★ L’anarchisme et les faits religieux
« Appelez cela Dieu, l’Absolu, si cela vous amuse, que m’importe. »
Il y a peu de temps encore tout rapprochement ou toute confrontation entre anarchisme et religion aurait pu sembler incongrue. Mais c’était avant que la situation et les débats actuels ne lui redonnent tout à coup une actualité brûlante ; avant qu’aux côtés des ennemis les plus constants de l’anarchisme - le Capital et l’État – le XXIe siècle ne réactualise l’urgence d’un autre combat, d’une dénonciation libertaire de l’idée de Dieu, et plus particulièrement du Dieu monothéiste ; cette « troisième puissance » dont parle Proudhon ; cette clé de voûte logique et imaginaire de l’ordre autoritaire ; cet analogue et cette justification suprême du Capital et de l’État [1].
Lumineuse et acérée dans son affirmation première, mais rouillée faute d’usage, et depuis tant d’années, la critique libertaire contemporaine des faits religieux oscille entre trois positions assez nettement différentes : l’une, la plus récente, que l’on peut qualifier de « marxisante » ; une autre, plus ancienne et apparemment contraire à la première, que l’on peut qualifier de « laïque » et de « républicaine » ; et enfin une troisième position, spécifiquement anarchiste cette fois, mais en partie oubliée après le long éclipse de la pensée libertaire.
La position « marxisante »
La renaissance du mouvement libertaire, à la fin du siècle dernier, s’est largement opérée dans un cadre marxiste, à l’ombre d’une hégémonie intellectuelle dont on mesure mal, cinquante ans plus tard, la force et la prégnance. Face à l’effondrement actuel de l’idée socialiste, seuls les mouvements à sensibilité libertaire parviennent, de près ou de loin et dans leurs différentes manifestations, à maintenir un projet et un imaginaire dominés jusqu’ici par le marxisme. Mais ils continuent d’en subir les effets, doublement :
1) de par les conditions passées de leur renaissance ;
2) de par une situation contemporaine où, aussi minoritaire qu’il puisse être, l’anarchisme (au sens large) est conduit, dans sa diversité relative, à accueillir tout ce qui peut subsister des vieilles positions et autres postures de gauche et d’extrême-gauche, y compris lorsqu’elles sont les plus éloignées de ses propres présupposés. D’où une conséquence directe sur la manière dont certains courants libertaires contemporains sont conduits à percevoir les faits religieux ; à travers la dénonciation de l’ « islamophobie » par exemple, et une sorte de compréhension et de culpabilisation vis à vis des extrémismes religieux : une compréhension à double détente qui nie ce qu’elle autorise par cette négation [2] ; une culpabilisation ou nouvel avatar du marxisme on peut sans peine reconnaître une longue tradition chrétienne et « tiers-mondiste ».
En effet, à côté d’autres enracinements - laïcs ou juifs par exemple mais aussi judéo-arabes, dans la violence anti-religieuse propre aux insurrections populaires et millénaristes d’un certain nombre de régions d’Espagne -, on ne souligne pas assez l’importance des « chrétiens de gauche » dans l’hégémonie marxiste de la seconde moitié du XXe siècle (d’Althusser à Garaudy, en passant par une myriade d’autres cadres et théoriciens de second plan). Par de nombreux aspects on pourrait dire que le retentissement et les forces des mouvements dits de « mai soixante-huit » sont largement dus à la crise et à la décomposition que connaît le christianisme au cours des années 1960-1970 ; pour le gros des troupes tout du moins et non sans de nombreuses pratiques et idées émancipatrices, au plus près du projet libertaire (dans les débuts de la CFDT par exemple), mais en dressant entre les uns et les autres la double et invisible cloison de verre des présupposés du marxisme et de la foi monothéiste.
Et c’est ici qu’il faudrait souligner une distinction importante à l’intérieur des positions marxisantes ; une distinction qui tient également aux faits religieux, à deux manières certes différentes de leur dénier toute importance mais l’une et l’autre tout aussi étrangères à l’anarchisme parce que placées sous le double signe de la « culpabilité » et du « ressentiment » [3].
— Avec d’un côté des militants d’origine chrétienne, les plus nombreux, pour qui on peut effectivement parler de « culpabilisation », en raison de la rencontre singulière et hasardeuse entre, d’une part, leur appartenance accidentelle et par héritage aux impérialismes européens du XIXe et XXe siècle ; et, d’autre part, un sens du « péché » et de la « culpabilité » hérité de la tradition chrétienne (le « péché originel »), qui contribue à les lier intimement à tout affect ou procès de responsabilité collective.
— Avec, d’un autre côté, des militants d’origine musulmane qui, à l’intérieur des représentations marxisantes, risquent sans cesse de s’identifier subjectivement à l’ « Islam » de l’« islamo-phobie », en substituant aux clivages marxistes traditionnels de « classes » et de « condition sociales et économiques » des clivages analogues mais catastrophiques dans leurs effets : les clivages essentialistes de races, de couleurs de peau et d’origines ethniques et religieuses.
