★ La peste religieuse
Johann Most,
"La Peste religieuse" (1892).
Précédé de notes biographiques publiées en 1906 par Luigi Galleani dans la 'Cronaca Sovversiva'.
Notes biographiques
Qui numquam quievit quiescit.
(Celui qui n’a jamais eu de repos, repose.)
L’idée libertaire a perdu ces dernières années, avec Elie et Elisée Reclus, deux de ses interprètes les plus glorieux, deux géants de la pensée qui, après avoir recueilli dans la fumée et le sang sur les barricades submergées de la Commune notre drapeau rebelle, le levèrent si haut, le hissèrent avec tant de courage, l’entourèrent de tant de lumière, le plantèrent si loin sur le raide chemin de l’avenir et rassemblèrent une si grande et si profonde sympathie de penseurs et de savants, et ainsi un solide monument de contribution positive et scientifique, que notre foi méprisée et vilipendée il y a 30 ans comme une trouble aberration d’iconoclastes sauvages, est aujourd’hui une doctrine sociale que l’on étudie et discute même si elle est persécutée et contestée.
Celle-ci a perdu ces derniers jours avec Johann Most son plus ardent et plus complet apôtre dans le prolétariat international.
Parce que Johann Most a donné à la propagande révolutionnaire de l’anarchisme pendant quarante ans, de sa jeunesse jusqu’à la dernière heure de sa vie, les trésors inépuisables de sa merveilleuse nature de philosophe et d’artiste, de savant, de poète, d’orateur, d’homme d’action sans scrupules et sans peur.
Fils de pauvres gens, né à Aisburg (en Bavière) le 15 février 1846, son enfance fut la triste enfance de tous les gamins pauvres que la misère arrache de bonne heure aux caresses maternelles et jette dans les usines, les chantiers, les bureaux à la recherche de travail et de coups, de larmes et de pain. Johann Most fut relieur de livres : et si de son travail il tira, enfant, une maigre nourriture pour l’estomac, il put apaiser, heureux, l’ardente soif de connaître et d’apprendre qui le tourmenta toute sa vie et qui, même les dernières années de son existence, le plongeait avec impatience sur le dernier livre de science, de littérature et d’art. Les volumes de Proudhon et de Lassalle, de Bukle et de Darwin, de Strauss et de Feurbach, tous les livres qui passaient par ses mains à l’atelier de reliure, dérobés le soir et lus avec avidité la nuit dans sa pauvre mansarde, maturaient sa conscience, armaient sa foi, son esprit et sa parole aux audaces iconoclastes dont il devait nous donner plus tard un constant exemple inimitable.
A vingt ans son horreur pour tous les mensonges conventionnels lui ouvrit la première fois la porte des prisons impériales d’où il commença son obstiné pèlerinage à travers les pénitenciers de toutes les soi-disant nations civilisées. Au cours d’une discussion publique avec un prêtre, anticipant sur sa Peste religieuse, il infligea et renversa son adversaire sous une rafale d’arguments irrésistibles, de citations et de…gifles. Il purgea une dure année de prison et recommença en Autriche son sacerdoce contestataire, récoltant quatre années de travaux forcés pour délit de lèse majesté (haute trahison) et expia dans la forteresse de Suben. Libéré, il fonda à Chemnitz un journal qui fut supprimé après une année par la censure impériale qui l’envoya méditer en prison sur les désastreuses conséquences, dans les pays constitutionnels et civilisés, qu’entraîne avec lui l’excès d’amour de la vérité et de la liberté. Il recommence à Vienne où tombent de nouvelles condamnations et pour finir l’expulsion.
Il rentre en Allemagne, parcourt toute la Saxe faisant sonner dans tous les centres industriels les plus importants l’hymne de la nouvelle foi, et fonde à Berlin la Free Press. Les saisies, les arrestations, les condamnations ne se comptent plus ; il reçoit ici et là tant d’années de prisons que l’indignation populaire hisse en protestation sa candidature dans tous les centres prolétaires, entrouvrant pour Johann Most le même jour les portes des prisons et celles du Parlement.
Sauf que sa fondamentale et ferme répugnance pour toute attitude légaliste et pacifiste d’agitation le rendait inadapté au poste tandis que, d’autre part, la grande sympathie qu’on lui manifestait pour qu’il apparaisse entouré du prolétariat allemand suscitait les convoitises, les foudres et les excommunications de celle qu’il appela toujours L’Entreprise Liebneckt & Co. [1] qui l’a chassé du parti socialiste.
Surviennent dans ce laps de temps les attentats de Hoedel et de Nobiling contre le grand empereur, [2] et Most, suspecté de les avoir incité, fut banni.
Il put ainsi savourer les délices de la civilisation républicaine en Suisse et en France où, en hommage à la liberté de pensée et d’expression il purgea, pour certaines conférences et pour sa célèbre commémoration de la Commune, plusieurs années de prison, et écopa en fin de compte du bannissement perpétuel.
Il réapparut en Angleterre et fonda en 1879 à Londres le journal Freiheit qui pendant deux années ne lui procura pas d’ennuis excessifs.
Mais le 13 mars 1881 ayant célébré avec un article de fond très violent l’attentat de Sofia Perovskaïa [3] et de Rissakoff [4] souhaitant que tous les tyrans du monde finissent de la même manière plaisante avec laquelle a été exécuté Alexandre II de Russie, sur dénonciation unanime des ambassadeurs de Russie et d’Angleterre, il passa devant les juges et reçut un an et demi de travaux forcés qu’il acquitta à la maison de correction de Milford.
