★ LE POUVOIR, C’EST L’ENNEMI
★ Anselme Bellegarrigue
in L'Anarchie, journal de l'ordre (1850).
« Il n’y a pas un journal en France qui ne couve un parti, il n’y a pas de parti qui n’aspire au pouvoir, il n’y a pas de pouvoir qui ne soit l’ennemi du Peuple.
Il n’y a pas de journal qui ne couve un parti, car il n’y a pas de journal qui s’élève à ce degré de dignité populaire, où trône le dédain calme et suprême de la souveraineté ; le Peuple est impassible comme le droit, fier comme la force, noble comme la liberté, les partis sont turbulents comme l’erreur, hargneux comme l’impuissance, vils comme le servilisme.
Il n’y a pas de parti qui n’aspire au pouvoir, car un parti est essentiellement politique et se forme, par conséquent, de l’essence même du pouvoir, source de toute politique. Que Si un parti Cessait d’être politique, il cesserait d’être un parti et rentrerait dans le peuple, c’est-à-dire dans l’ordre des intérêts, de la production, de l’industrie et des affaires.
Il n’y a pas de pouvoir qui ne soit l’ennemi du peuple, car quelles que soient les conditions dans lesquelles il se trouve placé, quel que soit l’homme qui en est investi, de quelque nom qu’on l’appelle, le pouvoir est toujours le pouvoir, c’est-à-dire le signe irréfragable de l’abdication de la souveraineté du peuple ; la consécration d’une maîtrise suprême.
Or, le maître, c’est l’ennemi.
La Fontaine l’a dit avant moi.
Le pouvoir, c’est l’ennemi dans l’ordre social et dans l’ordre politique.
- Dans l’ordre social :
Car l’industrie agricole, la mère nourricière de toutes les industries nationales, est écrasée par l’impôt dont la frappe le pouvoir et dévorée par l’usure issue fatalement du monopole financier, dont le pouvoir garantit l’exercice à ses disciples ou agents ;
Car le travail, c’est-à-dire l’intelligence, est confisqué par le pouvoir, aidé de ses baïonnettes, au profit du capital, élément brut et stupide en soi, qui serait logiquement le levier de l’industrie Si le pouvoir ne faisait point obstacle à leur mutuelle association, qui n’en est que l’éteignoir, grâce au pouvoir qui le sépare d’elle, qui ne paie qu’à demi et qui, s’il ne paie pas du tout, a, pour son usage, des lois et des tribunaux, d’institution gouvernementale disposée à ajourner à plusieurs années la satisfaction de l’appétit du travailleur lésé ;
Car le commerce, muselé par le monopole des banques, dont le pouvoir a la clé, et garrotté par le nœud coulant d’une réglementation turpide, dont le pouvoir tient le bout, peut, en vertu d’une contradiction qui serait un certificat d’idiotisme Si elle existait ailleurs que chez le peuple le plus spirituel de la terre, s’enrichir frauduleusement sur le chef indirect des femmes et des enfants, pendant qu’il lui est interdit de se ruiner sous peine d’infamie ;
Car l’enseignement est écourté, ciselé, rogné et réduit aux étroites dimensions du moule confectionné à cet effet par le pouvoir, de telle sorte que toute intelligence qui n’a pas été poinçonnée par le pouvoir est absolument comme Si elle n’était pas ;
Car celui-là précisément paie, au moyen de le pouvoir, le temple, l’église et la synagogue, qui ne va ni au temple, ni à l’église, ni à la synagogue ;
Car, pour tout dire en peu de mots, celui-là est criminel qui entend, voit, parle, écrit, sent, pense, agit autrement qu’il ne lui est enjoint par le pouvoir d’entendre, de voir, de parler, d’écrire, de sentir, de penser, d’agir.
- Dans l’ordre politique :
Car les partis n’existent et n’ensanglantent le pays que par et pour le pouvoir.
Ce n’est pas le jacobinisme que craignent les légitimistes, les orléanistes, les bonapartistes, les modérés, c’est le pouvoir des jacobins ;
Ce n’est pas encore le légitimisme que guerroient les jacobins, les orléanistes, les bonapartistes, les modérés, c’est contre le pouvoir des légitimistes.
Et réciproquement.
Tous ces partis que vous voyez se mouvoir à la surface du pays, comme flotte, l’écume sur une matière en ébullition, ne se sont pas déclarée la guerre à cause de leurs dissidences doctrinales ou de sentiment, mais bien à cause de leurs communes aspirations au pouvoir ; si chacun de ces partis pouvait se dire avec certitude que le pouvoir d’aucun de ses antagonistes ne pèserait plus sur lui, l’antagonisme cesserait instantanément, comme il cessa, le 24 février 1848, à l’époque où le peuple ayant dévoré le pouvoir, s’étaient assimilé les partis.
Il est donc vrai qu’un parti, quel qu’il soit, n’existe et n’est craint que parce qu’il aspire au pouvoir ; il est donc vrai que nul n’est dangereux qui n’a pas le pouvoir ; il est vrai, par conséquent, que quiconque a le pouvoir est tout aussitôt dangereux ; il est, par contre, surabondamment démontré qu’il ne peut exister d’autre ennemi public que le pouvoir.
Donc, socialement et politiquement parlant, le pouvoir, c’est l’ennemi.
Et comme j’ai prouvé plus haut qu’il n’y avait pas de parti qui n’aspirât au pouvoir, il s’ensuit que tout parti est préméditement l’ennemi du peuple. »