Comment, d’une façon plus générale, peut-on caractériser cette manière marxiste ou marxisante d’aborder les faits religieux ? Principalement par une sous-estimation ou une indifférence dé-négatrice qui, paradoxalement, leur laisse ainsi toute liberté d’agir sans être vus, à la manière d’un point aveugle (la poutre dans l’œil des évangiles chrétiens), d’un impensé des dominations. Pour la perception et les représentations marxistes ou marxisantes, la religion (comme l’État en d’autres temps) n’est qu’une « superstructure », une réalité certes spectaculaire dans ses mises en scène, mais secondaire dans sa dimension matérielle ; une réalité aveuglante mais qu’il convient d’ignorer justement, de rendre invisible, à la manière du nez de Cyrano ou de la nudité du roi d’Andersen. Dans la position marxiste la religion n’est qu’une apparence et un trompe-l’œil idéologique entièrement déterminée par ce qui compte vraiment et seulement : non plus la majesté royale ou les dons de bretteur de Cyrano, mais l’infrastructure économique, la lutte des classes et un devenir dialectique et matérialiste qui, par leurs effets de dévoilement, ne peuvent que dissiper, nécessairement et spontanément, les brumes religieuses. L’aveuglement marxiste vis à vis de l’État, du nationalisme, du fascisme brun et rouge ou, plus tragiquement, de la singularité monstrueuse du nazisme et des génocides du XXe siècle [4], se répète aujourd’hui face à la réaffirmation des dominations à caractère religieux et plus particulièrement de cette nouvelle forme de fascisme et de totalitarisme que constitue l’islamisme.
D’où, longtemps, l’indifférence des partis communistes du « tiers monde » face aux convictions de leurs adhérents, dans les régions les plus soumises à la domination religieuse, en particulier dans les pays musulmans. D’où l’évaporation de ces mêmes partis communistes au profit du nationalisme et de la religion. D’où également, à l’extrême-gauche cette fois, et non sans commisération et mépris sous-jacent, les discours actuels sur l’Islam. L’Islam pensé comme l’idéologie des pauvres, des humbles et des opprimés, au même titre que le christianisme des hussites ou de la guerre des paysans du XVe et du XVIe siècles. Avec pour corollaire la systématisation d’un fourre-tout « islamophobe » où tous ceux qui dénonceraient cette religion, la « religion des faibles » dont parle Emmanuel Todd [5], même sous ses cristallisations les plus extrêmes, s’en prendraient d’abord aux pauvres et aux opprimés, prendraient le parti des riches et des oppresseurs.
Survivance et nouvel avatar du vieux modèle marxiste et tiers-mondiste, cette première manière de traiter les faits religieux, plus ou moins diffuse dans les milieux actuels de l’anarchisme - en s’accrochant par exemple à des enjeux aussi spectaculaires et symboliques (mais déterminants) que la question du voile islamique ou du blasphème - ne doit pas être surestimée cependant. Elle se heurte à une seconde position, apparemment contraire, et largement majoritaire dans les milieux libertaires (sans en être pour autant d’avantage anarchiste) ; une approche que l’on peut qualifier de « laïque » et de « républicaine ».
La position « laïque » et « républicaine »
Cette seconde attitude est plus ancienne et peut sembler tout d’abord s’opposer frontalement à la première, sous la forme d’une dénonciation explicite et sans nuances du fait religieux qu’il soit animiste, polythéiste, chrétien, juif ou musulman, mais surtout musulman dans le contexte actuel. Comme le montre plus particulièrement l’ensemble des pays latins et catholiques (en Europe et en Amérique du sud), là où les mouvements libertaires furent les plus puissants, cette vieille tradition anti-religieuse est largement due aux conditions d’apparition de l’anarchisme et plus précisément de l’anarchisme ouvrier, au milieu du XIXe siècle.
L’anarchisme est né au sein d’une gauche « nationale » et « populaire », elle-même issue de la révolution française et du rationalisme des « lumières » ; une gauche violemment anti-religieuse parce que longtemps confrontée à une église puissante et hégémonique, à proprement parler « réactionnaire », prétendant ramener la société à « l’ancien régime » et au rêve totalitaire de la « chrétienté ». L’anarchisme est né au sein d’une gauche républicaine, étatiste et patriote, s’identifiant à un « peuple » indifférencié mais largement dominé par la petite bourgeoisie lettrée et propriétaire de l’époque [6], et qui se décompose au tournant du XIXe et du XXe siècle en donnant naissance à des mouvements d’extrême-droite inconnus jusqu’ici. Cette gauche républicaine, étatiste et petite-bourgeoise, l’anarchisme ouvrier s’en démarque très tôt, dès sa naissance, mais sans jamais cesser d’entretenir avec elle, face à la « réaction », des relations d’alliance et de sympathie régulièrement ravivées de façon plus ou moins ponctuelle comme le montre l’affaire Dreyfus par exemple ou, dans la durée, la participation d’un certain nombre de libertaires à la franc-maçonnerie.