Libéré, il émigra en Amérique avec son journal Freiheit au début de l’année 1882. Parler de ses œuvres dans ce pays est superflu : il suffira de rappeler en témoignage de sa merveilleuse activité de propagande qu’il fit avec Parsons, Fischer, Schwab, Fielden parmi les inspirateurs les plus audacieux et parmi les organisateurs les plus intelligents et et les plus déterminés de cette agitation pour les huit heures qui, initiée à la Convention annuelle de la Federation of Organized Trades and Labor Unions des Etats-unis et du Canada, en octobre 1884, fut violemment étouffée sur les potences de Chicago le 11 novembre 1887, mais reste à ce jour la plus grandiose expérience d’action directe, la plus énergique tentative de pression populaire sur les pouvoirs publics, et restera dans la mémoire et dans l’esprit des travailleurs du monde comme l’épisode le plus tragique de leur lente mais fatale ascension vers le bien être et la liberté.
La tempête réactionnaire de 1887 n’épargna pas Most qui figurait depuis longtemps dans les rapports de polices comme an evil-disposed person, et s’il put échapper à la corde des Grinnel, des Ryce, des Bonfield et des Gary, à New-York il reçut une année de travaux forcés qu’il passa à Black Island, pour sa fière protestation contre l’assassinat de Chicago.
Les condamnations, les persécutions, les misères, sont la chaîne sur laquelle se trame toute sa tumultueuse existence, elles ne le courbèrent jamais, elles n’atténuèrent jamais non plus l’exubérance véhémente et irréductible de son indomptable énergie.
En témoignent son Freiheit, les opuscules diaboliques, les poésies vibrantes d’enthousiasme et de force, les conférences innombrables, merveilleusement suggestives, les nouvelles dramatiques, les hymnes superbes qu’il écrivit avec le meilleur sang de son esprit, représenta avec une puissance dramatique inatteignable et dît avec une faconde originale, infernale, et retentit et dissémina, sans jamais se poser, d’une mer à l’autre à travers les Etats-Unis, durant treize ans jusqu’à ce que ce que l’attentat de Czolgosz ne le replongea pour une autre année dans le lugubre pénitencier de Black-Island.
Le lendemain de l’exécution de McKinley, quand la réaction la plus féroce sévissait et que la flicaille mettait la main sur l’intégrale de la rédaction de la Free Society et frappait au gourdin Emma Goldmann dans les rues de Chicago, et que montait dans l’air trouble des passions et des haines sauvages l’imprécation ivre des lyncheurs par vocation et de tradition – Johann Most écrivit en effet, déjà vieux mais avec la pleine conscience de l’acte qu’il accomplissait, de la témérité qu’il affirmait, des persécutions qui allaient se déchaîner :
« Les despotes sont des bandits – les épargner serait un délit. Du moment qu’ils recourent au guet-apens, au poison, à l’assassinat chaque fois qu’ils leur sont utiles, guet-apens, venin et assassinat nous devons leur rendre. Et n’importe qui qui en a l’opportunité doit le faire.
« Quiconque est de l’autre coté de la ligne qui sépare le camp des exploiteurs et des oppresseurs de celui des exploités et des opprimés est à bannir. Laissez le peuple en faire justice et, nous le crions aussi : assassinez les assassins! Sauvez l’humanité par le fer et par le sang, par le poison et par la dynamite ».
Ce sont des suggestions que l’on peut discuter, que les bien pensants – il y en a aussi parmi les anarchistes, surtout à certains moments psychologiques – peuvent désavouer ou répudier, mais qui témoignent de l’incontestable courage de Most et qui nous le montrent à soixante ans, après quarante années de lutte, de persécutions, de désillusions, et de misère comme il était à vingt, comme il fut toujours de la première à la dernière heure de sa vie.
A Boston, il y a maintenant quelques semaines, commémorant le Dimanche Rouge [5] au Paine Memorial Hall devant plusieurs milliers d’auditeurs, on souhaitait, en présence de flics libidineux de violence et de bestialité, que Nicolas II de Russie trouve le même destin que ce chacal Von Plehwe, [6] scélérat qui en une année seulement avait déporté en Sibérie, sans procès, plus de trente mille citoyens.
Si la place ne manquait pas, et si ces simples notes chrono-biographiques n’avaient pas déjà pris une trop grande place dans notre pauvre feuille de propagande, nous voudrions parler longuement des qualités particulières du sacerdoce libertaire de Most dans ces pays, parce que dans sa constante réaction, vitale, pratique et authentiquement révolutionnaire à l’anarchisme indigène exclusivement abstrait, doctrinaire et académique, réside la valeur singulière de son œuvre et la raison de la gratitude et de la révérence profonde que nous lui devons, afin que sa mémoire soit perpétuellement entourée de chaque esprit libre et de chaque combattant sincère.
Nous réservant de le faire dans un prochain numéro, et nous associant, émus, à l’immense douleur qui déchire actuellement sa compagne, ses fils et la grande famille des nombreux amis de Johann Most , nous sommes certains d’interpréter le sentiment unanime des compagnons italiens d’Amérique s’inclinant devant l’urne dans laquelle lui qui ne se posait jamais aujourd’hui repose, devant le drapeau qui entre ses plis rouges accueillit tous ses amours et ses frémissements, et accueille toute notre foi et toutes les aspirations généreuses des souffrants et des exploités, et que personne n’agita jamais avec une telle énergie, un tel courage, une telle abnégation.
Luigi Galleani, 24 mars 1906
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La peste religieuse (1892)
De toutes les maladies mentales que l’homme s’est implantées systématiquement dans le cerveau, la PESTE RELIGIEUSE est certainement la plus horrible.
