★ A propos d’Emma Goldman

Publié le par Socialisme libertaire

Emma_Goldman  Anarchisme



« EMMA GOLDMAN (1869-1940) est un personnage de premier plan de l’histoire de l’anarchisme et du féminisme. Née en Russie sous le tsarisme, elle connaît dès son enfance les pogroms antisémites, la répression sanglante contre les populistes russes et travaille à l’âge de 15 ans comme ouvrière, suite aux revers de fortune de ses parents. Refusant le mariage que veut lui imposer son père, elle part à 16 ans aux États-Unis où elle épouse brièvement un Américain, ce qui lui permet de s’établir dans le pays et d’être naturalisée.  

Révoltée par le procès truqué contre cinq anarchis­tes, puis leur pen­dai­son, à Chicago, en 1887, après l’atten­tat à la bombe de Haymarket, elle s’inves­tit à fond dans le mou­ve­ment liber­taire local. Militante infa­ti­ga­ble, ora­trice talen­tueuse, elle sillonne les États-Unis pen­dant plus de vingt ans afin de réc­olter des fonds pour diver­ses causes et déf­endre ses idées. « Emma la Rouge », comme l’appelle la grande presse, combat pour le droit des femmes à l’égalité et à l’indép­end­ance. Elle aide les ouvrières dans leur lutte pour s’orga­ni­ser en syn­di­cats et obte­nir la journée de 8 heures. Vivant chi­che­ment de toutes sortes de petits bou­lots, elle col­lec­tionne les arres­ta­tions et les peines de prison (près de quatre ans en tout) à cause de ses discours et ses actions pour la contra­cep­tion, puis contre la Première Guerre mon­diale. Emma Goldman irrite les fémin­istes amé­ric­aines : ces der­nières ne com­pren­nent pas pour­quoi Emma refuse de com­bat­tre pour le droit de vote des femmes et sont scan­da­lisées par ses posi­tions sur l’amour libre, contre le mariage et pour la révo­lution sociale. Et elle exaspère aussi cer­tains de ses cama­ra­des anar­chis­tes : elle ira jusqu’à fouet­ter, à la tri­bune d’un mee­ting, le grand diri­geant anar de l’époque, Joachim Most, avant de quit­ter digne­ment la salle, parce que Most refu­sait de sou­te­nir Alexandre Berkman condamné à 22 ans de prison après avoir tenté d’assas­si­ner un patron de choc.

Avec Berkman, Emma Goldman anime pen­dant seize ans un heb­do­ma­daire d’agi­ta­tion Mother Earth (La Terre Mère) qui lui occa­sionne bien des déb­oires avec la police et la jus­tice. Son opposition résolue à la cons­crip­tion obli­ga­toire et ses posi­tions anti­mi­li­ta­ris­tes durant la Première Guerre mon­diale lui valent une condam­na­tion à deux ans d’empri­son­ne­ment. Elle est ensuite déchue de sa natio­na­lité amé­ric­aine (pour y par­ve­nir, le gou­ver­ne­ment amé­ricain ira jusqu’à déna­tu­ra­liser son pre­mier mari !) et expulsée des États-Unis en 1919 en com­pa­gnie de 248 autres mili­tants russes, ouvriers anar­chis­tes pour la plu­part. Après un séjour de deux ans en URSS, elle perd toute illu­sion sur le bol­che­visme et réussit à quit­ter la « patrie du socia­lisme » avant d’être arrêtée. Elle vit alors en Angleterre, en Espagne et enfin au Canada où elle conti­nue, dans des condi­tions d’extrême pré­carité, son combat pour la révo­lution jusqu’à sa mort, en 1940. La vérité sur le bol­che­visme est paru dans Mother Earth en 1918. Cet arti­cle permet de compren­dre pour­quoi cer­tains liber­tai­res, dont Emma Goldman, ont sou­tenu avec enthou­siasme Lénine et les bol­che­viks au début de la révo­lution. La révo­lution sociale est por­teuse d’un chan­ge­ment radi­cal de valeurs (1924) est la post­face d’un livre inédit en français (My Dillusionment in Russia) qui cons­ti­tue en quel­que sorte le pen­dant du Mythe bol­che­vik d’Alexandre Berkman, puis­que les deux amis se trou­vaient à la même époque en Russie. Ce cha­pi­tre défend une concep­tion éthique ori­gi­nale de la révo­lution sociale.

Le com­mu­nisme n’existe pas en Russie (1935) dém­onte quel­ques mythes de la pro­pa­gande stalinienne sur l’URSS, mythes qui mal­heu­reu­se­ment ne sont pas morts avec la chute du Mur. Trotsky pro­teste beau­coup trop a été publié en 1938 sous forme de bro­chure à Glasgow, en Écosse, par la Fédération anar­chiste com­mu­niste (Anarchist Communist Federation) et cons­ti­tue une rép­onse à un arti­cle de Trotsky.

Emma Goldman parle d’abord en témoin, puisqu’elle a séjourné en URSS entre déc­embre 1919 et octo­bre 1921, à un moment char­nière de l’his­toire de la révo­lution. Sans se perdre dans des considé­rations théo­riques fumeu­ses, elle va droit à l’essen­tiel : les condi­tions de vie de la popu­la­tion, la mobi­li­sa­tion des ouvriers et des pay­sans contre la dic­ta­ture du Parti bol­che­vik, la soli­da­rité entre les marins de Cronstadt et les ouvriers affamés de Petrograd. Elle dém­onte éga­lement cer­tains mécan­ismes de ce qu’il faut bien appe­ler l’École trots­kyste de déf­or­mation de l’his­toire, école qui conti­nue à sévir de nos jours, bien que les grou­pes se réc­lamant de l’Opposition de gauche puis de la Quatrième Internationale aient été eux-mêmes vic­ti­mes d’une longue cam­pa­gne de calom­nies (et d’assas­si­nats) menée par les partis sta­li­niens.

Tout en polé­miquant sans pitié avec Trotsky, Emma Goldman exprime son empa­thie vis-à-vis des ter­ri­bles épr­euves per­son­nel­les que son adver­saire poli­ti­que a tra­versées, atti­tude suf­fi­sam­ment rare pour être sou­li­gnée. Elle n’oublie jamais qu’elle débat avec un être humain, et se garde de le démo­niser, comme c’est le cas si sou­vent dans les débats poli­ti­ques.

Ce texte se ter­mine par quel­ques lignes sur la guerre d’Espagne, durant laquelle Emma Goldman déploya tous ses efforts pour sou­te­nir les anar­chis­tes, sans pour autant leur ménager ses cri­ti­ques (« Dès le moment où les diri­geants de la CNT-FAI sont entrés dans les ministères et se sont soumis aux condi­tions imposées par la Russie sovié­tique en éch­ange de quel­ques armes, j’ai pres­senti le prix que nos cama­ra­des allaient iné­vi­tab­lement payer (…). La par­ti­ci­pa­tion des anar­chis­tes au gouver­ne­ment et les conces­sions faites à la Russie ont causé un dom­mage pres­que irré­pa­rable à la révolu­tion », juillet 1937, « L’Espagne et le monde »). »

 

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