À droite et plus si affinités
"C’est fait, le Sénat repasse à droite. Vous ne vous étiez pas aperçus qu’il était à gauche ? Normal, on ne s’est pas non plus aperçu qu’à l’Assemblée nationale il y a une majorité de gauche, ni même que nous avons un gouvernement complètement à gauche ! Les classes populaires encore moins, qui subissent une politique d’austérité qui ne veut pas dire son nom, dans la droite ligne que celle entamée sous l’ère Sarkozy. Les élections sénatoriales ont donc eu lieu ; on ne parlera pas de taux d’abstention, car en l’occurrence il s’agit d’élections au suffrage universel indirect. Petit rappel, les votants sont ce que l’on appelle les « grands électeurs ». Dans chaque département, ce collège électoral est constitué par quatre catégories : députés et sénateurs, conseillers régionaux, conseillers généraux et délégués des conseils municipaux (ou leurs suppléants).
Les élus le sont pour six ans, le Sénat étant renouvelé par moitié tous les trois ans. Caractéristique de ce suffrage universel indirect en vigueur pour les élections sénatoriales, une incitation au clientélisme le plus éhonté et à des « combinaziones » et alliances forgées dans les couloirs entre deux portes, et où l’intérêt public est bien loin des préoccupations de cet antre de conservateurs, qui se donnent comme objectif principal de prolonger les procédures d’application des lois votées à l’Assemblée nationale et de ne « surtout pas aller trop vite ».
Ce qui faisait d’ailleurs dire à une Marine Le Pen, au lendemain des élections municipales de mars, qu’elle se posait la question de l’utilité du Sénat de nos jours, allant même jusqu’à demander sa suppression. Les temps changent ; depuis deux semaines, elle n’en finit plus de se féliciter de la « grande victoire » obtenue par son parti. Cette victoire ne tient pas tant au nombre d’élus frontistes (deux) qu’aux scores réalisés. En théorie le parti d’extrême droite disposait d’une réserve d’un millier de voix ; à l’arrivée, il en récolte quatre fois plus. Un constat s’impose : la « porosité » entre UMP et FN s’accentue, et le vote secret honteux pour l’extrême droite est devenu vote assumé et revendiqué. Autre constat, les candidats FN n’obtiennent plus seulement leurs scores en milieu urbain, mais également en milieu rural, surfant allègrement sur la vague du « tous pourris » – sauf eux, évidemment –, appelant les électeurs à conserver les rouages du pouvoir, à condition de chasser « l’UMPS » pour les y installer eux, les « vrais » nationalistes.
Face à la banalisation des idées frontistes, les partis traditionnels perdent lentement mais régulièrement du terrain. À droite en raison de cette « porosité » entre UMP et FN, à gauche en raison de cette persistance à gérer le capitalisme en ayant définitivement cessé de le combattre. Côté frondeurs du PS et autres Montebourg, à part quelques aboiements épars, chacun rentre vite à la niche. Côté haut de la pyramide, Jean-Christophe Cambadélis est même satisfait de ne pas avoir assisté à « la vague bleue annoncée… on pensait que la défaite serait plus franche, plus large ». Avec des optimistes de cet acabit, le PS a du mouron à se faire et le « petit peuple de gauche » n’a pas fini d’être déçu. Et à gauche de la gauche ? Mélenchon est quelque peu dépressif depuis les résultats de son parti aux municipales de mars. Le PCF, lui, ironise sur la claque prise par le PS (dix-sept sièges perdus) en oubliant de rappeler que lui-même en perd trois sur cinq. Les écolos font les morts : s’ils n’ont perdu aucun siège, c’est tout simplement que ceux-ci n’étaient pas renouvelables cette année ; petits veinards, va. Tout ce joli monde s’épuise depuis des lustres dans une stratégie électoraliste qui devait être un outil permettant au prolétariat d’accéder au pouvoir et d’en finir avec l’exploitation de l’homme par l’homme. C’est du moins ce que certains affirmaient déjà à la fin du XIXe siècle. On a pu constater depuis que, s’il est toujours beaucoup question de pouvoir, on parle de moins en moins d’émancipation des travailleurs (combien au Sénat, à l’Assemblée nationale ?).
Et à la gauche de la gauche de la gauche ? Tout en rappelant que la solution se trouve dans la rue, nombre de formations révolutionnaires ou se prétendant telles continuent de participer au jeu électoral. Quand elles ne s’y impliquent pas directement, elles ne manquent pas d’apporter leur soutien aux candidats qui peuvent avoir ne serait-ce qu’un ou deux points communs avec elles (PCF, Parti de gauche, EELV…), ce qui n’a d’autre but que de leur donner une visibilité dans le panorama politique français.
Et nous ? Le moins qu’on puisse dire, c’est que, si depuis longtemps idées et pratiques libertaires débordent de nos milieux, les organisations anarchistes manquent singulièrement de cette visibilité. On nous accordera toutefois que dans la mesure où nos – faibles – forces nous le permettent, nous sommes aussi souvent que possible de tous les combats contre la classe possédante (même quand elle se dit de gauche). Et que nous ne cessons de combattre les idées nauséabondes de l’extrême droite. La montée du FN version Marine, bien présentable et mettant en sourdine certaines de ses pensées les moins présentables, c’est dans les quartiers comme dans les entreprises qu’il faut s’y opposer, en rappelant inlassablement que, non, il n’a pas de programme économique viable susceptible d’aller dans le sens des intérêts des travailleurs. À part fustiger l’immigré, l’étranger, l’autre, et le rendre responsable de tous nos maux, le FN ne propose rien de tangible comme alternative à la politique de ce qu’il nomme l’UMPS. Une seule chose l’intéresse : arriver au pouvoir. Pour cela, son carnet de route est déjà bien rempli : élections départementales début 2015 et régionales fin de la même année ; quant à 2017, les grandes manœuvres sont déjà commencées. Notre combat contre l’extrême droite consiste à en dénoncer chaque jour la duplicité et la posture de défenseurs des classes défavorisées : vous les voyez auprès de vous dans les manifs contre l’austérité ? Contre l’allongement de la durée du travail ? Contre le report du départ à la retraite à 65, 67, 70 ans ou plus ? Pour la défense du Code du travail attaqué sans cesse par le patronat ? Leur camp n’est décidément pas celui des prolétaires, et donc pas le nôtre."
Ramon Pino