Comme tout a son histoire, cette ÉPIDÉMIE n’est pas sans avoir la sienne. Seulement il est, parbleu !, bien dommage que le développement de cette histoire ne soit pas tout ce qu’il y a de plus joli. Les vieux Zeus et Jupiter étaient des individu très convenables, nous dirons même assez éclairés, si on les compare aux rejetons trinitaires de l’arbre généalogique du bon DIEU, lesquels ne le cèdent en rien aux premiers en cruauté et en brutalité.
Du reste, nous ne voulons pas perdre notre temps avec les dieux retraités ou déchus, car ils ne causent plus aucun dommage ; par contre, nous critiquerons sans respect les « faiseurs de pluie et de beau temps » encore en activité de service et les terroristes de l’enfer.
Les chrétiens ont une « Trinité » ; leurs aïeux juifs se contentaient d’une « seule déité » ; à part cela, les deux peuples forment tous les deux une société fort réjouissante. L’ancien et le nouveau « testament » sont pour eux la source de toute sagesse, c’est pour cela qu’il faut lire, bon gré et mal gré, ces saintes écritures si l’on veut les connaître et partant, les tourner en ridicule.
Examinons simplement l’historique de ces divinités et nous verrons que cela suffira à caractériser le tout. Voici la chose brièvement :
Au commencement DIEU créa le ciel et la terre. Il se trouvait tout d’abord au milieu du néant, dont l’aspect devait être, en effet, assez triste pour qu’un Dieu lui-même s’y ennuyât, et comme c’est une bagatelle pour un Dieu de faire des mondes avec rien, il créa le ciel et la terre comme un charlatan remue les œufs ou les écus de sa manche. Plus tard il fabriqua le soleil, la lune et les étoiles. Certains hérétiques qu’on nomme astronomes, ont bien démontré il y a longtemps, que la terre n’est et n’a jamais été le centre de l’Univers, qu’elle n’a pu exister avant le soleil, autour duquel elle tourne. Ces gens ont prouvé que c’est une véritable bêtise de parler de la lune, du soleil et des étoiles après la terre, comme si celle-ci, comparée à ceux-là, était une chose spéciale et extraordinaire ; il y a longtemps que chaque écolier sait que le soleil n’est qu’un astre, que la terre est un de ses satellites, et la lune pour ainsi dire un sous-satellite ; il sait également que la terre en comparaison de l’Univers est loin de jouer un rôle supérieur ; qu’au contraire, elle est un grain de poussière dans l’espace. Mais est-ce qu’un Dieu s’occupe d’astronomie ? Il fait ce qu’il veut et se moque de la science et de la logique ; c’est pour cette raison que, après sa fabrication de la terre, il fit d’abord la lumière et ensuite le soleil.
Un Hottentot saurait parfaitement que sans le soleil, la lumière ne peut exister ; mais Dieu… hum ! n’est pas un Hottentot.
Voyons plus loin : la création avait parfaitement réussie jusque-là, mais il n’y avait pas encore de vie dans la baraque ; et comme le créateur voulait enfin s’amuser, il fait l’HOMME. Seulement en le faisant, il s’écarta de façon particulière de sa première manière de procéder. Au lieu d’effectuer cette création par un simple commandement, il se donna beaucoup d’embarras, il prit un prosaïque morceau d’argile, modela à son image un homme, et y souffla une âme.
Comme Dieu est tout-puissant, bon, juste, en un mot l’amabilité même, il vit tout de suite qu’Adam (c’est ainsi qu’il avait appelé sa fabrication) seul, s’ennuyait affreusement (peut-être se rappela-t-il sa propre existence si ennuyeuse dans le néant), il fabriqua alors une mignonne, une charmante Ève.
Assurément l’expérience lui avait prouvé que c’était un travail bien ennuyeux pour un Dieu que de pétrir l’argile, car il employa une autre méthode. Il enleva une côte à Adam et la changea instantanément en une petite femme ; instantanément, dis-je, car la vitesse n’est pas une sorcellerie pour un Dieu. L’Histoire ne nous dit pas si la côte d’Adam fut remplacée plus tard ou s’il dut se contenter de celles qui lui restaient.
Les sciences modernes ont établi que les animaux et les plantes, formées d’abord de simples cellules, ont acquit peu à peu dans le cours des millions d’années leurs formes actuelles ; elles ont établi de plus que l’homme n’est que le produit le plus parfait de ce long et continuel développement, et que non seulement il y a quelques cent mille ans il ne parlait pas, et se rapprochait de beaucoup de l’animal, dans l’acception du mot, mais qu’il doit descendre des animaux du plus bas de l’échelle, toute autre supposition étant à rejeter. Partant de là, l’histoire naturelle nous fait considérer Dieu en sa fabrication d’hommes comme un hâbleur ridicule ; mais à quoi sert tout cela ? On ne plaisante pas avec Dieu.
Que ces histoires aient un cachet scientifique ou non, il commande qu’on les croie ; sans cela il vous enverra chercher par le diable (son concurrent), ce qui doit être fort désagréable. Car en enfer règne non seulement les pleurs et les continuels grincements de dents, mais mieux encore, il y brûle un éternel feu, un ver infatigable vous y ronge et il sent fort le soufre et la poix dans cet endroit-là.
Or, donc, d’après cela, un homme sans corps, c’est-à-dire une âme, serait rôtie ; la chair qu’il n’a pas grillera, les dents qu’il n’a plus grinceront encore ; il pleurera sans yeux et sans poumons, le ver rongera ses os tombés depuis longtemps en poussière, il flairera sans nez une odeur sulfureuse, et tout cela éternellement !!! Drôle d’histoire.
