★ Biographie de Malatesta (1853-1932)
« « Le meilleur [et seul] livre de Malatesta, c’est sa vie. Il n’est donc pas possible de comprendre sa figure historique par la valeur éternelle de sentiment et de pensée qu’il a laissée dans ses écrits, sans tenir compte de l’itinéraire complet de sa longue existence liée au mouvement social et révolutionnaire de plus d’un demi-siècle. D’où la nécessité, avant de passer à une exposition suffisamment complète de ses idées, de connaître, pour le moins sommairement, l’histoire de sa vie [1]. »
Le camarade que nous citons a été, avec Malatesta, un des organisateurs du mouvement anarchiste italien. Luigi Fabbri (1877-1935) représente une génération plus jeune et non moins courageuse et réfléchie que celle de Malatesta. Son livre Dictature et révolution, écrit en 1921, sur l’Union soviétique, est la première analyse anarchiste du marxisme-léninisme au pouvoir. Fabbri s’est échappé de l’Italie fasciste en 1926 pour se réfugier en Uruguay où il éditait une revue d’étude. C’était un ami très proche de Malatesta et il est une source d’informations.
Errico Malatesta naît le 14 décembre 1853 près de Naples. Sa famille est riche, il étudie chez les piaristes (ordre religieux voué à l’enseignement), où il connut Saverio Merlino [2].
À 14 ans, il adresse une lettre insolente et menaçante au roi Victor Emmanuel II. Il est arrêté. Grâce à ses relations, son père le fait sortir de prison. Malatesta est républicain, mais Mazzini, protagoniste de l’unification de l’Italie, refuse son adhésion, le trouvant trop socialiste.
Malatesta entend alors parler de l’Internationale (Association internationale des travailleurs AIT) et la retrace. Il connaît Fanelli [3], Gambuzzi [4]. En 1871, il est internationaliste. Il collabore avec Cafiero [5] à L’Ordine et à La Campana de Naples. Il se donne également corps et âme à la Fédération italienne et abandonne ses études de médecine. Il devient la bête noire de la police. En vue du Congrès de Saint-Imier en septembre 1872, il rencontre Bakounine et participe aux travaux de l’Alliance.
L’Alliance était un groupe révolutionnaire qui ne voyait aucun moyen pacifique pour persuader les capitalistes d’accepter l’égalité économique et de cesser d’exploiter la grande majorité des populations du globe. Cette vision était très claire pour les Italiens du sud du pays, comme le Napolitain Malatesta. L’Alliance aurait voulu inciter l’AIT à suivre sa position. Mais celle-ci était et voulait rester une sorte de centrale syndicale aspirant à un changement social progressif et, selon Marx, grâce à des députés ouvriéristes, à un grand parti prolétarien ensuite, qui imposerait des lois muselant le capitalisme.
L’AIT et l’Alliance ne pouvaient cohabiter à cause des expériences sociales de pays différents de Karl Marx et de Michel Bakounine. Malatesta avait sans doute pensé que les canons et la mitraille à Paris en 1871, en Allemagne en 1919, étaient semblables aux canons et à la mitraille que le tzar tenta d’opposer aux grévistes et aux soldats insurgés en février 1917 à Petrograd, puis que ses partisans utilisèrent de 1919 à 1920.
Malgré sa grande énergie, Malatesta était de santé fragile (son médecin croyait qu’il atteindrait difficilement l’âge de 24 ans). Bakounine dit alors de lui : « Dommage qu’il soit si malade ! Nous le perdrons bientôt ; il n’en a pas pour six mois ! »
En 1873, Malatesta passe six mois en prison à Trani, sans motif. Il discute avec le directeur de la prison qui a de la sympathie pour lui. En 1874, les mouvements insurrectionnels préparés par des bakouninistes éclatent. La police, avertie, fait échouer ces mouvements. Malatesta se trouve dans les Pouilles. Il s’enfuit dans une charrette de foin, mais il est reconnu et de nouveau incarcéré à la prison de Trani. Le procès en 1875 devient une tribune pour la propagande en faveur de l’Internationale et c’est l’acquittement. Malatesta rejoint Bakounine et Cafiero en Suisse. Il part en Espagne, on ne sait pas exactement ce qu’il y fait. À Naples, il devient franc-maçon, espérant comme Bakounine y exercer une certaine influence, mais deux ans plus tard, il ne l’est plus « et, depuis lors, il combattit toujours la franc-maçonnerie comme son adversaire le plus intransigeant [6] ».
