★ Anarchisme révolutionnaire et organisation 2/3

Publié le par Socialisme libertaire

Anarchisme organisation



b) 1920-1940 :

LA SYNTHÈSE ANARCHISTE de Sébastien FAURE

LA PLATEFORME D’ORGANISATION DE l’UNION GÉNÉRALE DES ANARCHISTES, dite » Plateforme d’Archinov »

La période 1920-1925 connaît un renouveau de l’Anarchisme suite à la Révolution russe de 1917, au développement de mouvements sociaux radicalisés en 1919 et 1920, dans les Conseils allemands, italiens, hongrois… qui présentent des caractères libertaires incontestables pour l’ensemble des militants anarchistes, quand ce ne sont pas pour les uns la réalisation de leur idéal.

L’Union Anarchiste Française qui s’est constituée en 1920 et qui regroupe toutes les tendances, toutes les variantes du mouvement libertaire, connaît un surcroît d’activité qui resserre les liens entre tous les militants dans la lutte révolutionnaire. Le LIBERTAIRE organe de l’U.A. deviendra même quotidien, de 1923 à 1925…

Mais bientôt, le recul général du mouvement ouvrier européen devant la montée du fascisme en Allemagne, en Italie, après l’échec du mouvement des Conseils, les désillusions faisant suite au succès des Bolchéviks avec l’écrasement des insurrections en Ukraine, de Cronstad, entraineront conséquemment un recul du mouvement libertaire, créant de graves divergences entre les militants et au sein des groupes anarchistes.

C’est dans ce contexte social de repli de la lutte révolutionnaire que seront élaborés, d’une part, collectivement, la « PLATEFORME D’ORGANISATION DE L’UNION GÉNÉRALE DES ANARCHISTES – Projet – par le groupe d’exilés russes « Diélo Truda », formé principalement de Pietr ARCHINOV, Nestor MAKHNO, VALEVSKY, LINSKY et Ida METT , brochure qui parut en Juin 1926 à Paris, en Français et en Russe; d’autre part la « SYNTHÉSE ANARCHISTE »opuscule écrit par Sébastien FAURE en 1928 et édité à Limoges.

De ces deux textes allait naître un débat important sur la structure organisationnelle que doit adopter le mouvement anarchiste, polémique suivie de réalisations pratiques, qui se poursuit, quoique très atténué encore aujourd’hui sur le plan international.

Les projets et réponses firent se scinder le mouvement, schématiquement entre organisationnels et anti-organisationnels, entre communistes libertaires et « humanistes » et individualistes, entre révolutionnaires et éducationnistes…

1 – Quels sont les traits distinctifs de ces deux projets organisationnels?

. Ils ont en commun le constat de dispersion des anarchistes et de la faiblesse de leur implantation dans les luttes sociales.

«...il faut se demander comment il se fait que, ces dernières années surtout, en France particulièrement, l’existence de ces trois éléments anarchistes (syndicaliste, communiste, individualiste) loin d’avoir fortifié le mouvement libertaire ait eu pour résultat de l’affaiblir…» (La synthèse anarchiste)

. Sébastien FAURE cherchera la cause de cet « affaiblissement de la pensée et de l’action anarchiste… » dans le conflit de tendance « … position de guerre ouverte, acharnée, implacable… »

« Il est très significatif qu’en dépit de la force et du caractère incontestablement positif des idées libertaires, de la netteté et de l’intégrité des positions anarchistes face à la révolution sociale, et enfin de l’héroïsme et des sacrifices innombrables apportés par les anarchistes dans la lutte pour le Communisme libertaire, le mouvement anarchiste est resté toujours faible…» (Plateforme)

«Un tel état de l’anarchisme révolutionnaire, si nous le prenons dans son ensemble, ne peut être qualifié autrement que comme une – désorganisation générale chronique -» (Plateforme)

. Devant ce constat, deux modes différents, contradictoires, d’organisation sont proposés.