Du reste Dieu, comme il le dit lui-même dans sa chronique, la Bible, sorte d’autobiographie, est excessivement capricieux et avide de vengeance ; enfin quoi un despote de premier ordre.
A peine Adam et Ève étaient-ils créés qu’il fallut gouverner cette engeance ; dieu émit-il un code dont voici la teneur catégorique : « Vous ne mangerez pas du fruit de l’arbre de la science. » Depuis lors, il n’a existé aucun tyran couronné ou non qui n’ait jeté lui aussi cette défense à la face des peuples. Mais Adam et Ève n’obéirent pas à cette injonction ; ils furent aussitôt expulsés (comme de vulgaires socialistes) et condamnés, eux et leurs descendants, pour toujours aux plus rudes travaux. De plus les droits d’Ève lui furent enlevés et elle devint la servante d’Adam à qui elle dut obéissance. Dans tous les cas, ils étaient déjà sous la surveillance de la haute Police divine.
Assurément Lehman [7] lui-même n’a pas été aussi loin dans son despotisme, mais Dieu n’est-il pas son supérieur ?
La sévérité de Dieu envers les hommes ne servit à rien, au contraire ; plus ils augmentaient, plus ils le lassaient. On peut se faire une idée de la vitesse de leur propagande quand on lit l’histoire de Caïn et d’Abel ; lorsque ce dernier fut tué par son frère, Caïn alla dans un pays… étranger et prit femme. Le bon Dieu ne nous dit pas d’où venait ce pays étranger et les femmes qu’il contenait ; ce qui, du reste, n’est pas étonnant ; il peut bien l’avoir oublié alors qu’il était surchargé de travaux de toute sorte.
Enfin, la mesure était comble ; Dieu résolut d’exterminer le genre humain dans l’eau. Seulement il choisit un couple pour faire un dernier essai ; il n’eut pas la main heureuse malgré toute sa sagesse, car Noé, le chef des survivants, se révéla un grand noceur, s’amusant avec ses fils…
Que pouvait-il sortir de bon d’une pareille famille ?
Le genre humain se répandit de nouveau et produisit de pauvres pécheurs. Le bon dieu aurait bien crevé de divine colère en voyant que toutes ses punitions exemplaires, comme par exemple la destruction de villes entières par le feu et le soufre ne servaient absolument à rien. Alors il résolut d’exterminer toute cette canaille, lorsqu’un événement des plus extraordinaires lui fit changer d’avis, sans cela c’eût été fait de l’humanité.
Un jour apparaît un certain Saint-Esprit. Il en était de ce dernier comme de la jeune fille de l’étranger [8] : personne ne savait d’où elle venait. L’écriture de la Bible, c’est-à-dire Dieu lui-même, dit seulement qu’il est lui-même le Saint-Esprit. Par conséquent nous avons affaire pour l’instant à un Dieu en deux unités. Ce Saint-Esprit prit la forme d’un pigeon et fit la connaissance d’une femme obscure nommée Marie. Dans un moment de doux épanchement il la couvrit de son ombre et voici : elle mit au monde un fils, sans que cela, comme l’affirme la Bible, porta atteinte à sa virginité. Dieu se nomma alors le Dieu le père, tout en assurant qu’il ne faisait qu’un non seulement avec le Saint-Esprit mais aussi avec le Fils ! Que l’on considère bien cela : Le père était son propre fils, le fils son propre père et de plus tous deux ensemble étaient le Saint-Esprit ! C’est ainsi que se forma la Sainte-Trinité. – Et maintenant, pauvre cervelle humaine, tiens-toi ferme, car ce qui va suivre pourrait te mettre à l’envers.
Nous savons que Dieu le père avait résolu d’exterminer le genre humain, ce qui fit énormément de peine à Dieu le fils ; alors, il (le fils, qui, comme nous le savons, était le père) prit tout sur lui et pour apaiser son père (qui était en même temps le fils), il se fit crucifier par ceux-mêmes qu’il voulait sauver de l’extermination. Ce sacrifice du fils (qui est un avec le père) plut tellement au père (qui est un avec son fils), qu’il publia une amnistie générale qui est en partie encore en vigueur aujourd’hui.
