★ LE PRIX EXORBITANT DE LA DÉMESURE

Publié le par Socialisme libertaire

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★ ARTICLE EXTRAIT DU MONDE LIBERTAIRE N°1829 DE JUIN 2021.  
 

« L’arrogance, l’autosatisfaction, l’optimisme béat et la loi du profit ont conduit à considérer prématurément les maladies infectieuses comme appartenant au passé (des moyens spécifiques ont été supprimés), à ignorer les multiples avertissements émis, notamment depuis le milieu des années 2000 – et même bien avant – par des dizaines de scientifiques à plusieurs occasions (SARS, Zika, grippe aviaire H1N1, Nipah…), à découpler la santé des humains de celle de l’environnement. Or une vision globale, une approche transdisciplinaire, une perception écologique de l’émergence des maladies permettent d’entrevoir la complexité des relations, des interactions entre les agents pathogènes, leurs hôtes et l’environnement, et donc la difficulté à prévoir cette émergence.

On sait que la pandémie du Covid-19, comme d’autres d’ailleurs, n’est pas le fruit du hasard. Elle doit être vue à la fois comme un échec et un coup de semonce. Les facteurs favorisant les risques sanitaires sont connus : les activités industrielles qui bouleversent le comportement des communautés animales, les chaînes alimentaires, et qui permettent aux humains d’entrer en contact avec des animaux sauvages et les pathogènes nichés dans des espaces jusque-là intacts. Et en premier lieu, la déforestation, souvent à des fins de monocultures, le changement d’usage des sols, la destruction des habitats naturels, l’urbanisation dévoreuse d’espace, le commerce et les voyages internationaux, la croissance démographique, l’élevage industriel aboutissant à sélectionner quelques races standardisées génétiquement, et donc vulnérables aux maladies, ainsi que les marchés d’animaux sauvages sources d’entassement et de stress. Avec en prime les animaux domestiques servant de pont épidémiologique entre la faune et les humains. La résultante de toutes ces forces étant la réduction de la biodiversité dont on sait que la richesse limite la transmission et la virulence des pathogènes.

Le virus, allié du capital ? 
Comme on pouvait s’y attendre, la réponse des dirigeants à la « crise » sanitaire a pris la forme d’une dérive biosécuritaire par la multiplication de mesures coercitives, ce qui présente l’immense avantage d’évacuer le débat sur les causes de l’émergence de cette pandémie. Il ne fait aucun doute que les classes dirigeantes utiliseront tous les moyens légaux et illégaux pour se maintenir au pouvoir. C’est en parfaite logique que tous les gouvernements ont utilisé cette « crise » sanitaire pour accroître leur contrôle politique et social, avec une mention particulière pour la Chine. Il s’agissait, tout en contenant la propagation du virus, de maintenir les productions « essentielles », d’éviter la faillite des grands groupes, de sauver le système.

Cette « crise » aura au moins contribué à rendre plus visibles, non pas seulement les incohérences, mais les contradictions, l’abjection dudit système. Les dirigeants imposent port du masque, distanciation sociale, couvre-feu et confinement (un ouvrier est assassiné au Mexique pour ne pas avoir porté le masque à l’extérieur de son domicile !).

Dans le même temps, les patrons des multinationales notamment poussent à la reprise de la production et contraignent au travail avec une protection minimale. Aux États-Unis, le ralentissement de l’activité économique contraint à enterrer des récoltes invendables, à déverser sur le sol des millions de litres de lait, à faire avorter des milliers de truies ou à euthanasier des milliers de poules pondeuses, alors que des dizaines de millions de personnes souffrent de la faim. Et c’est l’ensemble des dirigeants d’un système fondé sur l’individualisme exacerbé, la compétition acharnée et la haine d’autrui assumée qui en appelle à… la solidarité !!

Des crimes impunis 
Mais au nom de quoi les chiens de garde du capital s’autorisent-ils à infliger des amendes pour le non-respect du port du masque, quand on sait que la pandémie n’est que l’aboutissement logique du passage en force de la société industrielle imposée aux catégories dominées et du saccage de la planète qui en résulte ? Combien devraient payer ceux qui ont peut-être compromis définitivement l’avenir de l’humanité ?

Ceux qui ont rendu désirable un « progrès qui marche à l’aveugle sans criterium ni boussole » (E. Huzar), qui, souvent conscients des risques, ont choisi d’ignorer les conséquences lointaines de productions toujours plus puissantes, et qui ont vanté les promesses du futur pour mieux justifier les victimes présentes. Ceux qui ont accéléré l’artificialisation du monde en concevant la nature comme une mécanique inerte qu’il fallait dominer, et qui ont conforté la libéralisation/marchandisation de l’environnement adaptée à l’émergence du capitalisme industriel, préférant compenser les dommages environnementaux plutôt que de les éviter. Ceux qui ont imposé les régulations, les normes de sécurité, les procédures d’autorisation ou les enquêtes sanitaires pour légitimer le fait accompli technologique et ses illusions de toute-puissance. Ceux qui ont discrédité les prétendues « peurs irrationnelles » que susciterait la science pour asseoir la consommation ostentatoire, promouvoir le crédit, la mode, le gaspillage et l’obsolescence programmée des produits. Ceux qui ont contribué à l’intensification du travail et subordonné l’ouvrier aux savoirs et aux machines des ingénieurs, en rendant inaudible son discours dénonçant la déqualification et la dépossession de ses savoir-faire. Ceux qui ont transformé l’aménagement du territoire en arme de destruction massive par des politiques publiques ajustées aux exigences du capital. Ceux qui ont constamment œuvré à l’extractivisme des ressources minières et énergétiques, repoussant toujours plus loin les limites géographiques et technologiques de l’exploitation d’une planète devenue un gigantesque chantier, en défense d’un ordre industriel, productiviste et consumériste… mais sous couvert d’une « mission civilisatrice ». Ceux qui ont éventré les forêts pour coloniser la planète ou garnir leurs comptes en banque, les transformant en usines à bois… d’où sortent les virus !

