★ La lutte contre l’antisémitisme, un combat qui ne peut être éludé

Publié le par Socialisme libertaire

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" On peut souvent entendre que qualifier des discours ou des pratiques d'antisémites (ou de racistes, de sexistes, etc.) n'est qu'un procédé visant à salir ou à disqualifier. Une telle approche peut être sincère, elle a cependant pour conséquence d'empêcher d'identifier l'antisémitisme ou de le minimiser. C'est aussi souvent une stratégie permettant d'éviter de faire face à l'antisémitisme ou de procéder à une remise en question. On retrouve des stratégies de défense et de déni comparables concernant toutes les formes de racisme.
Nous n'ignorons pas que des courants réactionnaires au sein des minorités nationales tentent d'assimiler toute critique de leurs projets politiques à du racisme afin de la faire taire. Nous n'ignorons pas que ces courants réactionnaires développent leur influence, y compris dans le camp progressiste. Pour autant, de tels procédés (tout comme l'insuffisance sur la question coloniale ou l'islamophobie) devraient être critiqués comme tels et non servir de prétexte pour disqualifier la lutte contre l'antisémitisme et ceux et celles qui tentent de la porter. Cela ne devrait pas conduire le mouvement progressiste à évacuer le problème des discours et des pratiques racistes, y compris en son sein. Pour certains, il ne faudrait pas parler d'islamophobie sous prétexte que des réactionnaires religieux utilisent le même vocabulaire. Pour d'autres, il ne faudrait pas parler d'antisémitisme sous prétexte que les sionistes qualifient toute critique du sionisme d'antisémite. Pour notre part, nous pensons qu'il faut mener de front la lutte contre l'antisémitisme et la lutte contre l'islamophobie, sans minimiser l'un ou l'autre, car ce sont deux déclinaisons d'une même logique visant à définir une identité nationale majoritaire par opposition aux groupes minoritaires et à diviser les opprimés.

En période de confusion, clarifier les positions est une nécessité !
Nous vivons une période historique troublée. En ces temps, il est nécessaire d'analyser sereinement les phénomènes sociaux auxquels nous faisons face. La crise économique et sociale actuelle pousse une partie des opprimés à chercher une alternative. Dans ces circonstances, les fascistes vont chercher à apparaître comme tels. L'antisémitisme est un des outils le leur permettant, puisqu'il est la base d'un pseudo-anticapitalisme racialiste présentant les Juifs et les Juives comme pseudo-classe dominante en lieu et place de la bourgeoisie. Il est destiné à récupérer et orienter la révolte d'une partie de la population, et notamment du prolétariat, dans un sens pogromiste plutôt que révolutionnaire, en la mobilisant derrière la bourgeoisie nationale contre la « domination sioniste », le « capital apatride », la « banque », et la « finance » associés à la minorité juive par le biais des stéréotypes racistes classiques. Substituer la « révolution nationale/raciale » à la « révolution sociale » est la fonction historique de l'antisémitisme, cela en créant de la confusion au sein même du camp progressiste. Ainsi, la permanence de courants antisémites tout au long de l'histoire au sein du mouvement ouvrier apparaît comme une évidence, tout comme la permanence de courants racistes ou coloniaux. Il ne saurait en être autrement : comme n'importe quel système de domination, comme le patriarcat par exemple, le racisme ne s'arrête pas à la porte des organisations progressistes et l'adhésion à ces organisations ne fait pas disparaître mécaniquement les effets de l'idéologie dominante. Or l'antisémitisme, au même titre que le racisme colonial et l'islamophobie, font partie de l'idéologie dominante en France, parce qu'elles sont une partie indissociable de l'idéologie nationaliste et du roman national français.