En première ligne le dogme de la récompense et de la punition de l’homme dans l’autre monde. Il y a longtemps qu’il a été prouvé scientifiquement qu’il n’y a pas d’autre vie indépendante que celle du corps et que l’âme – ce que les charlatans religieux appellent l’âme – n’est pas autre chose que l’organe de la pensée (cerveau) qui reçoit les impressions par l’organe des sens et que, partant, ce mouvement doit cesser nécessairement avec la mort corporelle. Mais les ennemis jurés de l’intelligence humaine ne s’occupent pas des résultats des expériences scientifiques que juste assez pour les empêcher de pénétrer le peuple. C’est ainsi qu’ils prêchent la vie éternelle de l’âme. Malheur à elle dans l’autre monde si le corps dans lequel elle a habitée ici-bas n’a pas suivi ponctuellement les lois de Dieu ! Car, ces gens-là nous l’assurent, Dieu tout bon, tout juste, très fin aussi, s’occupe de chaque peccadille d’un chacun et s’enregistre dans ses actes universels (quel contrôle et quelle comptabilité !). A côté de cela, il est parfois comique dans ses exigences. Écoutez plutôt :
Tandis qu’il désire que les nouveau-nés soient arrosés d’eau froide (baptisés en son honneur au risque de les enrhumer), tandis qu’il éprouve un plaisir inouï lorsque de nombreuses brebis croyantes qui bêlent leurs litanies et que les plus zélés de son parti lui chantent sans interruption leurs pieuses hymnes en le sollicitant pour toute sorte de choses possibles et impossibles ; tandis qu’il se mêle aux guerres sanglantes en se faisant encenser et adorer comme Dieu des batailles ; il se fâche tout rouge lorsqu’un catholique mange de la viande un vendredi ou ne va pas régulièrement à confesse. Il s’irrite aussi si un protestant méprise les os des saints ; les images et autres reliques de la Vierge, recommandés par l’église catholique, ou si un fidèle quelconque ne fait pas son pèlerinage annuel, le dos courbé, les mains jointes et les yeux tournés vers le ciel. Qu’un homme meure pêcheur endurci, le bon Dieu lui inflige une punition à côté de laquelle tous les coups de bâton – et de knout, tous les tourments des prisons et du bannissement, toutes les sensations des condamnés sur l’échafaud, tous les supplices inventés par les tyrans apparaissent comme un agréable chatouillement. Ce Dieu bon surpasse en cruauté bestiale tout ce qui peut se passer de plus canaille sur la terre. Sa maison de détention s’appelle enfer, son bourreau est le diable, ses punitions durent éternellement. Mais pour de légères fautes et à la condition que le délinquant meure catholique, il fait grâce après un séjour plus ou moins long dans le purgatoire qui se distingue de l’enfer, comme en Prusse la prison se distingue de la maison de force.
Quoiqu’un bon petit feu soit entretenu dans le dit purgatoire, il n’est aménagé qu’en vue d’un séjour relativement court et sa discipline n’est pas très serrée. Les soi-disant péchés mortels ne sont pas punis par le purgatoire mais bien par l’enfer. Et parmi ces derniers il nous faut compter le blasphème en parole, en pensée et en écrit. Dieu ne tolère non seulement pas la liberté de la presse et de la parole, mais il interdit et proscrit les pensées non articulées qui pourraient lui déplaire. Enfoncés, les despotes de tous les pays et de tous les temps ! surpassés lesdits tyrans par le choix et la durée des punitions ! Donc ce Dieu est le monstre le plus épouvantable que l’on puisse s’imaginer. Sa conduite est d’autant plus infâme qu’il faut croire que le monde entier, que l’humanité est réglée dans toutes ses actions par sa divine providence.
Il maltraite par conséquent les hommes pour des actions dont il est lui-même l’inspirateur ! que les tyrans de la terre des temps passés et présents sont aimables comparés à ce monstre ! Mais il plaît à Dieu qu’un homme vive en homme de Dieu, c’est alors qu’il le maltraite et le torture davantage encore après sa mort, car le paradis promis est encore plus infernal que l’enfer. On n’a là aucun besoin, on est au contraire toujours satisfait sans qu’aucun désir ne précède la satisfaction de ce besoin.
Mais comme on ne peut se représenter aucune jouissance sans désir suivi de son accomplissement, le séjour du ciel sera donc bien stupide. On y est là éternellement occupé à contempler Dieu ; on y joue toujours les mêmes mélodies sur les mêmes harpes, on y chante continuellement le beau cantique qui pour n’être pas tout à fait aussi ennuyeux que Malboroug s’en va-t-en guerre, n’en vaut guère mieux. C’est l’ennui à son plus haut degré. Le séjour dans une cellule isolée serait certainement à préférer.
Rien d’étonnant à ce que les riches et les puissants qui peuvent se procurer le paradis sur terre ne s’écrient en riant, avec Heine, le poète :
Aux anges et aux pierrots.
Et pourtant ce sont justement les riches et les puissants qui entretiennent la religion. Assurément cela fait partie du métier. C’est même une question de vie pour la classe exploitante, la bourgeoisie, que le peuple soit abêti par la religion. Sa puissance monte ou tombe avec la folie religieuse.
Plus l’homme tient à la religion, plus il croit. Plus il croit, moins il sait. Moins il sait, plus bête il est. Plus il est bête, plus il se laisse gouverner facilement.
Cette logique fut connue des tyrans de tout temps, c’est pour cela qu’ils s’allièrent toujours avec le prêtre. Quelque dispute éclatait-elle entre ces deux sortes d’ennemis de l’homme, elle n’était pour ainsi dire qu’une futile querelle de ménage pour savoir qui aurait la maîtrise. Chaque prêtre sait bien que son rôle est fini lorsqu’il n’est plus soutenu par les millions. Les riches et les puissants n’ignorent pas non plus que l’homme ne se laisse gouverner et exploiter que lorsque les corbeaux, peu importe l’église à laquelle ils appartiennent, ont réussi à implanter au sein des masses l’idée que notre terre est une vallée de larmes, qu’il leur ont infiltré cette sentence à respecter l’autorité, ou bien lorsqu’ils les ont alléchés par la promesse d’une vie plus heureuse dans l’autre monde.
Windhorst, le jésuite par excellence, fit entendre un jour assez clairement, dans la chaleur d’un combat parlementaire, ce que les filous et les charlatans du monde pensent à ce sujet :
« Lorsque la foi s’éteint dans le peuple, dit-il, il ne peut plus supporter sa grande misère et se révolte ! »
Cette phrase était claire et aurait dû faire réfléchir bien des ouvriers. Mais, hélas !, tant d’entr’eux sont si bornés, grâce à la religion, qu’ils entendent les choses les plus simples sans les comprendre.
