★ LE BESOIN D’UN MOUVEMENT ANARCHISTE RÉVOLUTIONNAIRE N’A JAMAIS ÉTÉ AUSSI GRAND
« Ces derniers temps, on parle beaucoup de l’anarchisme dans les médias. Les anarchistes sont critiqués et dénoncés par un large éventail de politiques. Trump et ses partisans dénoncent les anarchistes et les antifas comme étant les figures de proue des manifestations du mouvement Black Lives Matter [ Black Lives Matter (BLM) — « Les vies noires comptent », mouvement politique né en 2013 aux États-Unis dans la communauté afro-américaine militant contre le racisme systémique envers les [dénommés] ].
Les Démocrates font une distinction entre des dénommés manifestants pacifiques et les méchants et violents anarchistes, qu’ils accusent, reprenant le discours des Républicains, de porter atteinte à la propriété privée et de se livrer au pillage.
En réalité, les anarchistes sont engagés dans un large éventail d’activités au sein du mouvement de contestation. Des idées, sinon anarchistes, du moins coïncidant avec l’anarchisme, circulent au sein des mouvements de révolte. L’idée que les gens descendent directement dans la rue plutôt que d’attendre de voter toutes les x années pour envoyer un politicien prendre des décisions à notre place, est anarchiste. Les revendications du mouvement BLM, y compris ses appels à démanteler la police et même à l’abolir, sont différentes des appels habituels à une réforme ou à une plus grande sensibilisation des flics lors de leur formation.
Il y a peu de chances que ces actions aboutissent à une révolution anarchiste populaire dans un futur proche, mais cela contribuera-t-il à créer un mouvement anarchiste révolutionnaire organisé ? Organisé ne veut pas dire création d’un quelconque parti, d’une organisation ayant pour but de prendre le pouvoir de l’État et de gouverner le peuple. Les anarchistes ne disent pas aux gens quoi faire. Ils sont dans le dialogue avec les autres, contribuant par leurs propres idées ouvertement et honnêtement, encourageant les autres à s’auto-organiser de façon indépendante et s’opposant aux approches autoritaires.
La politique américaine est fortement polarisée. Le Parti Républicain, autrefois de centre-droit, est devenue une extrême droite charismatique. Il se fond avec les néonazis ainsi qu’avec les cinglés fascistes de Qanon. Les démocrates ont suivi le glissement à droite et sont désormais un parti de centre-droite. Mais ils ont dû réagir à la résurgence de la gauche en développant une aile dite progressiste, même si elle n’existe que sur le papier.
Les Démocrates n’osent pas pousser aussi loin sur leur gauche que les républicains sur leur droite. La base républicaine peut devenir hystériquement folle et se vautrer dans le fascisme, sans menacer les fondations du système. Mais si la base démocrate des Afro-Américains, des Latinos, des travailleurs syndiqués, des femmes, des écologistes, des LGBT et d’autres devenait trop militante, cela secouerait l’ordre établi.
Leurs besoins ne pourraient pas être satisfaits sans toucher en profondeur au capitalisme et à l’État. Les travailleurs.ses en colère pourraient même organiser des grèves de masse et bloquer l’économie, voire occuper des lieux de travail et des usines et les faire tourner en autogestion. L’élite au pouvoir dont le Parti Démocrate fait partie ne le permettra pas.
Par conséquent, il est extrêmement important pour eux de discréditer les anarchistes. Des efforts massifs ont été faits, en particulier du côté des Démocrates, pour canaliser le mécontentement vers le système électoral. Un signe de leur virage à gauche a été le soutien grandissant à ce que ses partisans appellent socialisme mais qui ne relève que de programmes gouvernementaux dans le prolongement de ceux que l’on trouve dans les pays scandinaves.
Cet enthousiasme, en particulier de la part des jeunes (quel que soit leur sens du socialisme), s’est manifesté lors des récentes primaires démocrates pour la présidence, dont le but premier était le soutien à la campagne de Bernie Sanders. Même lorsque celui-ci s’est retiré de la course, les Socialistes Démocrates d’Amérique se sont recentrés sur le principe électoral tandis que Bernie apportait entièrement son soutien au candidat démocrate.
Cependant, d’anciens partisans de Bernie déçus par les Démocrates, se sont tourné.e.s dans une direction anti-électorale, proche des anarchistes.
