★ Les bolcheviques tuent les anarchistes

Publié le par Socialisme libertaire

Titre original : Bolsheviks shooting anarchists
 

Emma_Goldman anarchisme bolchevisme URSS


★ Par Emma Goldman et Alexander Berkman, Freedom 36, n°391 (Janvier 1922). 
 

" Nous venons juste de recevoir la lettre ci-dessous de nos camarades Emma Goldman et Alexander Berkman, qui sont maintenant échoués à Stockholm. Cette lettre nous apprend la vérité sur la terrible persécution des anarchistes en Russie. Nous demandons à tous les journaux anarchistes et syndicalistes de republier cette lettre et nous espérons que les camarades de ce pays nous aiderons à augmenter la vente de ce numéro dont nous avons tiré un plus grand nombre d’exemplaires que d’habitude.

Chers camarades,

La persécution des factions révolutionnaires en Russie n’a pas diminué avec la nouvelle politique économique des bolcheviques. Au contraire, elle est s’est intensifiée et devenue plus systématique. Les prisons de Russie, d’Ukraine et de Sibérie sont remplies d’hommes et de femmes- oui, dans certains cas, de simples enfants — qui ont osé avoir des opinions différentes de celles du Parti Communiste au pouvoir. Nous disons intentionnellement « avoir des opinions ». Parce que , dans la Russie d’aujourd’hui, il n’est pas du tout nécessaire d’exprimer en paroles votre désaccord ou de faire quoi que ce soit, pour être susceptible d’être arrêté; le seul fait d’avoir une opinion contraire fait de vous une proie légitime pour le pouvoir suprême de facto du pays, la Tchéka, cette toute-puissante Okhrana bolchevique, qui ne connaît ni loi, ni contrôle.

Mais de toutes les factions révolutionnaires en Russie, ce sont les anarchistes qui ont souffert des persécutions les plus impitoyables et systématiques. Leur répression par les bolcheviques avait déjà commencé en 1918, lorsque — en avril de cette année-là — le gouvernement communiste avait attaqué, sans provocation ou avertissement, le Club anarchiste de Moscou et avait, à l’aide de mitrailleuses et d’artillerie, »liquidé » l’organisation entière. Cela marqua le début de la chasse aux anarchistes, mais elle était de nature sporadique, apparaissant ici ou là, presque au hasard et souvent auto-contradictoire. Ainsi, les publications anarchistes étaient tantôt autorisées, tantôt interdites; des anarchistes étaient arrêtés ici et libérés là; quelquefois tués dans un endroit et, dans un autre, harcelés pour accepter des postes de responsabilités plus importants. Mais le Dixième Congrès du Parti Communiste Russe a mis un terme à cette situation chaotique en avril 1921, au cours duquel Lénine a déclaré une guerre ouverte et sans merci non seulement contre les anarchistes mais contre “ toutes les tendances petites bourgeoises anarchistes et anarcho-syndicalistes, où qu’elles se trouvent. Ce fut à là et alors que se déclencha l’extermination systématique, organisée et des plus impitoyables des anarchistes dans la Russie bolchevique. Le jour-même du discours de Lénine, des vingtaines d’anarchistes, d’anarcho-syndicalistes, ainsi que leurs sympathisants furent arrêtés à Moscou et Petrograd, et, le lendemain, des arrestations massives de nos camarades eurent lieu à travers tout le pays. Depuis lors, les persécutions ont continué avec une violence toujours plus grande, et il est devenu tout à fait évident que, plus le régime communiste faisait de compromis au monde capitaliste, plus les persécutions contre les anarchistes étaient intenses.

La politique établie du gouvernement bolchevique est de masquer ses procédés barbares contre nos camarades sous l’accusation généralisée de banditisme. Cette accusation est aujourd’hui portée contre pratiquement tous les anarchistes arrêtés, et même fréquemment contre de simples sympathisants de notre mouvement. Une méthode super pratique, puisque que tout le monde peut être exécuté en secret par la Tchéka, sans audition, procès ou enquête.

