★ Buenaventura Durruti
Le 14 juillet 1896, dans la famille Durruti-Demange, à León (Espagne), naît Buenaventura.
A cette époque-là, en Espagne, le malaise est général. Les affrontements se multiplient entre les forces de l'ordre et les journaliers andalous, les mineurs asturiens, ou les ouvriers basques ou catalans. 1898 par ailleurs, marque l'effondrement de ce qu'il reste de l'empire colonial. En 1903, le père de Buenaventura est arrêté parce qu'il a participé à une grève et les représailles qui s'ensuivent touchent toute la famille. L'enfant continue tout de même à aller en classe jusqu'à 14 ans, âge où il entre comme apprenti mécanicien dans l'atelier de Melchor Martinez qui est considéré comme un révolutionnaire acharné parce qu'il lit El Socialista dans les bars.
En 1912, il adhère à l'Union des Métallurgistes, association liée à l'Union General de Trabajadores (UGT), seul syndicat existant à León. Très vite, il commence à discuter et à se démarquer des dirigeants qui ne voient pas d'un très bon oeil ce qu'ils qualifient "d'impatience révolutionnaire" et qu'ils opposent à "l'opportunisme politique".
L'Espagne connaît alors une période d'essor industriel, mais aussi de mécontentement grandissant, de grèves continuelles. La vie des ouvriers devient de plus en plus difficile. Le gouvernement décide également de rétablir la censure. La CNT et l'UGT signent alors un accord où est annoncée la grève générale pour le 13 août 1917 qui dure quelques jours. A cette époque, Buenaventura Durruti se trouve à Matallana pour y installer des machines dans les mines. Il décide alors avec ses camarades d'être solidaire des grévistes et gagne ainsi une certaine popularité dans la région des Asturies et du León. Le gouvernement espagnol fit appel à l'armée pour faire cesser cette grève, ils tuèrent 70 personnes, blessèrent plus de 500 travailleurs et 2000 grévistes furent emprisonnés sans procès légal. L'armée avait, d'après un observateur : « Sauvé le pays ». Finalement Durruti est licencié et expulsé de l'Union Métallurgiste.
Durruti s'enfuit en France.
Exilé à Gijon (Espagne) par la répression, il rencontre Manuel Buenacasa, qui l’initie aux théories anarchistes. Refusant le service militaire, il part pour Paris. Durant son exil jusqu'en 1920, Durruti travailla à Paris comme mécanicien. Il y rencontrera Sébastien Faure, Louis Lecoin et Émile Cottin.
C'est avec eux qu'il découvre l'anarchie et il comprend qu'elle correspond au socialisme révolutionnaire qui est le sien.
Durruti retourna à Barcelone et devint un militant influent à l'intérieur de deux des plus grandes organisations anarchistes d'Espagne à cet époque : la Confederación nacional del trabajo (CNT) et la Federación anarquista ibérica (FAI). Il refuse les responsabilités que lui propose le Comité de la CNT, pour lui : "L'important n'est pas le poste de responsable. L'important c'est la vigilance de la base pour obliger ceux d'en haut à faire leur devoir sans tomber dans la bureaucratie."
En Espagne, l'agitation sociale se poursuit : contre la montée en force du syndicalisme, c'est l'escalade de la répression, des arrestations, du "pistolerismo" officiel et du cynisme de la fameuse "ley de fugas". C'est alors que se forme le groupe anarchiste "Los Justicieros" avec la participation de Durruti.
Il projette un attentat contre le roi Alphonse-XIII, mais les préparatifs sont découverts et on attribue le complot à Durruti. Il s'enfuit alors avec ses camarades vers Barcelone, il s'arrête à Saragosse, région de forte tradition anarchiste où règne à ce moment-là une relative tranquillité qui va bientôt disparaître. Lors de la clôture de la Conférence des Syndicats de Saragosse, Salvador Segui accuse publiquement le gouvernement du terrorisme existant dans le pays. Francisco Ascaso que la pression populaire a réussi à faire libérer de prison peut alors rencontrer Durruti.
Fin 1922, face au système de répression aveugle et systématique de la part du gouvernement, ils décident de constituer un nouveau groupe : "Los Solidarios" dans le but est de faire face à la violence du "pistolerismo" et de soutenir la structure de la CNT dans une perspective anarchiste.
