★ Les Indésirables

Publié le par Socialisme libertaire

Anarchisme


" Il y a de plus en plus d’indésirables dans le monde. Il y a trop d’hommes et de femmes pour qui cette société n’a prévu qu’un rôle : celui de crever. Morts pour le monde ou pour eux-mêmes, la société ne les désire qu’ainsi.  
Sans travail, ils servent à pousser ceux qui en ont un à accepter n’importe quelle humiliation afin de le préserver. Isolés, ils servent à faire croire aux citoyens se prétendant tels qu’ils ont une réelle vie commune (entre les paperasseries de l’autorité et les rayons des marchandises). Immigrés, ils servent à alimenter l’illusion d’avoir des racines chez des prolétaires seuls avec leur néant au bureau, dans le métro ou devant la télévision. Clandestins, ils servent à rappeler que la soumission salariale, n’est pas le pire - il existe aussi le travail forcé et la peur qui serre le ventre à chaque contrôle de routine. Expulsés, ils servent à renforcer, sur tous les réfugiés économiques de l’hécatombe capitaliste, le chantage du bannissement vers une misère sans retour. Prisonniers, ils servent à menacer avec le spectre de la punition ceux qui ne veulent plus de cette misérable existence. Extradés en tant qu’ennemis de l’État, ils servent à faire comprendre que dans l’Internationale de la domination et de l’exploitation il n’y a aucun espace pour le mauvais exemple de la révolte.
Pauvres, isolés, étrangers partout, incarcérés, hors-la-loi, bannis : les conditions de ces indésirables sont de plus en plus communes. Commune peut alors devenir la lutte, sur la base du refus d’une vie chaque jour plus précarisée et artificielle. Citoyens ou étrangers, innocents ou coupables, clandestins ou réguliers : ces distinctions des codes étatiques ne nous appartiennent plus. Pourquoi la solidarité devrait-elle respecter ces frontières sociales, alors que les pauvres sont continuellement trimbalés de l’une à l’autre ?

Nous ne sommes pas solidaires de la misère, mais de la vigueur avec laquelle
les hommes et les femmes ne la supportent pas.


Le rêve d’un parchemin
 

Dans les profondeurs du fleuve où l’histoire s’écoule, un rêve semble avoir résisté à l’usure du temps et à la chaîne implacable des générations. Regardez le parchemin jauni de ce code de la Renaissance, regardez sur la page ces xylographies qui nous ramènent à la jeunesse d’un millénaire tout juste expiré. Vous verrez les ânes chevaucher des cardinaux et les affamés de toujours se noyer joyeux dans la nourriture, vous verrez les couronnes piétinées, vous verrez la fin du monde ou — mieux encore — le monde à l’envers. Le voici donc ce rêve, le voici nu qui se raconte dans une gravure vieille de cinq cent ans : tuer le monde pour pouvoir le saisir, le voler à Dieu pour se l’approprier et le façonner enfin de propres mains. Les époques lui ont ensuite prêté des vêtements aux coupes toujours différentes. Il s’est habillé en paysan pendant les insurrections du Moyen Âge et en blouson noir en Mai-68, en ouvrier italien lors des occupations d’usines et en tisseur anglais aux temps où les premiers métiers industriels étaient furieusement détruits à coups de masse. Le désir de renverser le monde est réapparu chaque fois que les exploités ont su saisir les fils qui les lient entre eux, les fils qui sont noués et brisés par les différentes formes de l’exploitation. Ce sont ces formes, en effet, qui en quelque sorte " organisent " les pauvres : elles les concentrent dans les usines ou dans les quartiers, dans les ghettos métropolitains ou devant le même bureau de chômage, en leur imposant des conditions de vie similaires et des problèmes similaires à résoudre tous les jours. Arrêtons-nous un instant, creusons le fond de nos mémoire et faisons appel aux contes de nos pères. L’usine dans le brouillard ou la sueur des champs brûlés par le soleil, le tourment d’une occupation coloniale qui t’arrache les fruits de la terre ou le rythme chaque jour plus infernal d’une presse qui, dans n’importe quel Etat " communiste ", te promet — pour un lendemain qui n’arrive jamais — de te délivrer de l’exploitation. Nous pouvons associer à chacune de ces images de notre passé les différentes unions des exploités et, donc, les bases concrètes des luttes avec lesquelles ceux-ci ont essayé de renverser le monde et de supprimer l’exploitation.