Rationaliste et anti-religieuse, la position laïque et républicaine peut ainsi, au sein des mouvements libertaires contemporains, sembler s’opposer frontalement aux complaisances de l’approche marxiste ou marxisante. Avec du côté laïc l’importance donnée à une dénonciation obsessionnelle des manifestations religieuses, principalement islamiques, et, de l’autre côté, une dénonciation sociale et culturaliste de l’ « islamophobie » qui, certes, n’a aucun mal à retrouver dans les critiques contemporaines de la religion les vieilles représentations des colonisations impériales et soi-disant « civilisatrices » de la fin du XIXe siècle, mais aussi, parallèlement et pour son propre compte, tous les supports identitaires (origines géographiques, histoires, langues, couleurs de peau, cultures, religions…) qui alimentent, à l’extrême-droite et - phénomène nouveau - à l’extrême-gauche, un inquiétant retour à des notions aussi calamiteuses que celles de « races », à des clivages et des représentation explicitement « racistes » ou « racialisées ».
Approche « marxiste » et approche « laïque » s’opposent, mais partagent pourtant une position commune : la sous-estimation des faits religieux ; par mépris et indifférence du côté marxiste, par énervement rationaliste du côté laïc (« comment peut-on - au XXIe siècle ! - croire encore à des choses pareilles ? ») ; avec dans les deux cas une même conception, (« providentielle » diraient les chrétiens) du temps et de l’histoire : le « Progrès » et la science contre l’obscurantisme et les superstitions d’un côté ; le matérialisme dialectique et la lutte des classes contre les brumes de l’idéologie religieuse de l’autre.
La position anarchiste
Longtemps masquée par l’oubli et la déconsidération a priori de ses principaux théoriciens, et à l’inverse des deux autres positions, qu’elles soient laïques ou marxisantes, la manière dont l’anarchisme considère la religion peut se formuler ainsi :
1) prendre très au sérieux les faits religieux et la question religieuse comme expressions multi-millénaires de l’expérience et de la vie humaine ;
2) refuser une conception providentialiste, déterministe et optimiste (ou progressiste) d’une histoire de l’humanité qui les détruirait ou les dépasserait nécessairement et spontanément.
Pour Proudhon ou Bakounine, et au même titre que l’État ou toute autre réalité humaine (la science, le droit, l’art ou la philosophie par exemple), les pratiques, les croyances, les espoirs, les mythes, les textes et l’énorme accumulation des représentations et des explications religieuses ne sont ni des superstructures ni des superstitions rendues caduques par le progrès, l’éducation ou le matérialisme historique ; avec seulement, ici et là, des « survivances » ou des « retards » ; du côté du peuple, des pauvres ou des civilisations « primitives », attardées sur le chemin du progrès et de la civilisation.
Enfouies au cœur ou dans la structure même de l’expérience humaine, « dans les archives de l’esprit humain » dirait Proudhon [7], et au même titre que les « instincts » dont parle Malatesta, [8] ou que la « grammaire » dénoncée par Nietzsche [9] les pratiques et les représentations religieuses, depuis leurs formes anarchiques, animistes et magiques, jusqu’aux grandes machines totalitaires des trois monothéismes, contribuent du plus profond d’elles-mêmes à exprimer et à façonner l’existence humaine. Et d’abord sur le terrain de la domination.
Domination et obéissance
« Ce que le capital fait sur le travail et l’État sur la liberté, l’Église l’opère à son tour sur l’intelligence » nous dit Proudhon. [10] Pour la critique libertaire, et parce qu’il est l’analogue du Capital et de l’État, le Dieu des trois monothéismes n’échappe pas à la « nouvelle ontologie » proposée par l’anarchisme [11]. Il n’échappe pas à la théorie libertaire des « êtres collectifs », des « forces collectives » et de leurs « résultantes » - États, nations, entreprises, cultures, familles, individus, appareils ménagers (ou militaires), communautés de croyants, divinités diverses -. Des « résultantes » elles mêmes « composées » d’autres « résultantes » (vis, boulons, atomes…), d’autres « compositions de forces », d’autres « coopérations », d’autres « associations », des plus petites aux plus grandes, à l’infini [12]. Des « résultantes » qui doivent tout ce qu’elles sont à la réalité des forces qui les composent mais qui, produites par ces compositions, s’approprient leur puissance, la travestissent en signes et la retournent contre elle-même dans un rapport de domination où l’effet devient la cause, les drapeaux, les châteaux et les maisons de maître, la source première des agencements qui les produisent [13].
A un degré maximum d’intensité et de prétention, mais comme toute autre chose, aussi petite et fugitive qu’elle puisse être, la figure du Dieu monothéiste (avec ses rites, ses appareils, ses sectes, églises, législations, fidèles et serviteurs) se vit comme un « absolu » nous dit Proudhon [14]. Un « absolu » homologue à l’absolu du Capital, de l’État, de l’Individu ou de toute autre « résultante » (oppressive ou émancipatrice). Des absolus ou des « monades » disent Proudhon et Tarde, « toutes nées libres et originales » mais, « toutes avides (..) de la domination et de l’assimilation universelle » [15]. Des absolus producteurs de foi(s) et de croyances, de convictions, de volontés et d’identifications subjectives. Des absolus enchâssés les uns dans les autres, et confrontés à une multitude infinie d’autres absolus, positivement, en leur résistant, en se révoltant contre eux, en refusant leur loi et leur impérialisme, mais aussi négativement en prétendant les soumettre à leur propre loi et à leur propre impérialisme, à l’intérieur comme au dehors de ce qui les constitue ; par réduction et décomposition, par absorption, colonisation, soumission et oppression.