C’est-à-dire les classes politiques avides de pouvoir, les requins de la finance, les capitaines d’industrie forcément au service de l’emploi, les experts et technocrates hors-sol gonflés d’arrogance, les hauts fonctionnaires « modernisateurs » l’œil rivé sur les statistiques des taux d’équipement, les états-majors militaires fanatiques de conquête et de domination, les scientifiques peu scrupuleux, les publicitaires qui ont homogénéisé la culture et valorisé la société du spectacle, les juristes acharnés à protéger la propriété privée et intellectuelle… Autant de malfaiteurs qui ont commis l’irréparable et qui n’auront jamais à répondre de leurs actes. Auxquels il faut ajouter les prospectivistes et les futurologues, ces visionnaires qui n’ont rien vu venir, tel un J. Fourastié qui exhortait à « s’affranchir de l’état larvaire » et même de la « vie végétative traditionnelle » !!

Un avenir de plus en plus aléatoire 
Parce que l’enjeu n’est pas seulement d’avoir un peu dégradé les écosystèmes ou provoqué l’enlaidissement du monde, mais d’avoir infligé aux générations futures des conditions de vie difficiles, d’avoir compromis l’habitabilité de la planète, et peut-être d’avoir définitivement voué l’humanité aux ouragans, aux méga-feux et aux virus.

Déjà les menaces les plus lourdes s’accumulaient depuis des décennies, avec les perturbations climatiques comme accélérateurs des fléaux. L’épuisement des ressources énergétiques et minières : chaque année, 60 milliards de tonnes de ressources renouvelables et non renouvelables sont extraites ! Il va désormais falloir aller chercher dans des endroits moins accessibles des minerais moins riches, et donc plus chers, et il n’existe aucun substitut raisonnable pour beaucoup d’éléments. La fragilité des systèmes agroalimentaires soumis à des aléas de plus en plus nombreux : réduction des surfaces agricoles (la superficie des zones urbaines a crû de 100 % depuis 1992), érosion des sols, sécheresses, inondations, tempêtes, ravageurs, maladies, incendies, avec des effets en cascade et des dégâts particulièrement préjudiciables aux moyens de subsistance des petits exploitants. L’accumulation des déchets, l’acidification des océans, la déforestation, le déclin de la biodiversité… Autant de bombes à retardement.

Aujourd’hui la pandémie du Covid-19 – dont le coût sera astronomique - semble supplanter l’ensemble des autres dangers auxquels l’humanité doit faire face. On partage totalement les craintes de beaucoup, concernant l’autoritarisme des dirigeants, les atteintes aux libertés fondamentales, l’opportunisme pour accélérer la numérisation et le contrôle de la vie quotidienne. Il reste que pratiquer la politique de l’autruche ne résoudra rien et qu’évoquer l’intelligence de chacun pour savoir ce qu’il doit faire paraît très aventuré.

« Nous allons avoir beaucoup de surprises, car notre imagination fertile est loin de pouvoir envisager tous les tours que peut nous jouer la nature. Certains vont trouver que j’exagère, mais les catastrophes sont devant nous. C’est la lutte pour la vie entre nous et les microbes, virus ou bactéries. Et rien ne garantit que nous en sortions vivants ». C’est par ces mots que le généticien J. Lederberg ouvrait la conférence de Washington sur les virus émergents… en 1989. Et la déforestation se poursuit sans relâche.

Déforestation...

Déforestation...

Par ailleurs, en Alaska, au Groenland, au Canada et en Russie, le permafrost dégèle plus vite qu’on ne le pensait. Or, il constitue un réservoir de virus et de bactéries, de méthane et de carbone.

Nous n’avons pas voulu voir que la complexité d’un système l’expose à une plus grande fragilité. Aujourd’hui nous constatons que la plus grande menace pour notre surpuissance provient du monde de l’infiniment petit. Notre civilisation renferme la cause même de son effondrement ; elle est contrainte d’accélérer pour résoudre les problèmes qu’elle a elle-même créés. Rompre avec la logique mortifère du capitalisme est le premier bon réflexe, mais le véritable défi est d’apprendre à se réinsérer dans la nature avant de l’avoir rendue définitivement hostile à la vie humaine. »
 

Jean-Pierre TERTRAIS - Avril 2021
 

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