Maintenant que nous, fils des mémoires et des révoltes si différentes, nous nous retrouvons côte à côte, quel est-il le fil qui nous unit ? Qu’est-ce que nous a amenés ici du Maghreb ou de l’Est, d’Asie ou du cœur de l’Afrique ? Pourquoi même celui qui a toujours habité ici ne reconnaît plus cette terre, pourquoi la trouve-t-il si différente de celle de sa mémoire ?

Une planète défigurée

Si nous lisons avec attention l’histoire de ces trente dernières années, nous pouvons entrevoir une ligne de développement, une série de modifications qui ont bouleversé la planète. Cette situation nouvelle est définie communément par le terme de " mondialisation ". Il ne s’agit pas de données définitivement acquises, mais de changements qui sont toujours en cours — avec des rythmes et des particularités propres à chaque pays — et qui nous permettent de tenter quelques prévisions. Brisons tout de même, d’abord, un lieu commun sur la " mondialisation ". Le capital a toujours cherché à l’échelle planétaire des marchés à conquérir et une force de travail à exploiter au prix le plus bas, ce n’est donc pas une nouveauté. Ce qui est nouveau, par contre, ce sont les instruments pour le faire : grâce au développement de la technologie, le capital peut réaliser cette tendance avec une vitesse et des conséquences inimaginables il y a encore quelques années. Il n’existe donc pas un point de rupture entre le vieux capitalisme et l’actuel, tout comme il n’a jamais existé un " bon " capitalisme qui se développe sur des bases nationales et auquel il faudrait revenir — comme le laissent croire, au contraire, les nombreux adversaires du " néolibéralisme ". De 1973 (date qui marque conventionnellement le début de l’ère informatique) jusqu’à aujourd’hui, le capital n’a jamais changé de nature, il n’est pas devenu plus " méchant ". Il a tout simplement quelques armes de plus, mais tellement puissantes qu’elles ont défiguré la planète. Pour une facilité d’analyse, nous lirons ce processus à travers les changements qu’ont subi trois zones géographiques différentes : les pays des anciennes colonies, les pays affranchis des régimes dits communistes et ceux d’Occident.

Les enfants non désirés du capital

Comme il est connu, avec l’acquisition de l’indépendance, les anciennes colonies n’ont nullement rompu les rapports avec leurs colonisateurs ; dans la plupart des cas, au contraire, elles les ont simplement modernisés, non sans divers sursauts. Si l’ancienne exploitation coloniale visait surtout à l’accaparement de matières premières à bas prix qui étaient utilisées en Occident, à partir d’un certain moment des phases entières de la production industrielle ont été implantées dans les pays les plus pauvres, en profitant du coût très bas du travail. Tellement bas qu’il couvrait les frais de transport des matières premières, des machines, des objets finis ainsi que le prix des financements des régimes locaux, garants de l’ordre public et du bon déroulement de la production. Pendant de longues années, les capitaux occidentaux ont envahi ces pays, en modifiant profondément leur tissu social. Les anciennes structures paysannes ont été détruites pour faire place à l’industrialisation, les liens communautaires brisés, les femmes prolétarisées. Une immense quantité de main-d’œuvre arrachée à la terre, s’est retrouvée — exactement comme en Europe au siècle dernier — perdue dans les bidonvilles à la recherche d’un travail. Cette situation trouvait sa brutale stabilité tant que les usines manufacturières implantées par les occidentaux ont pu embaucher une partie conséquente des bras à vendre. Mais à un moment, ces usines ont commencé à fermer. Là-haut, au Nord, quelque chose avait changé : la force de travail était devenue à nouveau concurrentielle avec celle du Sud. Il y restait, une fois les usines fermées, ces nouveaux prolétaires, nombreux et inutiles.

À l’Est, la situation n’est pas meilleure. Les régimes soi-disant communistes ont laissé derrière eux le désert, l’appareil productif — énorme et obsolète — est resté en héritage aux vieux bureaucrates et aux capitaux occidentaux. Ainsi, les fils et les petits-fils de ces exploités — qui, outre l’esclavage hebdomadaire du travail salarié, ont dû subir aussi la rhétorique dominicale des « cuisinières au pouvoir » et de l’internationalisme prolétarien — se sont retrouvés au chômage : toute restructuration industrielle, on le sait, exige des licenciements. Comme cela avait déjà été le cas avec les anciennes colonies, chaque pays occidental s’est partagé ses zones d’influence économique et politique dans les domaines de l’ex Pacte de Varsovie, en y transférant la partie de sa production qui avait le plus besoin de main-d’œuvre. Mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans la mer, le nombre de pauvres devenus inutiles à leurs maîtres étant gigantesque. À l’Est comme au Sud, le chantage de la dette exercé par le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale a accéléré de manière décisive ces processus.

