★ RÉSISTER, DONC DÉSOBÉIR

Publié le par Socialisme libertaire

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★ Illustration provenant du livre "Désobéissances libertaires", publié aux éditions Nada, par André Berard et Pierre Sommermeyer.


« Depuis quelques décennies, on assiste en France et en Europe à une montée apparemment irrésistible des idées d’extrême-droite. Nationalisme outrancier, racisme, antisémitisme, xénophobie se banalisent de plus en plus. En corollaire, les mouvements qui défendent ces idées voient leur popularité augmenter dans des proportions très inquiétantes. Déjà, en Europe certains partis professant des idées ultra-nationalistes sont parvenus au pouvoir ; en France, à la faveur d’élections prochaines, la probabilité de l’arrivée de la patronne du RN à la tête de l’État, par ailleurs fille de Jean-Marie Le Pen, lequel n’a jamais renié ses idéaux fascistes, ne peut qu’inquiéter. Certes, celle-ci a depuis quelque temps, considérablement adouci son discours, acceptant de passer à la trappe certaine de ses anciennes revendications les plus choquantes et adoptant dans ses apparitions publiques une attitude citoyenne très digne et respectueuse, aux antipodes des manières de son père.

L’histoire nous a suffisamment montré que pour être élus, hommes et femmes politiques n’hésitent jamais, pour assouvir leurs ambitions, à mentir, à dissimuler leurs intentions réelles pour que nous acceptions de modifier nos préventions à leur égard. Mme Le Pen, malgré son amour des animaux et ses manières policées, est une fasciste, son passé, ses relations, ses amitiés le prouvent. Pour autant, les risques qu’elle parvienne dans un avenir proche à ses fins sont réels ; alors que faire si cette hypothèse catastrophique se réalise ? 

Comment résister, comment s’opposer à des mesures qui remettraient en question nos libertés, menaceraient nos droits d’être humain ou attaqueraient les plus fragiles parmi nous ? Opposer à la violence de l’État, la violence populaire nous semble (sauf dans des circonstances exceptionnelles) très aventureux, voire suicidaire. Les moyens médiatiques de formation du consensus social, ajoutés à ceux policiers de contrôle, de surveillance et de répression des États modernes, se sont considérablement développés au cours des dernières années. On a par exemple pu constater que lors du mouvement des Gilets Jaunes en France, l’État républicain a parfaitement géré son action, (en faisant évoluer les moyens de la répression à la hauteur de la menace puis en déconsidérant le mouvement) pour contenir la colère populaire dans des limites acceptables par lui. S’il avait fallu recourir à des moyens plus violents (ceux par exemple utilisés pendant la Commune de 1871 : 30 000 communards assassinés, des milliers emprisonnés, exilés), il n’aurait à coup sûr pas hésité. L’État est le plus froid des monstres froids et pour remplir sa fonction essentielle, protéger le système de la domination d’une classe privilégiée sur une autre, il n’a jamais hésité à massacrer et à tuer. Alors que faire ?

Fort opportunément, les Ateliers de création libertaire ont eu en 2023 la bonne idée de republier Trois histoires de résistance sans violence contre la domination présentées par le « Collectif désobéissance libertaire ». L’une en particulier écrite par Gene Sharp et datant de 1959 s’intitule (et cela suffit à la décrire) : « Comment, sous l’occupation nazie, les professeurs norvégiens vinrent à bout de Quisling et quelles leçons tirer de cet exemple pour une défense sans armes aujourd’hui ».

En avril 1940, les troupes nazies envahirent la Norvège, la résistance armée fut très vite brisée et l’occupant mit en place un régime à sa solde, dirigé par le dirigeant d’un petit parti fasciste Norvégien, Quisling. Le nouveau régime prit très vite des mesures autoritaires et à l’automne 1940 exigea que tous les fonctionnaires signent un serment de loyauté. Nombre de fonctionnaires refusèrent et du coup le gouvernement commença à durcir la répression. Petit à petit, un réseau auto-organisé de refus et de résistance se mit en place dans les écoles : les professeurs refusaient de signer, d’appliquer les consignes en arguant du fait qu’ils n’avaient pas compris, que c’était contraire à leur déontologie, etc. Au début, il ne s’agissait pas de résistance directe, mais au bout de quelque temps, un véritable mouvement de résistance impliquant une majorité des professeurs norvégiens se mit en place dans les écoles, par exemple plus de 8 000 enseignants (sur les 12 000 que comptait la Norvège) signèrent une lettre affirmant leur « refus de participer à l’éducation de la jeunesse norvégienne telle qu’elle est déterminée par le mouvement de jeunesse Nasjonal Samling ; en effet, cela est contre ma conscience ». Tant et si bien qu’en 1942, le gouvernement engagea une épreuve de force, fermant des écoles, puis menaçant de radier les récalcitrants et au final en emprisonnant un millier dans des conditions effroyables. Mais cette répression sauvage se retourna contre Quisling, car le mouvement de résistance des professeurs était devenu très populaire et la population norvégienne n’hésita pas à afficher sa solidarité avec les professeurs. Fin 1942, Quisling fut obligé de renoncer à ses mesures pour mettre l’école norvégienne au service de l’idéologie nazie. Essayant de tirer les leçons de cet exemple, l’auteur constate tout d’abord qu’une forte majorité des professeurs n’étaient absolument pas non-violents, certains d’entre eux s’engagèrent en même temps dans un mouvement de résistance armé impitoyablement réprimé par les nazis. En fait, la résistance non violente a été utilisée parce que dans certaines conditions, elle était la seule à pouvoir être mise en œuvre, mais au final, en obligeant Quisling à modifier sa politique, la résistance non violente eut souvent une efficacité plus grande que les guérillas armées ou les sabotages.

Bien sûr, il serait aberrant de prétendre à partir de ce mouvement de résistance norvégien extrapoler sur la situation en France. Pour autant, cet exemple nous montre qu’il est toujours possible de résister et de lutter et une conclusion que l’auteur Gene Sharp tire de cette histoire me semble particulièrement pertinente, aussi, je la retranscris :

« Parmi les avantages que la résistance non violente présente sur les méthodes violentes dans la lutte contre les régimes fascistes se trouve celui-ci : la résistance non violente frappe toute dictature à son point naturellement le plus faible. La tyrannie peut continuer d’exister seulement aussi longtemps que ses victimes continuent de lui obéir et de la servir. Lorsque l’obéissance, la coopération et le service sont retirés, la tyrannie est menacée d’effondrement. Elle s’efforcera de rétablir l’obéissance par la terreur. Le problème est donc d’organiser et de maintenir la non-coopération contre un régime inhumain tout le temps qu’il faudra pour qu’il tombe ».

Cette théorie fut exposée par un jeune français du XVIᵉ siècle : Étienne de la Boétie dans son Discours de la Servitude Volontaire où il écrivait : « Si on ne leur donne rien (aux tyrans), si on ne leur obéit pas, sans combattre, sans donner un coup, ils restent nus et défaits et ne peuvent plus rien faire ; de même, la racine n’ayant plus terre ni nourriture, la branche se flétrit et meurt (….) simplement, ne l’aidez pas (le tyran) et vous le verrez comme un grand colosse dont on a fauché les pieds, s’effondrer au sol de son propre poids et se briser ». »

 

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