L'idéologie fasciste historique et les néofascismes contemporains (2/3)

Publié le par Socialisme libertaire

L'idéologie fasciste historique et les néofascismes contemporains (2/3)


L'idéologie fasciste historique et les néofascismes contemporains, deuxième partie "les fascismes historiques", 2014

1 Qu’est-ce que le fascisme ?

1.1 Les fascismes historiques principaux

Traitons de suite l’historiographie des deux principales idéologies fascistes connues, l’exemple italien, qui est le fascisme « initial » et l’exemple allemand qui est le fascisme « industriel ».

1.1.1 Le cas italien : une somme de contradictions au sein d’un pays en crise économique

Il s’agit bien ici du fascisme « initial », le point de départ, ce moment où le socialisme mal absorbé, incompris, exigeant un dépassement, va mener Mussolini au pouvoir avec un processus qui débute dès 1919 pour amener le fascisme au pouvoir à partir de 1921.

L’Italie est un pays en crise économique qui possède plusieurs contradictions principales en son sein : une contradiction entre la bourgeoisie du Nord et les agrariens du Sud (problème du Mezziogiorno), une contradiction entre le capitalisme bancaire et le capitalisme industriel, notamment au Nord, une contradiction entre la bourgeoisie et le prolétariat (la tension sociale se fait forte notamment au Sud, le risque révolutionnaire est réel). En somme, la jeune Italie, issue de principautés économiques longtemps autonomes, se délite et entre en crise économique et sociale, notamment après la Première Guerre mondiale qui laisse un pays ruiné.

En 1919, Benito Amilcare Andrea Mussolini crée des « faisceaux de combat ». C’est alors un socialiste en rupture de ban qui a retourné sa veste sur son pacifisme, en 1914, soutenant l’entrée de l’Italie en guerre. Agent de propagande du MI-5 (services secrets anglais), il professe un militarisme pour lequel il est rémunéré et fait le coup de poing contre les pacifiques pacifistes, plutôt notamment à Turin [1]. Il revendique pour les futurs « anciens » combattants, le droit de diriger l’Italie à l’issue de la guerre.

Le 23 mars 1919, le Parti National fasciste est créé. Le programme est un amalgame de syndicalisme révolutionnaire mâtiné de nationalisme guerrier, basé sur un opportunisme revendiqué : « Nous nous permettons le luxe d'être aristocrates et démocrates, conservateurs et progressistes, réactionnaires et révolutionnaires, légalistes et illégalistes, selon les circonstances, le lieu et le cadre dans lequel nous sommes contraints de vivre et d'agir » [2]. Entre 1920 et 1922 de nombreuses violences vont opposer les chemises noires fascistes aux socialistes et anarchistes. Entre le 27 et le 31 octobre 1922, Mussolini demande à ses troupes, estimées entre 30 000 et 100 000, de marcher sur Rome. Le président du Conseil, Luigi Facta, demande au roi Victor-Emmanuel III de décréter l’état de siège, ce que ce dernier refuse. Facta démissionne et le roi offre à Mussolini le poste de président du conseil en charge de former un nouveau gouvernement. On voit ici dès le début que le fascisme est une révolte individuelle, celle de Mussolini encadré par ses troupes et la « révolution fasciste » n’est en fait qu’une révolution de palais où un gouvernement bourgeois fait place à un autre. Mussolini bénéficie alors du soutien de la Maison de Savoie (du roi et de sa famille) ainsi que des principaux industriels italien, très attentifs à la politique antisyndicale et antisocialiste du PNF.

Le 24 novembre 1922, le conseil lui octroie les pleins-pouvoirs. Débute alors l’aventure légale du fascisme italien qui se glisse dans les chaussons de la monarchie constitutionnelle et des élections libres. En 1924, la liste nationale du PNF obtient plus de 60 % des suffrages. En 1924, le député socialiste Matteoti, qui s’est fendu d’un discours virulent contre Mussolini est enlevé et assassiné par un escadron fasciste. Va débuter alors la période du fascisme d’État. Le PNF se réunit une dernière fois en juin 1925. Les lois fascitissimes sont mises en œuvre [3] : le PNF devient le parti unique, les syndicats sont interdits tandis que des corporations leur sont substituées, la censure de la presse est généralisée. Le confinement (allant de la surveillance policière à la déportation) est mise en place pour les antifascistes, l’OVRA (la police secrète) est créée, et le Tribunal spécial de l’Etat est mis en œuvre.