En 1875, malgré les conseils de Bakounine, il part en Hongrie pour participer à l’insurrection de l’Herzégovine contre les Turcs. Il est arrêté et remis à la police italienne.
Lors de la préparation du Congrès de l’Internationale à Florence (1876), la question du collectivisme et du communisme apparaît [7]. À ce congrès, tenu d’abord à Florence, puis dans les environs et enfin dans un bois (à cause de la police), on adopte la formule « À chacun selon ses propres forces, à chacun selon ses besoins ». Malatesta est nommé, ainsi que Cafiero, délégué pour le Congrès de Berne où il présente le communisme anarchiste.
Malatesta et Cafiero préparent ensuite une insurrection dans une région de paysans pauvres, la région de Bénévent (au nord de Naples). Ils cherchent de l’argent, rencontrent Kropotkine sans résultat. Finalement, Cafiero vend ce qui lui restait de biens. Ce mouvement de 1877 a une valeur d’exemple. Le révolutionnaire russe Serge Stepniak (Krastchinski [8]) y participe. Malgré l’action de la police, Cafiero, Stepniak et Malatesta, ainsi qu’une trentaine d’internationalistes, armés, drapeau rouge en tête, prennent le village de Lentino. Des armes sont distribuées à la population, les documents officiels brûlés. Ensuite ils vont à Gallo. Partout, ils font des discours, la population écoute, mais ne participe pas. L’armée intervient, la situation est désespérée. Malatesta et Cafiero, bien que sachant comment fuir, restent sur place et sont arrêtés.
L’équipée a duré douze jours, un carabinier a été tué, un autre blessé. En prison, Cafiero écrit Abrégé du Capital, Stepniak La Russie souterraine, Malatesta un rapport des faits pour l’AIT.
Au procès, tous déclarent avoir tiré sur les carabiniers, mais le jury les acquitte. Parmi les avocats, il y a Saverio Merlino. Celui-ci, se souvenant de Malatesta, s’était offert à le défendre. En lui expliquant les faits, Malatesta en fait un internationaliste et un anarchiste.
Malatesta revient à Naples en 1878 et est constamment surveillé par la police. Il a dépensé son héritage pour financer la propagande. Il part pour un temps en Égypte. Le consul italien l’expulse à Beyrouth, de là, celui de Beyrouth l’envoie à Smyrne. Sur un bateau français, il se lie d’amitié avec le capitaine, qui le garde à bord jusqu’en Italie. À Livourne, la police veut l’arrêter, le capitaine refuse de le livrer. Finalement, Malatesta descend à Marseille et va à Genève, où il aide Kropotkine à publier Le Révolté. Épuisé, il part en Roumanie, puis en France (1879). De nouveau expulsé, il va en Belgique, puis à Londres. Il y demeure et travaille comme vendeur de glaces et de bonbons avant d’ouvrir un atelier de mécanique.
Le dernier Congrès de l’AIT a lieu à Londres. Malatesta propose (Kropotkine, Merlino, Louise Michel, etc., étant présents) « une nouvelle organisation semblable à l’Internationale, qui conserve son nom, mais qui accentue ses principes dans un sens révolutionnaire ». Pratiquement, il n’obtint aucun résultat, surtout à cause de l’esprit anti-organisateur des anarchistes français. « Nous sommes des doctrinaires impénitents », alla-t-il jusqu’à dire. Malheureusement, un policier français prit part au congrès, sous le nom de Serreaux. Il dirigeait La Révolution sociale, à laquelle participaient Louise Michel, Cafiero et d’autres. Il donna de nombreux renseignements à la police italienne.
