★ Le Communisme-anarchiste comme réalisation pour les temps actuels

Publié le par Socialisme libertaire

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★ Pierre Ramus :
Le Communisme-anarchiste comme réalisation
pour les temps actuels (1934, extrait) 

 

★ L’Anarchisme, comme réalisation pour les temps actuels
 

« Dans le chaos, l’inconstance et l’incertitude actuels de tous les facteurs économiques de la vie sociale, état de choses admis par les classes dominantes, la finance et les gouvernements de tous les pays ; dans ces temps troubles, nous avons la grande consolation, nous autres anarchistes, de constater que la théorie anarchiste-communiste a dépassé le stade d’une réalisation future pour devenir une théorie économico-sociale réalisable pratiquement à notre époque et actuellement. C’est là la grande évolution de l’anarchisme au cours des dernières années, évolution et développement accomplis au cours des évènements qui se déroulent sous nos yeux. Quelques-uns s’en insoucient, d’autres les mésestiment, mais ils n’en existent pas moins et il faudra qu’on compte avec eux.

En tant qu’anarchistes, nous avons le devoir d’examiner et de scruter toutes les formes de vie sociale en relation avec l’anarchisme ; il faut vivre avec notre temps, ses théories et ses doctrines, pour nous rendre compte si l’anarchisme n’est pas resté en arrière et s’il peut suivre les résultats nouveaux enregistrés par la science et l’expérience. Les recherches historiques ne nous seront d’aucun aide, car la vie présente nous pose de nouveaux problèmes.

A côté de ses ennemis déclarés, l’anarchisme compte encore des adversaires, qui ne le croient pas actuel et le jugent impraticable pour le passage révolutionnaire de l’état de choses présent à la société libertaire. Il faut, disent-ils, un état de transition ; durant cette période il faudra que les hommes se contentent d’être salariés d’après leur travail ou de recevoir un salaire égal pour leur travail. Ces adversaires doutent qu’il y ait assez de produits pour tous au moment de la révolution sociale ; ils croient nécessaire un système de distribution qui ne pourra assurer qu’une vie très modeste. La construction au cours et après la révolution sociale leur apparaît comme un procès très long, et ils craignent que les hommes travaillent peu et consomment trop. La critique « syndicaliste » dit : bientôt ce serait la misère ; les plus forts se satisferaient, tandis que les faibles auraient faim ; le nouveau régime serait discrédité et la réaction autoritaire se donnerait sans tarder libre cours ».

Pour atteindre cette situation, point n’est besoin de révolution : c’est l’état de choses d’aujourd’hui. Pareille critique oublie totalement que le manque actuel de produits est le résultat voulu du système capitaliste, monopolisateur, mais n’est nullement obligatoire avec notre développement technique. C’est le bolchevisme qui justifie sa dictature par cette théorie. Mais comment peut-on nier l’anarchisme en se servant d’arguments marxistes-bolchevistes ?

Ce sont les Lénine, les Trotzky, les Boukharine qui depuis 1917-1922, et aujourd’hui même, veulent nous faire croire que : « Du travail, de la discipline, des sacrifices plus grands qu’en régime capitaliste sont nécessaire pour édifier la société nouvelle. » C’est la même explication que donne la méthode de Staline pour justifier la déplorable situation des ouvriers en Russie.

Les anarchistes qui sont du même avis, devraient aller jusqu’au bout de leur pensée et dire que l’autorité est nécessaire dans telles ou telles conditions et qu’il faut abandonner le principe de l’anarchisme pendant quelque temps, au moins durant la période de transition ; et que l’anarchisme n’est qu’une chose d’un avenir lointain à réaliser après la révolution. C’est la théorie marxiste de Lénine. Il faut y adhérer si l’on est d’opinion que le communisme libertaire n’est pas apte à constituer la première phase d’un libre développement de la société.