« Tout par l'État, rien hors de l'État, rien contre l'État ! » disait Mussolini au sujet de l’État fasciste. Antonio Gramsci, dirigeant communiste, incarcéré dès 1926, définira le fascisme dans ses Cahiers de Prisons de la sorte, avec ce verbe nécessité par la censure de ses geôliers fascistes : « Développement du concept général contenu dans l'expression «esprit d'État». Cette expression a un sens bien précis, historiquement déterminé. Mais un problème se pose : existe-t-il quelque chose de semblable à ce qu'on appelle « esprit d'État »dans tout mouvement sérieux, c'est-à-dire qui ne soit pas l'expression arbitraire d'individualismes plus ou moins justifiés ? Tout d'abord, l' « esprit d'État » suppose la« continuité », soit avec le passé ou la tradition, soit avec l'avenir, c'est-à-dire qu'il suppose que tout acte est le moment d'un processus complexe, qui est déjà commencé et qui continuera. Le sentiment de responsabilité de ce processus, le sentiment d'en être les acteurs responsables, d'être solidaires de forces « inconnues » matériellement ,mais qu'on sent pourtant actives et opérantes et dont on tient compte, comme si elles étaient « matérielles » et physiquement présentes, s'appelle justement dans certains cas « esprit d'État » » [4].

Gramsci démontre ici la forme de césarisme qu’est le fascisme à ses débuts, et qui va en renforçant l’Etat prendre la place de toutes les « forces vives », noyauter l’ensemble de la société civile et donc étendre son influence vers la superstructure idéologique.

Dans les faits, le fascisme initial a mis en place assez tardivement des lois raciales (Leggi razziali), c’est cet argument qu’utilisent d’ailleurs les pro-fascistes pour expliquer que le fascisme n’est pas une doctrine raciste. Pourtant la mise en œuvre tardive de lois raciales (1938) est le fruit d’une longue gestation du fascisme au sein de la monarchie constitutionnelle (donc sous l’œil de la Société des Nations) comme parti « légaliste » puis ensuite de la mise en œuvre progressive mais certaine, d’un appareil d’Etat répressif dont les escadrons fascistes seront le moule) retirer la parenthèse. Ainsi, Mussolini déclarait à sa maîtresse: « Moi, j'étais raciste dès 1921. Je ne sais pas comment on peut penser que j'imite Hitler [concernant les lois antijuives de 1938], il n'était même pas né [politiquement]. Ils me font rire (...) Il faut donner un sens de la race aux Italiens pour qu'ils ne créent pas de métisses, qu'ils ne gâchent pas ce qu'il y a de beau en nous (...) Ces saloperies de juifs, il faut tous les détruire. Je ferai un massacre comme les Turcs ont fait. [...] Je ferai un îlot et les y enfermerai tous. Ce sont des charognes, nuisibles et lâches (...) Il est temps que les Italiens comprennent qu'ils ne doivent plus être exploités par ces reptiles » [5].

Pour autant en l’état actuel de la question, il n’a pas été fait mention d’une volonté génocidaire préméditée du fascisme « initial », même si, il faut le rappeler en 1943 et 1945, la République Sociale Italienne participe à la déportation nazie des juifs. De plus, Mussolini a bénéficié, au plus tard en 1943, d’un rapport de ses services sur les déportations et exterminations massives.

1.1.2 Le cas allemand : une somme de contradictions dans un pays en crise politique

Nous qualifions le fascisme allemand, le national-socialisme issu du Parti des Ouvrier Allemands (DAP) qui deviendra le Parti National-Socialiste des Ouvriers Allemand (NSDAP), comme le fascisme « industriel ». Ce terme peut sembler singulier. Néanmoins, ce qui distingue notamment le fascisme allemand de son pendant italien, est que le premier s’est érigé au pouvoir dans un pays économiquement puissant, qui possédait une certaine assise impérialiste de par son industrie forte et sa politique expansive (que le nazisme prolongera du reste en Europe et en Afrique du Nord). Il est aussi un fascisme « industriel » en ce sens qu’il va mettre à profit les firmes allemandes et leur puissance dans le processus génocidaire qui va le caractériser, et qui fut un processus prémédité et programmatique.