Malatesta quitte Londres (1882) pour rejoindre les Égyptiens en révolte contre les Européens. Il n’y parvient pas et rentre clandestinement en Italie. Arrêté, il est relâché peu après, grâce à une nouvelle loi judiciaire supprimant la détention préventive. Il fonde La Questione Sociale, où il attaque le patriotisme, la franc-maçonnerie et le parlementarisme.
En 1884, Merlino, Malatesta et d’autres camarades, qui avaient l’intention de lancer le journal anarchiste Il Popolo, sont arrêtés sous prétexte de conspiration contre la sécurité de l’État. Un tribunal les condamne à quatre et trois ans de prison, ils font appel et sont remis en liberté provisoire. Une épidémie de choléra éclate à Naples. Malatesta et des camarades se portent volontaires pour soigner les malades. Rocco Lombardo et Antonio Valdre meurent, mais Galileo Palia et Malatesta se distinguent par leur courage et leur esprit de sacrifice. Malatesta, ex-étudiant en médecine, dirige une section de malades dans laquelle le pourcentage de guérisons est le plus élevé. Un décret officiel le remercie, il récuse cet honneur. Lorsque l’épidémie cesse, les anarchistes quittent Naples en publiant un manifeste : « La cause véritable du choléra est la misère, et le seul remède efficace pour éviter son retour ne peut être que la révolution sociale. »
Le procès pour l’affaire du journal Il Popolo reprend, les condamnés s’enfuient. Malatesta doit être enfermé dans une caisse de machine à coudre pour échapper à la police. Il s’embarque pour l’Amérique du Sud. Auparavant, il avait publié une brochure, Entre paysans, dont le texte avait la forme d’un dialogue.
Arrivé à Buenos Aires en 1885, Malatesta installe un atelier de mécanique et publie un journal italien, La Questione Sociale. Il organise des sections ouvrières de résistance. En 1885, on découvre de l’or en Patagonie. Malatesta et des camarades s’y rendent, espérant trouver des fonds pour la propagande. Après des aventures rocambolesques, ils retournent à Buenos Aires, où Malatesta, sauf quelques visites à Montevideo, restera jusqu’en 1889.
En 1889, il rentre en Europe et publie à Nice L’Associazione, mais, interdit de séjour en France, il doit partir précipitamment pour Londres. Il y ouvre de nouveau un atelier de mécanique. Il fait des voyages clandestins en France et en Italie, mais il est arrêté en Suisse et revient à Londres, où il doit polémiquer avec d’autres anarchistes sur les attentats, les syndicats, etc. En 1892, il va en Espagne. La police ne peut l’arrêter au cours de voyages clandestins qu’il fait en Belgique et en Italie. À Londres, Malatesta et tous les anarchistes réfugiés décident d’intervenir au Congrès international ouvrier socialiste (1896). Malatesta est le délégué des Espagnols. Il y a aussi Pelloutier, Gori, Landauer et Nieuwenhuis (Pays-Bas). Les marxistes, étant en majorité, votent l’exclusion des anarchistes et des socialistes antiparlementaires. Les socialistes antiparlementaires, membres du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR) de Jean Allemane, typographe ex-communard, étaient aussi appelés allemanistes.
Revenu incognito en Italie, Malatesta polémique dans L’Agitazione avec Merlino à la suite de son passage au parlementarisme. La conséquence est que Merlino n’est suivi par presque aucun anarchiste italien. Malatesta attaque les individualistes et les marxistes, le spontanéisme de Kropotkine, il insiste « sur la nécessité d’organiser l’anarchisme en parti et propage, pour la première fois en Italie, la méthode syndicale de l’action directe ouvrière [9] ». Le journal était estimé même par ses adversaires. La police ne parvient pas à arrêter Malatesta, mais, neuf mois après son arrivée, la femme d’un camarade croyant être trompée fait un scandale devant la maison où se cache Malatesta, le lieu des prétendues « turpitudes » de son mari. Découvert et arrêté, Malatesta est remis en liberté, sa condamnation à trois ans de prison étant caduque.