C’est ainsi que, du Sud et de l’Est, commence la longue marche de ces enfants non désirés du capital, de ces indésirables. Mais pour ceux qui restent chez eux, le sort n’est pas meilleur. Les conflits sociaux provoqués par des changements aussi énormes que soudains sont intégrés dans les discours ethniques et religieux — des guerres nouvelles et toujours plus sanglantes sont au coin de la rue. Pour ceux qui choisissent la voie de l’émigration, toute comme pour ceux qui restent, les seules certitudes sont la misère et la dépossession. Tout regret est vain.

Jusqu’à hier

Entre-temps, que s’est-il passé en Occident ? Moins brutal, le changement a été parallèle à celui du reste du monde. Les grands appareils industriels qui embauchaient une partie consistante des pauvres et qui ont longtemps déterminé la physionomie des villes — donc la mentalité, la façon de vivre et celle de se révolter des exploités — ont disparu. En partie, parce que transférés, nous l’avons vu, dans les pays les plus pauvres ; en partie parce qu’il a été possible de les morceler et de les répartir différemment sur le territoire. Grâce au développement de la technologie, non seulement les cycles productifs ont été progressivement automatisés, mais ils sont devenus aussi plus adaptés au chaos intrinsèque du marché. Autrefois, le capital avait besoin de travailleurs possédant le savoir et la compétence nécessaires pour maîtriser, de manière plus ou moins autonome, un fragment du cycle de production ; donc de travailleurs qui restaient une vie entière dans la même usine en train d’exécuter les mêmes tâches. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Les connaissances demandées sont de plus en plus réduites et interchangeables, il n’existe plus d’accumulation de savoir, chaque travail étant identique aux autres. Le vieux mythe du plein emploi est remplacé par l’idéologie de la flexibilité, c’est-à-dire par la précarité et le démantèlement des anciennes garanties : il faut s’adapter à tout, même aux contrats hebdomadaires, à l’économie clandestine ou à l’expulsion définitive du contexte productif. Ces changements sont communs à tout l’Occident, mais dans certains endroits ils ont été si rapides et si radicaux que le coût global du travail est devenu concurrentiel avec celui du Sud et de l’Est du monde. C’est ainsi que ce sont réalisés, d’un côté, le retour des capitaux ayant déstabilisé l’économie des pays le plus pauvres — avec comme conséquences des guerres et des migrations — et, de l’autre, la dégradation des conditions matérielles des exploités occidentaux.

Les révoltes à venir

Il est clair que le changement en Occident, bien que violent, est atténué en partie par ce qui reste du vieil Etat " social " et, surtout, par le fait qu’un bon nombre de précarisés sont les fils des vieux prolétaires et " jouissent " donc indirectement, à travers leurs familles, des anciennes garanties. Il suffira pourtant de laisser passer encore une génération et la précarité deviendra la condition sociale la plus généralisée. C’est ainsi que nous, fils du vieux monde industriel, serons économiquement toujours plus inutiles, unis de fait à la multitude d’indésirables qui débarquent sur nos côtes. Avec le passage des années et l’achèvement de cette tendance, perdront leur sens tous les mouvements qui essaient d’apporter un soutien extérieur à une partie circonscrite des exploités (immigrés, chômeurs, précaires, etc.). Les conditions d’exploitation seront pour tous similaires, ouvrant ainsi les portes à des luttes réellement communes. Le voici enfin le fil qui nous lie tous, pauvres de mille pays, héritiers d’histoires si différentes : le capital lui-même a unifié dans la misère les familles perdues de l’espèce humaine. La vie qui se dessine à l’horizon sera vécue sous le signe de la précarité. Aménagées avec soin par l’évolution de l’exploitation, voilà les bases matérielles modernes pour les anciens rêve de liberté, voilà le lieu des prochaines révoltes.

L’hydre à deux têtes
 

Au sein des démocrates radicaux et du " peuple de gauche ", beaucoup attribuent désormais à l’État un rôle purement décoratif dans les décisions prises sur nos têtes. On définit, en somme, une hiérarchie mondiale dont le sommet est représenté par les grandes puissances financières et les multinationales, et dont la base est constituée par les États nationaux ; ceux-ci deviendraient de plus en plus des valets, simples exécutants de décisions sans appel.