Contrairement à l’image des anarchistes donnée par les médias, celle d’un bloc monolithique effrayant, il y a des différences entre eux/elles sur de nombreux sujets. À propos de la violence, par exemple, beaucoup anarchistes sont absolument pacifistes tandis que d’autres utiliseront la force en état de légitime défense, mais presque tou.te,s font la distinction entre la destruction de biens et les attaques contre les personnes. Beaucoup croient en une stratégie à long terme de construction d’institutions alternatives jusqu’à pouvoir, il faut l’espérer, remplacer l’économie capitaliste et l’État. D’autres, sans rejeter les institutions alternatives, croient qu’il faudra aller à la confrontation directe avec l’État et la classe capitaliste à un moment donné et que cela prendra la forme d’une insurrection révolutionnaire. Les deux tendances (qui se recouvrent) soutiennent les manifestations populaires du BLM.
Dans les manifestations et leur organisation, les anarchistes travaillent souvent comme médecins, en soutien de type banque alimentaire, aide juridique et autres tâches, tout en étant en première ligne contre la police. Les manifestations du BLM ont révélé qu’il y a une large fraction d’anarchistes "noirs" ou, selon un autre terme, "de couleur". Ils font leurs les idées anarchistes à travers l’antiracisme et leurs propres expériences.
L’establishment essaie de saper la tendance à l’anarchisme par tous les moyens possibles. Comme je l’ai dit, il y a la critique des courants anarchistes aussi bien par la droite que par les plus libéraux. L’utilisation provocatrice de la violence par les groupes fascistes et les flics comme source, pour une part, de la violence et des dommages matériels, est généralement ignorée.
Réduire les fonds de la police, malgré les cris d’horreur de la droite, revient juste à transférer l’argent public vers différentes agences de sécurité pendant que les flics se réorganisent pour continuer à contrôler les pauvres et à réprimer la contestation. Même la revendication la plus radicale, celle d’abolir la police, est simplement libérale si elle est interprétée dans le sens de l’élimination d’une police spécialisée tout en maintenant le capitalisme et l’État.
Dire que la police peut être abolie sans révolution pour créer un autre type de société, est illusoire. L’idée répandue que les anarchistes voudraient une société identique à la société actuelle, mais sans flics, est bien entendu fausse. La société de classes est une auto-justification pour maintenir la puissance armée de l’État. Laisser le capitalisme en place sans les forces de l’ordre actuelles entraînerait le chaos (l’anarchie, comme le diraient les médias) jusqu’à ce que l’ordre soit rétabli par des gangs criminels, des mafieux, la police privée d’entreprise, ou une combinaison des trois. La plupart des gens, peu importe à quel point ils détestent la police, le savent. Les anarchistes peuvent soutenir les demandes de démantèlement ou d’abolition de la police, ou d’autres réformes telles que la fin des lois sur la drogue, tout en expliquant que cela ne peut être pleinement accompli qu’après une révolution.
Il y a une pression énorme pour pousser notre mouvement à modérer nos revendications maximalistes. Cela se produit alors que le monde fait face à une accumulation de catastrophes rendant les solutions douces complètement inadéquates : la pandémie, la dépression qu’elle a provoquée, le racisme et la répression policière, la catastrophe climatique et les pics de chaleur qui s’en suivent, les tempêtes violentes et les incendies de forêt, ainsi que la présidence Trump, les guerres qui se poursuivent, les tensions accrues entre les États-Unis et la Chine et une nouvelle course aux armements nucléaires. Et tout cela exige de se projeter au-delà de simples réformes.
Dans ces conditions, rien ne pourrait être plus important que le développement et la cohérence de l’anarchisme révolutionnaire. On ne sait pas comment ce bouleversement pourrait se produire. L’Amérique du Nord est vaste, il est peu probable qu’une seule organisation, réseau ou fédération puisse rassembler ou rassemble toutes les meilleures idées.
Une révolution, si jamais elle se produit, sera le fait d’un front uni de nombreux courants, anarchistes et non anarchistes. Il est cependant important que la minorité qui se déclare aujourd’hui anarchiste, n’attende pas passivement l’apparition de mouvements, mais travaille à faire avancer le processus. »
Wayne Price. Fifth Estate # 407, automne 2020
TRADUCTION MONICA JORNET - GROUPE GASTON COUTÉ FA.
- SOURCE : Le Monde Libertaire