Heurts et xénophobie en Afrique du Sud

Publié le par Socialisme libertaire

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INTERNATIONAL - Depuis la fin du mois de mars, l'Afrique du Sud est de nouveau secouée par une vague de violences xénophobes, frappant les immigrés qui ont rêvé d'un avenir meilleur au sein de la nation arc-en-ciel. Ils viennent du Zimbabwe, de Zambie, du Malawi, du Mozambique, de Somalie, d'Ethiopie, du Congo, du Nigéria ou du Sénégal, attirés par le rayonnement d'une Afrique du Sud trop souvent mythifiée, sur laquelle plane toujours l'ombre tutélaire et bienveillante de Nelson Mandela.

Fuyant la misère, le chômage ou la violence politique, ces immigrés sont le plus souvent installés dans les townships de Johannesburg, Durban, Port-Elisabeth ou du Cap. Ils sont commerçants, domestiques, artisans, vendeurs à la sauvette, parfois trafiquants. Ils constituent souvent une main d'œuvre plus qualifiée et de meilleure marché que les Sud-Africains.

Mais combien sont-ils ces immigrants? Les dernières estimations officielles dates de 2011 et font état de deux millions d'étrangers en situation régulière, auxquels il faudrait ajouter 300.000 demandeurs d'asile et de très nombreux sans papiers. D'autres sources avancent le chiffre de cinq millions de personnes. La population sud-africaine compte, quant à elle, 53 millions d'habitants.

Aujourd'hui, ces immigrés sont victimes de violences xénophobes. Ils sont accusés de tous les maux par les populations les plus défavorisées des townships. Ces accusations sont mêmes relayées par certains responsables politiques qui leur reprochent de résider illégalement dans le pays, de faire des affaires aux dépens des commerçants sud-africains ou de commettre des crimes.

Cette violence xénophobe n'est pas nouvelle puisque déjà en mai 2008, des émeutes avaient principalement frappée les Zimbabwéens, faisant près de 70 morts et 20.000 blessés, provoquant le départ de plusieurs centaines de milliers de personnes. Ces étrangers étaient perçus comme des "voleurs d'emploi ", des criminels, responsables de la propagation du sida ou des innombrables viols de femmes. Ces violences xénophobes s'étaient déroulées dans un contexte de hausse des prix et de fortes tensions sociales, le tout en période d'élections présidentielles.

Cette fois, ce sont les propos du roi zoulou, Goodwill Zwelithini, qui auraient provoqué cette flambée de violence xénophobe, lorsque dans un discours prononcé le 23 mars, il a comparé les étrangers à des "poux" et des à "tiques", les sommant de quitter l'Afrique du Sud. C'était deux jours après le Human Rights Day (le Jour des Droits de l'Homme), qui commémore le massacre de Sharpeville. Ce jour là, en 1960, la police blanche tirait sur des manifestants noirs, faisant 69 morts.

Roi sans royaume, Goodwill Zwelithini est un personnage cependant très influent au sein de la communauté zoulouphone, estimée à 12 millions de personnes.

Comment expliquer ces poussées xénophobes dans un pays qui, en avril dernier, célébrait le vingtième anniversaire de cette nouvelle Afrique du Sud, exemplaire, démocratique, multiraciale, tolérante, en un mot arc-en-ciel?

L'Afrique du Sud est en fait sous tension sociale et politique depuis le début des années 2000. La crise la plus grave a été la grève des mineurs de Marikana en août 2012, lorsque la police, appuyée par l'armée, a ouvert le feu sur des manifestants réclamant l'augmentation de leurs salaires, sur un fond de rivalités syndicales. Le bilan fut de 34 morts.

Les manifestations sont quasiment quotidiennes, dégénérant parfois en émeutes sur un fond persistant de difficultés économiques. L'Afrique du Sud a pourtant rejoint le club des pays émergents en 2010, les BRICS. Mais il s'agit plus d'une opération de marketing politique que d'une réalité économique. Ce dynamisme de façade masque mal l'incapacité du pouvoir à transformer la croissance en réduction du chômage. La xénophobie est malheureusement largement partagée dans la plupart des pays qui connaissent à la fois des tensions sociales et économiques fortes et des flux migratoires importants. L'Afrique du Sud n'échappe pas à la règle avec un taux de chômage de plus de 25% qui touche majoritairement les Sud-Africains noirs. Ces violences xénophobes se déroulent dans les quartiers les plus défavorisés, où les taux de chômage peuvent s'élever à plus de 50% de la population.

En Afrique du Sud, plus de 25 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le taux de prévalence du sida est l'un des plus élevé au monde et la violence y est endémique: meurtres, viols, cambriolages... L'accès aux soins, à l'éducation, à l'électricité ou à l'eau potable sont encore problématiques pour une grande partie de la population.

Par ailleurs, l'alliance politique entre l'ANC (Congrès national africain), le parti au pouvoir depuis 1994 et sa base sociale se désagrège progressivement. Cette désagrégation s'alimente des dissidences et des scissions au sein des grands syndicats, de la désaffection de certaines personnalités comme Monseigneur Desmond Tutu ou de la dissidence de certaines factions de l'ANC. Il s'agit bien d'un véritable désenchantement de la base électorale de l'ANC, phénomène pour l'instant plus social que politique, mais qui à terme s'exprimera par des votes de plus en plus protestataires.

Alors, l'Afrique du Sud est-t-elle devenue un pays xénophobe après avoir été le symbole de la réconciliation et l'archétype d'une société tolérante et multiculturelle, un modèle à suivre pour le monde entier? L'Afrique du Sud contemporaine est une démocratie jeune et fragile. L'apartheid y a laissé des traces profondes et durables dans les mentalités, l'urbanisme, la géographie ou la culture. C'est une société profondément inégalitaire, où la couleur de la peau détermine encore largement la place des individus dans la société.

Elle est aussi parfois xénophobe et s'en prend aux étrangers, coupables d'avoir du travail ou d'être simplement "l'autre", canalisant ainsi la vindicte populaire. L'Afrique du Sud avance à son rythme, donnant l'impression d'une évolution chaotique. Les vitesses de transformation du pays sont loin d'être les mêmes. Le temps du politique n'est pas celui de l'économique; le temps du social n'est pas celui du symbolique.

Le pays a connu en effet une transformation radicale entre 1994 et le début des années 2000. Il s'est doté d'une nouvelle constitution, a redécoupé son territoire et a fait monter au pouvoir une élite noire. Il a également créé une classe moyenne noire et a procédé à une réingénierie totale de ses symboles nationaux et de sa culture politique. L'Afrique du Sud s'est construite une identité nationale sur des mythes de fondation et a réinterprété son histoire, mais sans pouvoir ou vouloir répondre avec la même ampleur aux aspirations sociales d'une majorité de sa population.

Ces écarts créent une immense frustration chez une majorité qui croit de moins en moins aux promesses de son président, et qui en attendant retourne sa colère contre les étrangers.

Paul Coquerel historien et ethnologue français.

 

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