★ QUE DÉMASQUER LA POLITIQUE C'EST LA TUER

Publié le par Socialisme libertaire

Anselme_Bellegarrigue anarchie anarchisme libertaire élection électoralisme vote abstention antiélectoralisme émancipation


« Je m'explique, et, dussé-je me répéter, je poserai ici cette question : 

Que dit l'électeur en déposant son bulletin dans l'urne ? Par cet acte, l'électeur dit au candidat : je vous donne ma liberté sans restriction ni réserve ; je mets à votre disposition, je livre à votre discrétion mon intelligence, mes moyens d'action, mon capital, mes revenus, mon industrie, toute ma fortune ; je vous cède mes droits et ma souveraineté. Subsidiairement, il reste entendu que la liberté, l'intelligence, les moyens d'action, le capital, les revenus, l'industrie, la fortune, les droits, la souveraineté de mes enfants, de mes proches, de mes concitoyens, tant actifs que passifs, tombent, avec tout ce que je vous transmets de mon chef propre, dans vos mains. Le tout vous est remis afin que vous en fassiez tel usage qui vous semblera bon ma garantie, c'est votre humeur.

Tel est le contrat électoral. Argumentez, controversez, discutez, interprétez, tournez, retournez, poétisez, sentimentalisez, vous ne changerez rien à cela. Tel est le contrat. Il est le même vis-à-vis de tous les candidat ; républicain ou royaliste, l'homme qui se fait élire est mon maître, je suis sa chose ; tous les Français sont sa chose.

Il reste donc bien compris que l'électorat consacre et l'aliénation de ce qui est à soi, et l'aliénation de ce qui appartient aux autres. Il est évident, dès lors, que le vote est, d'un côté, une duperie, et, de l'autre, une indélicatesse, tranchons le mot, une spoliation.

Le vote ne serait qu'une duperie universelle si tous les citoyens étaient électeurs, et si tous les électeurs votaient ; car, dans ce cas, ils resteraient quittes, les uns envers les autres, de ce que tous auraient perdu par le fait de chacun, mais qu'un seul électeur s'abstienne ou soit empêché, et la spoliation commence. Que sur neuf à dix millions d'électeurs, trois millions s'abstiennent, - ce nombre est aujourd'hui réalisé, - et les spoliés forment déjà une minorité assez imposante pour qu'il faille en tenir compte. L'antique notion de la probité dans le pouvoir est ébréchée or, remarquez bien que la décadence du pouvoir est en proportion de la ruine de cette notion.

Supposez que la moitié des électeurs inscrits reste à l'écart, la situation devient grave pour les votants et pour le gouvernement qu'ils auront fait le scepticisme politique de toute une moitié du corps social doit visiblement gêner les vieilles croyances de l'autre moitié. Et si l'on considère que ce sera précisément du côté de l'inertie calculée, motivée, réfléchie que se trouvera l'intelligence ou la liberté, ce qui est tout un, tandis qu'il n'y aura du côté du vote que l'instinct moutonnier et traditionnel, l'ignorance ou l'abnégation, ce qui revient au même, on se fera aisément une idée de la prostration qui, dans un tel état de choses, doit gagner le vieux gouvernementalisme. Nous avons atteint dans ce moment même cette période : car, si quatre millions d'électeurs ne se sont pas encore abstenus, ce n'est pas qu'ils aient à se féliciter d'avoir voté. Or, tout repentir implique l'aveu d'une faute.

Maintenant forçons l'hypothèse. Supposons que tous les adversaires du royalisme, convertis à la notion moderne que le pouvoir ne peut pas être honnête, désertent le scrutin en motivant leur désertion sur cette incontestable vérité que le vote est tout à la fois une duperie et une spoliation, et, tout aussitôt, les royalistes n'ont plus de complices ; en dehors d'eux vous ne trouverez que des hommes lésés à bon escient. L'électorat, devenu un méfait par l'illumination de l'esprit public, ce méfait leur échoit directement et sans partage : les larrons sont connus. Ou plutôt, pour rendre hommage au sens commun, disons qu'il n'y a plus de larrons du tout ; car, dès que la question se trouve réduite à ces termes sévères, mais simples et surtout vrais ; dès que la politique, descendue de ses antiques et charlatanesques hauteurs, est restituée aux forfaits dont elle a toujours été le génie déguisé, mais réel, la fiction gouvernementale disparaît et la réalité humaine se dégage de tous les malentendus qui ont, jusqu'à ce jour, engendré la lutte et les déplorables événements qui en ont été la suite.

Voilà la révolution, voilà le renversement calme, sage, rationnel de la notion traditionnelle ! Voilà la substitution démocratique de l'individu à l'Etat, des intérêts à l'idée. Aucune perturbation, aucune secousse ne sauraient se produire dans ce majestueux déchirement du nuage historique ; le soleil de la liberté se montre sans orages et chacun, prenant sa part de ses rayons généreux, se meut désormais en plein jour et s'occupe à chercher dans la société la place qu'il doit s'y faire par ses aptitudes ou son génie.