De nouveau arrêté avec des camarades pour association de malfaiteurs, Malatesta en profite et lance une campagne pour « la liberté d’association » qui réussit « pleinement » : les anarchistes ne seront plus considérés comme malfaiteurs, mais comme agents subversifs ! Déjà condamné à six mois de prison, il est envoyé, à la suite de troubles sociaux, en réclusion à l’île d’Ustica, puis à celle de Lampedusa. Il s’en évade avec deux camarades en 1899, gagne Malte, Londres, puis Paterson aux États-Unis. Malatesta continue à s’occuper du journal La Questione Sociale et doit polémiquer avec l’individualiste Ciancabilla et son journal L’Aurora. Au cours d’une discussion animée, un camarade « énervé » tire sur lui un coup de revolver et le blesse à la jambe.
Malatesta fait des conférences, dans un climat plus calme. Il rédige « Notre programme », va à Cuba et revient à Londres (1900). Là, il reprend son atelier de mécanique (et d’électricité) dans le quartier d’Islington. Il publie divers journaux : L’Internazionale, Lo Sciopero Generale, etc.
La participation de Malatesta au Congrès international anarchiste d’Amsterdam en 1907 est célèbre, car il s’oppose à Monatte sur la question syndicale.
En 1910, un terroriste russe qui travaillait à l’atelier avec Malatesta est surpris en flagrant délit de vol et est tué après une bataille rangée avec la police. Malatesta n’est pas inquiété. Il écrit sur cet épisode « Capitalistes et voleurs ». À la suite de provocations de la part d’un anarchiste, en réalité agent du gouvernement italien, il manque d’être expulsé de Grande-Bretagne.
En 1913, Malatesta rentre en Italie et rencontre Benito Mussolini (socialiste à cette époque), directeur d’Avanti !, le plus important journal ouvrier. Il calme les querelles personnelles parmi les anarchistes, prend des contacts avec les autres organisations révolutionnaires, fait des conférences, encourage les syndicalistes (1914). Il revoit Mussolini et discute longuement avec lui de la révolution. Mussolini était sceptique. Malatesta conclut en disant à Fabbri : « Tu as entendu ? Il appelle hypercritiques Barni et Tancredi [10] ; mais lui aussi est un hypercritique et rien d’autre. Cet homme est révolutionnaire seulement dans son journal. Il n’y a rien à faire avec lui [11] ! »
À Ancône, lors de manifestations antimilitaristes auxquelles participe Malatesta, la police tire, le peuple s’empare de la ville. Les syndicats décrètent la grève générale. C’est la « semaine rouge ». Mais l’armée intervient. Mussolini soutient le mouvement en parole, mais ne fait rien. Malatesta fuit, non sans déclarer : « Nous continuerons, préparant la révolution libératrice qui devra assurer à tous la justice, la liberté et le bien-être. »
Il est de nouveau à Londres, toujours électricien-mécanicien. Après la publication en 1916 d’un manifeste de Pierre Kropotkine en faveur de la France et de l’Angleterre qui seraient des nations progressistes par rapport à l’Allemagne, manifeste que signent une douzaine d’autres anarchistes, Errico Malatesta réagit devant cette prise de position chauviniste incompréhensible et écrit le texte « Les anarchistes ont-ils oublié leurs principes ? »
En 1919, il retourne en Italie, à Gênes où il est accueilli par une foule de sympathisants. Il commence une série de conférences sur la nécessité de la révolution. Le fameux quotidien Corriere della Sera (20 janvier 1920) le dépeint comme suit : « L’anarchiste Malatesta est aujourd’hui un des plus grands personnages de la vie italienne. Les foules des villes courent à sa rencontre, et ne lui livrent pas les clés des portes, comme c’était jadis la coutume, uniquement parce qu’il n’y a plus de clés ni de portes. »
Il engage des négociations avec les socialistes pour faire la révolution. La police essaie de provoquer des désordres et de l’assassiner. Malgré les obstacles légaux, Umanità Nova, journal de Malatesta, tire à 50 000 exemplaires. Malatesta donne une impulsion anarchiste à l’Unione Sindacale Italiana (Union syndicaliste italienne, USI) d’influence anarchiste.