La guerre de Lénine contre les tendances anarchistes a adopté les formes d’extermination les plus révoltantes. En septembre dernier, de nombreux camarades ont été arrêtés à Moscou et le 30 de ce mois, les Izvestia ont publié la déclaration selon laquelle dix des anarchistes arrêtés avaient été fusillés comme » bandits.” Aucun d’entre eux n’a bénéficié d’un procès ni même d’une audition, pas plus qu’on ne leur permit d’être représentés par un avocat ou recevoir des visites de leurs proches ou amis. Deux anarchistes russes parmi les plus connus étaient parmi les condamnés, dont l’idéalisme et le dévouement de toute une vie à la cause de l’humanité leur avaient valu les cachots tsaristes, l’exil et des persécutions et souffrances dans différents autres pays. C’était Fanny Baron, qui s’était évadée de la prison de Ryazan quelques mois auparavant et Lev Tchorny,l’écrivain et conférencier célèbre, qui avait passé plusieurs années de sa vie dans la katorga (1) sibérienne pour ses activités révolutionnaires sous le tsar. Les bolcheviques n’ont pas eu le courage de dire qu’ils avaient fusillé Lev Tchorny ; dans la liste des personnes exécutées, il apparaît sous le nom de “Turchaninoff,” , qui,— bien qu’étant son vrai nom — était inconnu même de certains de ses amis les plus proches.

La politique d’extermination continue. Il y a quelques semaines de cela, des arrestations ont eu lieu à Moscou. Les victimes étaient, cette fois, les anarchistes universalistes — un groupe que même les bolcheviques avaient toujours considérés comme des plus amicaux. Parmi les personnes arrêtées se trouvaient Askaroff, Shapiro et Stitzenko, membres du secrétariat de la section universaliste de Moscou et bien connus en Russie. Ces arrestations, aussi scandaleuses fussent-elles, furent tout d’abord considérées par nos camarades comme dues à l’action sans autorisation par un quelconque agent de la Tchéka dans un excès de zèle. Mais les informations reçues depuis par nos camarades universalistes montrent qu’ils sont accusés officiellement d’être des faux-monnayeurs et des bandits ainsi que des « membres du « groupe clandestin Lev Tchorny”. Ceux familiers avec les méthodes bolcheviques ne savent que trop bien ce que signifient ces accusations. Elles signifient razstrel, une condamnation à être fusillé sans jugement ni délai.

Le satanisme de l’objectif de ces arrestation dépasse l’entendement. En accusant Askaroff, Shapiro, Stitzenko et d’autres d’être des membres du « groupe clandestin Lev Tchorny,” les bolcheviques cherchent à justifier le meurtre ignoble de Lev Tchorny, Fanny Baron et des autres camarades exécutés en septembre; et, d’un autre côté, ils créent un prétexte commode pour fusiller d’autres anarchistes. Nous pouvons affirmer aux lecteurs, formellement et sans réserve, qu’il n’existe pas de groupe clandestin Lev Tchorny. Prétendre le contraire est un odieux mensonge , un mensonge semblable aux nombreux autres répandus par les bolcheviques avec impunité contre les anarchistes.

Il est grand temps que le mouvement ouvrier révolutionnaire mondial prenne connaissance de la nature sanglante et meurtrière du régime bolchevique vis à vis de toutes les opinions politiques différentes. Et il est impératif, pour les anarchistes et les anarcho-syndicalistes en particulier, d’entreprendre des actions immédiates pour mettre fin à un tel barbarisme et de sauver, si cela est encore possible, nos camarades menacés de mort emprisonnés à Moscou. Certains des anarchistes arrêtés s’apprêtent à commencer une grève de la faim jusqu’à la mort, leur seul moyen de protester contre la tentative bolchevique de souiller la mémoire de Lev Tchorny qu’ils ont lâchement assassiné. Ils demandent le soutien moral massif de leurs camarades. Ils en ont la légitimité, et plus encore. Leur sacrifice sublime , leur dévouement de toute une vie à la grande cause, leur ténacité à toute épreuve, tout cela leur en donne le droit. Camarades, amis de partout! Il vous appartient de venger la mémoire de Lev Tchorny et, en même temps, de sauver les précieuses vies de Askaroff, Shapiro, Stitzenko,et des autres. Ne tardez pas ou il pourrait être trop tard. Demandez au gouvernement bolchevique les soi-disant documents qu’il prétend détenir sur Lev Tchorny, qui “impliquent Askaroff, etc., dans le groupe clandestin Lev Tchorny de bandits et de faux-monnayeurs.” De tels documents n’existent pas, à moins d’être des faux. Mettez les bolcheviques au défi de les présenter et faites entendre la voix de chaque révolutionnaire et ‘être humain honnête, dans une protestation mondiale contre la poursuite par le système bolchevique des assassinats ignobles de ses opposants politiques. Hâtez-vous, car le sang de nos camarades coule en Russie.

Alexandre Berkman
Emma Goldman

Stockholm, 7 janvier 1922.

NDT

1.
La Katorga désigne une partie du système pénal de l’empire russe, sous forme de camps de travail. Le système fut maintenu, et développé, après la révolution d’octobre 1917.

 

  • SOURCE :  Racines et Branches

    Un regard libre sur les formes anti-autoritaires d’hier et d’aujourd’hui.

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