Ce n’est pas en vain que les prêtres, c’est-à-dire les noirs gendarmes du despotisme, se sont efforcés de retenir de tout leur pouvoir la décadence religieuse, quoique comme on sait, ils pouffent de rire entre eux en pensant aux bêtises qu’ils prêchent contre bonne rémunération.
Pendant des siècles, ces détraqueurs de cervelle ont gouverné les masses par la terreur, car, sans cela, il y a longtemps que la folie religieuse aurait pris fin. La cachot et les chaînes, le poison et le poignard, la potence et le glaive, le guet-apens et l’assassinat, au nom de Dieu et de la Justice, ont été les moyens employés pour le maintien de cette folie, qui sera une tache dans l’histoire de l’humanité. Des milliers d’individus ont été grillés à petit feu sur les bûchers au nom de Dieu, pour avoir osé mettre en doute le contenu de la Bible. Des millions d’hommes furent forcés pendant de longues guerres, de s’entretuer, de dévaster des pays entiers et laissèrent ces mêmes pays aux prises avec la peste après les avoir pillés et incendiés pour maintenir la religion. Les supplices les plus raffinés furent inventés par les prêtres et leurs acolytes, lorsqu’il s’est agit de ramener à la religion ceux qui n’avaient plus la crainte de Dieu.
On appelle criminel un homme qui estropie pieds et jambes de son semblable. Comment appelle-t-on celui qui atrophie le cerveau d’un autre et qui, lorsque cela ne le conduit pas au but désiré, fait périr même le corps à petit feu avec une cruauté raffinée ?
Il est vrai que ces êtres ne peuvent plus aujourd’hui se livrer à leur métier de bandit comme autrefois, lors même que les procès en blasphèmes abondent encore ; par contre ils savent maintenant se glisser dans les familles, y influencer les femmes, accaparer les enfants et abuser de l’enseignement donné dans les écoles. Leur hypocrisie a plutôt augmenté que diminué. Ils s’emparèrent de la presse lorsqu’ils s’aperçurent qu’il n’était pas possible de faire disparaître l’imprimerie.
Un vieux proverbe dit : « Où a passé un prêtre, l’herbe ne repousse plus pendant dix ans », ce qui revient à dire que lorsqu’un homme se trouve sous la griffe d’un prêtre, son cerveau a perdu ses facultés de penser, ses rouages se sont arrêtés et les araignées y tissent leurs toiles. Il ressemble au mouton pris de vertige. Ces malheureux ont perdu le but de la vie et, ce qui est encore plus malheureux, c’est qu’ils forment la plus grande partie des antagonistes de la science et de la lumière, de la révolution et de la liberté. On les trouve toujours prêts dans leur bêtise obtuse à aider ceux qui veulent forger de nouvelle chaînes pour l’humanité ou à aider ceux qui veulent mettre des bâtons dans les roues du progrès toujours croissant. Or donc, en essayant de guérir des malades, non seulement on accomplit une bonne œuvre vis-à-vis d’eux-mêmes, mais encore on est en voie d’arracher un cancer qui ronge le peuple et qui doit être totalement détruit, si la terre doit devenir le séjour d’hommes et non un terrain de jeux pour les dieux et les diables, comme elle l’a été jusqu’à présent.
Par conséquent, arrachons du cerveau les idées religieuses, et à bas les prêtres ! Ces derniers ont la coutume de dire que la fin justifie les moyens. Bien ! Employons nous aussi cet axiome contre eux. Notre but est la délivrance de l’humanité de tout esclavage, de la tirer du joug de la servitude sociale comme des fers de la tyrannie politique, mais aussi sortir cette même humanité des ténèbres religieuses. Tout moyen pour l’accomplissement de ce haut but doit être reconnu comme juste par tous les vrais amis de l’humanité et doit être mis en pratique à chaque occasion propice.
Tout homme anti-religieux commet donc une négligence à ses devoirs lorsqu’il ne fait pas tout ce qu’il peut journellement et à toute heure pour tuer la religion. Tout homme délivré de la foi qui omet de combattre la prêtraille où et quand il peut est un traître à son parti. Partout guerre, guerre à outrance à cette noire engeance.
Excitons contre les corrupteurs et éclairons les aveugles. Que chaque arme nous soit bonne pour notre cause, aussi bien l’acerbe moquerie que le flambeau de la science et où ces dernières armes restent sans effet, eh bien ! employons des arguments plus faciles : qu’on ne laisse pas passer sans la relever aucune allusion à Dieu et à la religion dans les assemblées où sont discutées les intérêts du peuple. De même que le principe de la propriété et sa sanction armée, l’État ne peut trouver place dans le camp de la révolution sociale, – ce qui est en dehors de ce camp est naturellement réactionnaire – de même la religion ou ce qui s’y rapporte n’y a place. Et qu’on sache bien que plus ceux qui veulent mêler leur bavardage religieux aux aspirations des travailleurs, eussent-ils l’air respectables, leur réputation fût-elle bonne, sont de dangereux personnages. Quiconque prêche la religion sous n’importe quelle forme ne peut être qu’un sot ou un coquin. Ces deux sortes d’individus ne valent rien pour l’avancement d’une chose qui ne peut atteindre son but que si elle est sûre de la sincérité de ses combattants.
La politique opportuniste est, dans ce cas, non seulement un mal mais un crime. Si les ouvriers permettent à quelques prêtres de se mêler de leurs affaires, non seulement ils seront trompés, mais encore trahis et vendus.
Autant il est logique que le prolétaire combatte principalement le capitalisme et partant vise aussi la destruction de son mécanisme forcé, l’État, autant il coule de source que l’Église reçoive aussi son compte dans ce combat, car elle ne peut pas être de côté : il faut que la religion soit détruite systématiquement dans le peuple, si l’on veut que ce dernier revienne à la raison sans laquelle il ne pourra jamais conquérir sa liberté.