Se mentir ne fera pas disparaître le problème, au contraire ! Si une partie des militants est prête à accepter l'idée que l'antisémitisme existe, y compris dans les mouvements progressistes, ce phénomène est quasi-systématiquement qualifié de marginal. Ce faisant, on montre donc non seulement qu'on ne comprend pas l'utilité de l'antisémitisme pour le capitalisme en crise, mais on évacue aussi tout bilan sur les responsabilités au sein du mouvement progressiste dans le développement d'un antisémitisme de masse. Cette situation conduit à adopter vis-à-vis de l'antisémitisme l'attitude reprochée à juste titre à d'autres vis-à-vis de l'islamophobie : le refus de la clarification, le refus de la réflexion, le refus d'un retour critique établissant les responsabilités au sein du mouvement progressiste dans le développement d'une islamophobie de masse.
La récupération de certains textes de notre courant par les réactionnaires est symptomatique. Elle signifie qu'il n'y a pas de prise de conscience, qu'en période d'hégémonie culturelle de la réaction il faut éviter à tout prix de la laisser jouer sur la confusion idéologique.
Pour éviter de laisser prise à cette confusion, nos combats doivent être transversaux : notre anticolonialisme doit cibler en priorité l'impérialisme français, celui du pays dans lequel nous nous trouvons. La solidarité anticoloniale (avec les Palestiniens, les Kurdes, etc.) et l'opposition à d'autres impérialismes se font ainsi sur une base de classe claire et empêche toutes dérives telles que le soutien aux régimes dictatoriaux en Russie, en Syrie, ou en Iran. La lutte contre l'islamophobie doit s'articuler avec la lutte contre l'antisémitisme, comme la lutte contre l'antisémitisme doit s'articuler avec la lutte contre l'islamophobie et le colonialisme, faute de quoi on est amené à travailler au service des thèses dieudo-soralienne, des thèses sionistes, ainsi que celles du légitimisme républicain et bourgeois, du « choc des civilisations » ou du nationalisme français. Ce type de questionnements est nécessaire. Et il doit se lire dans chacune de nos productions si l'on veut éviter que des discours issus du camp progressiste fassent le lit de la réaction et si l'on souhaite reconstruire le camp révolutionnaire sur des bases solides et irrécupérables par nos ennemis politiques.

Le combat contre l'antisémitisme est un combat de classe
Enfin, il faut réaffirmer que le combat contre l'antisémitisme et le confusionnisme, pas plus que la qualification des discours fascistes pour ce qu'ils sont, n'est pas un combat moral. C'est une nécessité de classe, qui n'a rien à voir avec « le monde virtuel » ni avec la bonne conscience, et encore moins une vision « policière » des choses. D'abord, rappelons que la majorité des Juifs et des Juives de France fait partie du prolétariat. Ce n'est pas un hasard s'ils sont nombreux et nombreuses dans la ville populaire de Sarcelles et dans l'arrondissement le plus pauvre de Paris, le XIXe. Il est donc assez curieux d'ignorer toute cette frange du prolétariat. Cette remarque vaut également pour ceux et celles qui, comme le Parti des indigènes de la République (PIR), prétendent s'adresser aux personnes issues des anciennes colonies françaises en oubliant les Juifs et les Juives issus de familles séfarades et mizrahim.
Quiconque se bat sur le terrain de la lutte des classes peut constater à quel point le discours antisémite permet de faire disparaître la bourgeoisie aux yeux des exploités, en leur désignant une pseudo-classe dominante. Comme nous l'avons dit plus haut, c'est même sa fonction historique. À quel point il encourage au mieux la résignation, au pire la violence raciste contre les Juifs et les Juives. En effet, il est important de se rendre compte qu'on ne peut pas traiter l'antisémitisme comme d'autres formes de conspirationnisme : si la chasse aux illuminatis pousse essentiellement à l'inaction et n'a pas tellement d'impact sur le monde réel, les attaques sur les synagogues et les attentats antisémites sont une réalité difficile à ignorer.
Quiconque est investi dans la lutte des classes peut constater que l'antisémitisme est aujourd'hui, comme il l'a été historiquement au Maghreb lors de la période coloniale, utilisé par une partie des classes dominantes pour diriger la colère des autres racisés contre la minorité nationale juive tout en se présentant frauduleusement comme son protecteur. De la même manière qu'Édouard Drumont a été utilisé au Maghreb par le système colonial pour dévier la colère des colonisés dans un sens pogromiste, Dieudonné et Soral sont utilisés depuis la révolte de 2005 dans les quartiers populaires pour jouer le même rôle.
Le combat contre l'antisémitisme est une nécessité révolutionnaire. Refuser de le mener, refuser tout ce qu'il implique d'autocritique et de clarifications, c'est ouvrir la voie au fascisme, y compris parmi ceux et celles qui semblent proches de nos idées et c'est favoriser le développement des idées réactionnaires. Au sein de la minorité nationale juive, c'est également favoriser le développement politique du légitimisme (c'est-à-dire du soutien inconditionnel à l'ordre républicain bourgeois considéré comme seul défenseur des Juifs et des Juives) ou du sionisme, qui peuvent ainsi se présenter comme seules alternatives à l'antisémitisme. "

