★ La Terre Mère - Mother Earth

Publié le par Socialisme libertaire

Vol. 1 JUNE, 1906 No. 4
Vol. 1 JUNE, 1906 No. 4

Mother Earth, édité par Emma Goldman et Alexander Berkman , se décrivait comme « une Revue Mensuelle Dédiée aux Sciences Sociales et à la Littérature « .
Elle a paru de mars 1906 à août 1917 et s’interrompit avec la condamnation de Goldman et Berkman à l’exil.
Mother Earth a publié les textes d’innombrables anarchistes, parmi lesquel-les Voltairine de Cleyre, Francisco Ferrer, Maxim Gorky ; Peter Kropotkine, Errico Malatesta, Max Nettlau, Élisée Reclus, Rudolf Rocker…
Une nouvelle série intitulée « Mother Earth Bulletin » a commencé en 1917 pour cesser définitivement en 1918 après la publication de 7 numéros.

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Dans l’éditorial du premier numéro d’octobre 1917, Emma Goldman écrivait :

« Liberté de Critiques et d’ Opinion
Emma Goldman
Sous le « Trading With the Enemy Act, » [Loi sur le Commerce Avec l’Ennemi] le Ministère des Postes est devenu le dictateur absolu de la presse. Non seulement il est impossible aujourd’hui pour une publication de caractère de circuler par courrier mais tous les autres canaux tels que transport routier, messagerie, kiosques et même distribution ont été aussi arrêtés. Puisque MOTHER EARTH ne se pliera pas à ces règles, et n’apparaitra pas dans une forme émasculée, nous préférons prendre un long repos nécessaire jusqu’à ce que le montre recouvre ses esprits.

Le Mother Earth Bulletin a été décidé en grande partie comme un moyen de rester en contact avec nos amis et abonnés, et dans le but de les maintenir informés sur nos mouvements et activités. «

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Éditorial de Mother Earth Vol.1 No. 1 pp. 1 Mars, 1906,
Texte original : Mother Earth

Il fut un temps où les hommes imaginaient que la Terre était le centre de l’univers. Les étoiles, petites et grandes, croyaient-ils, avaient été créées uniquement pour leur délectation. Leur vaine conception qu’un être suprême, las de solitude, avait confectionné un jouet géant et l’avait mis en leur possession.
Cependant, lorsque l’esprit humain fut illuminé par la lumière de la science, il commença à comprendre que la Terre n’était rien de plus qu’une étoile parmi une myriade d’autres flottant sans l’espace infini, un simple grain de poussière.

L’être humain était issu de l’utérus de la Terre Mère mais il ne savait pas, ou n’admit pas, qu’il lui devait la vie. Dans son égotisme, il a cherché sa raison d’être dans l’infini, et de ses efforts est née la triste doctrine qu’elle n’était qu’un lieu de repos temporaire pour ses pieds méprisants et qu’elle ne représentait rien pour lui, sinon la tentation de s’avilir. Des interprètes et des prophètes surgirent, créant « l’Au-Delà » et proclamant le Ciel et l’Enfer, entre lesquels se tient le pauvre être humain tremblant, tourmenté par ce montre né prêtre, la Conscience.

Dans ce système effrayant, les dieux et les démons se faisaient une guerre éternelle dans laquelle le misérable être humain était l’enjeu de la victoire. ; et le prêtre, interprète autoproclamé de la volonté des dieux, se tenait devant le seul refuge contre le mal et exigeait, comme prix d’entrée, l’ignorance, l’ascétisme, l’auto abnégation qui ne pouvaient se conclure que par la complète soumission de l’être humain à la superstition. On lui avait dit que le Paradis, le refuge, était l’antithèse même de la Terre, source du péché. Pour gagner sa place au Paradis, l’être humain a dévasté la Terre. Pourtant elle se renouvelait, la bonne mère, et revenait chaque printemps, radieuse dans sa jeune beauté, appelant ses enfants à venir se blottir sur sa poitrine et prendre part à son abondance. Mais l’air était toujours envahi d’une obscurité méphitique et on entendait toujours une voix creuse proférant » Ne touchez pas les belles formes de la sorcière elle conduit au péché ! »

Mais si les prêtres décriaient la Terre, d’autres y trouvèrent une source de pouvoir et prirent possession d’elle. Puis il se trouva que les autocrates des portes du Paradis joignirent leurs forces aux pouvoirs qui avaient pris possession de la Terre ; et l’humanité commença sa marche monotone et erratique. Mais la bonne mère voit les pieds ensanglantés de ses enfants, elle entend leurs gémissements et elle leur rappelle toujours qu’elle leur appartient .

