★ Emma Goldman : Affirmation de soi et émancipation de la femme

Publié le par Socialisme libertaire

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★ Emma Goldman (1869-1940)


Le texte d’Emma Goldman proposé ci-dessous est un court extrait d’un de ses essais les plus célèbres « La tragédie de l’émancipation féminine » (1906 in Mother Earth). En général, la thèse centrale de ce texte est présentée comme un parti-pris pour un féminisme de la liberté, contre le féminisme bourgeois et socialiste de l’égalité. Grosso modo, ce résumé correspond bien à la moitié du raisonnement d’Emma, la partie la plus évidemment négative : pourquoi combattre sans restrictions pour obtenir l’accès des femmes à une condition sociale – celle de l’homme dominé- qu’on ne cesse de critiquer : salarié, électeur, consommateur ? Emma Goldman qualifie cette égalité là d’«émancipation extérieure »? Et la tragédie de l’émancipation féminine n’est rien d’autre que le triomphe de cette orientation « égalité », de l’émancipation extérieure.

En quoi consiste alors le féminisme de la liberté ? C’est le féminisme anarchiste, celui qui tente – et parfois réussit- de répondre à la question : comment être soi-même et cependant se trouver en unité avec les autres ? Tel est le terrain où pourraient se rencontrer « et la masse et l’individu, et le vrai démocrate et l’individualiste véritable, et l’homme et la femme ». Il y a chez Emma Goldman, en tant que théoricienne de l’anarchie, une synthèse féministe. Et on va voir que le fondement de cette synthèse n’est rien d’autre que la culture de soi. Elle était influencée par Stirner et Nietzsche, mais aussi par les transcendantalistes américains, Emerson et Thoreau. Tout ce qui aspire chez la femme à la liberté revendique le champ d’expression le plus large pour l’affirmation de soi et l’activité.  [Par Jack Rackam]
  

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« …La paix et l’harmonie entre les sexes et les individus ne dépendent pas nécessairement d’un nivellement superficiel des êtres humains ; elles n’exigent pas non plus l’élimination des particularités et des traits individuels. Le problème que nous avons à considérer aujourd’hui et qu’il faudra résoudre demain est celui-ci : comment être soi-même et cependant se trouver en unité avec les autres, comment se sentir profondément lié aux autres et conserver intactes ses qualités propres ? Ce me semble être le terrain sur lequel pourraient se rencontrer, sans antagonisme et sans opposition, et la masse et l’individu, et le vrai démocrate et l’individualiste véritable, et l’homme et la femme. La formule d’un tel projet ne doit pas être : se pardonner l’un l’autre, mais bien : se comprendre l’un l’autre. Je n’ai jamais été particulièrement convaincue par la phrase si souvent citée de Mme de Staël, « Tout comprendre, c’est tout pardonner » ; elle sent trop le confessionnal. Pardonner autrui c’est une idée de Pharisien. Comprendre son prochain suffit, et c’est cette affirmation qui résume l’essentiel de mes idées sur l’émancipation de la femme et ses effets sur son sexe tout entier.

Son émancipation devrait donner à la femme la possibilité d’être pleinement humaine, dans le sens le plus vrai. Tout ce qui en elle réclame l’affirmation de soi et l’activité devrait atteindre son expression la plus complète ; tous les obstacles artificiels devraient être détruits et on devrait débarrasser de toutes les traces de siècles de soumission et d’esclavage la route qui mène à une plus grande liberté.

Ce fut le but originel du mouvement en faveur de l’émancipation féminine. Mais les résultats obtenus jusqu’ici ont isolé la femme et l’ont dépouillée des sources d’un bonheur qui lui est si essentiel. L’émancipation extérieure a simplement fait de la femme moderne un être artificiel qui fait penser à un jardin à la française avec ses arbres et ses arbustes fantaisistes taillés en forme de pyramides, de cônes ou de guirlandes ; n’importe quoi sauf les formes qui peuvent être atteintes par l’expression de ses qualités intérieures. Voici ce que l’on trouve aujourd’hui en grand nombre : de belles plantes artificielles du sexe féminin, et spécialement dans la prétendue sphère intellectuelle.

La liberté et l’égalité pour la femme ! Que d’espérances et d’aspirations ces mots ont éveillées lorsqu’ils ont été prononcés pour la première fois par quelques-uns des cœurs les plus nobles et les plus braves de nos jours. Le soleil, dans toute sa gloire et dans tout son éclat, allait se lever sur un nouveau monde, et, dans ce nouveau monde, la femme devait être libre de diriger sa propre destinée — un tel but était certainement digne de l’enthousiasme, du courage, de la persévérance, de l’effort incessant de la cohorte des pionniers, hommes et femmes, qui risquèrent tout pour se dresser contre un monde pourri de préjugés et d’ignorance.

Mes espérances également tendent à cette fin ; mais je soutiens que l’émancipation de la femme, telle qu’on la comprend et qu’on la met en pratique aujourd’hui, ne permet pas d’atteindre ce but. Dès lors la femme est confrontée à la nécessité de s’émanciper de l’émancipation si elle désire réellement être libre. Cela peut sembler paradoxal, ce n’en est pourtant que trop exact… »

Emma Goldman
 

NB : « Affirmation de soi » est proposé ici pour « assertion », sur le modèle de « self-assertion ». Dans sa traduction – la première version de « La tragédie de l’émancipation féminine » publiée en langue française – E. Armand utilise la curieuse formule de « Soi-affirmation ».

 

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