Contre toutes les patries : la fasciste, la démocratique, la soviétique
Monsieur Staline comprend et approuve pleinement la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité.
" Contre toutes les patries : la fasciste, la démocratique, la soviétique. "
Bulletin de la Ligue des communistes internationalistes N°6 – An 4 – Juin 1935.
« Lorsque Marx affirmait dans le Manifeste Communiste que "les prolétaires n’ont pas de patrie" il sous-entendait une incompatibilité fondamentale existant entre le prolétariat et la bourgeoisie, un antagonisme profond opposant la lutte des classes au drapeau de la formation historique du capitalisme. Le prolétariat ne peut vivre, lutter, vaincre qu’au travers d’une lutte des classes poussée jusqu’à ses conséquences les plus extrêmes ; la bourgeoisie s’oppose à cette lutte au nom de l’unité, de la défense de la patrie, patrimoine commun des exploités et des exploiteurs. Le prolétariat ne se constitue pas en Etat ouvrier pour perpétuer un privilège économique et le garantir par des compétitions inter-Etats, mais bien pour démolir internationalement toute exploitation de classe et, conformément au développement de la production, tout appareil de coercition étatique.
La "patrie" qu’elle soit fasciste, démocratique ou soviétique, n’existe pas pour le prolétariat, pas plus avant qu’après la révolution. Le moteur de son activité est la lutte des classes et non une opposition d’Etat prolétarien et d’Etats capitalistes. Après la révolution le prolétariat vainqueur n’appelle pas les ouvriers à défendre la "patrie prolétarienne", mais à intervenir dans le mécanisme des rapports de classes de leur pays pour porter à leur bourgeoisie les coups décisifs qui seuls donneront une signification internationale au secteur où le capitalisme a été écrasé. En bref, le prolétariat laisse la notion de la patrie au monde bourgeois qui l’a enfanté avec ses privilèges de classe, son exploitation, comme une position nécessaire pour jeter la classe révolutionnaire dans le massacre de la guerre. La finalité historique des travailleurs dépasse supérieurement les cadres étriqués de la "Nation" pour se diriger vers l’érection d’une société communiste internationale.
Mais, nous crieront les talmudistes centristes et socialistes, Marx n’a-t-il pas admis la défense de la patrie en 1871 ? Lénine n’a-t-il pas écrit qu’après la révolution les prolétaires ont une patrie à défendre ? Ce serait abaisser ces grands chefs révolutionnaires que de les défendre contre la vermine réactionnaire qui, au nom du capitalisme, se pare aujourd’hui de leurs écrits. Marx pensait que contre la France, s’opposant à l’unification de l’Allemagne, les ouvriers se trouvaient dans l’obligation de faire "un bout de chemin" excessivement limité avec la bourgeoisie allemande, afin d’accélérer la venue de conditions de maturation des luttes de classes. Mais Bebel-Liebknecht ne votèrent pas, à cette époque, les crédits de guerre : ils mirent en évidence la solidarité des ouvriers allemands et français. Ils s’abstinrent, considérant l’impossibilité principielle de réaliser une "Union Sacrée" avec l’ennemi de classe, mais, aussi la nécessité de condamner le caractère réactionnaire de la politique de Napoléon III. "L’erreur" de Marx est toute historique : elle consistait à croire possible un croisement de la révolution bourgeoise — pour lui 1871 était un épisode de celle-ci — et de la révolution prolétarienne. Or, l’expérience a prouvé que révolution bourgeoise d’abord, guerre capitaliste ensuite, s’opposent foncièrement à la lutte du prolétariat, qu’elles passent préalablement par son extermination. La Commune de Paris de 1871 est la preuve de cet antagonisme de classe et l’alliance de Bismarck et de Thiers contre les Communards en est l’illustration.
"L’erreur" des bolcheviks, après Octobre 1917, fut de croire que le centre des situations était le contraste : Etat prolétarien-capitalisme de tous les pays. Croire en une "patrie" prolétarienne, c’est-à-dire envisager l’intervention de l’Etat ouvrier sur le front des compétitions inter-impérialistes en espérant ainsi accélérer leur cours, c’était méconnaître le fait que l’élément déterminant de ces compétitions est avant tout l’état de la lutte des classes au point de vue international, ignorer que la base de leur développement réside dans l’écrasement des différents prolétariats. On sait que dans la lettre aux ouvriers américains de 1918, publiée aujourd’hui par les scribouillards du "Drapeau Rouge", Lénine envisageait l’aide de l’impérialisme français contre l’avance allemande à l’époque de Brest, comme il envisagea d’ailleurs l’aide allemande contre les forces de l’intervention, Mais si l’intervention des Alliés se cassa l’échine contre Octobre 1917, si toutes les hypothèses de Lénine restèrent lettre morte, la faute en est au réveil des luttes de classes dans les pays d’Europe Occidentale. Et si la Russie se maintient victorieusement jusqu’en 1921, c’est bien parce que la réalité imposait au dilemme : Etat prolétarien-Etats capitalistes l’autre dilemme : prolétariat mondial-capitalisme international.
