★ ANARCHISME : Une position révolutionnaire
★ Une position révolutionnaire :
extrait de L’anarchisme et ses aspirations (2010) de Cindy Milstein.
« D’abord et avant tout, l’anarchisme est une philosophie politique révolutionnaire. Cela signifie que l’anarchisme est de part en part radical au sens premier du mot : En allant à l’origine d’un phénomène et procédant à partir de là à des changements majeurs des conditions existantes. L’anarchisme aspire à transformer fondamentalement la société, vers des notions chaleureuses de libertés individuelles et collectives. La plupart du temps, cela signifie mettre en pratique des “réformes” et des améliorations, celles qui ont pour but explicite d’articuler des politiques révolutionnaires. Ces réformes-pointant-vers-la-révolution sont cependant difficiles à théoriser et d’avantage à mettre en place. Ce sont là des questions toujours en débat au sein de l’anarchisme, la variété de stratégies et tactiques, en particulier du fait de la capacité du capitalisme à récupérer ce qui se met sur son chemin.
Malgré ces difficultés, les anarchistes ne se limitent jamais à défendre des positions uniquement “réformistes”. Il.les s’évertuent à ne jamais participer à une réforme qui serait une fin en elle-même, et dont les supposées améliorations n’auraient d’autre but que de rendre l’organisation sociale actuelle plus sympathique. Leurs efforts pour se déplacer intentionnellement “d’ici” à “là” souligne la manière dont l’organisation sociale actuelle ne peut le faire, car leur raison d’être est d’assouvir les besoins et désirs de tou.te.s et chacun.e. Les anarchistes ne se « contentent pas d’un idéal d’une société future sans domination » comme l’a affirmé il y a longtemps l’anarcho-syndicaliste Rudolf Rocker ; mais dirigent simultanément leurs efforts à « restreindre les activités de l’état et bloquer son influence dans chaque aspect de la vie sociale chaque fois qu’il.les en ont l’occasion » (1). L’anarchisme ne se contente pas de demeurer à la surface, à la chatouiller pour rendre un monde endommagé un peu moins endommageant. C’est une critique globale visant à réimaginer et restructurer la société dans son ensemble. L’anarchisme perçoit comme essentiel que pour que chacun.e soit libre, l’humanité doit s’harmoniser avec le reste du monde non-humain.
Comme mentionné plus haut, l’anarchisme s’est focalisé depuis ses prémices sur les deux principaux obstacles à une société libertaire : le Capitalisme et l’état. Cette paire est toujours tristement la source de la misère et du contrôle social. Le Capitalisme et l’état s’entrecroisent en profondeur dans un procédé de naturalisation de cette misère et ce contrôle dont ils sont à l’origine. Leurs logiques internes distinctes s’entrelacent dans une consolidation des pouvoirs de monopolisation pour une minorité aux dépens des autres. Cela impose à chacun de ces systèmes de s’étendre continuellement en masquant son influence. Pour survivre, il leur faut faire apparaître comme normal que la plupart des individu.e.s soient appauvri.e.s et exclu.e.s en tant qu’acteurs économiques et politiques, socialement aliéné.e.s. Il leur faut réorganiser les relations sociales à leur image, pour les faire devenir des manières intuitives d’être et de se comporter. Le monde produit par là une majorité lui est en retour dénié, et une poignée s’accaparent les décisions sur tout ce qui constitue la vie. L’anarchisme est donc catégoriquement anticapitaliste et antiétatique, ce qui en fait une politique révolutionnaire puisque se battre fondamentalement contre ces systèmes nécessite d’aller à leurs racines. Dépasser le capitalisme et les états ne signifierait pas moins que retourner le monde, détruire tous les monopoles et le reconstituer comme un bien commun, depuis les institutions jusqu’aux éthiques quotidiennes.