Heureusement le communisme anarchiste peut sans difficultés réfuter ces objections, car elles sont fausses. Mais on peut se faire une idée des difficultés que l’anarchisme doit combattre, alors que toutes les autres, théories de réorganisation sociale ont fait faillite. Une foule de tendances sociales démontrent qu’il faut se concentrer sur l’anarchisme, ce qui n’empêche pas qu’on s’efforce de trouver des objections, qui d’ailleurs, sont depuis longtemps réfutées. Il est dommage que nos critiques n’aient rien de mieux à nous opposer que nos ennemis. Je ne vois qu’une différence entre les uns et les autres : nos ennemis ne veulent pas que nous progressions et nous empêchent sciemment d’avancer ; nos critiques rendent notre marche plus pénible, mais pour la plupart sans le vouloir,
 

★ Pierre Kropotkine et l’anarchisme communiste
 

Comme Kropotkine est le théoricien le plus important de l’anarchisme communiste, il importe d’examiner à nouveau ses théories. C’est d’autant plus important qu’on a osé prétendre que Kropotkine avait changé d’opinion durant les dernières années de sa vie, surtout en ce qui concerne la période transitoire de la révolution sociale.

Rien n’est plus faux.

Ceux qui émettent pareille assertion se basent surtout sur le dernier chapitre des « Paroles d’un Révolté », écrit le 5 décembre 1919, figurant dans l’édition russe. Mais ce chapitre ne justifie en aucune façon l’imputation faite à Kropotkine d’un changement dans ses idées.

Kropotkine l’écrivit dans un temps et dans un pays où il avait l’occasion de se rendre exactement compte de l’impuissance de la construction marxiste-gouvernementale. Mais en même temps force lui était de prendre de grandes précautions, s’il ne voulait pas se faire poursuivre et tout à fait supprimer. C’est pourquoi il ne mentionne pas une seule fois le bolchévisme, alors qu’il vivait en Russie, sous sa dictature, et certainement tout ce qu’il écrit se rapporte incontestablement à lui. Dans le chapitre dont s’agit, Kropotkine démontre l’incapacité absolue du bolchévisme et du marxisme à accomplir une révolution sociale et il y réfute aussi cette constatation absurde du marxisme, que le capitalisme conduit à une « superproduction » et qu’un gouvernement marxiste, avant le pouvoir total, suffirait à donner aux prolétaires toutes les conditions nécessaires de vivre. Kropotkine démontre qu’une révolution marxiste conduit à une misère pire que celle produite par le capitalisme, car la bureaucratie qui le dirige est incapable d’organiser la société d’après les principes de la liberté et de la libre consommation. Ce qu’une révolution anarchiste, qui se poursuivra sous d’autres formes, pourra faire Kropotkine l’explique :

« Il n’y a qu’un seul moyen pour éviter la famine. Il nous faut concevoir, que dès le commencement de la période révolutionnaire dans un pays, il n’y a qu’une seule méthode raisonnable : il faut que les ouvriers, les paysans et tous les autres, dès le début, s’emparent des fabriques, des usines, des champs, qu’ils saisissent toute l’économie du pays dans leurs propres mains, qu’ils s’organisent et se dirigent eux-mêmes et qu’ils emploient leurs efforts à une augmentation de toute la production du pays. Mais ils comprendront seulement cette nécessité, si tous les soucis communs sont exposés d’une façon simple devant chaque village, chaque ville, chaque fabrique et chaque usine comme leur propre affaire, qu’on le leur laissera exclusivement le soin de régler, au lieu d’en charger, comme aujourd’hui, grâce à nos anciennes habitudes, des ministres et des comités. »

On voit que Kropotkine a démontré les insuffisances d’une révolution marxistes. Kropotkine ne nie aucunement l’anarchisme ; au contraire, il nous montre dans ce chapitre quel est notre devoir en tant qu’anarchistes, pour mettre la classe ouvrière en état d’accomplir une révolution dans l’esprit de l’anarchisme :

« L’étude de la vie pratique des peuples nous porte à la conclusion que tous les peuples doivent s’efforcer d’atteindre un grand progrès et d’arriver à un grand perfectionnement de l’agriculture, afin de pouvoir en même temps que l’agriculture, intensifier l’industrie textile. Nous ne voulons pas de peuples qui soient destinés à servir les autres. La notion de ce fait et celui qu’il est impossible d’accomplir une révolution sociale grâce à une dictature, constituent les fondations du bâtiment entier. Sans cette notion on bâtit sur du sable. »