Longtemps dispersées et concurrentes, dans l’immédiateté d’une multitude de forces occultes, de pratiques et de divinités locales, singulières et contradictoires - à « portée de main » -, les expressions religieuses et leur proximité « magique » comme tous les autres produits des forces collectives (économiques, sociales, politiques…), se sont trouvées, un peu partout dans le monde, centralisées, monopolisées et « aliénées » par des entités et des machines toujours plus vastes et dominatrices [16]. « Dieu et l’État » [17]. Dieu et le Capital. Le Capital et l’État comme aliénations des forces économiques et politiques. Dieu comme aliénation et concentration des représentations et de l’intelligence, comme clé de voûte imaginaire de l’autorité. Dieu comme dépossession de soi-même, de sa foi en sa propre puissance (lever le bras, écrire un poème…) de ses croyances dans la force et le bonheur partout constatés et éprouvés, des créations, des associations et des interactions immédiates ; là où la rencontre des autres, de leur liberté et de leur singularité absolues, révèle en chacun les possibles infinis qu’il porte en lui-même. Dieu comme aliénation et comme servitude volontaire où d’immanentes à la nature et aux activités humaines les forces collectives sont rapportées et soumises à la transcendance divine ; où l’anarchie et la multiplicité de ce qui est se travestissent en unité mensongère et oppressive.
Dieu et Satan
Parce qu’elles sont liées à l’expérience humaine les représentations religieuses ne manquent pas cependant - au cœur même des rapports de domination -, d’exprimer la révolte et la liberté, non seulement dans l’enchevêtrement archaïque des vieilles croyances magiques, mais aussi au cœur même des monothéismes les plus logiques, les plus ritualisés et les plus ordonnés.
En raison de sa logique totalitaire et de la réduction du multiple à l’Un, à la souveraineté et à la bonté d’un Dieu tout puissant et créateur de toute chose, le monothéisme se trouve confronté à un problème difficile et que l’on peut résumer de la façon suivante : ou Dieu est tout puissant mais il n’est pas bon, puisqu’il tolère le mal, ou il est bon, mais impuissant, et pour la même raison. Comment rendre compte du bruit et de la fureur du monde réel ? Comment rendre compte du mal et du désordre ? Comment rendre compte de cette anarchie du monde et de la vie que les vieux agencements animistes et polythéistes exprimaient si facilement par la multiplication des « forces » religieuses à la fois bonnes et mauvaises, à l’image de la réalité dont elles étaient l’expression ? Confrontée au mal et au désordre, à la complexité anarchique de ce qui est l’unification divine du mono-théisme n’implique-t-elle pas nécessairement et de façon contradictoire, le dualisme du manichéisme, la double existence d’un Dieu du Mal et d’un Dieu du Bien, les deux divinités de Marcion par exemple [18] ? D’une autre manière et comme Ève sortant (par raccroc) d’une des côtes d’Adam, le « mal » doit-il lui-même sortir du bien, du monde voulu et ordonné par Dieu ?
C’est à cette dernière solution passablement désespérée que se résolurent les trois monothéismes ; une solution improbable, sans cesse menacée par le manichéisme mais qui, dans l’atmosphère raréfiée et ordonnée de la logique monothéiste, donnait malgré tout droit de cité à l’anarchie. Non plus seulement ni d’abord le Bien et le Mal, un Dieu bon et un Dieu méchant, mais l’asymétrie de l’Un et du multiple ; l’unicité d’une mise en ordre impossible, fondé sur l’oppression, la contrainte et la domination ; la multiplicité anarchique des « démons », des révoltes, de la liberté, de l’autonomie et de l’émancipation ; le « diabolique » et ses effets de division contre les entraves et les « liens » du « symbolique » et du « religieux » ; le « diable au corps » des enfants sages ; Indra la figure des mythes indo-européens, le dieu de « la multiplicité pure et sans mesure », le dieu « de l’éphémère » et de la « métamorphose », le dieu qui « dénoue le lien autant qu’il trahit le pacte » ; [19] ou encore « l’autre femme » de la bible et du monothéisme dont parle Fethi Benslama [20], directement issue de la nature qu’elle exprime, mais aussi - dans un enchevêtrement invraisemblable - « mère de Dieu » (christianisme) ou entremetteuse diabolique du paradis terrestre (bible), de l’ « arbre de la science » : la « femme sorcière qui sait » et que la psychanalyse, trois mille ans plus tard, s’efforce toujours de débusquer [21].
En effet, ce que les mythes religieux disent et redisent depuis si longtemps, la philosophie et la pensée moderne le répètent et le retrouvent à leur tour, dans le revers et le dedans de ses énoncés ; dans les brumes et les tempêtes qui cernent et menacent l’île du « pur entendement » de Kant [22], dans le « malin génie » de Descartes, le (gentil) « démon » de Socrate ; ou, plus récemment, « l’a-symbolique » et le « diviseur » que le philosophe belge Guy Hottois croit découvrir avec effroi dans l’œuvre de Gilbert Simondon, [23] à travers des propositions que l’anarchisme n’a effectivement aucune difficulté à faire siennes :
« L’éclatement radical du temps et de l’être ».