Nous ne discuterons pas des casuistiques historiographiques qui cherchent à faire du nazisme une doctrine différente du fascisme.

En novembre 1918, la République de Weimar est instaurée. Le nouveau pouvoir signe l’armistice. Hitler, hospitalisé suite à une blessure au gaz moutarde, est troublé par ces nouvelles : la guerre est perdue et la nouvelle Allemagne est dirigée par la Parti social-démocrate (SPD). Pour lui l’Allemagne a été sacrifiée sur l’autel de l’histoire par la gauche et les juifs. Il reste sous les drapeaux jusqu’en 1921 faisant parfois à partir de 1919, de la propagande anticommuniste et pro-nationaliste dans les rangs.

L’Allemagne est un pays puissant mais en proie à une importante contradiction entre bourgeoisie et prolétariat. La République de Weimar provoque la chute de l’Empire Allemand de 1871 et elle est promulguée deux heures avant la république socialiste d’Allemagne de Karl Liebknecht. La social-démocratie allemande qui souhaite le pouvoir souhaite aussi éviter que le prolétariat ne prenne le pouvoir. Des épisodes révolutionnaires ont pourtant lieu dans des Länder, dont la Bavière, avec la mise en place d’une éphémère république des conseils, à laquelle Hitler participa d’ailleurs discrètement, malgré ses orientations nationalistes.

La concentration des cartels et trusts dans ce pays impérialiste est importante donnant naissance à un des premiers consortiums géants d’Europe, en 1926, I.G. Farbe. L’industrie est de plus en plus monopolistique dans ses domaines de compétence. La Bavière reste une région influente politiquement pour la République de Weimar.

L’unité nationale du territoire et du régime politique attenant a du mal à être maintenue sur l’ensemble du territoire. Un risque révolutionnaire spartakiste réel et la poussée de plusieurs formes de nationalismes font florès un peu partout.

Au niveau économique, les contradictions semblent moindres qu’en Italie. Très vite l’Allemagne ruinée, forte de son industrie, rebondit. Mais la crise de 1929 va donner un coup fatal à cette reconstruction économique faisant passer le taux de chômage de 5% en moyenne à plus de 30 % et à la contradiction politique profonde s’enchaînera une contradiction économique. Les conséquences catastrophiques de la crise de 1929 sur l’économie allemande, très dépendante des capitaux rapatriés aux États-Unis immédiatement après le krach de Wall Street, apportent bientôt au NSDAP un succès foudroyant et imprévu. Aux élections du 14 septembre 1930, avec 6,5 millions d'électeurs, 18,3 % des voix et 107 sièges, le parti nazi devient le deuxième parti au Reichstag. Hitler se présente alors à la présidence de la République de Weimar, deux ans plus tard. Au premier tour le 13 mars 1932, Hitler obtient 30,1 % des voix et 36,8 % au second tour en avril. Soutenu en désespoir de cause par les socialistes, Hindenburg est réélu à 82 ans. Mais lors des scrutins régionaux qui suivent l’élection présidentielle le NSDAP renforce ses positions et arrive partout en tête. Aux élections législatives du 31 juillet 1932, il confirme sa position de premier parti d'Allemagne, avec 37,3 % des voix et devient le premier groupe parlementaire. Néanmoins, le NSDAP connait des crises internes : Hitler ne cesse de faire des déclarations contradictoires et les seules constantes du programme nazi restent le racisme et l’antisémitisme.

Contrairement au fascisme « initial », le fascisme « industriel » indique très nettement que « Le Parti national-socialiste des travailleurs allemands tire les caractères essentiels d’une conception raciste de l’univers » [6]. Le modèle qui servira à Hitler sera l’Eglise catholique romaine : « sa force de résistance ne réside pas dans un accord plus ou moins parfait avec les résultats scientifiques du moment, résultats d'ailleurs jamais définitifs, mais dans son attachement inébranlable à des dogmes établis une fois pour toutes, et qui seuls confèrent à l'ensemble un caractère de foi » [7], ce qui sous-entend qu’une partie de l’antisémitisme proviendra de celui véhiculé par le catholicisme. (cf. première partie1.1.1).