Par exemple, là où nombreu.x.ses sont ce.ux.lles qui dans la lutte altermondialiste ou climatique concentrent leurs efforts sur les multinationales en les considérant comme la clé de voûte du système, les anarchistes voient en elles seulement des pièces du capitalisme dont la disparition ne détruirait pas pour autant le capitalisme, aussi néfastes qu’elles puissent l’être (2). Un capitalisme sans multinationales est possible. L’essence du capitalisme est de garantir que demeure cette société de relations sociales imposées avec son lot d’inégalités de pouvoir et de condition matérielle. La logique de croissance du capitalisme étant exponentielle, s’il n’en subsistait ne serait-ce qu’une trace, il ne pourrait que s’éteindre à nouveau. Les structures capitalistes contemporaines des réseaux et d’information montrent bien que le capitalisme prétendument localisé peut être un moyen de cacher l’augmentation de concentration de contrôle social et d’injustice. Le capitalisme est dans sa totalité à l’origine du problème. Les anarchistes proposaient alors de défaire complètement les structures économiques et les valeurs de l’hégémonie capitaliste, ou les autres composantes du capitalisme en tant que système, depuis les multinationales, les banques, jusqu’à la propriété privée les profits, le patronat, le salariat, l’aliénation et la marchandisation.
Cela se retrouve dans des projets qui pourraient paraître aux premiers abords se concentrer sur une unique préoccupation, mais les anarchistes utilisent de telles campagnes pour démontrer la manière dont le capitalisme est dans l’incapacité de réaliser sa promesses d’assouvir l’ensemble des besoins et qu’une société libre ne peut se faire que sur la base d’un monde duquel il serait débarrassé. Par exemple, le capitalisme produit souvent des surplus, dans des domaines comme la nourriture ou le logement, et à moins que ces surplus ne soient échangeable, il préfèrera les jeter ou les laisser vacants. Pendant ce temps, nombreu.x.ses sont ce.ux.lles qui ont faim ou dorment dans les rues. Rendre ces surplus disponibles à l’usage plutôt qu’à l’échange, se les réapproprier comme un bien commun, à la disponibilité de ce.ux.lle.s qui en ont besoin ou le désirent, dépend de notre capacité à nous auto-organiser pour assouvir ces besoins. Cela montre aussi que pour être pleinement humain, il faudrait partager librement ces surplus et prendre soin de chacun.e et pas uniquement de ceux qui peuvent se nourrir ou se loger e.ux.lles mêmes.
Ce positionnement n’est pas seulement implicite. Les anarchistes l’invoquent de manière multiple pour illustrer la manière dont les progrès peuvent aussi être des mouvements vers des reconstructions révolutionnaires.
Il.les bousculent ces manières de penser naturalisées par le capitalisme, en procédant par exemple a des lâcher de banderoles ou des slogans radicaux sur le partage civique [“Tout pour tou.te.s et ce qu’il y a en plus gratuit !” (3)] ou la diffusion de lectures encourageant à “tout occuper”. Il.les initient des campagnes plus développées comme “Use It or Lose It” en liant la réquisition de propriété à la notion d’usufruit, exprimant ainsi notre capacité à utiliser et apprécier un logement comme un bien social, qui s’oppose directement à la valeur d’échange du capitalisme. Quand le tranchant révolutionnaire s’émousse, comme cela arrive souvent sous un régime capitaliste, les anarchistes essayent de réorienter des projets pour souligner l’irrationalité du système économique contemporain en contraste avec les possibilités de transformation du présent.
L’état, bien que distinct du capitalisme dans sa forme et ses méthodes doit aussi devenir une chose du passé si on veut que la liberté ait la moindre chance de régner. Il n’est pas question d’essayer de rendre l’état plus sympathique, plus multiculturel, plus bénin, ou de respecter ses lois à la lettre. La logique même de l’état empêche qu’une minorité de personnes soit plus apte que lui-même à déterminer ce que la Constitution des Etats-Unis nomme “la vie, la liberté et la poursuite du bonheur”. Ce n’est pas seulement que l’état a (ce qui change progressivement) le monopole de la violence, mais c’est que quel que soit l’insistance avec laquelle il contraint déjà des individu.e.s à déléguer leurs pouvoirs, par les armes, les urnes ou la pacification à travers des formes déjà circoncises de participation, il est de plus impliqué dans une variété de contrôles sociaux et d’ingénieries sociales. L’état est essentiellement un petit groupe d’individu.e.s légiférant, administrant et poliçant les interactions sociales. Ainsi, il maintient également d’autres formes de domination, tel que le racisme institutionnalisé ou l’hétéro-normativité. De plus en plus, “l’état” prend part à des structures en réseau qui collaborent sous formes de blocs ou institutions globales. De moins en moins de personnes peuvent donc déterminer des décisions politiques telles que les guerres, la santé ou l’immigration. La notion même de démocratie représentative devient presque anachronique sous ce régime inter-étatique, étant donné que les niveaux étatiques non-représentatifs travaillent main dans la main avec des organisations non-gouvernementales et des corps financiers transnationaux également non-démocratiques.