Proposons quelques questions pour les sots et autrement dit, pour ceux qui ont été abêtis par la religion, en tant qu’ils paraissent corrigibles. Par exemple :
- Si Dieu veut qu’on le connaisse, qu’on l’aime et qu’on le craigne, pourquoi ne se montre-il pas ?
- Et s’il est si bon que le disent les prêtres, quelles raison a-t-on de le craindre ?
- S’il sait tout, pourquoi l’ennuyer de nos affaires particulières et de nos prières ?
- S’il est partout, pourquoi bâtir des églises ?
- S’il est juste, pourquoi penser qu’il punira les hommes créés par lui pleins de faiblesse ?
- Si les hommes ne font le bien que par une grâce particulière de Dieu, quelle raison aura-t-il de les récompenser ?
- S’il est tout-puissant, comment peut-il permettre le blasphème ?
- S’il est inconcevable, pourquoi nous occuper de lui ?
- Si la connaissance de Dieu est nécessaire, pourquoi reste-t-il dans l’ombre ? Etc., etc.
Devant de telles questions l’homme croyant reste bouche bée. Mais chaque homme pensant doit admettre qu’il n’existe pas une seule preuve de l’existence de Dieu. De plus, il n’y a aucune nécessité d’une divinité. Un Dieu en dehors ou en dedans de la nature n’est d’aucune nécessité lorsqu’on connaît les propriétés et les règles de cette dernière. Son but moral n’est pas moins nul.
Il existe un grand royaume gouverné par un souverain dont la manière d’agir amène le désordre dans l’esprit de ses sujets. Il veut être connu, aimé, honoré et tout contribue à embrouiller les idées qu’on peut se faire de lui. Les peuples soumis à sa dépendance n’ont sur le caractère et les lois de leur souverain invisible que les idées dont ses ministres leur font part ; par contre, ceux-ci admettent qu’ils ne peuvent se faire aucune idée de leur maître, que sa volonté est impénétrable, ses vues et ses idées insaisissables ; ses valets ne sont jamais d’accord sur les lois à donner de sa part et ils les annoncent dans chaque province d’une manière différente ; ils s’insultent mutuellement et s’accusent l’un l’autre de tromperie.
Les édits et les lois qu’ils sont censés devoir donner sont embrouillés ; ce sont des rébus qui ne peuvent être ni compris ni devinés par les sujets auxquels ils devraient servir d’enseignement. Les lois du monarque caché ont besoin d’éclaircissement et cependant ceux-là même qui les expliquent ne sont jamais d’accord entre eux ; tout ce qu’ils savent raconter de leur souverain caché est un chaos de contradictions ; ils ne disent pas un mot qui ne puisse être aussitôt controuvé et taxé de mensonge.
On le dit extrêmement bon et cependant il n’y a pas un homme qui ne se plaigne de ses décrets.
On le dit infiniment sage et cependant tout dans son administration semble être à rebours de la raison et du bon sens. On glorifie sa justice, et les meilleurs de ses sujets sont ordinairement ceux qui sont le moins favorisés. On assure qu’il voit tout et sa présence ne remet cependant rien en ordre. Il est, dit-on, ami de l’ordre et pourtant tout n’est que confusion et désordre dans ses états. Il fait tout par lui-même, mais les événements répondent rarement à ses plans. Il voit tout à l’avance mais ne sait pas ce qui arrivera. Il ne se laisse pas offenser en vain et pourtant il tolère les offenses d’un chacun. On admire son savoir, la perfection de ses œuvres et cependant ses œuvres sont imparfaites et de courte durée. Il crée, détruit, corrige ce qu’il a fait sans jamais être content de son ouvrage. Il ne cherche dans toutes ses entreprises que sa propre gloire sans cependant atteindre le but d’être loué en tout et partout. Il ne travaille qu’au bien-être de ses sujets… mais la plupart manquent du nécessaire. Ceux qu’il paraît favoriser le plus sont généralement les moins contents de leur sort : on les voit se soulever contre un maître dont ils admirent la grandeur, dont ils louent la sagesse, dont ils honorent la bonté, dont ils craignent la justice et dont ils sanctifient les commandements qu’ils ne suivent jamais.
Ce royaume est le monde, ce souverain est Dieu : ces valets sont les Prêtres, les hommes sont les sujets. Joli pays ! Le Dieu des Chrétiens spécialement est un Dieu qui, comme nous l’avons vu, fait des promesses pour les rompre, répand la peste et les maladies sur les hommes pour les guérir ; un Dieu qui créa les hommes à son image et qui, pourtant, ne prend pas les responsabilités du mal ; qui vit que toutes ses œuvres étaient bonnes et s’aperçut bientôt qu’elles ne valaient rien ; qui savait que les deux premiers êtres mangeraient du fruit défendu et qui, pourtant pour cela, punit tout le genre humain. Un Dieu si faible qui se laisse duper par le diable, si cruel qu’aucun tyran de la terre ne peut lui être comparé. Tel est le Dieu de la mythologie judéo-chrétienne.
Celui qui créa les hommes parfaits sans aviser pourtant à ce qu’ils restent parfaits ; celui qui créa le diable sans pouvoir arriver à le dominer est un gâcheur que la religion qualifie de souverainement sage ; pour elle tout puissant est celui qui condamne des millions d’innocents pour la faute commise par un seul, qui extermina par le déluge tous les hommes à l’exception de quelques-uns qui reformèrent une race aussi mauvaise que la première : qui fit un ciel pour les fous qui croient aux évangiles et un enfer pour les sages qui le réprouvent.