Hitler regrettera d’ailleurs la faible emprise de l’antisémitisme dans la société allemande : « En 1918, il ne pouvait être question d'un antisémitisme systématique. Je me rappelle encore combien il était difficile de prononcer alors seulement le nom de Juif. Ou bien l'on vous regardait avec des yeux stupides ou bien l'on se heurtait à l'opposition la plus vive. Nos premières tentatives pour montrer à l'opinion publique quel était notre véritable ennemi, ne paraissaient avoir à cette époque presque aucune chance de succès et ce ne fut que lentement que les choses prirent une meilleure tournure » [8].

En 1919, il écrit, dans une lettre : « pogroms. L'antisémitisme raisonné, par contre, doit conduire à une lutte méthodique sur le plan légal et à l'élimination des privilèges du Juif. Son objectif final doit être cependant, en tout état de cause, leur bannissement » [9] et qualifie le judaïsme de « tuberculose raciale des peuples » (Rassentuberkulose der Völker) [10]. En septembre 1919, il intègre le DAP (Parti Allemand des Ouvriers) fondé il y a peu par Anton Drexler, un antimarxiste. Grâce à ses qualités d’orateur, Hitler devient vite le directeur de la propagande de ce groupuscule. Le 24 février 1920, Hitler convainc Drexler de changer le nom du parti pour NSDAP (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei), Parti national-socialiste des travailleurs allemands. Dans la foulée est rédigé le programme en 25 points, qui présente des caractéristiques impérialistes : « point 3 : Nous exigeons de la terre et des colonies pour nourrir notre peuple et résorber notre surpopulation », antisémite : « point 4 : Seuls les citoyens bénéficient des droits civiques. Pour être citoyen, il faut être de sang allemand, la confession importe peu. Aucun Juif ne peut donc être citoyen. », antisocial « point 11 : La suppression du revenu des oisifs et de ceux qui ont la vie facile, la suppression de l'esclavage de l'intérêt » et enfin la création d’un parti-État : « Point 25 : Pour mener tout cela à bien, nous demandons la création d'un pouvoir central puissant, l'autorité absolue du parlement politique central sur l'ensemble du Reich et de ses organisations, ainsi que la création de Chambres professionnelles et de bureaux municipaux chargés de la réalisation » [11].

Avant même Mein Kampf, qui sera rédigé entre 1924 et 1925 pendant la détention d’Hitler pour cause de coup d’État manqué en Bavière, on voit poindre une volonté génocidaire dans le fascisme industriel. D’une part, on désigne immédiatement un bouc-émissaire, le juif, et on lui interdit le sol allemand (point 4 du Programme en 25 points du NSDAP). D’autre part, on qualifie le judaïsme de tuberculose, en somme comme une maladie que l’on doit éradiquer. Les moyens ne sont pas indiqués, mais on peut craindre le pire.

Dans Mein Kampf, traitant du futur État du fascisme industriel, Hitler souligne : « L’État raciste … devra faire de la race le centre de la vie de la communauté; veiller à ce qu'elle reste pure; déclarer que l'enfant est le bien le plus précieux d'un peuple. Il devra prendre soin que, seul, l'individu sain procrée des enfants; il dira qu'il n'y a qu'un acte honteux : mettre au monde des enfants quand on est maladif et qu'on a des tares, et que l'acte le plus honorable est alors d'y renoncer. … L’État doit intervenir comme ayant le dépôt d'un avenir de milliers d'années au prix duquel les désirs et l'égoïsme de l'individu sont tenus pour rien et devant lequel ils doivent s'incliner ; il doit utiliser des ressources de la médecine la plus moderne pour éclairer sa religion; il doit déclarer que tout individu notoirement malade ou atteint de tares héréditaires, donc transmissibles à ses rejetons, n'a pas le droit de se reproduire et il doit lui en enlever matériellement la faculté… Celui qui n'est pas sain, physiquement et moralement, et par conséquent n'a pas de valeur au point de vue social, ne doit pas perpétuer ses maux dans le corps de ses enfants » [12].