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"Il faut laisser les morts enterrer les morts" (Marx) et jeter la notion de la "patrie" à la poubelle avec tous le fatras idéologique qui appartient en propre à la bourgeoisie. Il faut aussi affirmer, après les expériences effectuées par le centrisme, qu’un Etat prolétarien ne peut s’introduire dans le mécanisme de la vie économique, sociale et politique du monde capitaliste sans devenir un agent de ce dernier. Lorsqu’il s’introduit dans le jeu des contrastes qui s’expriment entre les différents Etats il perd sa position de classe, brouille la lutte des ouvriers des pays capitalistes et en arrive à la déclaration de Staline poussant à la dissolution des ouvriers français au sein de leur capitalisme. Car la phrase de Staline que nous donnons en exergue ne tombe pas du ciel, elle ne résulte pas du machiavélisme de Staline et du "stalinisme", mais ne fait que couronner tout un processus de dégénérescence et enfin de trahison. C’est en réalité dans les difficultés énormes rencontrées par les bolcheviks après Octobre 1917, dans leur isolement terrible, dans l’incapacité des prolétaires des autres pays à leur apporter une aide idéologique, que l’on trouve les premiers bacilles de la tragédie qui se clôture aujourd’hui. C’est Rapallo (Traité de commerce entre l’URSS et l’Allemagne) en 1921 [1], la Conférence de Gênes où Tchitchérine affirmait que "tout en conservant elle-même le point de vue des principes communistes, la délégation russe reconnaît que, dans la période actuelle de l’histoire, qui permet l’existence parallèle de l’ancien ordre social et du nouvel ordre naissant, la collaboration économique entre les Etats représentants ces deux systèmes de propriété apparaît comme impérieusement nécessaire pour la reconstruction économique générale" (Procès-verbal) qui représente le premier jalon allant permettre la victoire du centrisme en brouillant la lutte du prolétariat allemand. N’oublions pas qu’après l’occupation de la Ruhr, en janvier 1923, Zinoviev, président de l’Internationale, offrait l’appui de la Russie à la bourgeoisie allemande "opprimée" par les puissances alliées, alors que Radek tenait des discours "National-bolchéviks" au sujet de l’Allemagne. Le résultat, comme on sait, fut la défaite des ouvriers allemands en octobre 1923 qui ouvrit largement l’ère des rapports entre l’Etat Soviétique et les Etats prolétariens et ces rapports s’élargirent, s’approfondirent après la défaite chinoise de 1927, pour incorporer définitivement l’Etat russe au jeu des compétitions inter-impérialistes après mars 1933 en Allemagne, au nom de la théorie de la construction du socialisme en un seul pays. L’expérience de la Russie prouve donc lumineusement que les compétitions impérialistes ne sont pas dirigées par le duel des forces de la "guerre" et de la "paix", mais bien par la nécessité de créer solidairement et avant toutes les conditions mondiales pour l’écrasement du prolétariat car la guerre impérialiste vise, en second lieu, à un nouveau partage du monde : avant tout, elle se dirige vers l’anéantissement de générations d’ouvriers rejetées par les limites capitalistes de la production, de stocks immenses de produits. En d’autres termes, elle est la réponse de classe du capitalisme à la menace révolutionnaire du prolétariat.
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L’explication courante de la déclaration de Staline est qu’il s’agirait en l’occurrence du prix payé par la Russie pour une alliance militaire précise avec la France. A vrai dire, le problème est bien plus complexe. Un examen du pacte franco-russe signé à Paris entre Laval et Potemkine, la courte tension qui a précédé celui-ci, enfin le rejet des propositions soviétiques voulant relier "sécurité" et "automatisme militaire" montrent que nous ne sommes pas — du moins pour le moment — devant un accord militaire précis et définitif. La France entend maintenir son alliance dans les cadres de la SDN et de ses obligations de Locarno. En outre, elle entend faire de celle-ci un chaînon se rattachant au pacte de Rome, de Londres, à la Conférence de Stresa. Or, le sens de l’hégémonie de la France à Genève, le caractère des dernières manifestations internationales, gravitent autour d’une politique française de compromis afin d’aboutir à un "isolement" utopique de l’Allemagne. Les limites de cette orientation sont données par le réarmement du Reich et par le choc des contrastes au sein de "l’Alliance pour la paix". Le dernier discours de Mussolini au Sénat est un coup de massue asséné à cette "Alliance", car celui-ci ne cache pas un éventuel rapprochement avec l’Allemagne pour réaliser sa politique abyssine. L’Afrique l’emporte sur le Brenner et l’opposition avec la France et l’Angleterre semble prédominer.
