★ MALATESTA : LIBERTÉ OU DICTATURE ?

Publié le par Socialisme libertaire

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★ Errico Malatesta (1853 - 1932)


★ Article d’Errico Malatesta paru dans Le Réveil communiste-anarchiste
n° 547, 18 septembre 1920. 
 

« Au rebours des anarchistes, il y a nombre de révolutionnaires, qui n’ont pas confiance dans l’instinct de construction des masses, mais ils croient avoir, eux, la recette infaillible pour assurer le bonheur universel : ils disent craindre la réaction, mais ils craignent peut­-être davantage la concurrence d’autres partis ou d’autres écoles de réformateurs sociaux, et veulent ainsi s’emparer du pouvoir et substituer au gouvernement d’aujourd’hui un gouvernement dictatorial.

Dictature donc, mais qui seront les dictateurs ? Naturellement, ils songent aux chefs de leur parti. Ils disent aussi, à force d’habitude ou avec le désir conscient d’éviter les explications claires, dictature du prolétariat, mais ce n’est là qu’un trompe ­l’œil auquel on ne se laisse plus prendre.

Voici comment s’explique Lénine, ou ceux qu’ont pour mission de le défendre.

« La dictature signifie le renversement de la bourgeoisie par une avant­-garde révolutionnaire (c’est là la révolution et nullement la dictature) et cela contrairement à l’idée qu’il faut gagner au préalable la majorité électorale. C’est par la dictature qu’on gagne la majorité et non par la majorité qu’on établit la dictature. »

Très bien, mais si nous avons une minorité qui s’étant emparée du pouvoir, doit ensuite conquérir la majorité, c’est un mensonge que de parler de dictature du prolétariat, ce dernier formant évidemment la majorité.

« La dictature signifie l’emploi de la violence et de la terreur. » (Par qui et contre qui? Puisque on suppose la majorité hostile et il ne saurait être question, d’après la conception dictatoriale, d’une foule déchaînée qui prend en ses mains la chose publique, évidemment violence et terreur devront être employés contre tous ceux qui ne plient pas aux impositions de la dictature au moyen de sbires au service des dictateurs.)

« La liberté de presse et de réunion équivaudrait à autoriser la bourgeoisie à tromper l’opinion publique. » (Donc, après l’avènement de la dictature du « prolétariat », qui devrait comprendre la totalité des travailleurs, il y aura encore une bourgeoisie qui, au lieu de travailler, aura les moyens de tromper « l’opinion publique » et une opinion publique à tromper étrangère à ces mêmes prolétaires qui devraient constituer la dictature. Il y aura de même des censeurs tout puissants qui décideront de ce que l’on peut ou ne peut pas imprimer, et des commissaires auxquels il faudra demander la permission de tenir un meeting, Inutile d’insister sur la liberté dont jouiraient tous ceux qui ne seraient pas des partisans des dominateurs du moment.)

« C’est par l’expropriation des exploiteurs qu’on peut entraîner la masse des exploités. Ce n’est qu’après sa victoire que le prolétariat entraînera à sa suite la population qui suit les partis bourgeois. » (Mais encore une fois, ce prolétariat qui n’est pas la masse travailleuse, que peut-­il bien être ? Prolétaire ne signifierait-­il pas tout homme sans propriété, mais qui a certaines idées et appartient à un certain parti ?)

Renonçons donc à cette fausse expression de dictature du prolétariat propre à engendrer tant d’équivoques, et discutons de la dictature telle qu’elle est réellement, c’est-­à-­dire du gouvernement absolu d’un ou de plusieurs individus qui, s’appuyant sur un parti ou sur une armée, s’emparent de la force sociale et imposent « par la violence et la terreur » leur volonté.

Cette volonté correspondra à celle des personnes qui à un moment donne parviendront à se hisser au pouvoir. Dans le cas envisagé par nous, ce sera la volonté des communistes et par conséquent une volonté s’inspirant du bien de tous.

C’est une chose déjà fort douteuse, parce que généralement les hommes les mieux doués des qualités nécessaires pour s’emparer du pouvoir, ne sont pas les plus sincères et les plus dévoués à la chose publique ; et si l’on prêche à la masse la nécessité de se soumettre à un nouveau gouvernement, on ne fait qu’aplanir la voie aux intrigants et aux ambitieux.