Mais il est impossible d’accomplir une pareille révolution par la dictature et le pouvoir gouvernemental. Sans une reconstruction accomplie par les ouvriers et les paysans eux-mêmes, la révolution sociale échouera ! La révolution russe l’a démontré de nouveau et il faut espérer qu’on comprendra cette leçon : qu’on fasse partout, en Europe et en Amérique, des expériences sérieuses pour créer au sein de la classe ouvrière — au milieu des ouvriers, des paysans et des intellectuels — des esquisses de la révolution future, en désobéissant aux ordres d’en haut, mais en se mettant en état d’élaborer les formes libres d’une vie économique tout à fait nouvelle. »

Je ne puis voir dans ces mots de Kropotkine une négation de l’anarchisme. Ils montrent les principales conditions nécessaires pour une révolution sociale à tendances anarchiste.

Mais il y a du nouveau dans ce chapitre, que les critiques de l’anarchisme ne semblent pas apercevoir : Kropotkine y met fin aux vieilles conceptions d’une révolution militaire violente ; on y trouve, au lieu d’elles, la reconstruction économique de la vie, telle que je me suis efforcé de les indiquer dans ma « Reconstruction de la Société ».

Des révolutions de 1917 et des suivantes, en Autriche et en Allemagne, Kropotkine a tiré comme nous cette grande leçon :

La révolution sociale des peuples est inutile et échoue si elle n’aboutit pas à l’anarchisme.
 

★ Qu’est-ce que c’est l’anarchisme et que promet-il ?
                      

 L’anarchisme a revendiqué pour la première fois la liberté et l’indépendance économiques conjointement à la liberté politique. Les révolutions sociales et surtout la Déclaration des droits de l’homme en France (1789) ont beaucoup éclairé les esprits en ce qui concerne la liberté individuelle, mais la liberté économique est restée négligée. Les fondateurs de l’anarchisme ont eu la hardiesse de démontrer qu’il n’existe pas de liberté individuelle sans la liberté économique. L’anarchisme a nié l’autorité non seulement dans le domaine politique, mais aussi dans celui de l’économie. Le résultat de cette négation a été l’idée libératrice de l’anarchisme.

L’anarchisme nie l’autorité dans le domaine politique et économique.

Naturellement, l’anarchisme postule le droit à la consommation libre, le droit de disposer de son travail et d’en user à liberté. Actuellement, seul le riche a ce droit. En faire un droit pour tous, voilà ce qu’enseigne l’anarchisme. C’est justement la proclamation de ce droit qui a suscité les pires calomnies contre l’anarchisme et de la proviennent la plupart des malentendus dont il est l’objet.

On prétend que chacun voudra avoir les produits les plus luxueux et les plus précieux, et qu’on ne travaillera plus. C’est ridicule, et nous savons que les riches capitalistes ne sont pas tous des fainéants. Ce sont des exploiteurs, mais la classe bourgeoise ne pourrait pas maintenir son pouvoir, si la richesse avait la paresse comme conséquence inéluctable nécessaire. Quiconque lit les biographies des riches industriels s’aperçoit qu’il est absurde de croire que la liberté dans le domaine économique conduit à la fainéantise. Rien ne donne mieux le courage de travailler pour soi-même et pour son propre bien-être que l’application et la mesure.

D’ailleurs l’anarchisme ne proclame nulle part le droit à la libre consommation dans tous les domaines économiques. Il revendique seulement le droit de chaque homme à tout ce qui lui est nécessaire et à tout ce qui lui convient d’après la raison et nos possibilités.

La question qui se pose pourtant encore quelquefois est celle-ci : « Comment le communisme est-il possible s’il y a manque de produits ? D’où l’abondance dans la production peut-elle sortir, étant donné le peu de consommation des masses jusqu’à la révolution ? »

Voici la réponse : La consommation restreinte des masses d’aujourd’hui ne peut servir de mesure pour les possibilités de la production. Aujourd’hui on ne produit que pour les riches, pour ceux qui peuvent payer ; il y a peu de produits. Il suffirait de mettre les chômeurs à la production et il en résulterait déjà une telle abondance de produits qu’il serait impossible de maintenir le profit. capitaliste, les prix et l’intérêt. Le capitalisme préfère payer les chômeurs à les faire travailler. Les capitalistes comprennent mieux que nos critiques la force productive des ouvriers [...] »
 

Pierre Ramus

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