★ Un coup d’œil sur le communisme
★ Voltairine de Cleyre : Un coup d’œil sur le communisme (1893).
« Jette ton pain sur la face des eaux, car avec le temps tu le retrouveras. »
« Il y a deux ans, dans un petit salon des quartiers chics, dans la maison d’un tisserand de Philadelphie, un groupe avait coutume de se réunir toutes les deux semaines pour discuter des différences entre individualisme et communisme. On y trouvait généralement quelques quinze communistes et cinq ou six individualistes. Qu’il soit déjà reconnu ici que bien que toutes ces personnes étaient sincères dans leur recherche de la vérité, chaque camp était convaincu que l’autre faisait ses recherches dans la mauvaise direction, et pourtant autant que je puisse le constater nous étions toujours du même avis. Après une année de discussions, la substance de ces discussions fut résumée en un dialogue, paru dans le Twentieth Century. Plusieurs jours passèrent, et un nouveau fragment, écrit par M. Zametkin et critiquant le dialogue paru dans le Twentieth Century, paru dans le People du 17 Juillet.
En entreprenant une brève réponse à cette critique je n’entend pas parler au nom de ma co-autrice, Madame Slobodinsky. En temps qu’Individualiste (Note du publicateur : Voltairine de Cleyre se définissait comme anarchiste sans adjectif), je ne peux pas m’exprimer au nom de l’ « école ». C’est l’avantage que je possède sur ma critique. L’Individualisme pourrait être défini comme un qualificatif général pour des personnes ne s’accordant que sur une chose, c’est qu’elles ne sont pas forcées de s’accorder sur quoi que ce soit d’autre. Mais lorsque l’on commence à discuter du Communisme, on commence à représenter un courant commun à beaucoup de gens ; et si l’on ne représente pas ce courant correctement, on doit immédiatement se corriger – ou bien de subir l’excommunication. Je suspecte les arguments présentés par le « communiste imaginaire », qui n’étaient réellement qu’une condensation de ceux donnés par les quinze communistes dans les discussions que j’ai mentionné auparavant, seraient considérés comme hérétiques par M. Zametkin, puisqu’il est bien connu que le mouvement Communiste comprend deux individus en son sein, l’un étant le Communiste d’État et l’autre le Communiste Libre (« Free Communist »). Maintenant, mes camarades, de qui le communiste imaginaire était une représentation, et qui seront bien surpris d’apprendre de la part d’une sommité du Communisme que leurs idées ne sont qu’un homme de paille, appartiennent à une tendance connue sous le nom d’Anarchisme-Communiste. Une personne Anarchiste-Communiste est un homme (sic) d’abord et Communiste ensuite. Cette personne se retrouve généralement à défendre de nombreuses situations irréconciliables en même temps, croyant que la propriété et la compétition doivent mourir tout en admettant ne pas avoir l’autorité nécessaire pour les tuer, souhaitant l’égalité avant dans un même souffle d’en nier la possibilité, détestant la charité et pourtant espérant faire de la société un grand hospice, et, finalement, chevauchant deux chevaux allant dans deux directions différentes. Elle n’est usuellement pas sensible à la logique ; mais elle a un cœur quarante ou cinquante fois trop large pour une société du dix-neuvième siècle, et selon mon opinion vaut autant que le logicien ou la logicienne qui examine la société comme le naturalisme étudie les coléoptères, l’empalant sur ses syllogismes de la même façon que l’empereur Domitien empalait des mouches sur un bodkin pour son propre amusement. Ceci dit, une personne se revendiquant anarchiste communiste, acculée, portera toujours la liberté comme une priorité. Le Communiste d’État, pour sa part, est logique. Il a confiance en l’autorité, et l’affirme. Il ridiculise la liberté individuelle qu’il considère comme incompatible avec les intérêts de la majorité. Il crie : « Mort à la propriété et à la compétition ». Il prescrit la « saisie » et la « répression ». Il est très franc.