Juifs et juives révolutionnaires

 

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D
(Je réponds ici car je ne trouve pas de bouton réponse au bas de votre commentaire)<br /> <br /> En écoutant Michel Onfray sur France Culture, j'ai découvert ce que le philosophe Jankélévitch disait de l'antisémitisme. En gros, si le racisme envers les arabes et les noirs est un racisme envers celui qui a une apparence clairement différente, le racisme envers les juifs est un racisme envers le "presque semblable", envers celui qui a une différence tout juste perceptible. <br /> <br /> J'avais remarqué vos autres articles sur l'islamophobie, plus proche de ma position. Celui-ci me semblait dire, justement, le contraire (ou presque) mais il est vrai que le fond de l'article n'était pas là.
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D
La situation est franchement compliquée car beaucoup de gens fonctionnent de plus en plus selon l'appartenance à des blocs, sans aucun recul, sans aucune nuance, ce qui renforce les différentes formes de racisme. Certains juifs ou israéliens vont soutenir mordicus la politique de Nethanyaou, même dans ses aspects les plus violents pendant que certains jeunes de banlieue s'identifient de manière complètement opportuniste aux opprimés palestinens, et en appréhendant cette cause à uniquement à travers les délires des dieudo-soraliens. Et quelque chose me dit que le virtuel n'arrange pas les choses. Les causes, les religions, les pays deviennent des bannières à "liker" sur Facebook pour se construire une identité au sein d'une tribu d'amis auxquels il faut ressembler, et l'immédiateté du virtuel n'aide pas à la réflexion.<br /> <br /> Au sujet de l'islamophobie, je ne suis pas d'accord. Les premiers à avoir été traités d'islamophobes sont les dessinateurs de Charlie. Ils ne se sont jamais moqué des musulmans, mais des ISLAMISTES, c'est à dire ces fascistes qui tuent au nom de l'Islam, et qui par ailleurs tuent principalement des musulmans au nom de l'Islam. Après, c'est peut-être le terme d'islamisme, pour désigner cette forme de fascisme, qui prête à confusion. Quand on parle de catholicisme, on parle de la religion catholique et non de sa frange intégriste et/ou violente. On aurait peut-être du inventer un mot moins ambivalent pour désigner l'Islam intégriste.<br /> <br /> J'avais lu un article vraiment intéressant du journal l'Express (un journal de droite, oui, je sais) qui expliquait l'origine du terme islamophobie. En gros, ce serait le pouvoir iranien, sous Khomeini, qui l'aurait inventé pour criminaliser, au sein même de la société iranienne, les personnes qui voulaient s'affranchir des "obligations" religieuses (comme le foulard pour les femmes). Ensuite, le terme se serait exporté en Occident pour servir de bouclier anti-critique à ceux qui répandent une vision fascisante de l'Islam.<br /> <br /> Sur le sujet, je vous conseille vivement la lecture du bouquin de Charb, "Lettre aux escrocs de l'Islamophobie qui font le jeu des racistes".
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S
... merci pour ton commentaire.<br /> <br /> Disons que le fond de l'article est intéressant car pour beaucoup la lutte contre l'antisémitisme (et toutes ses formes insidieuses) est reléguée au "dernier plan". C'est un point de vue de nos Camarades "Juifs révolutionnaires".<br /> <br /> Bien évidemment, une Juive ou un Juif ne verra pas la discrimination ou le racisme à son encontre avec les mêmes yeux que les autres. L'antisémitisme est extrêmement complexe et remonte, malheureusement, à la "nuit des temps". C'est un racisme spécifique, qui est passé par beaucoup de phases (antijudaïsme chrétien, discriminations du quotidien, bouc émissaire traditionnel, de l'antisémitisme "scientifique" du XIXème siècle à la Shoah et de nos jours tout une frange soit disant "antisioniste"...). <br /> <br /> Quant à l'islamophobie, notre approche rejoint plus ou moins la tienne : le droit de critiquer les religions (mais aussi de défendre les persécutés pour leur foi) est un droit et la lutte contre les cléricalismes est primordial.<br /> <br /> >> sur ce sujet :<br /> <br /> http://www.socialisme-libertaire.fr/2015/08/et-dieu-crea-l-islamophobie.html<br /> <br /> http://www.socialisme-libertaire.fr/2015/05/l-islamophobie-n-a-rien-a-voir-avec-le-racisme.html<br /> <br /> Salutations libertaires ★