Le seul élément définitif dans le communiqué Laval-Staline est la déclaration de ce dernier au sujet de la France. Fait paradoxal, Paris, qui protestait antérieurement contre l’immixtion de Moscou dans sa politique intérieure, la réclame du secrétaire du PCR comme condition préjudicielle de rapports cordiaux ! Il s’avère donc qu’entre la Russie et les Etats capitalistes alliés existe une solidarité pour interdire aux ouvriers une activité de classe puisque Staline demande aux centristes français d’appeler les ouvriers à défendre leur patrie, de cesser leur agitation contre les armements de la France. Au fond, cela se comprend facilement. La Russie, intégrée aux compétitions inter-Etats, dirige, comme tous les pays, toute son activité vers la préparation de la guerre. Elle ne peut, de ce fait, rester relier à des mouvements de classe qui ne peuvent trouver leur solution que dans la révolution prolétarienne. Aucun Etat dont toute l’activité est dirigée vers la guerre ne peut se relier à des mouvements de classe d’autres pays. Il se reliera à des mouvements nationaux séparatistes parce que ceux-ci se solutionnent dans la guerre. Il contribuera plutôt à écraser les mouvements prolétariens de pays adverses et à fomenter des mouvements séparatistes, comme le prouvent au double point de vue des mouvements nationaux et de classe, l’Allemagne et la France. Il faut donc interpréter la déclaration de Staline comme un acte de solidarité d’un agent d’une force capitaliste, d’un Etat devenu instrument de la bourgeoisie à l’égard de la lutte de l’impérialisme français contre les ouvriers. La Russie pousse le prolétariat derrière sa propre bourgeoisie, pour la défense de la patrie. Peut-être demain trouvera-t-elle plus de garanties pour sa sécurité territoriale aux côtés de l’Allemagne et modifiera-t-elle ses rapports avec Paris. Qu’importe ! Au nom de ses intérêts économiques, elle a aidé avant 1933 le capitalisme allemand à écraser les ouvriers ; au nom de sa sécurité militaire, elle pousse à la dissolution des ouvriers français ; demain, liée à une constellation impérialiste, elle pourra se jeter dans la guerre : l’Union Soviétique aura rempli sa mission contre-révolutionnaire jusqu’au bout.
Les PC n’auront pas attendu la guerre pour montrer leur masque hideux de traîtres. Au nom de la "paix", Vaillant-Couturier appelle les ouvriers, dans L’Humanité, à se rappeler qu’ils ont une patrie à défendre. Il faut que l’armée française devienne sûre de pouvoir défendre la Russie : donc à bas les officiers fascistes. Si Hitler nous attaque, dira Duclos, nous ne serons pas des déserteurs. Ah ! Oui ! Ils peuvent faire l’unité organique les traîtres de 1914 et les traîtres centristes qui, grâce à la corruption apportée par la Russie, peuvent jeter le masque avant même que se déchaîne la conflagration. Blum n’a-t-il pas dit à la Chambre : Comme un seul homme, les ouvriers français se dresseront contre une agression hitlérienne. Ainsi, socialistes et centristes se rejoignent pour la défense de la "paix" et du capitalisme et derrière eux marche toute la séquelle des sots petits bourgeois pacifistes luttant "contre la guerre et le fascisme", en réalité pour le soutien des brigands "démocratiques".
A la déclaration de Staline une seule réponse est possible : une désolidarisation complète et totale de toute l’activité intérieure ou extérieure de la Russie qui se dirige vers la préparation de la guerre. Notre drapeau reste celui de la lutte du prolétariat mondial pour la révolution prolétarienne, seule réponse aux guerres impérialistes, et ce dans tous les pays, Russie y comprise. »
Notes :
[1] NdE : sic ! c’est 1922.
Traité franco-soviétique d'assistance mutuelle - Wikipédia
Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre. Le traité franco-soviétique d'assistance mutuelle est un traité signé par la France et l' Union des républiques socialistes soviétiques le . C...
https://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9_franco-sovi%C3%A9tique_d%27assistance_mutuelle
1935 : Traité franco-soviétique d'assistance mutuelle.
★ Le pouvoir " soviétique ", son présent et son avenir - Socialisme libertaire
★ Nestor Makhno : Le pouvoir " soviétique ", son présent et son avenir (1931). " Nombre de gens, et surtout des hommes politiques de gauche, ont tendance à considérer le pouvoir "soviétique"...
https://www.socialisme-libertaire.fr/2019/09/le-pouvoir-sovietique-son-present-et-son-avenir.html
★ LE POUVOIR « SOVIÉTIQUE », SON PRÉSENT ET SON AVENIR.