★ Durruti, par Emma Goldman

★ Texte original : "Durruti" in Spain and The World,  24 novembre 1937. 
 

« Il m’est impossible d’écrire au sujet de notre camarade Buenaventura Durruti en quelques mots ou même dans un long article. La blessure qu’a causée sa mort cruelle à la révolution espagnole, à la lutte anti-fasciste et à ceux qui connaissaient et aimaient Durruti est encore trop fraîche pour pouvoir prendre suffisamment de recul pour évaluer objectivement son importance dans les grands événements du 19 juillet et le travail gigantesque jusqu’à leur terme. Non pas que Durruti soit la seule personnalité marquante dans la lutte courageuse qui combat dans l’œuf le fascisme à Barcelone et dans toute la Catalogne. Les grands héros de la bataille est le peuple espagnol. Là réside la grandeur de la révolution. Elle monte des entrailles même du sol espagnol. Elle est imprégnée de l’esprit collectif des masses. Il est par conséquent difficile de traiter des personnalités individuellement, séparément et distinctement des forces qui ont submergé l’Espagne le 19 juillet.

Néanmoins, si je considère notre camarade Durruti comme l’âme même de la révolution espagnole c’est parce qu’il était l’Espagne. Il incarnait sa force, sa douceur, aussi bien que sa dureté sauvage si peu comprise par les gens en dehors de l’Espagne. C’est cela qui, dans le caractère de notre camarade disparu m’a tant impressionné lorsque je l’ai rencontré sur le front, que lui, et ses courageux camarades défendaient de leurs mains nues mais avec un esprit chauffé à blanc. J’y ai trouvé Buenaventura Durruti à la veille d’une offensive, entourée d’une foule de gens venant vers lui avec leurs problèmes et leurs besoins. Il faisait preuve avec chacun d’une compréhension empreinte de sympathie, donnant amicalement avis et instructions. Pas une fois, il n’a élevé la voix ou montré des signes d’impatience ou de dépit. Buenaventura possédait la capacité de se mettre à la place des autres et de se mettre à la hauteur de chacun, tout en conservant sa propre personnalité. Je crois que c’est cela qui a contribué à créer cette discipline interne si extraordinaire parmi les courageux miliciens qui étaient les pionniers de la lutte anti-fasciste.

Le dernier hommage rendu à Durruti par un demi million de personnes n’est peut-être pas une indication de la place qu’il occupait dans l’esprit et le cœur des masses. Ce qui m’a semblé plus significatif a été de trouver la même admiration, le même amour pour notre camarade une année après sa mort. Il suffisait de mentionner son nom pour voir les visages se transformer et entendre les gens exprimer l’idée que la balle traîtresse qui avait percé le cœur de Durruti avait aussi porté un coup terrible à la révolution. Finalement, j’ai la conviction que, si Durruti avait vécu, les forces contre-révolutionnaires au sein de l’Espagne anti-fasciste n’auraient pas montré leur visage horrible, ni n’auraient réussi à détruire autant d’avancées révolutionnaires de la CNT-FAI. Durruti aurait gardé l’Espagne anti-fasciste propre de tous les éléments réactionnaires et parasites qui essaient fébrilement aujourd’hui de saper la révolution.

J’ai déjà dit que dans les tensions et la tempête de la révolution, les masses sont de première importance. Mais nous ne pouvons pas ignorer le fait que les individus aussi doivent jouer leur rôle. Et rien d’autre n’établit l’importance et la portée de ce rôle que la grandeur de la personnalité qui ouvre et illumine le chemin que prennent les masses. Ce n’est que de cette manière que l’on peut juger correctement Buenaventura Durruti, son amour passionné de la liberté, le fougueux révolutionnaire, le combattant courageux qui a tout donné pour la libération de son peuple. »
 

Emma Goldman

★ Traduction R&B

• SOURCE :  Emma Goldman – Une anthologie