Maintenant, passons au « point central » de la critique, à savoir : le mauvais ajustement de l’offre à la demande dans les situations de libre compétition, résultant en une carence une fois sur mille et une surproduction le reste du temps – l’un et l’autre étant économiquement mauvais. Le Communisme, j’en déduis, créerait un système de surveillance généralisé, avec des ramifications étendues, chargé de procéder à une sorte de recensement général de la demande existante pour tout les produits manufacturiers, agricoles, miniers, forestiers, pour toutes les améliorations en terme d’éducation, de loisir ou de religion. « Madame, combien de ballons vos garçon perdent-ils au delà de la clôture de votre voisin ? Combien de boutons de robe votre petite fille perd-elle ? Monsieur, combien de bouteilles de bière stockez-vous chaque semaine dans votre cave ? Mademoiselle, avez-vous un amant ? Si oui, à quelle fréquence lui écrivez-vous et combien de feuilles de papier utilisez-vous pour chaque lettres ? Combien de gallons d’huile utilisez-vous dans la lampe de votre salon lorsque vous restez éveillée jusque tard le soir ? Ce n’est pas destiné à être personnel, mais vise simplement à obtenir les statistiques nécessaires pour préparer la production pour l’année prochaine en ballons, boutons, bière, huile, papier, etc… Monsieur le magasinier, montrez-moi vos livres, que le gouvernement puisse s’assurer que vous ne vendez pas plus que la quantité prescrite. Monsieur le gardien, combien de gens sont entrés dans le jardin zoologique la semaine dernière ? 2.000 ? Avec le rythme de croissance actuel le gouvernement vous fournira un nouvel animal dans 6 mois. Monsieur le prêtre, vos audiences décroissent. Nous devons enquêter sur cette question. Si la demande n’est pas suffisamment forte, nous devons vous abolir. » Juste quels moyens seront pris par la Commune en cas de manque, comme, par exemple, la défaillance des puits de gaz de l’Ouest de la Pennsylvanie, pour continuer à distribuer les « quantités prescrites », je ne peux que le conjecturer. Elle pourrait officiellement ordonner l’introduction d’une invention pour prendre la place du produit manquant. Si cela ne fonctionne pas, je ne sais pas quel plan pourrait être adopté pour préserver l’équivalence des coûts de production dans l’échange et avoir tout le monde satisfait. L’omniscience, cependant, pourrait aider. La loi de la compétition est que le prix d’un produit se faisant plus rare augmente. La libre compétition empêcherait des raréfactions artificielles des produits sur le marché ; mais si la nature se lançait dans le commerce, la marchandise exigerait une prime en échange, jusqu’à ce qu’un substitut en ai diminué la demande. « Ah, », s’écrie le Communisme, « Injustice ». À qui ? « La personne qui a été volée dans l’échange. » Et vous, que feriez-vous ? Échanger l’équivalent du travail au premiers venus et laisser les autres sans ? Mais que devient alors l’égal droit des autres, qui auraient pu être très empressés à payer plus qu’autrui pour avoir accès à un produit – où est alors l’injustice ? Comme notre critique l’observe, cependant, la raréfaction des produits n’est pas le principal problème, la raréfaction due à des sources naturelles tout particulièrement. L’essentiel est de savoir si nous devons acquérir des licences, bénéficier de protections, subir des régulations, des étiquetages, des taxes, des confiscations, des espionnages, et généralement des manipulations, afin que des statistiques correctes puissent être obtenues et une « quantité prescrite »; ou bien pourrions nous faire confiance aux producteurs et productrices de veiller suffisamment à leurs propres intérêts pour éviter des marchés sous-approvisionnés et surchargés ? Soit nous attendons de la part des personnes concernées la capacité de s’organiser elles-mêmes, soit nous attendons de recevoir des directives gouvernementales de la part de gens qui nous sont complètement étrangères. Pour ma part, aussitôt que je retrouverais une bureaucratie envahissante fouiller dans ma cuisine, ma lessive, ma salle à manger, mon bureau, pour savoir ce que je mange, ce avec quoi je m’habille, comment ma table est dressée, combien de fois je me lave, combien de livres j’ai, si mes images sont « morales » ou « immorales », ce que je jette, etc., ad nauseam, à la manière du Pérou ou de l’Égypte antique, je préfèrerais laisser plusieurs milliers de choux pourrir, même s’ils s’avéraient être les miens.
Il est possible que j’apprenne quelque chose de cela. »
Voltairine de Cleyre
★ Article tiré et traduit du receuil de texte « Markets not Capitalism (individualist anarchism against bosses, inequality, corporate power, and structural poverty) », sous le nom : « A glance at communism ».