En 1920, un soulèvement a lieu à Ancône, des centaines d’usines de métallurgie, de chimie, etc., sont occupées. Mais le mouvement est trahi par l’attitude des sociaux-démocrates de la Confederazione generale italiana del lavoro (Confédération générale italienne du travail, CGIL), qui donnent l’ordre d’évacuer les usines en échange de futures améliorations qui n’arriveront jamais.
Après une réunion anarchiste à Bologne, où Malatesta a pris la parole, des incidents éclatent ; il y a des victimes et des blessés du côté des ouvriers et de la police. Malatesta et les camarades chargés de la rédaction d’Umanità Nova sont arrêtés. Les protestations se multiplient, des attentats fascistes ont lieu. En mars 1921, une bombe est lancée au théâtre Diana à Milan, tuant 17 personnes et faisant une centaine de blessés. Il s’agissait, hélas, d’un attentat commis par des anarchistes individualistes (peut-être manipulés par des provocateurs [12]). Les fascistes attaquent et détruisent les locaux d’Umanità Nova. Malatesta, dans sa propagande, tout en comprenant et expliquant des faits semblables comme le résultat inévitable des injustices sociales et des provocations des classes privilégiées, avait toujours souligné son opposition à ces attentats aveugles. Dans ce cas, Malatesta éprouva la sensation déchirante que l’affection qu’on lui portait n’était pas étrangère à cet acte.
Le procès de Malatesta et de ses amis (Saverio Merlino est toujours son avocat) se termina par un acquittement général.
En dépit de ce fait, qui montre que des espaces de liberté et de critiques subsistaient, l’alliance du patronat, des classes dirigeantes, du gouvernement et de la monarchie stimule le fascisme qui, de plus en plus violent, passe du statut de groupes de nervis briseurs d’organisations de gauche à celui de parti-organe de police suivant ses normes de répression… Contre cet étouffement prévisible de toute liberté dans le pays, Malatesta favorise la formation de groupes armés.
En juillet 1922, la grève générale est proclamée par l’Alliance du travail (union de divers syndicats sur l’impulsion de Malatesta), mais le fascisme la décime par la force. Puis, en octobre, c’est la « marche sur Rome » (une manipulation médiatique bien orchestrée) et, dans la capitale, les fascistes brûlent un portrait de Malatesta sur la place Cavour. Umanità Nova est interdit. Malatesta reprend son métier d’électricien à 69 ans. La police le suit ostensiblement partout où il va travailler.
En 1924, la revue Pensiero e Volontà apparaît. Le fascisme à ses débuts ne touche pas à la liberté de presse, y compris pour la gauche [13]. Mais la censure se fait de plus en plus sévère et la revue est interdite en 1926. L’atelier de Malatesta est détruit par les fascistes. Il est obligé d’accepter l’aide des camarades pour survivre, lui, sa compagne Elena Melli (ils sont unis depuis 1921) et sa fille. Des offres de fuite lui sont faites, mais il les refuse, voulant rester en Italie au cas où le régime tomberait.
Au moment de la République espagnole, « il aurait voulu partir, mais alors il était déjà trop tard [14] ». Une brigade de police est installée près de sa maison et le surveille nuit et jour. Sa santé s’affaiblit. Il réussit à faire passer des articles pour Il Risveglio / Le Réveil de Genève et L’Adunata dei Refrattari de New-York. Les attaques broncho-pulmonaires se succèdent. « Franchement, quand on a rêvé et tant attendu, il est douloureux de mourir dans les conditions où je vais peut-être mourir, à la veille, qui sait ? des événements espérés. Mais que veux-tu ? Peut-être n’y a-t-il rien d’autre à faire qu’attendre la fin avec, devant les yeux, l’image de ceux qui m’ont tant aimé et que j’ai tant aimés » (lettre à Bertoni, 30 juin 1932).