La plateforme ne prétend pas, ni ne désire réunir tous les anarchistes de toutes les tendances et dans ce sens, les militants de la plateforme rejettent:

«... comme théoriquement et pratiquement inepte l’idée de créer une organisation d’après la recette de la. « synthèse » c’est à dire réunissant des représentants des différentes tendances de l’anarchisme.»

Au contraire, la synthèse anarchiste qui sera définie par Sébastien FAURE entend réunir les trois tendances principales de l’anarchisme car « … ces trois courants sont appelés à se combiner » afin de reconstituer « … au plus tôt l’immense famille » divisée par les circonstances.

Pour les plateformistes « l’unique méthode menant à la solution du problème d’organisation générale est, le ralliement des militants actifs de l’anarchisme sur la base de positions précises: théoriques, tactiques et organisationnelles, c’est à dire sur la base plus ou moins achevée d’un programme homogène. »

- Sébastien FAURE dans son appel pour un regroupement de listes, entre révolutionnaires et éducationnistes… tous les militants libertaires, et qui fait suite à la Synthèse, précise:

«Le champ est vaste. Que chacun y ,choisisse sa place, mais que d’efforts peuvent être associés! Antiparlementaire, anti-capitaliste, anti-religieux, anti-étatiste, anti-militariste, est-il un anarchiste, un seul qui ne soit pas tout cela ?»

Dès lors, le projet plateformiste consiste à un regroupement autour d’un « programme homogène », révolutionnaire, et celui de la synthèse, à un rassemblement hétéroclite qui s’appuie sur une multitude de négations.

A noter, outre les structures rigoureuses quasi centralistes (comité exécutif) avançées dans les statuts organisationnels de la Plateforme, cette dernière affirme son caractère « avant-gardiste » en précisant que:

«… le rôle des anarchistes ,en période révolutionnaire ne peut se borner à la seule propagande des mots d’ordre et des idées de l’anarchisme..

… il ne suffit pas que les masses prennent le chemin de la révolution, il importe encore de savoir maintenir cette tendance de la révolution et son but…»

Et pour cela l’Union Générale doit:

«devenir l’avant-garde organisée de leur processus émancipateur. »

Conclusion:

Ainsi à une conception « anarcho-léniniste » de l’organisation, fortement influencée par le succès bolchévik pendant la Révolution Russe, répondra une conception « humaniste » et « pluraliste » , « a-classiste » (homme abstrait au-dessus des classes) toute contenue dans l’expression « l’immense famille » (9)

2 – Quelles seront les réalisations concrètes. en France, de ces conceptions organisationnelles?

a) De 1920 à 1939

. L’Union Anarchiste Française qui s’était constituée en 1920 subit très rapidement les répercussions du débat international sur le plateforme des exilés russes. L’U.A. qui constituait un regroupement d’anarchistes autour du journal LE LIBERTAIRE devait bientôt être le lieu des conflits de tendances.

. Au congrès d’Orléans du 11 au 14 juillet 1926, l’U.A. Adopte un manifeste qui tente de concilier individualistes et communistes, révolutionnaires et éducationnistes. L’U.A. devient U.A.C. Union Anarchiste Communiste (10)

. L’année suivante au congrès de Paris (30 oct./1er Nov.1927) la tendance plateformiste s’affirme nettement contre » l’ individualisme irresponsable » et « l’incohérence et la dispersion des efforts », et réclame au sein de l’organisation l’application du principe de la responsabilité individuelle et collective (11)

. Un courant minoritaire avec Sébastien FAURE quitte l’UAC et constitue l’A.F.A. Association des Fédéralistes Anarchistes.

C’est dans ce climat que FAURE rédige son projet « LA SYNTHÈSE ANARCHISTE ».

. L’UAC devenait l’UACR (Union Anarchiste Communiste Révolutionnaire) , ‘pour se différencier des autres tendances se réclamant de l’anarchisme » (Nicolas FAUCIER (11))

. Cette nouvelle organisation se dotait de statuts qui répondaient au projet d’organisation générale des anarchistes, avec cartes d’adhésion, commissions administratives et découpage régional de l’UACR en fédérations et groupes. Les décisions étaient prises à la majorité et déterminaient les positions de l’organisation.