Parlant de la société fantasmée du national-socialisme, Hitler indique : « [dans] I'histoire de l'humanité, les uns, ayant reconnu la vérité, sauront faire abnégation en silence, les autres feront le don joyeux d'eux-mêmes » [13], comparant l’élevage canin et chevalin à l’édification d’une nouvelle race et donnant ainsi crédit au social-darwinisme. Hitler souhaite aussi imposer très vite un anti-intellectualisme, sous prétexte que des savoirs inutiles engorgeraient les esprits des hommes nouveaux, paradoxal pour la race supérieure si on y réfléchit un instant : « Dans un État raciste, l'école consacrera infiniment plus de temps aux exercices physiques. Il ne convient pas de surcharger les jeunes cerveaux d'un bagage inutile ; l'expérience nous apprend qu'ils n'en conservent que des fragments et, en outre, qu'il leur en reste non pas l'essentiel, mais des détails secondaires et inutilisables » [14].

La violence sera l’une des armes du national-socialisme et le droit de tuer (le faible, le poltron) en est la clé : « En tous temps, le véritable lâche ne redoute, bien entendu, rien plus que la mort. La mort, elle, se présentait à lui tous les jours, au front, sous des milliers de formes différentes. Si l'on veut maintenir quand même dans leur devoir des garçons faibles, chancelants ou même poltrons, il n'y a et il n'y a eu de tout temps qu'un seul moyen : il faut que le déserteur sache que sa désertion lui procurera, à coup sûr, ce qu'il veut éviter. Au front, on peut mourir; comme déserteur, on doit mourir » [15].

Hitler pense le recours à la violence comme une défense personnelle des militants contre leurs ennemis, mais aussi pour protéger la nation : « Ce service d'ordre avait, il est vrai, au début le caractère d'un service de protection des salles. Sa première tâche était limitée : il devait assurer la possibilité de tenir des réunions sans que l'adversaire pût les saboter. Il avait d'ores et déjà été créé pour attaquer à fond… parce que l'idée la plus élevée peut être étouffée si son protagoniste est assommé d'un coup de matraque. C'est un fait que bien souvent, dans l'histoire, les têtes les plus nobles tombèrent sous les coups des derniers des idiots. Notre organisation ne considérait pas la violence comme but en soi, mais voulait protéger contre la violence ceux qui poursuivaient des buts idéaux. Et elle comprit en même temps qu'elle n'avait pas à assumer la protection d'un État qui n'accordait aucune protection à la nation, mais qu'elle devait, au contraire, se charger de la défense de la nation contre ceux qui voulaient détruire le peuple et l’État » [16]

L’État surpuissant, la violence comme défense, si Hitler ne développe pas, faute d’idées précises sur le processus, le génocide industriel à venir, il avertit cependant que celui-ci sera nécessaire à la société pour ériger la race supérieure en évitant les races inférieures et les métis. Sans cela l’homme « Accablé par le fardeau de la sensibilité humaine, [il] tombe au niveau de l'animal incapable de s'élever sur l'échelle des êtres » [17].

L’une des principales raisons de l’antisémitisme provient du fait que selon Hitler, le juif est un apatride, qu’il ne peut pas s’inscrire dans un mouvement nationaliste, car il n’a pas de nation, ce qui démontre pour le leader nazi son « infériorité » qu’il tente de masquer par son intromission dans la société : « Comme le Juif … n'a jamais été en possession d'une civilisation qui lui fût propre, les bases de son travail intellectuel lui ont toujours été fournies par d'autres. Son intellect s'est toujours développé à l'école du monde civilisé qui l'entourait ». [18]

Immédiatement Hitler provoque l’amalgame entre le judaïsme et le marxisme :« [le juif] se rapproche de l'ouvrier, feint hypocritement d'avoir de la compassion pour son sort ou même d'être indigné de la misère et de la pauvreté qui sont son lot ; le Juif gagne ainsi la confiance de l'ouvrier. Il s'efforce d'étudier toutes les épreuves, réelles ou imaginaires, que comporte la vie de l'ouvrier et d'éveiller chez celui-ci le désir violent de modifier ses conditions d'existence. Le besoin de justice sociale qui sommeille toujours dans le cœur d'un Aryen, le Juif l'excite habilement jusqu'à ce qu'il se change en haine contre ceux qui jouissent d'un sort plus heureux et il donne un aspect philosophique précis au combat livré contre les maux sociaux. Il jette les bases de la doctrine marxiste » [19].