Tout cela conduit à une illusion qui est déjà porteuse des pires conséquences. Nombreux, en effet, sont ceux qui essaient d’imposer un tournant réformiste et en quelque sorte nostalgique aux luttes qui se développent un peu partout contre les aspects particuliers de la " mondialisation " : la défense du " bon " vieux capitalisme national et, parallèlement, celle du vieux modèle d’intervention de l’État dans l’économie. Personne ne remarque, pourtant, que les théories ultra-libérales à la mode ces temps-ci et celles keynésiennes, à la mode il y quelques années encore, proposent simplement deux formes différentes d’exploitation.

Certes, on ne peut pas nier, en l’état actuel des choses, que toute notre vie soit déterminée en fonction des nécessités économiques globales, mais cela ne signifie nullement que la politique ait perdu sa nocivité. Penser l’État comme une entité désormais fictive, ou exclusivement comme le régulateur des conflit sociaux (magistrature et police, pour ainsi dire), est limitatif. L’État, parmi les capitalistes, est celui qui assure des fonctions vitales pour tous les autres. Néanmoins, sa bureaucratie, liée mais pas subordonnée aux cadres des entreprises, tend avant tout à reproduire son propre pouvoir.

L’État, en préparant le terrain au capital, se développe lui-même. Ce sont les structures étatiques qui permettent l’abattement progressif des barrières du temps et de l’espace — condition essentielle pour la nouvelle forme de domination capitaliste —, en fournissant les territoires, les fonds et la recherche. La possibilité de faire circuler toujours plus rapidement les marchandises, par exemple, est garantie par les autoroutes, les voies aériennes et maritimes, le réseau du TGV : sans ces structures, organisées par les États, la " mondialisation " ne serait même pas concevable. De la même manière, les réseaux informatiques ne sont rien d’autre qu’un emploi différent des vieux câbles téléphoniques : toute innovation dans ce secteur (communication par satellite, fibres optiques, etc.) est assurée, encore une fois, par les appareils étatiques. C’est de cette façon, donc, que l’autre nécessité de l’économie planétarisée (la circulation des données et des capitaux en quelques instants) est satisfaite. Même du point de vue de la recherche et des avancements technologiques, les États jouent un rôle central. Du nucléaire à la cybernétique, des études sur les nouveaux matériaux au génie génétique, de l’électronique aux télécommunications, le développement de la puissance technique est lié à la fusion des appareils industriel, scientifique et militaire.

Comme tout le monde le sait, le capital, de temps en temps, a besoin de se restructurer, c’est-à-dire de changer les implantations, les rythmes, les qualification et donc les rapports entre les travailleurs. Souvent ces changements sont tellement radicaux (licenciements de masse, cadences infernales, réduction brutale des garanties, etc.) qu’ils mettent en crise la stabilité sociale, au point de rendre nécessaires des interventions de type politique. Parfois les tensions sociales sont tellement fortes, la police syndicale si impuissante et les restructurations si urgentes, que les États ne trouvent pas d’autres solutions que la guerre.

À travers cette voie, non seulement on détourne la rage sociale vers des faux ennemis (les Autres au sens ethnique ou religieux, par exemple), mais on relance l’économie : la militarisation du travail, les commissions d’armements et la baisse des salaires font rentabiliser au maximum les restes du vieux système industriel, tandis que les destructions généralisées cèdent leur place à un appareil productif plus moderne et aux investissements étrangers. Pour les indésirables — les exploités inquiets et en surnombre — l’intervention sociale devient plus expéditive : l’extermination.

L’une des caractéristiques de cette époque est le flux de plus en plus massif de migrants vers les métropoles occidentales. Les politiques de l’immigration — l’alternance d’ouverture et de fermeture des frontières — ne sont pas déterminées par le degré de sensibilité des gouvernants, mais découlent des tentatives de faire face à une situation toujours plus difficile à gérer, et d’en tirer profit. D’une part, il n’est pas possible de fermer hermétiquement les frontières, d’autre part un petit pourcentage d’immigrés est utile — surtout si clandestins et donc corvéables à merci — puisqu’il représente une bonne réserve de force de travail à bas prix. En même temps la clandestinité de masse provoque des conflits sociaux difficilement contrôlables. Les gouvernements doivent naviguer entre ces nécessités, le bon fonctionnement de la machine économique en dépend.

