★ PATRIE !

Publié le par Socialisme libertaire

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« S'il nous fallait attaquer les uns après les autres, les innombrables préjugés dont on a farci nos cerveaux et saturé notre intelligence dès l'âge le plus tendre, non-seulement le cadre de ce journal serait insuffisant, mais encore des volumes contiendraient à peine la matière que comporte un pareil sujet. force nous est donc de nous rabattre sur les préjugés qui nous semblent les plus enracinés dans l'esprit des masses, sur ceux qui maintiennent le plus les travailleurs dans une situation misérable, inférieure, et qui sont pour ainsi dire, le nœud gordien de l'émancipation sociale des prolétaires des Deux-Mondes.
Pour cela faire, nous commencerons notre œuvre en attaquant le préjugé capital, celui qui, depuis des siècles, a fait répandre le plus de larmes, ériger le brigandage, le vol, le meurtre en principe, en institution.
Ce préjugé sur lequel, seul, nous voulons nous arrêter aujourd'hui ; qui a divisé les hommes, parqueté les peuples, c'est le préjugé militaire, le chauvinisme.
Ce préjugé qui nous a fait jusqu'à ce jour, reconnaître comme chefs couverts de gloire et d'honneur, ceux qui avaient assassinés ou fait assassiner le plus d'hommes, jeter le plus de deuils, dévaster le plus de peuples.
Par quel renversement de la raison humaine cet état de choses a-t-il pu exister sur toute la terre depuis tant de siècles ?
Quels moyens, quels talismans des bandits ont-ils pu employer ? De quels mots se sont-ils servis ?
D'un seul mot : PATRIE !
Par ce mot, les peuples inconscients ont été domptés, enchaînés.
C'est à ce mot sinistre et fatal que des flots de sang ont été versés, sans compter ceux qui se verseront encore tant que subsistera ce chauvinisme idiot et féroce.
Patrie : mot stupide.
Patriotisme : mot criminel.
Patrie : Droit de propriété des bandits rentés, galonnés, et entretenus par la bêtise des masses laborieuses.
Patriotisme : Haine officielle imposée entre peuples frères, mais enchaînés.
société bourgeoise infâme ; ah ! comme il est vrai que l'immensité de ton monstrueux édifice a bien pour base l'ignominie, et pour principe, la solidarité des crimes.
Patriotisme : Haïssons-nous les uns les autres.
Patrie : Divisons pour régner.
Inconscients que nous sommes, le prétendu patriotisme de nos maîtres ne devrait-il pas nous servir d'exemples et nous dessiller les yeux !
Les capitaux qu'ils ont volés aux producteurs — seuls auteurs de la richesse publique — ont-ils une patrie ?
Leurs bagnes industriels, tous grands ouverts aux ouvriers de n'importe quelle nation, pourvu qu'ils s'offrent à meilleur marché que les ouvriers français, ont-ils une patrie ?
Ce préjugé que le peuple a conservé religieusement jusqu'à ce jour et qui nous faisait frissonner d'une certaine fièvre lorsque nous voyons les mascarades franco-russes ; cette fièvre belliqueuse et qui tient de l'animalité féroce qui s'empare de nous lorsqu'on nous parle de l'Allemagne, ce préjugé monstrueux a été créé et entretenu par ceux qui, par notre faiblesse, se sont érigés nos maîtres, afin d'opérer, de temps à autre quelques saignées nécessaires à leur prérogatives, parmi les travailleurs en grève, toujours plus nombreux et plus affamés.

A l'influence religieuse qui disparaît, ne faut-il pas à la bourgeoisie, une influence qui la remplace et lui assure les moyens de «gouverner» !
De la religion nouvelle du patriotisme. L'office est différent, mais le but est le même : abêtir l'homme pour l'exploiter plus facilement.
A quoi servent, en effet, les armées, ces écoles de l'abrutissement et de la servilité ? A qui servent-elles, si ce n'est qu'à cimenter l'édifice bourgeois en permettant aux dirigeants de retaper leur prestige par les guerres étrangères, et perpétuer l'exploitation des masses par la répression des mouvements populaires ayant pour objet de réclamer le droit de de vivre en travaillant.
Voilà où nous ont conduit nos préjugés et notre routine du laisser-faire parce que ça s'est toujours fait.
Le peuple comprendra-t-il bientôt que pour s'appartenir, il faut qu'il fasse une vie nouvelle, qu'il rompe avec le vieux monde qui n'attend qu'une poussée pour s'écrouler, qu'il fonde enfin, une société nouvelle où le passé ne sera plus qu'un cauchemar.
Allons, peuple travailleur, jette un coup d'œil sur le passé, envisage le présent qui ne vaut pas mieux, et redresse-toi enfin justicier implacable, garde-toi contre les crapules galonnées, les loups-cerviers de la finance, les serpents de la superstition, les hyènes du pouvoir, les corrompus de la magistrature, les crapauds de la presse bourgeoise patriotarde, les chenilles de la police et les enragés de l'autorité sous toutes ses formes.
Si l'on cherche à nous diviser et susciter parmi nous la guerre, tendons au contraire une main fraternelle à tous les opprimés du globe terrestre qui est notre commune-patrie.
Si l'on commande de nous égorger les uns les autres pour quelque motif que ce soit. Eh bien ! retournons-nous unis contre nos dirigeants, enfermons-les dans le cercle de nos colères, et pour répondre à leurs excitations perfides et criminelles, exploités des deux hémisphères, oublions les premiers coups et les dernières blessures, et dans une ripaille de titans, mangeons ensemble nos tyrans, nos exploiteurs et nos maîtres ! »

 

  • SOURCE initiale :  La Mistoufe - Organe communiste-anarchiste n°2 (12 novembre 1893)
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