. Après trois ans de difficile développement de l’UACR, plateformiste, dû aux agressions de l’AFA, le Congrès de Paris de 1930 annula les statuts et revint au manifeste de 1926.

. Suite à la situation politique particulière (montée du fascisme) des années 33-35, l’AFA et l’UACR firent l’unité et reconstituèrent l’UA en mai 34. La tendance synthésiste revenait majoritaire dans la nouvelle organisation et entrainait d’autres scissions… La FCL (Fédération Communiste Libertaire) plateformiste, de 1934 à 1936, et la FAF (Fédération Anarchiste de Langue Française) qui rejeta l’UA jugée « … sectaire et résolument et uniquement communiste… ne peut intéresser, ni satisfaire les autres tendances… » en particulier les « individualistes » !. Son organe était’ ‘Terre Libre » et avait comme principaux rédacteurs VOLINE et PRUDHOMMEAUX.

. La situation reste inchangée jusqu’à la deuxième guerre mondiale.

Conclusion:

Le débat organisationnel entre plateformistes et synthésistes se poursuivra après la guerre et sera encore l’une des causes principales des nombreuses scissions et divisions du mouvement anarchiste, jusqu’à nos jours.

Ni la Synthèse de Sébastien FAURE, ni la Plateforme des camarades russes, ne fut la « panacée » : elles furent toutes les deux incapables de résoudre efficacement la question organisationnelle dans le mouvement libertaire, et ne purent éviter le morcellement.

b) Depuis 1945

. Octobre 1945:une nouvelle organisation est créée, la F.A., qui tente le regroupement de toutes les individualités (ou groupes) dispersées par la guerre.

. Elle n’adopte pas de manifeste ou de principes clairs (des motions «chèvre-choux» – Maurice JOYEUX in L’HYDRE DE L’HERNE).

. Dès 1950, un courant dont le principal représentant est Georges FONTENIS, s’appuyant sur les thèses archinovistes, développe une pratique autoritaire en constituant une organi- sation secrète OPB qui investit tous les rouages de l’organisation et finit par exclure tous les oppositionnels à ce courant (congrès

de Bordeaux juin 1952). Une nouvelle structure centraliste mise en place par une méthode stalinienne, donne naissance à la FCL, Fédération Communiste Libertaire (Mai-Juin 1953).

Cette nouvelle organisation adopte un Manifeste du Communisme Libertaire rédigé par FONTENIS et dont les principes sont les suivants:

«Unité idéologique… unité de programme et unité tactique définie par les congrès… la position majoritaire

étant l’expression de l’organisation à défaut d’unanimité.»

Ce manifeste déclare en outre:

«… la FCL se considère l’AVANT-GARDE … exprimant dans son idéologie et son action les aspirations du prolétariat … (et tend) à donner… et contribuer à développer la conscience révolutionnaire des masses. »

Des statuts sont adoptés où des structures centralistes donnent à l’organisation un caractère bureaucratique, autoritaire, allié à une conception léniniste du rôle de l’organisation.

. Cette organisation disparait vers 1958, dans !’indifférence générale après avoir présenté des candidats aux élections législatives de 1956. (12)

LA FÉDÉRATION ANARCHISTE

Reconstituée en décembre 1953, à partir des groupes exclus de la FA-FCL, elle met en place une association qui est le propriétaire légal des biens matériels (journal et librairie étant passés entre les mains de la FCL) et moraux (éviter toute «aventure fonteniste » ou «archinoviste » …) de la FA.

Elle adopte comme principe organisationnel, la synthèse anarchiste (pluralité des tendances) et rejette la responsabilité collective. Elle ne détermine pas de programme ou de manifeste anarchiste, mais s’appuie sur des «principes de base » qui donnent un aperçu global de l’idée d’anarchie.

