmes. La référence essentielle de ces femmes reste l’islam, le religieux, autrement dit une référence qui appartient au passé, un passé très conservateur, sur lequel vivent encore les hommes du présent. Des femmes libres alors ? Non. Des femmes sous emprise.  Le voilement des femmes n’est pas une liberté ou un choix ; dans une culture machiste, il contribue pleinement à les invisibiliser encore davantage.

Comment peut-on enrôler au service du féminisme les religions en général et l’Islam en particulier -dernière religion monothéiste– qui servent de légitimation aux systèmes phallocrates et à la suprématie masculine ?

Le féminisme fondé sur l’Islam est une imposture. Ni plus ni moins. Un féminisme détourné de ses principes universalistes ne saurait en être un. Cela rappelle tout le débat autour de la question du relativisme culturel, qui fait reculer la lutte des femmes de plusieurs millénaires dans certaines contrées. Toute personne, les femmes en particuliers, a droit à son libre-arbitre et je ne saurais m’incliner face à des accommodements religieux qui nuisent à l’émancipation des femmes.

Pour Asma Lamrabet, elle écrit qu’«une réforme du religieux est importante et incontournable car elle pourra doucement mais sûrement déconstruire de façon pédagogique toute cette lecture conservatrice et former les générations à venir à puiser dans le message spirituel de l’islam à travers son éthique de l’acceptation de l’Autre, de l’ouverture d’esprit, de a clémence et de l’indulgence qui sont des valeurs clés en islam ».

Dans le cas de pays comme le Maroc, tenir de tels discours nous éloigne de la lutte en faveur de la laïcité. Une telle approche cantonne toutes les personnes de nationalité marocaine à la religion musulmane. Toutes les femmes marocaines seraient alors des musulmanes – ce qui est de facto la réalité alors que nous tentons d’instaurer la liberté de conscience. Une approche réformiste ne saurait concerner que les personnes qui se considèrent musulmanes – laïques ou non. En tant que laïque, ma réponse à ces propos est que la lutte essentielle devrait être une éducation laïque en lieu et place de l’éducation islamique au sein du système scolaire. De rappeler l’importance d’une pédagogie de la laïcité comme principe fondamental au bon fonctionnement de l’école publique. Une laïcité où les professeur-es de philosophie par exemple doivent pouvoir former l’esprit critique des élèves et mettre l’apprentissage de la pensée au centre des préoccupations éducatives. Une laïcité, ainsi que le respect des droits humains qui lui sont étroitement liés, que l’école devrait avoir pour mission de partager, et où l’instruction religieuse, en contradiction avec l’universalité des droits humains, n’a pas sa place.

F.: Récemment, au Maroc, un homme a été dénoncé et interpellé pour avoir fumé une cigarette sur sa terrasse pendant le Ramadan. D’autres individus ont été arrêtés et condamnés à de la prison pour avoir mangé ou bu dans la journée pendant cette période de jeûne.  Pouvez-vous nous parler du « mouvement des dé-jeûneurs », ces gens qui organisent des pique-niques durant le Ramadan pour protester contre l’obligation de ne pas manger, boire ou fumer en public durant cette période sous peine de prison?

I.L.: Il n’existe pas vraiment de mouvement de dé-jeûneurs au Maroc. Le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles a été co-fondé au Maroc par moi-même et la journaliste Zineb El Rhazoui en 2009 afin de lutter en faveur des droits sexuels et reproductifs, et de toutes les libertés individuelles, dont la liberté de conscience. Le M.A.L.I. est un mouvement de désobéissance civile pacifique, universaliste, féministe et laïque qui lutte pour la liberté et le respect des droits humains dans leur universalité. Dans un pays où sévit une inquisition socio-religieuse, il convient de mener une lutte au quotidien, d’imposer nos voix et de nous opposer aux pratiques et lois liberticides. La première action de dé-jeûneurs a en effet été lancée quelques semaines après la création du mouvement. C’est donc M.A.L.I. qui a lancé l’initiative au Maroc mais elle n’a pas été renouvelée, le mouvement ne faisant pas deux fois les mêmes actions.  Depuis 2009, le M.A.L.I. lutte en faveur de toutes les libertés individuelles et les droits sexuels et reproductifs. Et organise des actions et des activités en ce sens. En revanche l’idée du pique-nique a été reprise dans d’autres pays (en 2010 en Tunisie par Nadia El Fani) puis quelques années plus tard en Algérie.