« Des individuations, à l’infini ».
« Un univers éclaté, sans principe et sans foi, ou à infinité de principes et de fois ».
« Un univers de monades qui peuvent, mais ne doivent pas communiquer ».
« Un univers de l’infinitude du possible où rien n’est impossible a priori ».
« L’anarchie absolue des singularités et des ruptures » [24].
Face au Dieu des rois et de la mise en ordre du monde, le Dieu des califes, des empereurs et de la Loi (du Père, de l’État, de la Science, etc.), face aux règles politiques, économiques et religieuses – et dans la cour des hommes cette fois mais aux côtés des sorcières, des démons et des forces magiques - le monothéisme est contraint d’inventer ou de laisser une place (qui change tout) à la vieille figure anarchique de Satan ; Lucifer (le « porteur de lumière »), longtemps le plus obéissant des serviteurs de Dieu, le plus raisonnable et le plus lumineux de la cour divine, celui qui était assis à la droite du « très Haut », qui lui passait les plats et qui, un jour, par un miracle incroyable, refuse d’obéir, pour un rien - « passe-moi le sel ! » ; « non ! » - mais en entraînant ainsi dans la révolte une multitude d’autres anges, dans une guerre jamais achevée contre l’autorité divine et donc contre toute autorité analogue ou déléguée ; en exprimant ainsi, sur le registre du mythe, les révoltes et les luttes bien réelles du monde humain ; les luttes pour la liberté et l’indépendance, contre l’ordre et le pouvoir ; des révoltes toujours vaincues et contenues, mais toujours renaissantes partout et sous une infinité de formes, à la manière des « fraticelli » et autres « fraternités » dont parle Bakounine [25],« qui osèrent prendre, contre le despote céleste, le parti de Satan, ce chef spirituel de tous les révolutionnaires passés, présents et à venir, le vrai auteur de l’émancipation humaine (…), le négateur de l’empire céleste comme nous le sommes de tous les empires terrestres, le créateur de la liberté » ; dans un rapport intime et sensible où le « sentiment de révolte » propre à l’anarchisme peut alors s’identifier à l’« orgueil satanique qui repousse la domination de quelque maître que ce soit, divin ou humain et qui seul crée dans l’homme l’amour de l’indépendance et de la liberté » [26].
C’est ainsi, à l’intérieur de la mythologie divine, que la figure de Satan peut donner un visage à une conception du monde où « l’anarchie positive » (Proudhon), la « libre association de forces libres » (Bakounine) ne cesse jamais de surgir d’une anarchie première toujours là, sa condition et son autre dimension ; ni bonne ni mauvaise, « par delà le bien et le mal » dirait Nietzsche, mais en donnant tout son sens à la formule énigmatique et saisissante de Proudhon :
« Viens Satan, viens, le calomnié des prêtres et des rois ; que je t’embrasse, que je te serre sur ma poitrine ! Il y a longtemps que je te connais, et tu me connais aussi. Tes œuvres, le béni de mon cœur, ne sont pas toujours belles et bonnes ; mais elles seules donnent un sens à l’univers et l’empêchent d’être absurde » [27].
La loi et la mystique : l’ exemple du sunnisme et du chiisme
Ce que montrent, non sans humour, les figures et les mythes de Dieu et de Satan – le chef et le révolté, l’unificateur et le diviseur, l’autoritaire et le libertaire, etc. -, l’approche anarchiste des faits religieux le montre également, mais de façon beaucoup plus fine et détaillée, dans l’évaluation d’une multitude de situations et d’histoires singulières et concrètes : le Judaïsme libertaire de la fin du XIXe siècle par exemple [28] ; la dimension politique et magique des expérimentations et des lignes de force du taoïsme chinois ; la résistance irréductible des croyances et des représentations locales et immédiates face aux systèmes totalitaires des trois monothéismes ; ou encore les multiples expressions de la mystique, du messianisme et des millénarismes.
Pour ne s’en tenir qu’aux événements les plus actuels, et en laissant de côté pour le moment la singularité et les enjeux de la cristallisation djihadiste on se contentera ici d’examiner une autre dimension de cette actualité : les différences entre sunnisme et chiisme.
On aurait tort sans doute de prendre au « pied de la lettre » (voir plus loin), les affrontements actuels entre ces deux principaux courants de l’Islam ; une confrontation réductrice et surdéterminée par les jeux et les enjeux de la géopolitique, par la violence et le simplisme mortifères des rapports entre amis/ennemis, et plus généralement par la peste identitaire, qu’elle soit raciale, nationale, partisane ou religieuse.
Historiquement, comme dans ce que l’on observe actuellement, ce que l’on appelle habituellement chiisme et sunnisme bien loin de mettre de l’ordre dans la réalités comme dans les représentations, ne fonctionne qu’à l’intérieur d’une multitude d’autres partages, mélanges et positions enchevêtrés et contradictoires où contre toute attente et tout critère de classement, l’importance du rapport à la loi du sunnisme par exemple peut aussi bien devenir la marque actuellement dominante du chiisme étatique iranien. Alors que de façon inverse, la mystique, si importante dans le chiisme a pu constituer, historiquement une des principales composantes du sunnisme [29]. Et alors même qu’un littéralisme aussi obtus et exacerbé que le salafisme ne manque pas, dans sa composition improbable, de s’associer à des formes de millénarismes aussi extrêmes et mortifères que Daech par exemple.