Ce qui ressort de la lecture de ces extraits du livre du leader nazi est que toutes les pages de son autobiographie transpirent la volonté de se débarrasser biologiquement, des faibles des poltrons, des juifs, des métis. En mettant en avant la violence comme légitime défense, il sous-entend que le futur État nazi mettra tout en œuvre pour « sélectionner » les éléments de la race supérieure, ce qui indique qu’il faille classifier les races, évincer les faibles et faire de même pour les individus les plus « corrompus » de la race aryenne. C’est en cela que le fascisme allemand est industriel : programmatiquement, le national-socialisme indique qu’un Etat devra mettre en œuvre des mesures strictes de sélection, en somme être un Etat social-darwinien eugéniste. L’idée existe avant la prise du pouvoir, ce n’est que la prise du pouvoir et l’édification d’un appareil d’État adéquat qui permettront de passer des plans fantasmés à la réalité du génocide industriel. La sélection, lorsqu’il s’agit de biologie, nécessite toujours d’éliminer en retour les individus les moins conformes au « cahier des charges » de la sélection.

Le pouvoir sera pris le 30 janvier 1933. Comme en Italie, où le pouvoir fut cédé par le roi dans le jeu démocratique, le pouvoir politique d’Hitler proviendra d’une décision du Président de la république de Weimar, Hindenburg. Contrairement à une idée reçue fréquente, Hitler n'a jamais été élu , conformément aux règles de la démocratie, en qualité de leader du parti remportant les élections législatives de mars 1933.

1.2 Les fascismes « partiels » : de l’Espagne franquiste au coup d’État des généraux grecs

Avec la disparition entre 1944 et 1945 des deux principaux régimes fascistes européens (et du fascisme japonais) le fascisme n’est pas pour autant rayé complètement de la carte européenne. Il est aujourd’hui historiographiquement reconnu que les régimes espagnol et grec ne furent pas stricto sensu des régimes fascistes, nous les qualifions de fascismes « partiels », nous allons voir pourquoi.

Nicos Poulantzas, théoricien marxiste, niait le caractère « fasciste » de l’Espagne franquiste et de la Grèce, son pays d’origine, après le coup d’État des Généraux. Il distinguera ce qu’il nomme le bonapartisme et la dictature militaire, du fascisme (Fascisme et Dictature). Pour autant, ces deux régimes singulièrement différents avaient des traits communs avec le fascisme « historique », mais ne furent donc que des fascismes que l’on pourrait qualifier de « partiels », voyons pourquoi.

1.2.1 L’État espagnol franquiste

En Espagne, plus exactement dans l’État espagnol selon sa propre définition, à la fin de la guerre civile, la loi du 8 août 1939 instaure le « Caudillo d’Espagne par la grâce de Dieu » en la personne de Francisco Paulino Hermenegildo Teódulo Franco y Bahamonde dit Franco. Militaire reconnu, mais inexpérimenté au niveau politique, Franco est appelé dès 1934 par le ministre radical Diego Hidalgo, à la tête de l’armée afin de contrecarrer la révolte socialiste des Asturies.

La révolte matée, il apparaît en 1936 comme l’un des sauveurs de la démocratie bourgeoise espagnole face au péril communiste. En février 1936, devant des élections qui risquent d’aggraver la tension révolutionnaire au sein du pays, Franco demande au gouvernement l’instauration de l’état d’exception. Le front populaire l’emporte, Manuel Azana, leader de la gauche est nommé président du conseil. C’est finalement quelques mois plus tard, avec l’assassinat d’un leader monarchiste par des socialistes et dans un climat pré-révolutionnaire, que les monarchistes, dont Franco, décident de provoquer le soulèvement de juillet 1936.