Durruti est en prison à Madrid lorsque se produisent les attentats de mai et juin 1923 où trouvent la mort le gouverneur Regueral à Saint Sébastien et le cardinal Soldevila à Saragosse, des attentats qui viennent en réponse aux assassinats de Salvador Ségui et Francisco Comas.
A partir de ce moment, la vie de Durruti et Ascaso devient un incessant aller et retour entre Espagne et pays étrangers. Au début de la dictature de Miguel Primo de Rivera, ils s'enfuient tous deux en France où ils fréquentent les milieux anarchistes. Ils partent ensuite pour l'Amérique : Cuba, Mexique, Chili, Argentine... Là, ils se font connaître sous le nom de "Los Errantes". Recherchés par la police après un hold-up dans une banque, ils se réfugient en Uruguay dans le but de regagner la France, ce qui est fait en mai 1926.
Comme on annonce à Paris la visite d'Alphonse XIII et de Miguel Primo de Rivera, ils veulent préparer un coup d'éclat, mais la police française intervient. Grâce aux interventions des infatigables Louis Lecoin, Sébastien Faure et l'avocat Henri Torres, et grâce aussi à la mobilisation des parisiens, Ascaso, Durruti et Jover retrouvent leur liberté le 14 juillet 1927 sous une condition : ils doivent quitter le territoire français dans un délai de deux semaines. C'est précisément au cours de ces quelques jours que Durruti rencontre Makhno.
La police permet à Durruti et Ascaso à entrer clandestinement en Belgique. Ils restent quelque temps à Bruxelles, soutenus par Hem Day, jusqu'à ce que la police belge à son tour les fasse à repasser en France. Après une nouvelle expulsion, on les retrouve en Allemagne où ils rencontrent Augustin Souchy et Rudolf Rocker.
Ils reviennent finalement en Belgique à la faveur des nouvelles lois qui leur permettent de rester dans le pays à condition de changer de nom. Une nouvelle vie commence. Ils obtiennent du travail -Ascaso comme peintre et Durruti comme mécanicien-, ils retrouvent leurs compagnes, Berthe et Émilienne, se mettent aux études et Durruti s'occupe plus précisément du Comité Anarchiste International qui édite des publications intéressant le mouvement anarchiste en général.
Pendant ce temps, en Espagne, la dictature de Primo de Rivera est remplacée par celle moins stricte de Berenguer. La CNT reprend ses forces, les républicains accentuent leur pression. En décembre 1930, c'est l'insurrection de Jaca qui se termine par la condamnation à mort et l'exécution de ses deux instigateurs : Garcia Hernandez et Galan.
Le 14 avril 1931, c'est l'enthousiasme général qui accueille la "Nina bonita" ou nouvelle république.
Durruti revient à Barcelone dès le 15 avril dans une ambiance de liesse. Mais, déjà le 1er mai, les travailleurs de la CNT sont victimes d'une provocation qui ne dégénère pas grâce en particulier au sang-froid de Durruti. Le 10 juin à Madrid débute le IIIème Congrès National de la CNT. Les positions radicalement différentes de Peiro et Pestana (proche du manifeste des trente) d'une part et de Durruti, Ascaso et Garcia Oliver d'autre part, sont inconciliables.
En juillet, c'est la grève nationale de la Compagnie des Téléphones "La Telefonica", et son cortège d'arrestations, d'assassinats.
Lors de la Publication du Manifeste des Trente, la presse bourgeoise qui le reproduit intégralement en profite pour qualifier les anarchistes de "bandits avec la carte de la CNT". Durruti participe constamment à des meetings, des assemblées, des réunions. A León, il subit un chantage pour l'empêcher de prendre la parole lors d'un meeting et finalement il reçoit une somme d'argent comme indemnité de son licenciement de 1917 !
En prenant comme prétexte de mettre fin à la rébellion de Figols, le 19 janvier 1932, le gouvernement envoie quelques 110 militants de la CNT dans le bateau-prison "Buenos Aires" qui met le cap sur l'Afrique dans une "traversée" qui va durer presque neuf mois.
A leur retour à Barcelone, Ascaso, Durruti et Cano Ruiz -les trois derniers à être libérés- peuvent constater que malgré tout, la CNT est passée de 800 000 à presque 1 200 000 adhérents. L'activité militante est incessante.