Mais on aurait tort également (et plus gravement) de ne pas voir en quoi sunnisme et chiisme, dans le chaos de leur longue histoire, de leurs mélanges, de leurs conflits et de leurs chassés-croisés, permettent, pour ce qui concerne l’Islam, non seulement d’éclairer les réalités de l’expérience humaine (sous son double aspect d’oppression et d’émancipation) mais aussi de saisir les implications présentes de leurs différences et plus précisément encore ce que l’on peut en attendre d’un point de vue anarchiste - en bon comme en mauvais -, à travers les critères libertaires du « dedans » et du « dehors », de l’expérience et du dogme, de l’immanence et de la transcendance, de la vie et de la loi, de la liberté et de la contrainte.
Quelques remarques sur le sunnisme en premier lieu, et plutôt sur le registre du découragement pour le coup. Dans les tendances les plus radicales de ce courant de l’Islam (largement majoritaire à l’échelle du monde) on retrouve actuellement la réaffirmation et la crispation autoritaire et extrême d’une tradition monothéiste qui tend par ailleurs et le plus souvent à privilégier l’obéissance et la soumission. Dans cette tradition et parce qu’il est absolument transcendant et inaccessible à l’homme, Dieu ne communique avec lui que par l’intermédiaire d’une loi et d’une lettre (le mot à mot du Coran et des hadith) d’autant plus brèves, arbitraires et impératives que la distance entre eux est plus grande (incommensurable en l’occurrence). Une loi et une lettre qui prétendent figer la vie dans le présent arrêté d’une histoire humaine définitivement achevée, il y a 1400 ans. Une loi et une lettre sorties tout armé de la divinité (le coran « incréé »), et d’autant plus violentes, oppressives et simplistes dans leurs injonctions qu’en dehors de l’obéissance et de la soumission, elles dénient toute autre existence au « monde réel » dont parle Bakounine [30], à sa richesse et à sa complexité infinies ; y compris lorsqu’il s’agit de leur propre et longue histoire : la mystique et les innombrables écoles et « confréries » du soufismes par exemple ; ou encore, au cœur même de l’autorité transcendante de la loi , l’immense jurisprudence de ses nombreuses écoles juridiques, réduite à l’application littérale d’une poignée de prescriptions [31].
Avec le chiisme cette fois et plutôt sur le registre de l’espoir, on trouve, comme source de différences, une toute autre tradition n’ayant sans doute rien à envier aux autres confessions religieuses en termes d’oppression, de loi et d’autorité mais qui, dans son histoire et ses origines premières (et toujours répétées), tend, plus que d’autres, à partir de l’expérience humaine, à prendre corps dans l’obscurité, la confusion et le caractère caché de la puissance infinie et anarchique de la vie, du monde réel et de ce dont il est capable en bon comme en mauvais [32]. D’où, dans l’histoire passée et présente du chiisme, et parce que partant du monde vécu, l’anarchie tumultueuse et ininterrompue d’une multitude éclatée de pratiques, de croyances et d’implications du corps, de « guides », de courants, d’églises, d’écoles, de groupes et d’ « hérésies » diverses toutes aussi étonnantes les unes que les autres [33] : les Qarmates par exemple, guerriers et brigands, qui après avoir volé la Pierre noire de la Ka’ba tentent vainement de s’organiser de façon égalitaire ; les Sabéens prétendant donner droit de cité au paganisme néo-platonicien ; les Noseïris (ou Alaouites) et leurs doctrines ésotériques et éclectiques qui puisent aussi bien dans le christianisme que dans le zoroastrisme [34] ; Les Nizaris et, à la manière des Cathares, leur réseau de forteresses autonomes ; les Zaïdistes du Yémen pour qui le Coran a forcément été « créé », un jour, quelque part, à travers la langue et les réalités d’une société donnée et qui, à côté des douze (ou dix) imams des histoires de la théologie officielle, admettent l’existence simultanée d’une multitude d’autres « saints », guides, modèles et « inspirés ». A ces courants, et souvent aux limites de l’Islam proprement dit, on peut ajouter beaucoup d’autres : les Druzes affirmant à leur tour la nécessité d’abolir la charia ; les nombreuses et différentes écoles ismaéliennes qui se réclament également d’un « révélation » personnelle et intérieure, passant d’abord par la vie et l’expérience et qui, pour les plus extrêmes d’entre elles se proposent carrément de brûler le Coran, afin d’éliminer tout fétichisme (ou idolâtrie) de la lettre et de la loi ; ou encore les Alévis pour qui le Coran n’est que l’œuvre de Mahomet, certes « inspiré » par la puissance « divine », mais à condition d’identifier cette divinité à la « réalité » du monde ; un monde dont l’homme fait partie et qu’il a la possibilité éminente, par la pratique et l’expérience, d’inclure en lui-même et d’exprimer toute entier dans l’infinité de ses possibles [35].