Pour les contemporains de George Washington, Thomas Paine et Thomas Jefferson, l’Amérique apparaissait vaste, sans borne, pleine de promesses. La Terre Mère, aux sources de vastes richesses cachées dans les plis de sa poitrine généreuse, ouvrit ses bras accueillants et hospitaliers pour tous ceux qui venaient à elle, fuyant des terres arbitraires et despotiques –La Terre-mère prête à s’offrir pareillement à tous ses enfants. Mais bientôt, elle fut accaparée par quelques-uns, dépouillée de sa liberté, clôturée, en proie à ceux pourvus de finesse fourbe et peu scrupuleuse. Eux, qui avaient combattu pour l’indépendance face au joug britannique ; devinrent bientôt dépendants entre eux ; dépendants de leurs possessions de leur richesse, du pouvoir. La liberté s’était échappée vers les grands espaces et et la vieille bataille entre patriciens et plébéiens fit irruption dans le nouveau monde, avec une plus grande violence et véhémence. Une période d’une centaine d’années avait été suffisante pour transformer une grande république, autrefois glorieuse, reconnue, en un état arbitraire qui assujettissait une grande partie de son peuple à l’esclavage matériel et intellectuel, tout en permettant à quelques privilégiés de monopoliser chaque ressource matérielle et mentale.

Lors des dernières années, les journalistes américains avaient beaucoup trop à dire sur les conditions terribles en Russie et l’hégémonie des censeurs russes. Ont-ils oublié les censeurs d’ici ? Un censeur bien plus puissant que son homologue russe. Ont-ils oublié que chaque ligne qu’ils écrivent est dictée par la couleur politique du journal pour qui ils écrivent ; par les agences de publicité ; par le pouvoir de l’argent ; par celui de la respectabilité ; par Comstock ? (1) Ont-ils oublié que les goûts littéraires et le sens critique d’une masse de gens ont été moulés avec succès pour satisfaire la volonté de ces dictateurs et pour servir de bases aux affaires juteuses de spéculateurs littéraires futés ? Les Rip Van Winkles (2) sont très nombreux dans la vie, la science, la moralité, l’art et la littérature . D’innombrables fantômes, semblables à ceux entrevus par Ibsen lorsqu’il a analysé les conditions morales et sociales de notre vie, maintiennent encore dans la terreur la majorité de la race humaine.

MOTHER EARTH s’efforcera de tenter et d’attirer tous ceux qui s’opposent à l’empiètement sur la vie publique et privée. La revue plaira à ceux qui luttent pour quelque chose de plus haut, fatigués des lieux communs ; à ceux qui pensent que la stagnation est un poids mort pour la marche élastique et ferme du progrès ; à ceux qui ne respirent librement que dans des espaces infinis ; à ceux qui aspirent à une aube nouvelle pour l’humanité, libérée de la peur du besoin et de la famine à côté des amassements des riches. La Terre libre pour l’individu libre !

Emma Goldman,
Max Baginski. (3)

NDT
1. Référence probable à Comstock Lode qui a été la première mine de minerai d’argent découverte aux Etats-Unis, sous ce qui est aujourd’hui la ville de Virginia City dans le Nevada
2. Rip Van Winkle est le titre et le personnage principal d’une nouvelle de l’écrivain américain Washington Irving, publiée dans The Sketch Book of Geoffrey Crayon (1819). Il symbolise un brave type, paresseux et sans volonté.
3. Voir Max Baginski

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Documents en ligne :
An Anthology of Emma Goldman’s Mother Earth
Numéros et articles en lignes

  • SOURCE : Racines et Branches
    Un regard libre sur les formes anti-autoritaires d’hier et d’aujourd’hui
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