★ Pour en finir avec le salariat, gestion directe de nos activités
La gestion directe est l'alternative au salariat comme la démocratie directe est l'alternative à l'électoralisme.
Isolé, l’être humain est fragile, vulnérable. Au fil des siècles, il s'organise en société pour lutter contre les aléas de la vie. Il limite les risques, éloigne ou élimine ses prédateurs, sécurise ses ressources alimentaires, met au point des techniques de soins qui se développent de générations en générations. Libérée des contingences matérielles, la société développe les arts plastiques, la musique, les langues et la littérature pour donner du sens à la vie. La société moderne, c’est cela, mais c’est aussi un être humain sur six qui souffre de la faim, la guerre pour beaucoup, la pollution chimique ou nucléaire, le manque d’eau potable, l'aliénation par le salariat et à présent la remise en cause des acquis sociaux du 20ième siècle.
Travail, salariat : de quoi parle-t-on ?
Le travail, c’est l’exercice d’un métier, le développement de techniques et de savoir-faire, la recherche d'un certain épanouissement, la création. Mais de tels objectifs sont très sérieusement compromis par la généralisation du salariat dans un système capitaliste globalisé. Sans travail, nous devrions nous passer de bien des produits dont nous disposons aujourd’hui. Mais par le salariat, nous ne décidons plus de ce qui est produit. Nous sommes dépossédés, non seulement d’une partie du fruit de notre travail, mais aussi du sens que peut avoir le fait de produire ceci ou cela. Par le salariat, nos savoir-faire sont déconsidérés et nous sommes contraints d'exécuter une tâche répétitive à un rythme imposé. Du taylorisme au Toyotisme en passant par le Fordisme, nos êtres sont devenus des machines à produire. Décomposer le métier en gestes, en tâches, ensuite confier chaque tâche à une personne distincte, installer un tapis roulant pour imposer le rythme, chronométrer, accélérer le processus. Enfin, obtenir le consentement du salarié dans le projet de gagner en productivité par une idéologie du « travailler plus pour gagner plus ». Et produire quoi ? N’importe quoi pourvu qu’une plus-value en soit dégagée pour rémunérer les propriétaires de la machine, eux qui ne connaîtront jamais le stress de la production contrôlée.
On ne naît pas salarié, on le devient :
Dès le plus jeune âge, on nous envoie à l'école, et après des années passées à se lever tôt, nous devons être « employables ». Savoir lire, écrire, compter, et éventuellement maîtriser un métier, ou simplement un geste technique tant la division du travail est poussée à l'extrême (1) . En plus des connaissances de base, il faudra pour certains acquérir des compétences plus pointues, pour concevoir les nouveaux produits, les commercialiser, encadrer les ouvriers, rendre nos industries rentables et compétitives. Bien entendu, il s'agit d'une partie restreinte de la population. Il faudra sélectionner, d'une manière ou d'une autre. Et faire en sorte que les écartés de la promotion sociale par les études supérieures en supportent la pleine responsabilité, se sentent coupables, infériorisés, mauvais. Ils seront plus faciles à diriger plus tard ! Quant aux autres, l'élite future, on va les traiter mieux, leur permettre d'apprendre au delà des connaissances strictement utiles à leur futur métier. Mais pas trop tout de même. L'éducation nationale et les écoles privées supérieures veillent à ce que les outils intellectuels et les savoirs proposés ne donnent lieu à aucune réflexion aboutie sur les inégalités de classe, d'origine, de sexe. La liberté de penser des étudiants devient dangereuse si l'objectif est de former des cadres dociles qui mettront en œuvre les plans des élites visant à gérer au mieux de leurs intérêts la S.A. France. « … A l'université, on t'apprend à penser, et au travail, tu peux avoir des ennuis si tu le fais... ».