L’État espagnol est un état ruiné après la guerre civile. Franco met en œuvre l’autarcie de l’État et un interventionnisme étatique économique subséquent. Chef d’un amalgame politique à la fois nationaliste, monarchiste, chrétien, phalangiste, le régime franquiste ne répond pas à la définition historique du fascisme. Il reste néanmoins un régime répressif (environ 500 000 prisonniers politiques « républicains », édification de camps de concentration…), antisémite (en 1941, Franco dresse une liste de 6000 juifs selon leur critère de dangerosité…), érigeant un leader suprême, organisant un parti-syndicat unique la Phalange dit le « FET » (Falange Española Tradicionalista y de las Juntas de Ofensiva Nacional Sindicalista ). Le régime franquiste instauré en 1939 a connu plusieurs mouvements jusqu’au processus démocratique de 1975.

A partir de 1947, l’État espagnol redeviendra une monarchie, sans roi régnant malgré l’annonce de la succession de Franco par Juan Carlos dès juillet 1954 mais qui ne sera effective qu’à la mort de Franco en 1975. Le régime franquiste est donc un régime fasciste « partiel » en ce sens qu’il est avant tout un régime dictatorial national-syndicaliste-phalangiste qui abandonna progressivement l’économie autarcique à l’économie libérale, avec une police politique et un parti unique qui abandonnèrent lentement leurs prérogatives fascistoïdes, tout en maintenant une dictature autoritaire autour d’ un leader unique.

1.2.2 La Junte grecque

En Grèce, le coup d’État de la junte militaire qui visait le roi Constantin II, incapable de diriger le pays selon les militaires et de faire face au risque communiste eut lieu en 1967. Les militaires allaient conserver le Royaume de Grèce en nommant des régents, dont le chef du coup d’État Georgios Papadopoulos qui deviendra premier ministre de 1967 à 1974.

Le régime grec des généraux se démarquait par une censure sur les médias (interdiction de certains livres, développement de la propagande télévisuelle afin d’éviter les sorties culturelles dans un pays où le cinéma était une sortie traditionnelle…), par des exactions contre les personnalités de gauche et démocrates (torture, assassinat, incarcération), des gouvernements successifs fantoches et l’érection du christianisme orthodoxe comme religion d’État. Il s’agit ici d’un fascisme « partiel » car il ne répond pas à l’une des caractéristiques principales du fascisme : la création d’un appareil d’État autour d’un parti fasciste et d’un leader unique autour d’une certaine bureaucratisation. Manquait également à l’appel une volonté de conquête territoriale, si ce n’est la vieille querelle de l’île de Chypre encore d’actualité aujourd’hui.

1.3 Des « nouveaux fascismes » au « sous-fascisme » en France ou comment méconnaitre la définition du fascisme

A l’aube des années 1980, les années 1970 sont celles de l’agitation généralisée, des groupuscules gauchistes naissent comme des champignons après la pluie et le gaullisme triomphant s’use dans le pompidolisme. C’est le moment où une jeune génération d’intellectuels post-soixantehuitarde décide de qualifier de « nouveaux fascismes » les dérives d’un pouvoir de droite nationale en France, mais qui n’a pourtant rien de fasciste.

Cela provient d’une profonde méconnaissance de ce qu’est le fascisme ainsi que nous avons tenté de la qualifier plus haut, d’une bonne dose d’alarmisme gauchiste petit-bourgeois et d’une sémantique étendue au plus large. C’est aussi le pendant extrême de « l’esprit français » qui veut voir le fascisme nulle part en France (cf. point 1.2).

Toute cette compréhension erronée s’est trouvée justement synthétisée en 1972 dans cette citation classique du genre : « Le fascisme est dans l’État, c’est même là qu’il se trouve le mieux et M. Marcellin ne prendra pas d’assaut son propre bureau. Le fascisme d’aujourd’hui ne signifie plus la prise du Ministère de l’Intérieur par des groupes d’extrême-droite, mais la prise de la France par le Ministère de l’Intérieur. » [20] .