Manifestation de dé-jeûneurs en Tunisie

Pour revenir sur la liberté de conscience et le mois de Ramadan : la lutte continue depuis 2009 à travers d’autres activités, rencontres, campagnes… Nous luttons en effet pour l’abrogation de l’article 222 qui condamne jusqu’à 6 mois de prison ferme toute personne notoirement connue pour son appartenance à l’islam et qui rompt ostensiblement le jeûne en public. Un article (comme tant d’autres) en totale contradiction avec la réalité et la Convention internationale des droits civils et politiques ratifiée par le Maroc en 1979.  La valeur symbolique de cette action était – est toujours – de souligner l’inadéquation du dogme religieux à la réalité sociale et de dénoncer le fascisme religieux dont les personnes marocaines sont victimes : à savoir naître de facto de confession musulmane et devoir le demeurer jusqu’au trépas. Cet article de loi digne des pires dictatures n’est que la partie la plus visible de l’iceberg. La liberté de conscience est un des piliers qui fonde toutes les autres libertés fondamentales. Nous avons décidé par cette action de briser ce tabou et de lancer le débat sur un des sujets les plus sensibles. Parallèlement notre appel à la laïcité est clair, nous voulons une séparation du politique et du religieux, ce dernier devant relever de la sphère privée.  Le conseil des oulémas (théologiens officiels) de Mohammedia avait en effet dénoncé «avec force cet acte odieux qui défie les enseignements de Dieu et du Prophète et qui mérite une sanction exemplaire ». Rien que ça ! Jeûner sous la contrainte ! Si nous permettons aux forces de l’obscurantisme et du totalitarisme de faire la loi au sein de la société – la foi faisant fi de la loi- les femmes non voilées, les personnes qui ne font pas leur prière ou qui consomment de l’alcool devront craindre les représailles des fondamentalistes. Et il ne faut surtout pas oublier que le Maroc a pour devise « Dieu, la Patrie, le roi », lui-même considéré comme « commandeur des croyants », descendant du prophète–une espèce d’institution papale–et que toute atteinte à la religiosité et à l’islam serait selon certain-es un non-respect de la patrie et de l’institution monarchique.

 

F.: Pouvez-vous nous parler des violences masculines envers les femmes au sein de la famille au Maroc ?

I.L. : 63% des femmes sont victimes de violences masculines selon le HCP. Selon l’ONU femmes, 62% des hommes marocains déclarent ne pas voir d’inconvénient à violenter leurs épouses. Il y a beaucoup à dire sur le sujet. Les violences machistes intra-familiales sont malheureusement monnaie courante au sein de la société. Non seulement de la part du père, mais cela peut-être aussi le grand frère ou toute figure masculine. Toutes les femmes peuvent en être victimes : grand-mère, mère, fille, sœur. Il peut s’agir de violences verbales, d’humiliations, de violences physiques et sexuelles et parfois de séquestration. Les raisons principales de ces violences, en ce qui concerne les jeunes femmes, ce sont souvent le mode vestimentaire, les sorties nocturnes et la fréquentation du sexe opposé. Et malheureusement, lorsque celles-ci tentent de porter plainte, elles sont renvoyées manu-militari à leur famille par une police tout aussi machiste et rétrograde. Le père est toujours, au sens littéral de l’expression, le « chef de famille » de manière officieuse et officielle.

Il existe des articles de lois qui minimisent certaines violences en prévoyant des circonstances atténuantes en cas de crimes d’honneur comme lorsque le « chef de famille » (sic) surprend son épouse en flagrant délit d’adultère. (art. 420 du code pénal). Le viol demeure le crime le plus impuni et le viol conjugal n’est pas condamnable et est plutôt considéré comme le devoir conjugal des épouses. Cela revient à dire que des milliers de femmes sont violées tous les jours au Maroc. Sans compter les mariages forcés. Qu’attendons-nous pour condamner le viol au sein du couple ? La justice marocaine est complice et réduit les femmes à des objets sexuels.