Bienvenu en Salariat :
C'est donc ainsi que l'on rentre dans le monde du travail, avec ou sans diplôme, mais souvent heureux d'en avoir fini avec l'école, et avec l'espoir de gagner un salaire, l'autonomie, et tout ce qui va avec. Cette transition n'est pas toujours simple. De plus en plus souvent, il sera nécessaire de chômer quelques temps, quelques mois ou années. En effet, sans expérience, que vaut-on sur un marché du travail organisé pour que les demandes d'emplois soient bien supérieures aux offres ? Encore une fois, les élites vont générer un discours culpabilisant pour faire porter la responsabilité du chômage au chômeur... Si tu étais plus qualifié, tu aurais du travail ! Le chômage de masse, c'est excellent pour les entreprises. En effet, plus cette période dure, plus les exigences du chômeur baissent. Au départ, on veut un CDI bien payé, un job intéressant et pas salissant, peinard le dimanche de préférence. Puis les mois passent et on va voir à la boîte d'intérim s'ils on pas un mi-temps, la nuit, le week-end, n'importe quoi pour survivre. Le code du travail, le droit syndical ? Mais ils ne nous en ont pas parlé à l'école ! On avait juste des cours d'éducation civique pour savoir quand et comment on votait le président et les sénateurs !
Ascension sociale :
Du côté de ceux qui abordent le monde du salariat avec des diplômes SUPÉRIEURS, l'intégration est plus rapide, avec un meilleur salaire, des égards. Et là, une question me turlupine. Comment un jeune cadre réussit-il à diriger avec l'autorité qu'il se doit son ancien camarade de classe qui se retrouve sous ses ordres ? C'est ici qu'on voit que le système est sous contrôle. Réfléchissons à l'insistance que met le système éducatif républicain à extraire des programmes supérieurs les matières comme les arts, la littérature, la philosophie. Il faut bien voir que ces connaissances développent la capacité à comprendre l'autre, la sensibilité, l'empathie, ce qui est fort dangereux si on attend justement que s'instaurent entre les individus des différentes strates salariales des rapports servant les intérêts des propriétaires. C'est ainsi que de brillants étudiants ne se voient dans la société du salariat que comme des mercenaires dans une guerre sans issue. Triste performance de « l'éducation pour la croissance économique ».
Trouver une bonne place !
Bon, mettons que nous ayons trouvé une bonne place, une grosse boîte qui ne va pas fermer demain, avec comité d'entreprise, 13ième mois, colo pour les gosses, la planque quoi ! France-Telecom par exemple, paraît qu'on y est bien... Ou la S.A. La Poste? Non, ça fait pas rêver ? Caissier(e) au carrefour du coin alors ? Des entreprises, il y en a plein, mais faut reconnaître que c'est rarement la joie ! Parlez d'épanouissement personnel à un ouvrier qui se crève toute la journée et qui ne peut pas se loger décemment; la réaction peut être vive. Un contrat de travail, qu'il soit de type CDI, CDD, CDI à durée déterminée (si, ça existe), c'est toujours la même musique : d'un côté vous avez l'entreprise, qui détient les machines, les marchés, les commandes, le pognon, avec à sa tête des personnes expérimentées. De l'autre vous avez le futur salarié, isolé, qui a besoin d'argent et qui a une paire de bras à vendre. Comment peut-on penser qu'un contrat équitable puisse être conclu entre ces deux parties ? Leurs intérêts sont tout aussi opposés que leurs moyens sont sans commune mesure. Et c'est bien sur ce type de contrats que repose le salariat. Quant aux luttes sociales du siècle dernier, qui ont diminué le niveau d'exploitation, elles ont été écartées de leur objectif initial qu'était l'abolition du salariat, et du coup n'ont pas résolu le conflit de classe.
Le travail, c'est pas la santé !
