Aux origines des divisions du syndicalisme

Publié le par Socialisme libertaire

Syndicalisme révolutionnaire


Disons le d’emblée : l’histoire de cette période, celle des années 20-30 pour le mouvement ouvrier, est parsemée de défaites. Le grand chambardement qu’est le passage entre deux périodes du capitalisme, c’est avant tout la catastrophe qui tombe sur le dos de notre classe. C’est sur l’écrasement, la destruction, la guerre, l’extermination, les camps, que le capitalisme a constitué la base de la relance de l’accumulation de profits.

En somme, toute cette période n’est pas très marrante, bien qu’il y ai eu, ici et là, de petits moments d’éclaircies apportés par les soulèvements révolutionnaires, les grandes grèves, les luttes sociales.

La première de ces catastrophe, c’est bien sur la guerre de 14-18. Elle va profondément marquer le mouvement syndical.

En France par exemple, une bonne partie de la direction de la CGT a mouillé le maillot pour l’effort de guerre. Elle a mangé les petits fours des soirées ministérielles, participé aux réunions avec tous les autres gens importants et assuré de cette importance. Il faut dire que les syndicalistes et les socialistes ne manquent pas dans les arcanes du pouvoir durant la guerre. Ils constituent même une partie importante de l’appareil étatique qui va encadrer, organiser, diriger l’effort de guerre en partenariat avec le grand patronat. Quoi de plus logique pour ces dirigeants, souvent anciens de grandes écoles de la république que de se retrouver finalement hommes d’états ? De plus, face au chaos d’avant guerre, il s’agit avec le développement de l’industrie d’armement de coordonner la production publique et privée dans un ensemble cohérent et rationnel : cela rejoint au final une des préoccupations principales du socialisme d’état.

Donnons quelques exemples de ces trajectoires : le socialiste mais aussi docteur en droit Marcel Sembat (auteur avant guerre d’un pamphlet pacifiste) devient par la grâce de l’union sacrée ministre des travaux publics en 1914. Son chef de cabinet n’est autre qu’un autre socialiste, Léon Blum, par ailleurs membre du conseil d’état depuis 1895. Ce même Léon Blum signe dés le mois de septembre 1914 l’autorisation de déplacement d’un troisième socialiste, Albert Thomas (très) brièvement mobilisé comme lieutenant dans l’infanterie. Celui ci va devenir tour à tour sous-secrétaire d’État à l’artillerie et à l’équipement militaire, puis ministre de l’Armement et des Fabrications de guerre en 1916. Il va coordonner la production nécessaire à l’armée française, en étroite collaboration avec le comité des forges (l’ancêtre de l’UIMM, l’une des organisations fondatrices du MEDEF). Et y consolider sa grande amitié avec… Louis Renault, oui, celui des bagnoles.

Dans son cabinet, Albert Thomas (1) s’entoure de dirigeant syndicaux. Parmi eux, un certain Léon Jouhaux, secrétaire de la CGT depuis 1909. Ensemble ces socialistes et syndicalistes entendent profiter de la guerre pour réformer le capitalisme, en se basant sur les principes de bases du syndicalisme co-gestionnaire : l’arbitrage obligatoire, la négociation tripartite (État, patronat, syndicats) et l’élection de délégués ouvriers dans les ateliers. Convention collective, arbitrage étatique, nécessité de défendre la reproduction de la force de travail… Le syndicalisme réformiste dont on retrouve la filiation jusqu’à aujourd’hui dans les principales centrales, doit beaucoup à la guerre de 14.

A la fin de la guerre, les divisions sont profondes entre les syndicaliste et socialistes « sociaux chauvins » et celles et ceux restées fidèles à l’internationalisme, qui vont former les comités syndicalistes révolutionnaires (CSR). Ces comités s’implantent peu à peu chez les syndiqués dans un grand nombre d’entreprises. Il vont ainsi avoir un poids grandissant, amenant la direction réformiste a les exclure en 1921. il faut dire que les réformistes ont senti le boulet passer : les CSR viennent d’engranger près de 45 % des voix au congrès de Lille de la même année, et tiennent 17 fédérations.

Ce sera la base de la Confédération Générale du Travail Unitaire (CGTU). Si à l’origine, cette nouvelle Confédération est très influencée par le syndicalisme révolutionnaire et les positions anarchistes, l’année 1921 est le chant du cygne de ce courant en France. En effet, dés 1922, elle perd la majorité au profit des militants influencé par les positions léninistes, qui vont voter l’adhésion à l’internationale syndicale rouge, proche de la troisième internationale.

Ces militants devenus pro-bolchéviks ne sortent pas de nulle part : ce sont très souvent d’anciens syndicalistes révolutionnaires convertis au léninisme par le prestige de la révolution russe, à l’image de Pierre Monatte et Alfred Rosmer, tout deux opposants à la guerre et anciens anarchistes. A noter, c’est par l’adhésion d’une grande partie de ce courant que le parti communiste constituera son implantation dans la classe ouvrière. Cela déterminera aussi les liens particuliers en CGT et PCF, qui ne seront jamais ceux d’une totale soumission, en particulier à l’échelon local. Les restes du syndicalisme révolutionnaire ont la vie dure.

Toujours est il que l’influence des syndicalistes-révolutionnaires dans la CGTU est battue en brèche par la montée en puissance du parti communiste.

En 1926, une partie de ceux ci quittent la CGTU pour fonder la Confédération générale du travail – Syndicaliste révolutionnaire (CGT-SR) qui rassemblera au maximum 8000 membres, autour de 1936, essentiellement autour de la fédération du bâtiment. D’autres SR finiront par retourner à la CGT réformiste. Durant les années 30, une grande partie de l’activité des SR restés dans les deux grandes confédérations (CGT et CGTU) sera tourné vers la réunification des centrales. Celle ci se fera bien, en 1936, mais via des accords d’appareils… Et sans que les SR ne pèsent sur le processus de façon importante.

La situation dans les années qui suivent la scission est donc assez claire : d’un côté, nous avons la « vieille » CGT, toujours dirigé par Léon Jouhaux. Elle rassemble les réformistes, qui militent pour une intervention plus importante de l’état, des nationalisations, les conventions collectives…

De l’autre la CGTU, au sein de laquelle l’influence du PCF est certes prédominante mais qui doit compter, au moins durant ses premières années, avec sa minorité SR. Elle défend une ligne plus révolutionnaire, mais perd néanmoins un grand nombre de ses adhérents dans le reflux des luttes du milieu des années 20.

Par ailleurs, notons la création en 1919 d’une petite centrale syndicale, la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC). Fondée pour concurrencer le syndicalisme de lutte de classe, avec la bienveillance du patronat chrétien paternaliste. Cette centrale s’appuie idéologiquement sur la doctrine sociale de l’Église. Elle n’est pas opposée, en dernier recours, à la grève, mais rejette catégoriquement la grève générale : il ne s’agit pas de casser la machine de l’exploitation mais d’en graisser les rouages. Ce syndicat restera néanmoins assez marginal durant cette période…
 

(1) Après guerre Albert Thomas deviendra directeur du Bureau International du Travail l’ancêtre de l’OIT.
 

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