★ Emma Goldman : Parmi les barbares
★ Texte original : "Among Barbarians",
Mother Earth 1, no. 12 ; février 1907: 10-11.
« La différence entre un barbare et un être réellement civilisé est la suivante : Alors que le premier établit sa propre opinion comme le critère universel, le second ne reconnaît aucune pause dans le monde des idées ; le barbare condamne ; l’individu civilisé cherche à comprendre.
Le barbare dit, “Nous vivons dans le pays le plus progressiste ; nous avons réalisé tout ce qui était possible”. Il considère les opinions contraires comme criminelles et perturbant le bon ordre des choses.
Le barbarisme est un marécage stagnant ; la liberté intellectuelle est une rivière fluide, le torrent furieux qui emporte les débris des vieilles institutions décaties.
Ce barbarisme est le grand ennemi des libertaires et révolutionnaires en Amérique. Et pas que des révolutionnaires, mais les innovateurs dans les domaines de l’art et de la littérature doivent également résister aux barbares, bien que de manière différente.
Les anarchistes sont persécutés par une législation absurde ; les révolutionnaires de l’art et de la littérature le sont par notre opinion publique et nos normes morales. Les anarchistes sont les victimes de la brutalité policière ; les artistes, qui ne se satisfont pas de l’esthétisme de salon, sont victimes des condamnations de Mrs. Grundy. (1)
Malheur à l’artiste américain qui ne sera pas esclave de l’hypocrisie puritaine. Il mourra de faim si il dépend de son art comme moyen de subsistance.
Il serait difficile de trouver un juge aux États-Unis qui verrait dans les défenseurs de l’anarchisme les représentants d’une nouvelle conception de la vie, la philosophie d’un monde nouveau, étroitement liée aux courants sociaux, scientifiques, artistiques et économiques des générations précédentes .
A cet égard, les révolutionnaires européens ont l’avantage. L’esprit du parvenu américain, dont le trait le plus caractéristique est la vanité, fait défaut aux autorités françaises, allemandes, italiennes et russes. Connaissant un succès mondial, il se considère parfait ; mais le self-made man est un âne fait dieu. (2)
La civilisation européenne a dépassé l’esprit du parvenu. Elle a connu des révolutions qui changent le monde ; et, là où cela n’a pas eu lieu, des courants de pensées profondément enracinés ont développé l’idée que l’humanité ne pouvait pas rester figée.
En Europe, dans une certaine mesure, même le pouvoir a subi l’influence grandissante d’une civilisation plus avancée. Naturellement, ses intérêts détermineront son attitude inamicale envers les porteurs d’idées nouvelles, mais son antagonisme n’est pas de nature à étiqueter les révolutionnaires comme des criminels et dégénérés, comme cela est le cas dans ce pays.
Un juge parisien, passant chaque jour devant la place de la Bastille, la place de la Concorde, ou le jardin des Tuileries — où chaque pierre proclame la mutabilité historique de tout ce qui existe —doit nécessairement avoir une appréciation plus claire des idées révolutionnaires que son collègue américain. Ce dernier croit fermement que la voie de notre développement social et intellectuel a été définitivement délimitée par les pères révolutionnaires de la république. »
Emma Goldman
Traduction R&B
NDT :
1. Mrs. Grundy : Personnage fictive, archétype de la moralisatrice, extrêmement conventionnelle.
2. Ce qui pourrait être une excellente définition d’un Donald Trump.
- SOURCE : Emma Goldman – Une anthologie