La Gangrène
La Gangrène, par Jacques Baynac (1980).
Qu’elles qu’en soient les causes, individuelles et/ou collectives, pathologiques, le fait est là : une petite partie de ce qui fut l’ultragauche d’après 68 est pourrie. Trois jours après l’attentat de la rue Copernic, les groupes ou publications suivants : les Amis du Potlach, le Groupe Commune de Cronstadt, le Groupe des travailleurs pour l’autonomie ouvrière, ainsi que Pour une intervention communiste et des « révolutionnaires communistes sans sigle », Le Frondeur, La Guerre sociale et La Jeune taupe ont cru devoir publier un tract intitulé « Notre royaume est une prison » qui affirme en substance que fascisme et antifascisme sont semblables en ce qu’ils n’ont d’autre objectif réel que de sauver l’État en évacuant les « oppositions sociales réelles » et en « pervertissant » les idéaux prolétariens et socialistes.
Voilà déjà un débat engagé en termes discutables mais qui deviennent franchement inadmissibles dès lors que les auteurs de ce texte se croient autorisés à banaliser le nazisme. Pour eux, « ce n’est pas la volonté de ses dirigeants qui a rendu le fascisme meurtrier (…) il était pris dans la guerre et (comme ses adversaires) il voulait la gagner par tous les moyens ». C’est faire bon marché de la vérité historique que d’affirmer cela. Car, qui a commencé à tuer communistes et Juifs allemands avant même que n’ait éclaté la guerre ?
Et puis, peut-on écrire sans tomber dans une absurdité coupable que « la déportation et la concentration de millions d’hommes ne se réduisent pas à une idée infernale des nazis, c’est avant tout le manque de main-d’œuvre nécessaire à l’industrie allemande qui en a fait un besoin ». Si telle était la réalité, pourquoi avoir déporté les enfants, les malades, les vieillards juifs et tsiganes ?
Tant qu’à justifier les nazis, les auteurs de ce texte n’y vont pas de main morte. Pour eux, la disparition de millions de déportés s’explique par le fait que « contrôlant de moins en moins la situation, la guerre se prolongeant et rassemblant contre lui des forces bien supérieures, le fascisme ne pouvait nourrir les déportés et répartir convenablement la nourriture ». Autrement dit : si les déportés mouraient de faim, c’est à cause de ceux qui faisaient la guerre aux nazis.
C’est d’ailleurs ce qu’affirme ce texte : « les déportés qui ne sont pas revenus sont morts du fait de la guerre » et pas des chambres à gaz, « horreur mythique » puisque « ces chambres à gaz dont on nous rebat les oreilles et qui auraient été l’instrument du crime le plus énorme de l’histoire (dans plusieurs camps de concentration des SS ont “avoué” et des déportés “témoignent” de leur existence) et que l’on continue à présenter aux touristes, on reconnait officiellement qu’elles n’existaient pas ».
Mais qui reconnaît officiellement cela, sinon les auteurs de ce texte qu’un reste de bon sens contraint cependant à avouer qu’ils « n’auront peut-être jamais de preuves “scientifiques” de l’inexistence des “chambres à gaz” hitlériennes » mais qui se consolent aisément à l’idée que ceux qui affirment l’existence des chambres à gaz n’en ont pas non plus, et qui voient poindre l’heure de leur triomphe dans le fait qu’« un nombre croissant de Juifs » remet en cause l’existence des chambres à gaz. Si même des juifs le disent, il n’y a vraiment plus à se gêner, pensent apparemment les auteurs de ce texte.
Somme toute, ces gens semblent croire que puisque la droite eut raison quant aux camps soviétiques, elle a aussi raison quant aux camps nazis. Et cela ne les gêne apparemment pas du tout de se retrouver en compagnie des nazis Fredriksen et Durand. Mieux, quand on les somme, ainsi que je l’ai maintes fois fait, de se démarquer des nazis, ils refusent de le faire au motif que ces nazis ne font que reprendre une soi-disant vérité scientifique établie par M. Robert Faurisson, devenu maître à penser de ces soi-disant révolutionnaires ultragauches.
Cette gangrène faurissonienne gagne rapidement, sinon l’ultragauche du moins des individus dont on pouvait penser que leur passé était une garantie. Dans l’époque de décomposition du mouvement révolutionnaire que nous traversons, et tant que le mouvement ne renaîtra pas sur d’autres bases, il faut redouter que cette pseudo théorie de l’anti-antifascisme ne ravage ceux que l’échec a démoralisés et, plus grave, ceux qui ignorent tout. Il faut craindre que soit ainsi réveillé le filon antisémite qui, à l’extrême-gauche, ne date pas d’hier mais qui, comme partout, sommeille.
Il faut combattre ces éléments qui cachent leur camelote nazie sous les drapeaux de la « lutte communiste des prolétaires, de la destruction du salariat, de la marchandise et des États ».
Jacques Baynac, 6 octobre 1980
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