★ Un poète libertaire : Jacques Prévert
« Jacques Prévert est mort ! Toute une partie de notre existence active ou intellectuelle, défile devant nos yeux lorsqu'on évoque le souvenir du poète qui enchanta notre jeunesse et qui une fois l'âge venu nous rappela que le bourgeois, le curé et le militaire restaient les ennemis de notre émancipation. Car au contraire de ces intellectuels de gauche qui encombrent le carrefour Saint-Germain, Jacques Prévert était resté fidèle aux idées de sa jeunesse. Et lui, qui avec des mots simples, avait fait voler en éclat le corset à l’aide duquel les classiques enserraient la poésie, se servait de ces mêmes mots pour clamer son espoir et ses colères !
Assis
Près du lit défait
l'enfant du défunt
Près de feu son père
Feint de faire du feu
Et debout
Près de l'enfant fou
Sous-alimenté et décalcifié
Près de l'enfant fou
et du père glacé
Un prêtre parle de l'enfer
Pour les hommes de ma génération tout commença avec Prévert. Juin 1936 : Quarante ans déjà ! Dans les usines que nous occupions, des saltimbanques dépenaillés qui, comme nous contestions nos patrons, contestaient tous les bourgeois respectables, venaient interpréter pour nous un poète inconnu : Jacques Prévert ! Une poésie tendre et baroque, un théâtre d'avant-garde, des pièces récitées par des cœurs profonds, chantant la misère des travailleurs, un cinéma qui maintenant parlait, tels furent les liens qui unirent les jeunes travailleurs et le poète !
Son langage faisait sauter les verrous imposés par la syntaxe, et cette révolte contre l'académisme correspondait à l'esprit qui animait une Jeunesse qui faisait connaissance avec le plein air, et qui d'auberge en auberge allait parcourir les routes du monde à la recherche de la solidarité, de la liberté, de sa raison d'exister. Puis ce fut la guerre, la fin des illusions! Pendant l'occupation une édition ronéotypée de ses poèmes circulera clandestinement dans les lycées et dans les facultés. Les hommes qui avec lui avaient fait parti du groupe « Octobre » envahissaient les tréteaux des théâtres, les plateaux du cinéma, faisaient connaître aux gens du métier ses œuvres restées confidentielles, et par leur talent consacrèrent Prévert et tous ceux qui avaient travaillé, avant la guerre, à le faire recevoir par le grand public. À la libération, Paroles obtint un succès considérable pour un recueil ignoré d'une partie de la critique et qui choquait les puristes par son esprit provocant. Prévert est alors l'anti-bourgeois, l'anti-conformiste, l'anti-intellectualiste, l'anti-politicard. À une jeunesse enthousiaste il apporte ce mouvement qui est le sel de la terre.
Naturellement le cinéma, le théâtre, la radio le monopoliseront quelques temps, mais en dehors de ses films dont les titres sont dans toutes les mémoires la bourgeoisie intellectuelle qu'il a fortement étrillée, restera réservée. C'est l'époque où nous l'avons connu, d'abord à la Fontaine des Quatre Saisons, puis au gala du Groupe Louise Michel, au Moulin de la Galette. C'est par lui que nous connûmes un certain nombre d'artistes : Les Garçons de la rue, Jean Yanne, d'autres encore qui firent le succès de nos fêtes annuelles.
Approcher Prévert ne décevait pas ! Il était l'homme de sa littérature. Contrairement à beaucoup, il saura vieillir en restant lui-même et en conservant cette fougue et cette chaleur, que le succès dégrade. Je l'entends encore crier dans le téléphone sa réprobation pour un article que j'avais publié dans la Rue sur Teilhard de Chardin et qu'il trouvait trop indulgent, Prévert n'aimait pas les curés, qu'ils soient de droite ou de gauche, ce qui n'empêchera pas au cas échéant, certains d'entre-deux de se réclamer de lui, bien sûr ! Cette simplicité narquoise on la retrouve tout entière dans ce morceau qui est bien de sa manière :
« Autrefois, les ânes étaient tout à fait sauvages, c'est-à-dire qu'ils mangeaient quand ils avaient faim, qu'ils buvaient quand ils avaient soif et qu'ils couraient dans l'herbe quand ça leur faisait plaisir. »
Prévert qui fut la tendresse, mais une tendresse lucide, nous a quittés ! La critique, y compris celle qui faisait la moue devant son œuvre a beaucoup parlé de lui. Elle a fait un effort méritoire pour ne pas dire ce qu'il était et ce petit con de Khan s'est particulièrement distingué à la télévision dans cet exercice de style. Prévert était un poète libertaire au sens large du mot, son influence sur la génération de l'immédiat après-guerre fut considérable. C'est son souffle qui en partie poussa la jeunesse universitaire sur les barricades du boulevard Saint-Michel. L'histoire, cette vieille catin qui, une fois qu'ils sont morts, aime les poètes qui refusent de marcher dans les clous, poussera Jacques Prévert vers ces sentiers verdoyants que cet ancêtre des écologistes aimait tant. Loin des bruits de l'Olympe il y retrouvera, Villon, Saint Amant, Baudelaire, Couté, Breton et quelques-autres. Loin de la quincaillerie littéraire qu'on vend quai Conti il sera en bonne compagnie pour attendre les générations de jeunes qui viendront périodiquement boire à sa source. »
Maurice Joyeux
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