Mais supposons même que les nouveaux gouvernants, les dictateurs qui devraient réaliser les buts de la révolution soient de vrais communistes, pleins de zèle, convaincus que le bonheur du genre humain dépend de leur œuvre, de leur énergie. Ce seraient des homme s calqués sur le modèle des Torquemada et des Robespierre qui, croyant bien faire.au nom du salut privé ou public, suffoqueraient toute voix discordante, détruiraient tout souille de vie libre et spontanée : et ensuite, impuissants à faire réellement le bien, incapables de résoudre les problèmes pratiques soustraits par eux à la compétence des intéressés, devraient bon gré mal gré laisser la place aux restaurateurs du passé.

La grande justification de la dictature serait l’incapacité de la masse et la nécessité de défendre la révolution contre les tentatives réactionnaires.

Si la masse était vraiment un troupeau abruti, incapable de vivre sans le bâton du berger, s’il n’y avait pas déjà une minorité suffisamment nombreuse et consciente, apte à entraîner les masses par la prédication et l’exemple, nous comprendrions alors mieux les réformistes, craignant les mouvements populaires et qui croient pouvoir peu à peu, à force de petites réformes, de petits replâtrages, miner l’Etat bourgeois et ouvrir la rouleau socialisme ; — nous comprendrions alors mieux les éducationnistes qui n’évaluant pas à sa juste valeur l’influence du milieu espèrent pouvoir changer la société en changeant d’abord tous les individus. Mais nous ne comprendrions absolument pas les partisans de la dictature, qui veulent éduquer et élever lésinasses «par la violence et la terreur» et qui devraient donner les premiers rôles d’éducateurs aux gendarmes et aux censeurs.

En réalité, personne ne pourrait instituer la dictature révolutionnaire avant que le peuple n’ait fait la révolution, prouvant ainsi par le fait sa capacité à l’entreprendre ; et alors la dictature ne pourrait que se placer au­-dessus de la révolution, la dévier, la suffoquer et la tuer.

Dans une révolution politique visant uniquement à renverser le gouvernement sans toucher à toute l’organisation sociale, une dictature peut s’emparer du pouvoir, mettre ses hommes à la place des fonctionnaires chassés et organiser d’en haut le nouveau régime.

Mais dans une révolution sociale, où toutes les bases de la vie sociale sont renversées, où la production indispensable doit être immédiatement reprise pour le compte et au profit des travailleurs, où la distribution doit être immédiatement réglée selon la justice, la dictature ne pourrait rien faire. Ou le peuple y pourvoit lui-même dans les différentes communes et pour les différentes industries, ou’ la révolution échouerait.

Peut-­être au fond les partisans de la dictature (et quelques-­uns le disent déjà ouvertement) ne désirent-­ils pour le moment qu’une révolution politique, c’est dire qu’ils voudraient s’emparer sans autre du pouvoir et transformer ensuite graduellement la société, au moyen de lois et de décrets. En ce cas, ils auraient probablement la surprise de voir au pouvoir des individus tout autres qu’eux­-mêmes, et n’importe comment ils devraient avant toute chose songer à organiser la force armée (les policiers) nécessaire à imposer le respect de leurs lois. En attendant, la bourgeoisie qui resterait en somme la détentrice de la richesse réelle, le moment critique de la colère populaire passé, préparerait la réaction, ferait entrer nombreux ses propres agents dans la police, exploiterait le malaise et la désillusion de ceux qui attendaient la réalisation immédiate du paradis terrestre… et reprendrait le pouvoir ou en gagnant à sa cause les dictateurs ou en les remplaçant par ses hommes à elle.

La peur de la réaction invoquée pour justifier le régime dictatorial est due précisément au fait que l’on prétend faire la révolution, en laissant subsister encore une classe privilégiée eu mesure de reprendre le pouvoir.

Si par contre on débute par l’expropriation complète, alors il n’y aura plus de bourgeoisie ; et toutes les forces vives du prolétariat, toutes les capacités existantes seront employées à l’œuvre de reconstruction sociale.

Enfin, si nous appliquons ce que nous venons de dire au pays où nous déployons notre activité, à l’Italie, où les masses sont pénétrées d’instincts rebelles et libertaires, où les anarchistes représentent une force considérable, encore plus par l’influence qu’ils peuvent exercer que par leur organisation, il est permis d’affirmer que toute tentative de dictature ne pourrait être faite sans déchaîner la guerre civile entre travailleurs et ne saurait triompher qu’au moyen de la tyrannie la plus féroce.

Alors, c’en serait fait du communisme.

Il n’y a qu’une seule voie de salut possible : la liberté. »

Errico Malatesta

 Le Réveil communiste-anarchiste, n° 547, 18 septembre 1920.

Le Réveil communiste-anarchiste, n° 547, 18 septembre 1920.

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