Au travail, on y meurt trop souvent ! 100 000 cercueils d'ici 2025, ce sera le prix à payer par les prolos qui ont inspiré des particules d'amiante. L'industrie du nucléaire a compris le danger et développe la technique de la sous-traitance et de l'intérim pour faire irradier des personnels qui ne bénéficieront pas de suivi médical. Prends ton césium et disparais de ma vue ! De façon générale, c'est plus de 600 salariés morts par an, toutes branches d'activité confondues et près d'un tiers dans le bâtiment. On comprendra qu'installer un filet de sécurité sur un chantier, ça fait chuter le rendement ! Deux millions et demi de salariés exposés quotidiennement à des cocktails cancérigènes, des millions d’hommes et de femmes constamment poussés aux limites de ce qu’un être humain peut supporter, moralement et physiquement. Quant aux suicides liés au travail, l'INSEE ne nous alimentera pas de ses statistiques puisqu'elles n'existent pas. C'est tabou paraît-il. Que de vies perdues pour le profit de quelques-uns ! Le salariat, quel gâchis !
Si t'as pas de boulot, exploite-toi toi-même !
La nouvelle idée de notre gouvernement, c'est le statut d'auto-entrepreneur ! Un nouveau statut de salarié, sans congés payés, sans droit au chômage, et avec en plus les factures, les devis... Pourtant, c'est une solution qui rencontre un franc succès. C'est sans doute que la dèche c'est pire que l'exploitation ! Est-on mieux dans les associations à but non lucratif ? Parfois, mais les décennies passées nous ont montré comment celles-ci savaient tirer profit des emplois-jeunes et autres astuces imaginées par l'état pour sous-payer les salariés. Et puis l'absence de profits ne signifie pas l'absence de hiérarchie des rôles et des salaires ! Plus proches de nos idées d'entraide, il reste les scop mais on distinguera celles qui pratiquent le salaire unique, qui sont la grande minorité, des autres qui sont des lieux d'exploitation dans lesquels le salarié peut être actionnaire et a droit à la parole aux assemblées générales, ce qui parfois change assez peu de choses.
Alors, on fait quoi ?
De multiples tentatives de s'organiser différemment ont été mises en œuvre de par le monde : Les soviets de Russie, les Kibboutz de Palestine, l'autogestion en Yougoslavie ou en Algérie, et surtout les collectivisations de l'Espagne de 1936. Au gré d'une situation exceptionnelle, les peuples entrevoient la possibilité de répondre à leurs besoins dans un cadre de liberté, d'équité, de justice, et s'investissent avec enthousiasme dans un tel projet. Ni exploiteurs ni exploités! Comme l'écrit E. Malatesta dans Umanita Nova en 1920 : « Le vrai communisme n'est possible que dans l'Anarchie. Le communisme est un idéal, il deviendra un régime, un mode de vie sociale dans lequel la production est organisée dans l'intérêt de tous, dans la manière d'utiliser au mieux le travail humain pour donner à tous le maximum de bien-être et de liberté possible et dans lequel tous les rapports sociaux sont conçus en vue de garantir à chacun le maximum de satisfaction et de développement matériel, moral ou intellectuel. Mais une société communiste n'est possible que dans la mesure où elle surgit spontanément du libre accord et par la volonté variable déterminée par les circonstances extérieures et les désirs de chacun ». On connait la violence dont ont fait preuve dans l'histoire les États et leurs sbires pour détruire toute tentative d'auto-organisation et pour maintenir une gestion capitaliste des activités humaines, dans un cadre hiérarchisé, pour le profit de la classe bourgeoise. Pour en finir avec l'exploitation organisée par ces voleurs, la révolution émancipatrice reste à faire.
Jean Reviain, Toulouse, août 2010
(1) Vieille idée que cette division du travail, jugez plutôt : En 1896, le sénateur américain Boies Penros loue à la fois la division du travail et la démocratie américaine en ces termes : « Je crois en la division du travail. Vous nous faites élire au congrès, nous votons des lois qui vous permettent de gagner de l'argent. Avec une partie de cet argent, vous financez nos campagnes électorales pour que nous soyons réélus, et nous votons de nouvelles lois pour que vous puissiez gagner encore plus d'argent. ».
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Pierre Kropotkine "Le Salariat" (1911).
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