Pour être libre, voyez-vous, il n'y a qu'à vouloir. La liberté, que l'on nous a sottement appris à attendre comme un présent des hommes, la liberté est en nous, la liberté c'est nous. Ce n'est ni par fusils, ni par barricades, ni par agitations, ni par fatigues, ni par clubs, ni par scrutins qu'il faut procéder pour l'atteindre, car tout cela n'est que du dévergondage. Or, la liberté est honnête et on ne l'obtient que par la réserve, la sérénité et la décence.

Quand vous demandez la liberté au gouvernement, la niaiserie de votre demande lui apprend aussitôt que vous n'avez aucune notion de votre droit ; votre pétition est le fait d'un subalterne, vous avouez votre infériorité ; vous constatez sa suprématie et le gouvernement profite de votre ignorance et il se conduit à votre égard comme on doit se conduire à l'égard des aveugles, car vous êtes des aveugles.

Ceux qui chaque jour, dans leurs feuilles, demandent en votre nom des immunités au gouvernement font, -tout en vous laissant croire qu'ils le ruinent et l'affaiblissent, - la force et la fortune du gouvernement, force et fortune qu'ils veulent conserver, parce qu'ils les veulent atteindre un jour, avec votre concours, peuple dupé, abusée, nargué, volé, mené, roulé, attelé, chargé, fustigé par des intrigants et des crétins qui vous font faire le gros dos en vous disant des flatteries, en vous courtisant comme une puissance, en vous surchargeant d'étiquettes pompeuses comme un roi de vaudeville et en vous exposant ainsi, Prince des cabanons et de geôles, monarque de la corvée, souverain de la misère, à la risée du monde!

Je n'ai pas, pour mon compte, à vous flatter ; car je ne veux vous rien prendre, pas même la part qui me revient de vos misères et de vos hontes. Mais j'ai à vous demander, à vous, entendez-vous bien, et non pas au gouvernement, que je ne connais pas, que je ne veux pas connaître, j'ai à vous demander ma liberté que vous avez empaquetée dans le don que vous avez fait de la vôtre. Ce n'est pas à titre onéreux que je vous la demande, car pour que je sois libre, il faut que vous le soyez. Sachez l'être! Il ne s'agit pour cela que de ne plus élever personne au-dessus de vous. Séparez-vous de la politique qui mange les peuples et appliquez votre activité aux affaires qui les nourrissent et les enrichissent. Souvenez-vous que la richesse et la liberté sont solidaires comme sont solidaires la servitude et l'indigence. Tournez le dos au gouvernement et aux partis qui n'en sont que les porte-queue. Le dédain tue les gouvernements, car la lutte seule les fait vivre. Soyez enfin ce souverain qui ne discute pas avec ses gens et riez des menées ridicules du royalisme blanc et du gouvernementalisme rouge. Aucun obstacle ne saurait résister devant Sa manifestation calme et progressive de vos besoins et de vos intérêts.

« Tant que le sire de Tillac ignora qui il était, dit une légende gasconne, l'intendant le rudoya fort, mais quand dame Jehanne, sa nourrice, lui eut fait connaître ses titres et qualités, les gens du château, l'intendant en tête, vinrent s'humilier devant lui. »

Que le peuple montre à ses intendants qu'il ne s'ignore plus ; qu'il cesse de se mêler aux querelles d'antichambre, et ses intendants feront silence, tout en prenant vis-à-vis de lui l'attitude du respect. Il se doit à lui-même d'être libre, il le doit au monde qui attend, il le doit à l'enfant qui va naître.

La politique nouvelle est dans la réserve, dans l'abstention, dans l'inertie civique et dans l'activité industrielle, en d'autres termes, dans la négation même de la politique. J'aurai à développer plus amplement ces propositions. Qu'il me suffise de dire aujourd'hui que Si les républicains n'avaient pas voté aux dernières élections générales, il n'y aurait pas eu d'opposition à l'Assemblée, et s'il n'y avait pas eu d'opposition à l'Assemblée, il n'y aurait pas eu, à vrai dire, d'Assemblée. Il n'y aurait eu qu'un tohu-bohu entre les légitimistes, les orléanistes, les bonapartistes qui se seraient ruinés, les uns par les autres, à grand renfort de scandale et qui seraient tombés tous les trois, à l'heure où j'écris, sous les sifflets exhilarants de la liberté. »

Anselme Bellegarrigue, in L'Anarchie, journal de l'ordre (n°1 - 1850)
 

★ QUE DÉMASQUER LA POLITIQUE C'EST LA TUER
Commenter cet article