Le 21 juillet, il prend ces quelques notes :
La société aura toujours une tendance à trop s’immiscer dans le domaine individuel (Rienzi). La société ? pourquoi ne pas dire « les gouvernements » [15] ou, plus exactement, « les autres » ? Mais les autres, s’ils ne sont pas les plus forts, s’ils ne sont pas les gouvernements, font peu de mal.
— Celui qui jette une bombe et tue un passant dit que, victime de la société, il s’est rebellé contre elle. Mais le pauvre mort pourrait dire : « Mais suis-je la société ? »
Malatesta est mort le 22 juillet 1932. »
[1] Luigi Fabbri, Malatesta : Su vida y su pensamiento, Buenos Aires, AméricaLee, 1945, p. 60.
[2] Saverio Merlino (1877-1930), d’abord anarchiste et compagnon de Malatesta puis, à partir de 1897, socialiste. « Comme anarchiste, il tendait toujours à se caractériser comme anti-individualiste : comme socialiste, il tendait à se caractériser comme anti-autoritaire » (introduction à Concezione critica del socialismo libertario de Merlino, Florence, De Silva / La Nuova Italia, 1957, p. xxix-xxx). À la mort de Merlino, Malatesta fit une évocation qui finit par : « Sur sa tombe, nous déposons la fleur de la reconnaissance, en espérant que la nouvelle génération sera en mesure de connaître son œuvre anarchiste qu’elle ignore totalement. »
[3] Giuseppe Fanelli (1827-1877), militant et volontaire dans des insurrections avec Mazzini, puis Garibaldi. Devenu partisan de Bakounine, ce dernier le charge d’organiser l’AIT en Espagne en 1868 et de présenter la vision anti-autoritaire.
[4] Carlo Gambuzzi (1837-1902), militant actif proche de Garibaldi puis de Bakounine.
[5] Carlo Cafiero (1846-1892) étant à Londres, il adhère à l’AIT et adopte les idées de Marx et d’Engels. Délégué de l’AIT en Italie, il devient ami de Bakounine et militant actif. Emprisonné durant seize mois après l’insurrection préparée avec Malatesta, il rédige un abrégé du Capital de Marx, que Marx apprécie.
[6] Fabbri, Malatesta, op. cit., p. 72.
[7] « Quelle différence entre le collectivisme et le communisme ? Kropotkine et Merlino l’ont très bien expliquée. Nous nous contenterons de dire qu’on appelle collectiviste le système qui voit la solution de la question sociale dans la communauté, au profit de la collectivité, des moyens de production ; tandis que le communisme est la doctrine de la communauté de biens appliquée, non seulement aux moyens de production, mais aussi aux objets de consommation. » (Malatesta, cité par Le Réveil, novembre 1941.)
[8] Anarchiste russe exilé, mort à Londres en 1895, auteur de nombreux livres antitsaristes.
[9] Fabbri, Malatesta, op. cit., p. 108.
[10] « Giulio Barni était un syndicaliste révolutionnaire alors très populaire, mort ensuite pendant [la Première Guerre mondiale]. Libero Tancredi (pseudonyme de Massimo Rocca), alors anarcho-individualiste, puis nationaliste pendant la guerre, ensuite fasciste ; avant ami, puis ennemi de Mussolini. » (Note de Luigi Fabbri dans l’édition publiée à Barcelone en 1936 de La vida de Malatesta).
[11] Fabbri, Malatesta, op. cit., p. 130.
[12] Hypothèse de Giampietro N. Berti dans Il buon senso della rivoluzione, Milan, Elèuthera, 1999.
[13] Lénine, de son côté, interdit la presse de droite dès octobre 1917.
[14] Fabbri, Malatesta, op. cit., p. 160.
[15] Les premières lignes de la note, citée par Fabbri, sont écrites en français.
- SOURCE : Bibliothèque Anarchiste
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