Tout comme le marché mondial unifie les conditions d’exploitation sans pour autant éliminer la concurrence entre capitalistes, de même il existe une puissance pluriétatique qui coordonne les projets de domination sans effacer la compétition politique et militaire entre les différents gouvernements. Les accords économiques et financiers, les lois sur la flexibilité du travail, le rôle des syndicats, la coordination des armées et des polices, la gestion écologique des nuisances, la répression de la dissidence — tout cela est défini au niveau international. La mise en pratique de ces décisions revient néanmoins à chaque État, qui doit se révéler à la hauteur. Le corps de cette Hydre sont les structures technobureaucratiques. Non seulement les exigences du marché se fondent avec celles du contrôle social, mais elles utilisent les mêmes réseaux. Par exemple, les systèmes bancaire, médical, policier et d’assurance s’échangent continuellement leurs données. L’omniprésence des cartes magnétiques réalise un fichage généralisé des goûts, des achats, des déplacements, des habitudes. Tout cela sous les yeux des caméras de surveillance toujours plus diffuses, et parmi des téléphones portables qui assurent la version virtuelle et elle-même fichée d’une communication sociale qui n’existe plus.

Néolibéralisme ou pas, l’intervention de l’État sur le territoire et dans nos vies est chaque jours plus totalitaire, sans pour autant être séparée de l’ensemble des structures de production, distribution et reproduction du capital. La hiérarchie présumée entre le pouvoir des multinationales et celui des États, de fait, n’existe pas, car ils opèrent en symbiose mutuelle pour cette puissance inorganique qui est en train de mener une seule guerre : celle contre l’autonomie des hommes et contre la vie sur Terre.

Le nom des assassins

Depuis le jour de leur ouverture, une longue série de révoltes a caractérisé la vie des centres de rétention [centri di permanenza temporanea] pour immigrés clandestins. Dans ces structures, les étrangers en attente d’expulsion sont enfermés dans des conditions de vie inhumaines. Il est difficile de parler de ce sujet, en particulier après la trop longue série de morts tués au cours des révoltes, sans risquer de tomber dans des bavardages mesquins en vogue parmi les organisations -plus ou moins gouvernementales, peu importe- si expertes dans l’instrumentalisation du sang. Il ne nous intéresse pas de vous inviter à l’émotion ou à la supplique collective pour fermer ces taules. La mort de ces étrangers côtoie l’assassinat d’autres millions d’exploités, hommes et femmes qui sont tués par les guerres, le travail, la destruction du territoire, la prison ou, de manière plus expéditive, par un coup de pistolet de la police. Cessons de croire ceux qui disent qu’il s’agit d’incidents de parcours ou d’abus de sanglants : il s’agit de routine, toutes les victimes de cet abattoir global sont à mettre au compte du capital et des États. Au piétisme sot, aux apéritifs chrétiens à base de larmes, à ceux qui voudraient voir les immigrés hors des "Lager" tant qu’ils sont tranquilles et en prison seulement lorsqu’ils sont coupables, à ceux qui voudraient un monde plus ou moins comme celui-là mais un peu plus "humain", à ceux qui rêvent d’un capital moins sanglant ou à ceux qui exploitent ces épisodes pour élargir leur propre chapelle "révolutionnaire" -en somme à ceux qui prêchent la solidarité dans l’oppression, nous préférons opposer la complicité dans la révolte. Aucune lutte ne peut être séparée des autres, parce que chaque réalisation de la domination est profondément liée aux autres. Il est certes important de fermer les centres de rétention, mais le demander aux États veut simplement dire les pousser à trouver des formes de contrôle et de répression plus efficaces et moins visibles. De plus, penser ces centres comme étant de simples structures physiques signifie cacher toutes ces artères qui en permettent l’existence : de la Croix Rouge qui les cogère aux entreprises qui les construisent et aux fournisseurs des produits alimentaires, tous font partie des centres de rétention, et eux aussi sont des assassins. "


Gli indesiderabili/Les indésirables, huit pages paru en italien et français, numéro unique, Pantagruel (Pont St Martin-AO) & Sans Patrie (Paris), mars 2000.
 

★ Les Indésirables

La misère fut la cause première des richesse. Ce fut elle qui créa le premier capitaliste. Car avant d'accumuler la "plus-value", dont on aime tant à causer, encore fallait-il qu'il y ait des misérables qui consentissent à vendre leur force de travail pour ne pas mourir de faim. C'est la misère qui a fait les riches.

★ Kropotkine in "Le Salariat" (1889)

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