La qualification de « nouveau » fascisme provient d’une vision confuse du monde qui confond la réaction (Marcellin ou Pasqua ou Guéant) avec le fascisme. Ce type de discours est à nouveau véhiculé par le GARAP (Groupe d’Action pour la Recomposition de l’Autonomie Prolétarienne) lorsqu’il définit une forme « nouvelle » de fascisme, le « sous-fascisme » dont la définition exacte : « cour des miracles policière située aux avant-postes de la réaction institutionnalisée. Il est une grossière mise en scène spectacliste où s’agitent les médiocres imitateurs de figures réactionnaires périmées » [21] est sur le sentier confus d’un certain situationnisme. Le discours du GARAP devient encore plus confus lorsque le Front National y est qualifié de « proto-sous-fascisme », ce qui signifierait littéralement de pré-fascisme d’imitation-des-figures-tutélaires-du-fascisme. En somme, un faux fascisme, un fascisme « en toc ». On se demande où s’arrêteront les préfixes et finalement ce qu’entend le GARAP par fascisme, ce qui n’est pas indiqué. Le danger de ce concept, creux il faut le reconnaitre, c’est d’affirmer plus loin « comme le fascisme ne peut plus réapparaître, le sous-fascisme n’est qu’une apparence décrépie du fascisme ». Comprenne qui pourra.

Ces dérives sémantiques extensives de la notion de fascisme qu’il soit dit « nouveau » ou « sous » viennent aussi du fait qu’il manque une définition intermédiaire de ce qui tend à devenir fasciste peut-être mais qui ne l’est pas encore et demeure une méconnaissance des principes de fonctionnement du fascisme, où le fascisme peut réapparaître y compris sous une forme nouvelle, car il est essentiellement un mouvement dynamique. En disqualifiant cette définition des « nouveaux fascismes » et des « sous-fascismes » voyons ce qu’est le fascisme tout simplement.

NOTES

[1] http://www.guardian.co.uk/world/2009/oct/13/benito-mussolini-recruited-mi5-italy

[2] Serge Berstein et Pierre Milza, Le Fascisme italien, 1919-1945, Paris, Seuil, Points Histoire, 1980, p. 90.

[3] http://fr.wikipedia.org/wiki/Lois_fascistissimes

[4] Antonio Gramsci, Textes, Paris, Editions Sociales, 1975, p. 450.

[5] Mauro Suttora ,Mussolini segreto, Rome , Rizzoli, 2009.

[6] Adolph Hitler, Mein Kampf, tome deux, chapitre 1.

[7] Ibid., chapitre 3.

[8] Ibid., Chapitre 5, p. 557.

[9] http://www.ns-archiv.de/verfolgung/antisemitismus/hitler/gutachten.php

[10] Ibid.

[11] « Le 24 février 1920 eut lieu le premier grand meeting de notre jeune mouvement. Dans la salle des fêtes du Hofbraühaus, à Munich, les vingt-cinq points de notre programme furent exposés à une foule de près de deux mille hommes, et chacun de ces points reçut une approbation enthousiaste. Ainsi furent livrés au public, pour la première fois, les principes et les directives du combat qui devait nous débarrasser d'un véritable fatras d'idées et d'opinions périmées de tendances obscures ou même nuisibles. Il fallait qu'une puissance nouvelle se manifestât dans le paresseux et lâche monde bourgeois, comme devant la triomphante vague marxiste, pour arrêter au dernier moment le char du destin ». Adolph Hitler, Mein Kampf, tome deux, chapitre 1.

[12] Ibid., Chapitre 2, p. 401. Pour Hitler la race est un principe naturel définitif « Tout animal ne s'accouple qu'avec un congénère de la même espèce : la mésange avec la mésange, le pinson avec le pinson, la cigogne avec la cigogne, le campagnol avec le campagnol, la souris avec la souris, le loup avec la louve, etc. Seules, des circonstances extraordinaires peuvent amener des dérogations à ce principe ».

[13] Ibid. , p. 403

[14] Ibid., p. 409.

[15] Ibid, chapitre 5, p. 521.

[16] Ibid, Chapitre 5, p. 533.

[17] Ibid, Tome 1, pp. 288-289.

[18] Ibid, pp. 303.

[19] Ibid., pp. 319.

[20] André Glucksmann, « Nouveau fascisme, nouvelle démocratie», in Les Temps Modernes N° ?, Paris, 1974.
[21] Revue Ni Patrie, Ni Frontière, n° 36-37, Septembre 2011, p. 134.

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