★ LE DROIT CAPITALISTE

Publié le par Socialisme libertaire

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« A l'époque moderne, où la propriété capitaliste est basée sur l'appropriation exclusive du terrain, et partant, n'a pas besoin de supprimer la personnalité juridique du travailleur, le droit reflète en lui-même le caractère usurpatoire qui en forme le substratum et trahit son émanation du capital. Cela ressort, en effet, de la constante protection accordée aux fortunes des propriétaires, du non moins constant abandon de celles des travailleurs, de la liberté absolue concédée à la propriété, dans ses rapports avec le travail, et qui forme un contraste frappant avec les freins multiples apportés aux rapports entre les propriétaires. A ce sujet, le rapprochement entre le droit du moyen-âge et le droit moderne offre le plus grand intérêt. En effet, au moyen-âge, où le capital est faible et où le travail tire, de la terre libre, une force puissante, le droit aide le capital en réglant le contrat de travail dans un sens hostile à l'ouvrier. A notre époque, au contraire, le capital est fort et l'ouvrier privé d'option, le droit remplit sa mission de gardien de la propriété en s'abstenant de régler le contrat de louage pour l'abandonner à l'arbitre du capital. D'où il suit que, avec le passage de l'économie systématique à l'économie automatique, le contrat de travail descend, d'une réglementation en sens capitaliste, à une condition hors la loi, qui le livre à la merci du capital. Et chacun ne sait-il pas que le code civil est essentiellement inspiré à l'avantage de la classe riche ? En effet, on y voit réglée, avec le soin le plus minutieux, les rapports de la redistribution, c'est-à-dire les rapports entre propriétaires ; mais le rapport de distribution, c'est-à-dire le contrat de louage, est abandonné, à dessein, au bon plaisir de la classe capitaliste, qui peut ainsi exploiter, à son gré, la classe plus faible des travailleurs.

Le silence de la loi sur la quantité du salaire, sur le mode, la forme, le temps du paiement fournit légalement au capitaliste la possibilité de pratiquer ses usures, et lui permet de payer des salaires avec des produits avariés, de la viande pourrie, etc. Le même silence permet au patron de s'ériger en juge vis-à-vis de l'ouvrier, de lui infliger des amendes suivant son caprice, sans contrôle, dans une mesure exorbitante. Les juristes ont classés ces amendes parmi les clauses pénales contractuelles, mais, de fait, ce sont de véritables pénalités et, le plus souvent, des expédients immoraux dans le but de réduire un salaire déjà trop maigre ; d'où il ressort que, dans ces conditions, le capitaliste est tout à la fois juge et partie ! Tous les efforts tentés pour assurer aux ouvriers une indemnité dans le cas d'infortunes dans le travail, viennent se briser contre l'opposition systématique des juristes, qui font, de leurs formules classiques, une arme insidieuse au détriment du travailleur.

Et ce n'est pas tout encore.

Toutes les discussions relatives à la violation du contrat de travail trahissent, de la manière la plus évidente, le caractère capitaliste du droit et sa malveillance envers l'ouvrier. En effet, durant les intéressantes controverses qui eurent lieu sur cette question en Allemagne, Lasker avait affirmé que, le contrat étant un fait de droit civil, la violation du contrat de travail ne doit pas être sujette à une sanction pénale. Mais les sycophantes de la propriété n'eurent pas honte de soutenir la thèse opposée. ils dirent que la violation du contrat, de la part de l'ouvrier doit être l'objet d'une sanction pénale, parce qu'elle compromet la sûreté intérieure de l'État, tandis que la violation du contrat de la part du capitaliste, doit être uniquement passible d'une sanction civile, parce qu'elle ne compromet pas la sûreté sociale et que le capitaliste a toujours de quoi réparer les dommages qu'il a faits !

Cette ultima Thulé du sophisme ne parvient pas, hâtons-nous de dire, à triompher dans la législation allemande, et jusqu'à présent, celle-ci s'est refusée à prendre des mesures explicites contre l'ouvrier qui brise le contrat ; mais, ce que la législation n'a pas voulu faire, la jurisprudence l'a fait. Instrument toujours docile des volontés du capital, elle a su trouver ces mesures, grâce à une sophistique interprétation de la loi. En outre, on a accordé aux capitalistes le droit de retenir jusqu'à un quart du salaire, pour se garantir des éventualités de la violation du contrat de travail ; de sorte que le produit net de ces discussions savantes et de ces chicanes de palais, a été allègrement empoché par les capitalistes, sous forme d'accroissement de profit. toute la législation concernant la séduction et les enfants illégitimes, c'est-à-dire la violation de l'honneur des classes pauvres par les riches, s'est exclusivement inspirée de l'avantage de ceux-ci et tend, par tous les moyens possibles à les exempter des conséquences de leurs actes ; et elle y parvient en défendant les recherches de la paternité et en refusant aux enfants illégitimes tout droit sur l'avoir du père, etc. Et, à ce propos un fait particulièrement digne de remarque et de regret, c'est que ces droits des classes pauvres furent protégés tant qu'on eut un gouvernement absolu, lequel réussissait, au moins en partie, à refréner les exigences de la bourgeoisie, tandis que celles-ci obtiennent une satisfaction complète avec l'institution des régimes libéraux des temps nouveaux.

Ainsi, les dispositions du droit territorial prussien, mis à l'ombre du pouvoir absolu et inspirées par la pitié envers la femme séduite et ses enfants illégitimes, suscitent la réaction des classes riches et de leurs défenseurs gagés, les puristes, et dès que ces classes acquièrent une influence politique, grâce à l'institution des formes représentatives, elles en profitent pour abroger ces prescriptions bienveillantes et les remplacer par la loi de fer et de sang du 20 avril 1854. — Tandis qu'on cherche à défendre les débiteurs les plus aisés, contre les contrats usuraires, on en fait rien pour soustraire les classes pauvres à l'usure la plus inhumaine ; pendant qu'on soumet à une rigoureuse tutelle les biens des mineurs, on ne fait rien pour protéger leurs personnes ; c'est pourquoi les enfants pauvres, qui disposent seulement de leur personne, sont abandonnés sans secours, aux plus déplorables abus et à l'exploitation la plus féroce. Enfin, en établissant le principe que l'ignorance de la loi n'excuse pas, sans pourvoir ensuite en aucune manière, à ce que la loi soit enseignée aux classes pauvres, le code civil, place les classes les plus nombreuses de la société dans une condition plus désavantageuse, qui les rend la proie facile des classes supérieures. — Du reste, relativement aux principes généraux du droit, notre langage pourrait être encore plus accentué car on peut dire que tous les aphorismes juridiques ont été exclusivement rédigés à l'avantage des riches et des plus forts, et au mépris de la justice et de l'équité. On peut même ajouter que le droit tout entier n'est qu'une justification de l'assertion de Saint-Simon de Championnière (un juriste lui-même) et de tous les écrivains impartiaux qui voient, dans les juristes, les ennemis les plus acharnés des classes travailleuses et les plus zélés défenseurs des usurpations féodales et capitalistes. »
 

 La Mistoufe - Organe communiste-anarchiste n°4 (26 novembre 1893)

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