A l’opposé les anarchistes s’accordent sur la nécessité d’un monde sans capital ni état, précisément en vue de permettre à chacun.e de s’en sortir en définissant par lui-même ce qu’il veut faire de sa vie, ce qu’il appelle liberté, ce qu’il désire comme bonheur. En relation avec l’état spécifiquement, les anarchistes entendent que chacun.e est parfaitement capable et d’autodéterminer sa vie. Les anarchistes croient qu’ensemble, les individu.e.s délibèreront et s’accorderont sur des organisations sociales plus créatives et multiples.
Là encore, les anarchistes apportent une praxis révolutionnaire qui améliore à la fois les conditions actuelles et vise à les dépasser. Un projet de fourniture de surplus alimentaires à ce.ux.lles qui en ont besoin peut aussi inclure une assemblée directement démocratique, dans laquelle chacun.e impliqué.e peut prendre part à des prises de décisions collectives. Quand un terrain vague est à même d’être vendu à la plus forte enchère pour le développement d’une résidence de luxe, les anarchistes lancent un appel pour qu’il soit transformé en parc, et se joignent à leurs voisin.e.s ne se contentant pas d’embellir l’espace, ils manifestent leur volonté politique de se le réapproprier comme un bien commun. Ce sont les mêmes finalités qu’ils mettent en œuvre à travers des pratiques comme les campagnes d’Anarchists against the Wall ou No one is illegal, par lesquelles des anarchistes ont directement remis en cause le pouvoir de l’état à diviser et dégrader en mettant en place des frontières afin de contrôler des territoires (4). Même dans le contexte réformiste d’une manifestation, les anarchistes diffusent une perspective révolutionnaire, par exemple, en coordonnant des journées d’actions globales en dehors des organisations centralisées, par le biais de confédérations de groupes et de mouvements autonomes.
L’anarchisme se distingue en tant que philosophie politique par ses positions claires et sans concessions contre le Capitalisme et l’état. Il y a de nombreuses manières au sein de l’anarchisme pour expliquer spécifiquement ce qu’il y a de mauvais dans le Capitalisme ou l’état, et davantage de propositions pour s’en débarrasser. Les anarchistes maintiennent que ce duo doit disparaître du fait du pouvoir que tous deux exercent sur la vaste majorité du monde humain et non humain. La notion de pouvoir est au cœur de sa philosophie politique lorsqu’il interroge : Qui l’exercent ? Qu’en font-il.les ? Quel est leur but ? (5). L’anarchisme, plus radical que n’importe quelle autre philosophie politique, répond que ce pouvoir devrait être horizontal et partagé également entre tous. »
Cindy Milstein
NOTES :
(1) Rocker, Rudolf. Anarcho-Syndicalism : Theory and Practice. Oakland, États-Unis, 2004. p.73.
(2) Ndt : On peut voir comme exemple la conclusion tirée par certaines personnes actives dans la plateforme SHAC, Stop Huntingdon Animal Cruelty, contre l’entreprise de vivisection Huntingdon Life Sciences en s’attaquant à l’entreprise elle même ainsi qu’à ses client.e.s et fournisseur.se.s entre 1999 et 2014. Lâchée par ses financeurs ainsi que par son assurance, l’entreprise n’a pu survivre que par le biais de refinancement de la part de l’état britannique. À ce sujet voir la brochure Militant forces against HLS : Blackmail 4 & the SHAC Model (s.l. Angleterre : Dark Matter Publications)
(3) “Everything for everyone, and what’s more for free.”
(4) Pour d’avantage d’information sur Anarchists Against the Wall voir Gordon, Uri & Ohal Grietzer : Les anarchistes contre le mur : action directe et solidarité avec la lutte populaire palestinienne. St-George d’Oléron, France - Éditions libertaires, 2016. Pour des exemples des campagnes de No one is illegal, ici des liens vers trois groupes au Canada : http://toronto.nooneisillegal.org/ ; http://noii-van.resist.ca/ ; nooneisillegal-montreal.blogspot.com/. Voir aussi Walia, Harsha : Démanteler les frontières : Contre l’impérialisme et le colonialisme. Montréal, Canada - Lux, 2015.
(5) Merci à Todd May pour m’avoir expliqué cette notion.
- SOURCE : Bibliothèque Anarchiste
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