★ Le Père Noël et le Bon Dieu

Publié le par Socialisme libertaire

Anarchisme rationalisme athéisme antireligion
Nils Blommér : Ängsälvor (Elfes des prés - 1850)

 

« L’athéisme et le matérialisme figurent parmi les piliers incontournables de la doctrine anarchiste, au même titre que le fédéralisme, la socialisation des moyens de production, etc.
Qu’est-ce donc que le matérialisme ? C’est un principe qui affirme que tous les faits ne peuvent se produire qu’avec des causes réelles, identifiables. La vapeur d’eau est le produit de l’ébullition de l’eau, elle n’est pas produite par des elfes qui copulent frénétiquement dans la bouilloire. Les cadeaux au pied du sapin à Noël ont été posés par les parents et amis, pas par le Père Noël ni par le Bon Dieu.
Cela dit, si une cause n’est pas identifiable à un moment donné, cela ne signifie pas pour autant que le Père Noël, ou le Bon Dieu, ou les elfes existent, c’est simplement parce qu’on n’est pas encore en mesure de l’identifier.
De même, un petit peu de fantaisie n’est pas forcément une mauvaise chose : je suis convaincu que si on m’avait d’emblée convaincu que le Père Noël n’existait pas, mon enfance n’aurait pas été aussi heureuse qu’elle l’a été. Mais à un moment il a bien fallu que je cesse de croire en ces fantaisies, et je ne m’en suis pas porté plus mal. Le problème est que beaucoup de gens continuent à y croire, pas sous la forme du Père Noël, mais sous celle, à peine plus élaborée, du Bon Dieu. Et il n’y a pas plus de raison de croire au Bon Dieu qu’on en a de croire au Père Noël.

Dans le monde dans lequel vivait Bakounine, la croyance en Dieu faisait l’objet d’une large unanimité, et, disait-il, « cette unanimité imposante, selon l’avis de beaucoup de personnes, vaut plus que toutes les démonstrations de la science ». Bien entendu, le révolutionnaire russe contestait cette attitude consistant à penser que « le sentiment de tout le monde et de tous les temps ne saurait se tromper ». 
Mais « s’il est vrai que […] l’homme ait absolument besoin de croire à l’existence d’un Dieu, celui qui n’y croit pas, quelle que soit la logique qui l’entraîne à ce scepticisme, est une exception anormale, un monstre ». Aujourd’hui l’athée n’est plus absolument considéré comme un « monstre » dans la plupart des pays d’Europe, mais il reste encore de nombreux pays où c’est la cas, aux États-Unis, ou dans les pays musulmans.

Aux États-Unis, il n’y a que 4 à 6 % d’athées. La société américaine, sans être pour autant théocratique, est largement soumise à l’impératif religieux : devise religieuse sur le dollar (« In God we trust » – nous croyons en Dieu), serments sur la Bible dans les cours de justice, l’expression « au nom de Dieu » figurant dans le serment d’allégeance aux États-Unis, « que Dieu vous bénisse » dans tous les discours politiques, impossibilité de se faire élire à quelque poste que ce soit sans bien affirmer son affiliation religieuse, etc. L’athéisme aux États-Unis n’est tout simplement pas concevable, ce qui rapproche beaucoup plus cette société des sociétés musulmanes que des sociétés européennes .
En Europe même, la prégnance du religieux est forte dans beaucoup de pays, comme l’atteste la persistance du « délit de blasphème ».
La France est un peu à part. Un sondage Harris datant de 2011 révèle que seulement 36 % des Français déclarent croire en Dieu. Il y avait 34 % d’athées en 2011 (contre 32 % en 2006) et 30 % d’indécis. Ce qui est amusant dans ce sondage, c’est que dans la mesure où, par ailleurs, un Français sur deux se déclare catholique, cela signifie que beaucoup de catholiques ne croient pas en Dieu ! De fait, un sondage CSA-« Le Monde des religions » publié en janvier 2007 montre que seulement 52 % des catholiques estimaient que l’existence de Dieu était « certaine ou probable ».

Le paysage « religieux » est divisé en somme en trois parties presque égales : croyants, athées, et indécis, avec une progression lente mais réelle de l’athéisme.
On peut penser que la moitié indécise des catholiques va progressivement rejoindre les deux autres groupes, sans qu’on puisse évidemment dire de quelle manière ils vont se répartir. Dans la mesure où les sectes non catholiques sont extrêmement actives, et où les anarchistes ont pratiquement abandonné le terrain du combat contre la religion, il y a toutes les raisons de penser que l’athéisme ne bénéficiera que très marginalement de ces « transferts ».
On peut également penser que dans la mesure où les croyants plus ou moins indécis abandonnent leur religion, ceux qui restent vont se durcir. C’est en fait ce qu’on constate dans les faits avec le succès énorme des manifestations contre le mariage pour tous et le renforcement de l’activité des croyants, y compris le renouveau de la pratique religieuse chez les jeunes musulmans.
L’accroissement du nombre d’athées déclarés, qui pourrait réjouir les anarchistes (peut-être pas tous, cela dit), ne signifie pas pour autant qu’on assiste à une « athéisation » de la société française : en effet, les athées ne constituent pas un mouvement militant actif (ce qui a été le cas du mouvement anarchiste dans le passé, mais ne l’est plus aujourd’hui), tandis que le tiers de la population se déclarant croyante – chrétiens et musulmans – constituent des noyaux militants très actifs et souvent virulents.

Il ne fait pas de doute que les 30 % d’indécis vont faire l’objet d’une attention toute particulière de la part des missionnaires, prédicateurs, évangélistes, émirs, maîtres à penser, apôtres et charlatans de toute sorte auxquels les anarchistes ont abandonné le terrain. »

Éric Vilain 
20 octobre 2014
 

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