Le groupe "Nosotros" avec Ascaso, Durruti, Garcia Oliver, incarne le côté le plus dynamique de la CNT et de la FAI. Cependant, des mesures répressives sont instaurées par le Front Populaire : elles n'en sont que plus intolérables. Durruti proclame lors du meeting du 10 décembre 1932 :
Les républicains et les socialistes du gouvernement ont pensé que les hommes et les femmes qui militent et agissent dans les rangs de la CNT et de la FAI, sont un troupeau qu'ils dirigent et gouvernent depuis leurs partis. Et donc ils ont conclu que s'ils emprisonnaient quelques "chefs" et en en déportaient quelques autres, la CNT cesserait d'agir et qu'ils pourraient eux continuer à manger tranquillement dans les râteliers de l’État. Ils se sont trompés dans leurs calculs et ils ont ainsi une fois de plus démontré leur méconnaissance de la réalité sociale et de la raison d'être de l'anarchisme.
La droite remporte sans surprise les élections en novembre 1933.
Les syndicats savent déjà que le gouvernement va conserver la même ligne en la durcissant si possible, en utilisant des lois funestes comme celle du "vagabondage" (ley de vagos y maleantes) qui est maintenant applicable aux socialistes et autres militants de gauche. La CNT se prépare à résister à la répression qui va augmenter vertigineusement. Après les insurrections d'Aragon et des Asturies, en 1935, 30 000 personnes sont emprisonnées pour leurs opinions politiques. Les élections approchent. La CNT et la FAI organisent des meetings où participe Durruti récemment libéré de prison et où il proclame avec passion que l'Espagne est à la veille d'une révolution ou d'une guerre civile.
Nul besoin de rappeler les résultats de ces élections ni l'agitation qui s'en suit jusqu'au fatidique 18 juillet. Le 17 février 1936, le lendemain même des élections, Calvo Sotelo et le Général Franco se présentent devant Tortela Valladares -responsable du pouvoir selon la Constitution- pour exiger de lui qu'il décrète immédiatement l'état de siège.
Travaillant étroitement avec ses camarades, Durruti aida à la coordination de la résistance face à la rébellion militaire. Très vite la Colonne Durruti est créée. Elle part le 24 juillet avec ses 3000 hommes pour Zaragosse. La colonne Durruti, organisée à la hâte, fait reculer le front jusqu’à l’Èbre et libère l’Aragon, où pour la première fois apparaissent, sous le nom de « collectivités », des entités sociales dont la gestion est confiée à l’ensemble des individus. Après une brève et sanglante bataille à Caspe, la colonne s'arrête à Pina de Ebro. Sur les conseil d'un officier régulier de l'armée, ils remirent à plus tard l'assaut de Zaragoza. À mesure que s’instaurait l’expérience libertaire, le gouvernement central s’employait à neutraliser l’action de Durruti : refus de lui accorder des armes, tracasseries administratives et hostilité de plus en plus active du Parti communiste. À la différence d’autres responsables anarchistes, Durruti ne s’est jamais autorisé des succès remportés pour s’arroger quelque pouvoir personnel que ce soit. Son erreur fut peut-être de s’accommoder des mécanismes d’un pouvoir en place, qui ne pouvait que se dresser contre lui.
Lors de l’offensive contre Madrid, en octobre-novembre 1936, la colonne Durruti est appelée à la rescousse et dirigée sur le quartier le plus menacé. Le 19 novembre, Durruti est mortellement blessé dans des conditions assez mystérieuses (une mitrailleuse emballé au sein de la colonne ; le matériel de mauvaise qualité ou le manque de matériel faisant défaut aux combattants).
Le corps de Durruti fut transporté à travers le pays jusqu'à Barcelone pour ses funérailles.
Plus de 250000 personnes défilèrent dans la rue pour accompagner le cortège funéraire sur la route jusqu'au cimetière. Ce fut la dernière démonstration publique à grande échelle de la force des anarchistes pendant la guerre civile espagnole.
La disparition de Durruti et l’affaiblissement des milices anarchistes allaient faciliter une politique de répression, qui culmina avec la liquidation des collectivités aragonaises et les affrontements de Barcelone en 1937.
Il n'y a que deux routes pour la classe ouvrière, la Liberté, ou la victoire des fascistes, qui veut dire la Tyrannie. Les combattants des deux côtés savent ce qui est en réserve pour le perdant. Nous sommes prêts à mettre fin au fascisme une fois pour toutes, même en dépit du gouvernement Républicain.