À une histoire achevée et faisant table rase du passé et de ce qui est, au temps immobile de la charia et des obligations religieuses se substituent ainsi des histoires incessantes, sensibles, matérielles et circonstancielles, qui, des vieilles croyances animistes et polythéistes aux imams cachés ou martyrisés, ne cesse de recommencer, dans l’attente impatiente de ce qui peut toujours advenir. A l’extériorité idolâtre, fétichiste et autoritaire des prescriptions religieuses se substituent l’intériorité et l’indétermination de la vie, de sa puissance et de ses espoirs à proprement parler inouïs. Aux intermédiaires dictatoriaux de la lettre et de la loi se substitue un rapport intime et direct avec la totalité de ce qui est. À la légalité oppressive et arbitraire d’un Dieu-Imperator ordonnateur du monde et qui confie aux hommes les plus obéissants et donc les plus « bornés », le soin d’en imposer les règles et les interdits, se substitue le caractère infini et sensible de la vie, de la subjectivité des êtres, de ce qu’ils peuvent, à partir d’eux-mêmes ; en bon comme en mauvais dirait Proudhon. Au néant d’une divinité qui s’approprie le monde en le vidant de sa substance, se substitue la surabondance de la vie. À la transcendance d’une puissance divine ne communiquant que par décrets et par normes (sunna) se substitue l’immanence imprévisible d’une puissance infinie dont le monde est porteur et à laquelle (par malheur et par soumission à la grammaire) on donne le nom de « Dieu ». A la « loi du Père » et à sa façon de nous couper du monde réel, à la castration qu’opèrent les tours de passe-passe du patriarcat, du symbolique, des représentants, des « brevets » et autres droits de propriété, se substitue - sous la figure des démons, des sorcières mais aussi du fond infini et obscur des désirs, de l’expérience et du cœur des hommes - la réalité de ce qui est.
Deus sive Natura, « Dieu c’est à dire la Nature » disait Spinoza [36]. Parce qu’elles partent d’abord de l’expérience humaine et non de l’ordre de la loi et de la lettre, et parce que l’être humain est à la fois une partie et le tout de ce qui est - un « résumé de l’univers » (Proudhon), [37] une « réverbération intérieure » (Simondon) [38], « la nature prenant conscience d’elle-même » (Reclus) [39], un « microcosme » qui inclue le « macrocosme tout entier » (les Alévis), un lieu et un « foyer » où « se réunissent toutes les spontanéités de la nature, toutes les instigations de l’Être fatal, tous les dieux et tous les démons de l’univers » (Proudhon) [40] - les dimensions et les pratiques mystiques du chiisme comme du soufisme sunnite, du Judaïsme ou du Christianisme mais aussi de l’animisme, du chamanisme, du taoïsme et d’un grand nombre d’autres expériences humaines, ne sont pas seulement un antidote aux monothéismes oppresseurs qu’elles accompagnent, qu’elles soutiennent et qu’elles trahissent. Expressions ambivalentes mais immanentes de ce qui est, elles rendent compte - sous le nom de Dieu - de ce que l’anarchisme appelle « la nature » en justifiant ainsi la remarque de Bakounine au début de ses Considérations philosophiques sur le fantôme divin, sur le monde réel et sur l’homme :
« Appelez cela Dieu, l’Absolu, si cela vous amuse, que m’importe, pourvu que vous ne donniez à ce mot Dieu d’autres sens que celui que je viens de préciser ; celui de la combinaison universelle, naturelle, nécessaire et réelle, mais nullement déterminée, ni préconçue, ni prévue (souligné par B.), de cette infinité d’actions et de réactions particulières que toutes les choses réellement existantes exercent incessamment les unes sur les autres. » [41]
[1] Sur cette analogie (au sens proudhonien du mot) voir Pierre Ansart, « Proudhon, des pouvoirs et des libertés » dans Proudhon, Pouvoirs et libertés, Université de Besançon, 1987. « Le Capital dont l’analogue, dans l’ordre de la politique, est le Gouvernement, a pour synonyme, dans l’ordre de la religion, le catholicisme… » cité par P. Ansart p. 12.
[2] Pour une analyse marxiste l’Islam n’est rien ou presque rien (voir plus loin), et on peut donc prendre sa défense et lui permettre d’être, sans se soucier de ses effets.
[3] Sur l’importance libertaire de ces deux concepts et plus généralement sur l’affinité profonde entre les analyses de Nietzsche et l’anarchisme (sans cage de verre cette fois), voir « Nietzsche et l’anarchisme » dans A Contre-temps.org
[4] A travers le « révisionnisme » et le « négationnisme » si particuliers des courants marxistes de l’ultra-gauche.
[5] Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse, Seuil, 2015.
[6] Et dont les partis « républicain » et « radical-socialiste » seront longtemps l’expression politique.
[7] Proudhon, De la Justice dans la révolution et dans l’église, Rivière, tome III, p. 73.
[8] Voir L’anarchisme de Malatesta, ACL, 2010, p. 90.
[9] Crépuscule des idoles ou comment philosopher à coups de marteau, « la raison dans la philosophie », paragraphe 5. « je crains que nous ne puissions nous débarrasser de Dieu, parce que nous croyons encore à la grammaire ».
