★ De l’inexistence de la classe moyenne
Notre société est divisée en classes sociales : la classe possédante (la bourgeoisie) et la classe exécutante (prolétariat). Pour qu'un jour l'humanité détruise le système de classes et se libère du joug de la bourgeoisie, il est primordial que l'analyse des classes sociales soit liée aux réalités matérielles de la production. Des concepts creux comme celui de classe moyenne doivent être attaqués et relégués aux bibliothèques poussiéreuses des intellectuels collaborationnistes. En s'attardant aux définitions de base des classes, des conditions matérielles qui les définissent ainsi qu'aux changements superficiels de la réalité du capitalisme, nous pourrons mieux comprendre pourquoi la classe moyenne n'existe pas.
La bonne question est celle de la production
Karl Marx, qui fut sans doute l'un des principaux auteurs à écrire sur le sujet, définissait la classe ouvrière ou le prolétariat comme étant constitué par l'ensemble des individus forcés de vendre leur force de travail et qui ne possèdent pas les moyens de production. On peut voir dans cette définition une claire relation entre la classe et la production. Il est aussi important pour notre discussion de définir deux autres classes sociales, la bourgeoisie (classe dirigeante) et la petite-bourgeoisie. La bourgeoisie est définie par sa propriété et son contrôle des moyens de production ainsi que, par extension, des ressources premières. Son rôle est donc d'utiliser ces ressources en les faisant transformer par des travailleurs grâce aux moyens de production pour pouvoir les revendre à l'autre bout de la chaîne. Ce n'est pas le travail du bourgeois qui ajoute de la valeur à la ressource, mais bien le vol du travail des ouvriers. Ce sont eux qui créent la valeur. Quant à elle, la petite-bourgeoisie est une classe mitoyenne qui possède des moyens de production qui toutefois ne lui permettent pas d'arrêter de travailler et donc de vivre du travail des autres. On peut également ajouter à ce portrait d'ensemble les personnes qui appliquent le contrôle de la classe dirigeante sur la classe ouvrière, ce que certains appellent la classe managériale ou bureaucratique, mais que nous inclurons dans la petite-bourgeoisie pour les fins de notre propos. Dans la plupart des secteurs industriels, des manageurs et des contremaîtres à l'emploi d'un bourgeois vont bâtir une entreprise à leur compte pour ainsi devenir petit-bourgeois au sens classique du terme. Le contraire se produit aussi lorsqu'un bourgeois engage un petit propriétaire pour occuper un poste de direction dans son entreprise ou lorsqu'une grande compagnie achète une plus petite en gardant les dirigeants comme manageurs. On compte donc dans cette classe les petits commerçants, les médecins, les gérants, etc.
La situation de classe, selon l'interprétation qu'on peut en avoir en se fiant à Marx, s'appuie d'abord et avant tout sur la relation que l'individu entretient avec la production. En d'autres mots, si une personne travaille pour un salaire (élevé ou non), mais que ce dernier ne lui permet pas d'arrêter d'être obligé de vendre sa force de travail, elle fait donc partie de la classe ouvrière. Il ne s'agit pas ici du sentiment ou de la conscience de l'individu par rapport à la société dans laquelle il vit, mais bien de la relation qu'il a avec la création de la richesse dans cette même société. Le fait de porter un complet ou un bleu de travail à son boulot ne change rien à cette situation. Il faut se poser les bonnes questions. L'individu possède-t-il les moyens de production ? Est-il forcé de vendre sa force de travail ? La classe sociale s'est historiquement définie par des conditions matérielles et non par des considérations idéologiques.
Un concept au service de la bourgeoisie
La stratification de la classe ouvrière a été l'une des transformations du capitalisme qui a favorisé l'apparition du concept de classe moyenne. Certains membres de la classe ouvrière ont pu, par des luttes syndicales et/ou par l'importance qu'a bien voulu accorder la bourgeoisie à leur travail, améliorer leurs conditions de vie. L'utilisation de plus en plus prononcée de la technologie dans la production a également contribué à dépareiller les conditions de travail. Des différences plus profondes entre les secteurs de production sont progressivement apparues, principalement dans les pays occidentaux. Cette situation tranche avec la relative uniformité de la classe ouvrière au XIXe siècle, ou du moins de l'impression qu'on peut en avoir aujourd'hui. Ces changements conjoncturels du capitalisme ne modifient pas grand-chose dans la réalité du travail : en aucun cas, ils n'impliquent un relâchement du pouvoir de la classe dirigeante. La nébuleuse classe moyenne ne trouve pas plus d'identité dans la division du travail actuelle.
Du même coup, certaines personnes voulant se distinguer de l'ouvrier se sont fait dire et se sont eux-mêmes mis à dire qu'ils faisaient partie de la classe moyenne. D'autres groupes de travailleurs sont demeurés dans l'état ouvrier plus traditionnel. On s'achète des actions dans des entreprises en pensant se hisser dans l'échelle sociale, alors qu'en fait on investit dans sa propre exploitation. Le concept de classe moyenne est bien plus une alliance idéologique entre le haut de la classe ouvrière et le bas de la petite-bourgeoisie. À qui donc ce concept peut-il servir ? Bien entendu, l'ego des membres à peine privilégiés de la classe ouvrière est flatté de ne plus se sentir comme de simples travailleurs qu'on dirige comme des pions. Mais dans les faits, ce n'est qu'une impression : ce travailleur obéit, n'a aucun pouvoir sur le travail qu'il fait, ni du comment, ni du quand, ni du pourquoi.
Ce concept ne sert qu'une seule classe : la bourgeoisie. Il lui permet de faire croire à des alliances ponctuelles entre certains secteurs de production afin d'empêcher l'avancement des intérêts des travailleurs de façon globale. En effet, pourquoi des gens de la « classe moyenne » (comme les infirmières, par exemple) se mettraient-ils à faire front commun avec des ouvriers (comme les éboueurs) ? Peut-être parce qu'ils ont les mêmes intérêts et que les gens qui les exploitent font partie de la même classe et constituent donc un ennemi commun à abattre pour atteindre leur émancipation respective. On peut donc commencer à voir ici le vrai rôle du concept de classe moyenne : diviser la classe ouvrière en détruisant la conscience de classe.
Certains éléments de la gauche militante ont alimenté ce débat stérile et stérilisant en romantisant la classe ouvrière avec son image du début du XXe siècle. Par purisme, par stupidité postmoderne ou même par ethnocentrisme, on a pondu des théories toutes plus farfelues les unes que les autres. Ces théories tentent d'éclaircir les changements de la réalité de classe en ajoutant des éléments qui n'ont pas leur place dans l'analyse. Elles ne font la plupart du temps rien d'autre que d'obscurcir la réalité. La raison est très simple : la réalité des classes sociales n'a pas changé de façon essentielle mais seulement de façon superficielle. Certes, des cas d'exception sont apparus çà et là, mais la structure est demeurée la même. Une minorité de gens possèdent les moyens de production et se laissent vivre par le travail de la classe ouvrière, seule productrice de la richesse.
Rien n'explique ni ne justifie la relativisation de la position de classe, surtout pas une alliance idéologique entre classes. La solidité de la conscience de classe dépend d'une définition claire et précise basée sur des réalités matérielles et non sur les élucubrations idéologiques de quelques universitaires en quête de déculpabilisation par rapport à leur niveau de vie. Pour une classe ouvrière consciente et unie marchant avec force vers sa libération.
Mujo
Union Communiste Libertaire
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