. En 1961, au Congrès de Montluçon, des groupes anarchistes communistes issus des G.A.A.R. (Groupes Anarchistes d’Action Révolutionnaire) qui éditent une revue NOIR et ROUGE, rejoignent la FA et constituent une fédération de tendance au sein de la FA, l’U.G.A.C. (Union des Groupes Anarchistes Communistes).

Cette tendance insistera «sur la nécessité de l’organisation, organisation révolutionnaire spécifiquement libertaire, dans le cadre de la lutte des classes des travailleurs contre les bourgeoisies et les bureaucraties, le capital d’état ou privé ».

Cette tendance essaie de clarifier les pratiques anarchistes révolutionnaires au sein de la FA et tente de développer théoriquement le courant communiste-libertaire.

«Nous entrions à la FA, organisés sur nos propres principes. Nous avions confectionné une déclaration de principe et des statuts.. nous pouvions continuer notre travail d’organisation des anarchistes communistes sans nous couper du mouvement anarchiste général qui nous permettait de nous exprimer dans le MONDE LIBERTAIRE et dans bulletin intérieur. Quant à nous, nous gardions notre vie propre et notre propre bulletin interne que les autres tendances ne pouvaient pas lire.» (13)

Ce souci de l’UGAC de réactualiser l’Anarchisme Révolutionnaire rencontre au sein des «structures» de la FA de nombreux barrages, le «sectarisme» de la plupart des vieux militants, et un confusionnisme idéologique entretenu par les différentes tendances existantes. (14)

A partir de 1964 l’UGAC se retire peu à peu de la FA et en 1966 réalise une brochure «LETTRE AU MOUVEMENT ANARCHISTE INTERNATIONAL» qui définit les principes organisationnels et programmatiques de l’Union des Groupes Anarchistes Communistes.

Les grandes lignes seront les suivantes:

. L’UGAC tirait la conclusion qu’il était impossible de créer une organisation groupant toutes les tendances de l’anarchisme;

. elle ne prétendait pas représenter à elle seule l’Anarchisme et désirait entretenir des relations fraternelles avec les autres tendances, et s’unir avec elles si besoin est sur des objectifs communs;

. elle souhaitait organiser et fédérer tous les anarchistes communistes;

. elle se donnait des statuts et des principes, un «pacte liant les groupes anarchistes d’accord avec ses objectifs et ses méthodes».

. elle déclarait être une organisation révolutionnaire basée sur «l’unité tactique et idéologique, selon les principes de la plate-forme d’Archinov». (15)

En 1968 l’UGAC disparait sans avoir créé le mouvement qu’elle souhaitait.

La FA n’en restait pas moins secouée par le problème organisationnel et les scissions que cela entrainait, thème qui était débattu de congrès en congrès, en particulier par le camarade Maurice FAYOLLE.

Au congrès de TRELAZE en 1960, FAYOLLE fait une critique sévère, rigoureuse de la FA. Ce sera le début de son incessante activité constructive, pour définir ce que pourrait être une organisation révolutionnaire anarchiste.

Sa contribution a l’élaboration d’un manifeste révolutionnaire et d’un minimum de structures organisationnelles sera à l’origine de l’O.R.A. (Organisation Révolutionnaire Anarchiste), tout d’abord comme tendance au sein de la FA vers 1967, puis comme organisation autonome en avril 1969.

L’ORA reconstituait, à quelques nuances près, ce que l’UGAC avait tenté quelques années auparavant. L’ORA adoptait également la plateforme d’Archinov comme structure organisationnelle …

L’ORA en 1975, remet en cause certaines de ses pratiques gauchistes et devient O.C.L. (Organisation Communiste Libertaire). (16)

Conclusion:

Ce court tracé historique nous a semblé nécessaire à une analyse des problèmes organisationnels que rencontre encore aujourd’hui le mouvement anarchiste et en particulier la Fédération Anarchiste, organisation à laquelle nous adhérons.
 

★ Anarchisme révolutionnaire et organisation 2/3
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