Il faut savoir que les relations sexuelles hors mariage sont interdites par les articles 490 et 491 (adultère) du code pénal. De ce fait, ce sont les femmes qui sont les plus souvent condamnées pour motif de prostitution. Ainsi, les relations sexuelles hors mariage consenties sont condamnables mais un viol conjugal n’est pas considéré comme tel.

F.: En 2004 a été voté un nouveau Code de la famille, la Moudawana, qui comporte différentes dispositions en faveur des droits des femmes, notamment en matière de divorce, d’héritage et de polygamie. Ces nouvelles lois sont-elles réellement appliquées et ont-elles vraiment changé la situation des femmes ?

I.L. : En ce qui me concerne, le Code de la famille a pris la poussière et il ne représente malheureusement par grand-chose. Pour preuve, le mariage qui est fixé à l’âge de 18 ans alors qu’en 2017 le mariage des mineures existe toujours. Nous ne le répéterons jamais assez : le système est foncièrement patriarcal et masculiniste. Les juges ont le droit de faire ce que bon leur semble et de prendre toutes les décisions. Et cela est d’autant plus vrai dans les zones rurales. Il en est de même pour la question de la polygamie–rien n’a changé. A mon sens, il faudrait totalement interdire la polygamie et la société civile devrait se mobiliser pour cela. Au sujet des mariages des mineures et des mariages forcés, il faudrait poursuivre les personnes concernées et sévir contre les institutions qui passent outre à l’obligation de l’âge minimum de 18 ans. La question de l’héritage est en débat depuis quelques temps (NDLR, la part d’héritage des filles est la moitié de celle des garçons selon le Coran).  Il est révoltant que cette question soit même en débat. Comme s’il y avait à matière à débattre sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Mais par rapport à cette problématique précisément, je reviens sur l’atteinte aux libertés de chacun-e et la question de la laïcité. Toutes les lois ici sont régies par le Coran et partent du postulat que tous les Marocains sont musulmans, et le débat s’éloigne ainsi de la réflexion initiale qui devrait poser que le libre-arbitre est un principe éthique fondamental ! Nous ne devons permettre ni à l’État ni aux politiques de décider à notre place et avoir pleinement la liberté de choisir notre mode de vie, notre sexualité, nos croyances (ou non) et pouvoir gérer notre argent et nos biens comme bon nous semble. Il faut que cesse l’infantilisation des Marocain-e-s et particulièrement des femmes, éternelles mineures et considérées comme inférieures.

Ce qu’il faut faire ? Il convient de déconstruire, par le moyen de l’éducation populaire, les idées machistes, les stéréotypes de genre et les mentalités patriarcales et misogynes. Et ce, en condamnant fermement le manque d’éducation, particulièrement l’absence d’éducation sexuelle. Nous sommes dans une société conservatrice profondément masculiniste–le gouvernement et la justice tout comme la société. Par exemple, le port de la blouse est obligatoire pour les écolières et lycéennes–ce qui n’est pas le cas des garçons– pour cacher le développement des seins ! L’espace public appartient aux hommes dès le plus jeune âge et l’éducation (scolaire et familiale) formate les garçons aux inégalités, à une soi-disant virilité (dont découlent les comportements sexistes). L’éducation islamique présente dans le système éducatif est à déplorer également, il existe des enseignements et des enseignants rigoristes et cela il ne faut pas le nier. (cf. plus haut)

FÉMINISTE EN TERRE D’ISLAM

Manifestation de non-jeûneurs en Algérie

F.: Les islamistes sont au pouvoir depuis plusieurs années au Maroc et un gouvernement « islamiste modéré » vient d’être reconduit, cela amène-t’il des régressions dans la situation des femmes, et lesquelles ?

I.L. : Le gouvernement actuel est toujours islamiste mais il s’agit de El Othmani comme chef de gouvernement. Psychiatre de profession, nous avons juste envie de lui susurrer à l’oreille : la religion n’a pas sa place en psychiatrie.

