★ LE CRIME D’OBÉIR

Publié le par Socialisme libertaire

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« Comme il fallait s’y attendre, Eichmann a été condamné à mort. Chose non étonnante, il a l’air de considérer comme logique, mais cependant injuste, sa condamnation. Et on le comprend.

Pour lui, parfait fonctionnaire, cette condamnation est injuste, puisqu’il croit, sincèrement sans doute, qu’il n’a fait qu’obéir à ses supérieurs. Lui, parfait fonctionnaire, parfait militaire, n’a fat que se conformer strictement aux ordres reçus.

Les ordres étaient inhumains ; les ordres émanaient d’un paranoïaque comme Hitler, d’un schizophrène, comme Himmler. Lui, parfait fonctionnaire, ne pouvait, ne devait pas se poser de questions. On lui avait dit de trouver une solution finale au problème juif, et, avec zèle, il l’avait cherchée et l’avait trouvée. On lui avait ordonné de la mettre en exécution, et lui, subordonné idéal, se bornait à donner satisfaction à ses chefs.

Le fils d’Eichmann aussi a déclaré qu’il considérait son père comme innocent, qu’il ne comprenait pas pourquoi on le condamnait à mort, puisqu’il n’avait fait qu’obéir, rien d’autre.

Et voici posé tout le problème, philosophique presque, du cas Eichmann.

Les juges d’Israël, en fait, punissent par la peine de mort le crime d’obéir. Nul n’avait commis, par personne interposée, un crime aussi monstrueux, tant par sa quantité comme par sa qualité. Cinq millions d’êtres humains morts gazés, pendus, sous la hache, la faim, la torture et de bien d’autres façons encore. Cela exige, sans doute, la vie du misérable Eichmann et mille vies, s’il les possédait.

Mais, lui, il n’a fait qu’obéir ; ceux qui ont exécuté ses ordres, n’ont fait qu’obéir. Probablement Himmler, qui les donnait, dirait, s’il était encore en vie, qu’il n’avait fait qu’obéir.

Le problème qui se pose, alors, met en question les bases mêmes de toute la discipline qui régit le monde d’aujourd’hui. Et par la simple condamnation de ce criminel de guerre, voyez comme se trouve posé à l'échelle humaine, le problème de la validité de la société que nous subissons actuellement.

Eichmann, parfait fonctionnaire qui ne discute pas les ordres, qui les exécute fidèlement, est condamné. Et celui qui se refuse à tuer, qui se révolte contre les massacres, qui, au nom du Christ, comme les doukhobors, ou de l’humanité, comme les pacifistes, n’obéit pas aux ordres de destruction et de mort, est fusillé. Tout cela est assez contradictoire.

Dans une société telle que nous la désirerions, cet incroyable cas Eichmann n’aurait pas pu se produire. Parce qu’Eichmann, aussi criminel qu’il soit, est un produit spécifique de la société germanique, qui avait fait de l’obéissance la première des vertus. Et tant que les hommes ne seront pas élevés dans la pratique de la solidarité humaine, de la fraternité universelle ; tant qu’ils ne seront pas habitués à penser par eux-mêmes ; tant qu’ils ne grandiront pas dans les règles strictes et saines du respect mutuel ; tant que des cloisons sépareront les êtres humains en races, en castes, en nationalités ; tant qu’on habituera les hommes à commander les uns et à obéir aux autres, le crime d’Eichmann, pour lequel sont morts cinq millions de personnes, sera, non seulement son crime à lui, mais le crime de tous. »


Frédérica MONTSENY, in Espoir numéro 1, 7 janvier 1962

 

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