Celui qui se créa lui-même par le Saint-Esprit ; qui s’envoya comme médiateur entre lui-même et les autres ; qui, méprisé et bafoué par ses ennemis, se laissa clouer sur une croix comme une chauve-souris à la porte d’une grange ; qui se laissa enterrer, qui ressuscita des morts, descendit aux enfers, remonta vivant au ciel où il s’assit à sa droite même pour y juger les vivants et les morts, alors qu’il n’y aura plus de vivants, celui qui a fait tout cela est un charlatan divin. C’est un affreux tyran dont l’histoire devrait être écrite en lettres de sang, car elle est la religion de la terreur. Loin de nous donc la mythologie chrétienne. Loin de nous un Dieu inventé par les prêtres de la foi sanglante qui, sans leur néant important, avec lequel ils expliquent tous, ne se vautreraient plus longtemps dans l’abondance, ne prêcheraient plus longtemps l’humilité tout en vivant eux-mêmes dans l’orgueil, mais au contraire seraient précipités dans l’abîme de l’oubli. Loin de nous cruelle trinité, le père meurtrier, le fils contre nature et le Saint-Esprit voluptueux ! Loin de nous tous ces fantômes déshonorants, au nom desquels on rabaisse les hommes au niveau des misérables esclaves et qu’on renvoie par la toute puissance du mensonge des peines de cette terre aux joies du ciel. Loin de nous tous ceux qui, avec leur démence sainte, sont les entraves du bonheur et de la liberté ! Dieu est un revenant inventé par des charlatans raffinés au moyen duquel on a jusqu’à présent effrayé et tyrannisé les hommes. Mais le revenant s’évanouit dès qu’il est examiné par la saine raison, les masses trompées s’indignent d’avoir cru si longtemps et jettent à la face des prêtres ces mots du poète :
Dans le froid de l’hiver et les tourments de la faim…
Nous avons en vain attendu et espéré ;
Il nous a singés, trompés et bornés !
Espérons que les masses ne se laisseront plus longtemps tromper et berner, mais qu’un jour viendra où les crucifix et les saints seront jetés au feu, les calices et les hosties convertis en objets utiles, les églises transformées en salle de concert, de théâtres ou d’assemblées, ou, dans le cas où elles ne pourraient servir à ce but, en grenier à blé et en écuries à chevaux. Espérons qu’un jour viendra où le peuple éclairé cette fois ne comprendra pas que pareille transformation n’ait pas déjà eu lieu depuis longtemps. Cette manière d’agir courte et concise ne se pratiquera naturellement que lorsque la RÉVOLUTION SOCIALE, qui approche, éclatera, c’est-à-dire au moment où il sera fait table rase des complices de la prétraille : principes, bureaucrates et capitalistes et où l’État ainsi que l’Église seront radicalement balayés.
Johann Most, 1892
[1] Wilhelm Liebknecht Bebel, proches de Karl Marx fonde en 1866 le Parti populaire saxon, puis le Parti ouvrier social-démocrate allemand en 1869, qui deviendra le Parti Social-démocrate (SPD) en 1890.
[2] Le 11 mai 1878, Max Hödel, plombier anarchiste allemand de 21 ans tente d’assassiner à coups de revolver l’empereur Guillaume 1er, il échoue et est décapité deux mois plus tard. Le 2 juin, Karl Nobiling anarchiste issu d’une famille aisé et fraîchement diplômé d’un doctorat en philosophie tente à son tour d’assassiner l’empereur, mais ne parvient qu’à le blesser. Il meurt trois mois plus tard en prison. A la suite de ces deux tentatives, le chancelier Bismarck promulgue les dites Lois antisocialistes interdisant entre autre les oraganisations socialistes et social-démocrates.
[3] Sofia Perovskaïa, membre de l’organisation terroriste révolutionnaire Narodnaïa Volia, organisa l’attentat dans lequel mourut le tsar Alexandre II en 1881. Avant cela, elle avait déjà participé à plusieurs tentatives d’attentats. Elle fut pendue pour régicide le 3 avril 1881.
[4] Compagnon de Perovskaïa, il participa à l’attentat contre le tsar et fut également exécuté.
[5] Le 22 janvier 1905 une marée humaine, sur fond de grève massive, manifeste vers le Palais d’Hiver où réside le Tsar Nicolas II, en silence et dans l’intention de remettre pacifiquement au «Petit père» ses doléances par le biais du prêtre Gapone. Mais l’armée tire dans la foule, faisant des centaines de morts. Cette journée restée dans les mémoires sous le nom de Dimanche Rouge marque également le début de la Révolution de 1905.
[6] Von Plehwe fut directeur de la police du tsar puis Ministre de l’Intérieur. Après avoir réchappé à un attentat l’année précédente, il mourut dans l’explosion de la bombe d’Igor Sazonov le 15 juillet 1904 à Saint-Pétersbourg, attentat commandité et organisé par l’Organisation de Combat des Socialistes Révolutionnaires.
[7] L’empereur Guillaume est appelé ainsi par une grande partie du peuple allemand pour rappeler sa fuite en 1848, sous le nom de Lehman, lâcheur de poste.
[8] Allusion à un poème de Schiller.
- SOURCE : Bibliothèque Anarchiste
★ Les pestes religieuses - Socialisme libertaire
D'ailleurs, les ouailles que plument les églises sont toujours, en même temps, les bons moutons que tondent les États. Pourquoi revenir sur une vieille question comme celle de la religion, à l'...
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