Il n’y a aucune évolution positive au niveau des droits des femmes mais bel et bien une régression. Ce gouvernement est misogyne et la ministre Bassima Hakkaoui l’est également. Malheureusement des femmes misogynes ont pignon sur rue au Maroc… Le patriarcat est intériorisé et les mères sont responsables de cette éducation basée sur une différence de traitement inculquée à leurs fils et à leurs filles. Qu’il soit question d’héritage, de violences, de viol conjugal, de harcèlement, on en est au point mort. Bassima Hakkaoui – anciennement ministre déléguée aux droits des femmes entre autres – chargée de la famille, de l’égalité et du développement social, ministre issue du parti islamiste–a réagi et considère que ce crime (agression sexuelle en réunion du bus ci-dessus et agression sexuelle en général on suppose) est « étranger à notre société ». Celle-ci même qui considère que c’est plutôt une bonne chose pour une victime d’épouser son violeur. Que pouvons-nous attendre de ses promesses au sujet de ce projet de loi toujours en suspens ? Car il existe un projet de loi tant attendu 103-13 relatif à la lutte contre les violences contre les femmes et qui vise à criminaliser le harcèlement par exemple. Mais en revanche pas un mot sur le viol conjugal. Et qu’en est-il du travail des mineures ?

Deux choses en conclusion, tout d’abord sur les droits sexuels et reproductifs. Ces droits sont des droits fondamentaux. Hélas ce sont des sujets sensibles et tabous et la société civile les relègue au second plan. Nous ne pouvons défendre les droits humains et les droits des femmes en particulier et considérer cette lutte en faveur de ces droits comme secondaire. J’entends par là, la liberté sexuelle entre personnes consentantes, la dépénalisation des relations sexuelles hors mariage et de l’homosexualité, ainsi que la dépénalisation de l’avortement.  Nous rejetons les arguments du oui mais… sous couvert de relativisme culturel et de halalisation des droits. Les droits humains sont à prendre et à défendre dans leur ensemble, en tant que droits interdépendants et indivisibles. Or, nous sommes isolé-e-s dans cette lutte.

Sur la question du droit à l’IVG, le M.A.L.I. lutte pour un droit à l’avortement pour TOUTES et non au cas par cas. Le droit des femmes de disposer de leur corps et de dire « un-e enfant si je veux, quand je veux »—c’est un droit fondamental. Or, le 16 mars 2015, en plein débat sur les avortements clandestins, le roi s’est saisi du dossier et a chargé trois autres hommes (ministre de la justice, ministre des affaires islamiques et le président du CNDH) de mener des consultations élargies. Quatre hommes donc pour régir le corps et le choix des femmes. L’avortement n’est légal que dans trois cas seulement selon leurs conclusions. Et cela a été applaudi par une majorité dont la quasi-totalité des féministes. Or l’avortement clandestin est une violence faite aux femmes et nous ne pouvons pas nous réjouir de ces conclusions ; il s’agit ici d’une position morale, idéologique et encore une fois patriarcale. De plus, il est question d’égalité : égalité entre toutes les femmes pour l’accès à l’avortement. Nier le droit à l’IVG est une grave violation des droits des femmes, c’est nier un problème de santé publique et de justice sociale. Et cette notion de choix dans le domaine des droits sexuels et reproductifs dépasse la seule question de l’avortement, cela sous-entend d’avoir accès à une éducation sexuelle et à des moyens de contraception adaptés.

Et enfin, une révolution sexuelle est absolument NÉCESSAIRE : un débat national et une réflexion visant à entamer une lutte de libération, de déconstruction des schémas normatifs, du langage, de l’espace et de l’esprit doit être lancé. Les stéréotypes sexistes, le sexisme ordinaire nourrissent les inégalités. Il convient d’éduquer à l’égalité des sexes et aux relations femmes/hommes : lutter contre le voilement et l’invisibilisation des femmes, prôner la mixité, faire en sorte que les femmes puissent investir les lieux publics, certains d’entre eux pratiquant ouvertement une véritable ségrégation.

La révolution sexuelle est-elle pour demain ? Elle est perçue comme une menace pour l’emprise des hommes dans un pays où la domination masculine est bien ancrée au sein d’une société profondément hétéro-normée, et où la société civile est encore trop frileuse et pas encore avant-gardiste. Mais nous ne désespérons pas…

 

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