[10] Proudhon,cité par P. Ansart, op. cit.
[11] Sur cette « nouvelle ontologie » voir Proudhon manuscrits de la bibliothèque de Besançon. 2863, feuillets 28 et suivants.
[12] Voir De la Justice …, Rivière, tome 2, pp. 266 et suivantes : « le pouvoir naît de la société, il est la résultante de toutes les forces particulières groupées pour le travail, la défense et la Justice » ibid. p. 268.
[13] D’où l’évidence et l’intelligence foudroyante des grèves propres aux débuts de l’industrialisation (pour la France voir Michelle Perrot Les ouvriers en grève, France 1871-1890, Mouton, 1974) ; des grèves qui forment alors le livre ouvert et la démonstration dans les « faits » de la « propagande » du même nom.
[14] Sur l’importance et l’ambivalence de la notion d’ « absolu » voir De la Justice... tome 3, pp. 200 et suivantes.
[15] G. Tarde, Monadologie et sociologie, les empêcheurs de tourner en rond, 1999, p. 57.
[16] Sur « l’aliénation de la force collective », voir Proudhon, ibid. tome 2, p. 266.
[17] Suivant le beau titre donné par Élisée Reclus à un manuscrit de Bakounine.
[18] Fondateur au second siècle d’une église chrétienne très puissante et durable, Marcion opposait au Dieu méchant de la bible hébraïque le Dieu bon des évangiles chrétiens.
[19] Deleuze, Guattari, Mille plateaux,éditions de minuit, 1980, p. 435.
[20] Fethi Benslama, La psychanalyse à l’épreuve de l’Islam, Aubier, 2002.
[21] Ibid., p. 183.
[22] Critique de la raison pure, Paris, 1944, p. 216.
[23] Simondon et la philosophie de la « culture technique », De Boeck, 1993.
[24] Ibid. pp. 109, 110, 116.
[25] Issus des mouvements se réclamant de François d’Assise (XIIIe siècle), les « frères » (principalement italiens et tchèques) entreprirent, au nom de la pauvreté et de ses effets d’égalité, de tuer tous ceux qui prétendaient s’accrocher au pouvoir et à la richesse.
[26] Bakounine, Œuvres Complètes., champ libre, tome 8, pp. 72 et 64.
[27] De la Justice, tome 3, pp. 433-434.
[28] Voir Michael Löwy Utopie et Rédemption, Le Judaïsme libertaire en Europe Centrale, PUF, 1988.
[29] A travers les multiples courants et expressions du soufisme principalement, mais aussi la figure endémique du « mahdi », « le bien guidé », supposé revenir à la fin des temps, et dont le messianisme personnel et incarné, si fréquemment présent dans les courants chiites (de « l’imam caché » aux « maîtres » d’une multitude d’écoles et de sectes) se retrouve également dans les soubresauts du sunnisme avec, au XIIe siècle le mouvement puritain et légaliste des Almohades du Maghreb ou plus récemment (à la fin du XIXe siècle) le « madhisme » soudanais autour de la personne (charismatique mais en chair et en os) de Muhammad Ahmadi (1844-1885).
[30] Œuvres, stock, tome 3, 1908, p. 216.
[31] Sur cette élimination de la jurisprudence, voir Abdallah Laroui, Islam et Histoire, essai d’épistémologie, Flammarion, 1999. Et, pour une lecture libertaire de ce livre, voir Trois essais de philosophie anarchiste, Islam, histoire et monadologie, éditions Léo Scheer, 2004.
[32] C’est en ce sens que le chiisme, dans le cadre très restrictif du monothéisme (au regard des autres traditions religieuses, animistes ou polythéistes), peut être rapproché du Christianisme pour qui, rappelons-le, « Dieu s’est fait homme », ce qui n’est évidemment pas rien pourrait-on dire, sauf à penser que cette dimension humaine et naturelle de la « divinité » (les mystères de la nature et du monde) n’aurait jamais du être perdue de vue.
[33] Sur le contraste entre la longue stagnation du monde arabo-musulman de tendance sunnite et la vitalité du monde chiite, en particulier dans ses branches iraniennes, voir Henry Corbin, La philosophie islamique, Gallimard, 1986.
[34] Le Zarathoustra de Nietzsche, fondateur d’une religion monothéiste extérieure à la bible et plus ou moins reconnue par les chiismes iraniens comme religion du « livre », au même titre que les chrétiens, les juifs, Apollon ou Platon et Aristote.
[35] « Nous avons plongé dans l’essence
et fait le tour du corps humain.
Trouvé le cours des univers
Tout entier dans le corps humain.
La Torah et les Évangiles
Les Psaumes et le Coran, toutes paroles écrites
Se trouvent dans le corps humain » Yunus Emre (1240 – 1321)
[36] Spinoza, L’Éthique.
[37] Proudhon De la Justice, op. cit. tome 3, p. 423.
[38] Simondon, L’individuation psychique et collective, Aubier, 1989, p. 65.
[39] L’Homme et la Terre. Librairie universelle, Paris, 1905-1908
[40] Les contradictions économiques, Rivière, tome 2, p. 253.
[41] Op. cit, pp. 217-218.