★ Trop tard !
★ Trop tard ! par Georges Herzig (1914)
« La destruction de Louvain par la soldatesque allemande a eu le don de faire sortir les intellectuels de leur torpeur. Le Journal de Genève du 2 septembre a publié une protestation adressée à Gerhart Hauptmann, l’auteur des Tisserands, par Romain Rolland, écrivain tourangeau, père de Jean-Christophe, louable entreprise de réaction contre le chauvinisme franco-allemand.
Cette lettre répond à l’aberration patriotique de l’auteur allemand ; elle est éloquente et vous empoigne dans ces moments où l’on n’a pas le contrôle de ses émotions. Mais quand on se ressaisit, quand on se reprend à lire avec son cerveau et non plus avec son cœur seul, on constate une singulière lacune dans les protestations justifiées mais tardives d’hommes de cœur, à n’en pas douter, mais singulièrement timorés, sans en excepter Romain Rolland lui-même.
Comment, vous avez admis que tout disparaisse, s’efface, s’annule devant l’élément militaire ! Plus d’art, ciment d’union entre les peuples ; plus de science, communion des cerveaux ; plus de travail d’aucune sorte, procédant à cet immense réseau sous politique d’échange liant les peuples les uns aux autres et leur montrant leur commune dépendance économique. Plus rien. Les bibliothèques sont closes et les casernes grandes ouvertes ; le bruit des machines en mouvement s’est tu pour rendre plus sonore le bruit des canons roulant sur le pavé des villes ; plus de foules courant à un travail non émancipé encore du joug capitaliste mais laissant toutefois les hommes à peu près libres de leur personnalité morale, pour’ faire place aux troupeaux de soldats menés à la boucherie, ayant devant eux la mort par l’ennemi et derrière eux la mort par le code pénal militaire, quand ce n’est pas celle du revolver de l’officier, ce juge immédiat qui ne s’embarrasse point de vains scrupules. Vous avez admis cet écroulement de la civilisation à un moment donné, celui choisi par les maîtres, sans acceptation ou refus possible des victimes propitiatoires ; vous avez accepté que, seul, sur des troupeaux d’esclaves, domine le sabre ; vous avez applaudi à ce renoncement de l’homme, à cet écrasement de la conscience individuelle et vous vous étonnez ensuite, hébétés, des conséquences logiques d’une pareille faillite morale. Vous êtes des simples dans votre aveuglement.
Ou, plutôt, vous êtes des lâches ! Des lâches, oui, car vous ne protestez que lorsque vous êtes sûrs que vos cris seront entendus et trouveront de l’écho dans un monde qui est le vôtre et pour des faits qui l’atteignent dans ses jouissances supérieures. Vous dites, Romain Rolland, que « la guerre est le fruit de la faiblesse des peuples et de leur stupidité ». Cela est vrai, mais avez-vous fait quelque chose pour qu’il en soit autrement ? Êtes-vous descendu, vous et les vôtres, dans les foules, pour leur démontrer leur stupidité et à quel atavisme monstrueux elles obéissaient en se gonflant d’un stupide orgueil national qui les entraîne en un bloc vers la tuerie internationale au jour fixé par les gouvernants ? Vous savez bien que votre œuvre, belle entre beaucoup d’autres, n’a été lue que par une minime somme d’individus, par ceux que vous avez appelé faussement l’élite et qui sont gens sans passion, applaudissant aujourd’hui votre œuvre pour entonner demain les couplets idiots du patriotisme le plus malsain.
N’avez-vous pas, au contraire, vous et les vôtres, désapprouvé les manifestations antimilitaristes parties d’en bas, comme ne correspondant point à votre aristocratique conception de l’élite, de laquelle sans doute vous attendez la rédemption des peuples ? Cependant, la paix entre les peuples ne viendra pas d’en haut, il y a trop d’intérêts en jeu pour que jamais le désarmement soit l’œuvre des gouvernants et des porteurs de coupons. Elle viendra des foules harassées de souffrances et de misères, suffoquées d’indignation pour tout ce que la guerre déchaîne de cruautés, d’insanités de toutes sortes.
Vous acceptez, forcés, le coudoiement des prolétaires dans le rang, car le danger commun rapproche les hommes, mais demain, vous reprendrez vos distances, votre morgue et votre croyance en une supériorité basée sur la fortune, l’éducation, la forme des jouissances qui les accompagnent. Tout ce faux étalage de sentimentalisme égalitaire qui couvre aujourd’hui la marche à la mort disparaîtra avec le danger qui l’a fait naître. Vous retrouverez votre milieu de jouissances à peine diminuées, les pauvres retrouveront plus de misère encore et des gens, vos semblables, leur feront un crime de leurs yeux égarés et instinctivement chercheront le gardien de la paix, en attendant que les fusils partent tout seuls pour garantir les privilèges de la classe bourgeoise.
Nous aussi nous protestons contre le vandalisme guerrier, mais nous englobons cette protestation dans une haine générale de la guerre qui autorise, ordonne, justifie tous les méfaits. La destruction des monuments reliant le passé au présent est un crime, mais comme il apparaît peu de chose en somme à côté des hécatombes d’hommes, de jeunes hommes, d’enfants même, puisque les hommes ne suffisant plus, ce sont les enfants maintenant que l’on prépare à la folie du sang, à la destruction systématique. Est-ce que les mères qui pleurent leurs enfants, arrachés de force au foyer, peuvent arrêter le cours de leurs larmes pour songer à Louvain ? Le plus beau monument ne sera-t-il pas toujours à leurs yeux celui qu’elles ont pétri de leur chair et de leur sang, cimenté de leurs angoisses et de leurs souffrances ?
Sus au militarisme, sus à la guerre, si nous voulons protester sincèrement contre toutes les violations, sus aux causes qui la déclenchent et celle qui apparaît comme entraînant toutes les autres c’est toujours le privilège capitaliste, l’esprit dominateur du dividende, voulant asseoir sa toute puissance sur les haines nationales ! Si vous n’acceptez pas cette conclusion, Romain Rolland et vous les protestataires à sa suite, c’est que vous cherchez encore à égarer l’opinion en lui montrant seulement les ruines de Louvain, alors que la ruine est partout, provoquée par le capitalisme embusqué derrière les patries nationales dont on veut raviver le culte en agitant leurs oripeaux sanglants. »
Georges Herzig, In Le Réveil communiste-anarchiste n°393, 19 septembre 1914.
★ Contre la politique - Socialisme libertaire
★ Georges Herzig. In Le Réveil communiste-anarchiste n°10, 10 novembre 1900. " Si les travailleurs voulaient y réfléchir un tant soit peu ils s'apercevraient bien vite que la participation à...
https://www.socialisme-libertaire.fr/2020/05/contre-la-politique.html
★ Georges Herzig : Contre la politique.