★ L'État : une introduction
« Une petite introduction à ce que nous voulons dire quand nous parlons de l’État et quel rapport nous pensons que nous, en tant que travailleurs, nous devrions entretenir avec lui.
Des États, il y en a de toutes les formes et de toutes les couleurs. Il y a des démocraties et des dictatures, il y a ceux qui ont un État-providence bien développé, ceux qui n’en ont pas du tout, certains qui protègent la liberté individuelle, et d’autres encore qui ne la protègent pas.
Mais ces formes d’État ne sont pas gravées dans le marbre. Les démocraties et dictatures apparaissent et disparaissent, un État-providence peut se développer puis être démantelé, tandis que les libertés civiques sont tantôt garanties, tantôt menacées.
Toujours est-il que tous les États partagent certaines caractéristiques qui définissent leur nature commune.
Qu’est-ce qu’un État ?
Tous les États remplissent la même fonction dans la mesure où il s’agit d’un ensemble d’institutions qui créent et imposent des lois sur un territoire donné. Et, surtout, il s’agit d’une organisation qui est contrôlée par une petite minorité de personnes.
Parfois, un État peut être composé d’un parlement dans lequel siègent des politicien-ne-s élu-e-s, disposant d’un système judiciaire indépendant et d’une force policière et militaire qui permet de faire valoir leurs décisions.
Mais sa capacité à prendre des décisions politiques et légales – et à les imposer, violemment si nécessaire – représente la caractéristique centrale de tous les États. Surtout – et c’est le point le plus important – l’État revendique un monopole de violence légitime, au sein de ses frontières et même au-delà de celles-ci.
L'État et le capitalisme
Dans une société capitaliste, le succès et l’échec d’un État dépendent, sans surprise, du succès du capitalisme qu’il contient dans ses frontières.
Au fond, son succès dépend donc du fait que des entreprises implantées sur son territoire génèrent du profit pour que l’économie puisse croître. Dans ce cas, le gouvernement peut prélever des impôts et des taxes qui vont lui permettre de financer ses politiques.
Si les entreprises d’un pays enregistrent des bénéfices, cela va attirer des investissements dans ces industries rentables, des entreprises vont employer des travailleur-se-s pour qu’elles-ils transforment leur investissement en plus d’argent. Ces entreprises et les travailleur-se-s vont payer des impôts qui permettent à l’État de se financer.
A l’inverse, si les profits sont en baisse, les investissements vont s’orienter vers d’autres régions, plus prometteuses en profits. Des entreprises vont fermer, des travailleur-se-s seront viré-e-s, les entrées fiscales vont chuter et l’économie locale s’effondre.
Donc la promotion du profit et de la croissance économique est une tâche essentielle de tout État dans une société capitaliste – y compris les économies de capitalisme d’État qui prétendent être « socialistes », tel la Chine ou Cuba. Vous pouvez lire notre introduction au capitalisme ici.
L’économie
Comme la promotion de l’économie est une tâche centrale de l’État, allons voir de plus près les éléments qui sont au fondement de toute économie capitaliste en bonne santé.
Travailleuses et travailleurs
Le premier élément dont une économie capitaliste fonctionnelle doit disposer est un groupe de personnes capables de travailler et de transformer l’argent de capitalistes en plus d’argent : une classe ouvrière. Cela suppose que la majorité des personnes ait été expropriée de terres et de moyens de survie, de manière à ce que la seule possibilité pour elles de survivre est de vendre leur capacité de travail à ceux (et, moins souvent, celles) qui ont les moyens de l’acheter.
Cette dépossession s’est produite pendant les siècles derniers à travers le monde entier. Au début du capitalisme, les propriétaires d’usines avaient des difficultés à faire les paysans travailler dans leurs usines car ceux-ci produisaient suffisamment sur leurs terres pour subvenir à leurs besoins personnels. Pour résoudre ce problème, l’État a violemment forcé les paysan-ne-s à quitter leurs terres communes, il a abrogé des lois qui interdisaient le vagabondage, obligeant ainsi les ancien-ne-s paysan-ne-s, sans terre et sans ouvrage, à travailler dans les usines, sous peine d’être exécuté-e-s.
C’est ce qui s’est passé pour la grande majorité des peuples dans le monde. Mais dans certaines parties du monde, soi disant « en développement », l’État joue encore ce rôle en déplaçant les personnes afin de créer de nouveaux marchés pour des investisseurs. Lisez notre introduction aux classes sociales ici.
La propriété privée
Un deuxième élément central est le concept de propriété privée. Alors que beaucoup de gens ont été dépossédés afin de créer une classe ouvrière, la propriété des terres, des bâtiments et des usines aux mains d’une petite minorité de la population ne pouvait être maintenue que par une structure de violence organisée - l’État. Aujourd’hui, les défenseurs du capitalisme ne le disent pas ouvertement, mais à ses débuts, cela était un fait reconnu. Comme l’a écrit l’économiste politique libéral Adam Smith :
"Les lois et le gouvernement doivent être considérés dans tous les cas comme une combinaison qui permet aux riches d’opprimer les pauvres, afin de préserver l’inégale distribution des biens qui sinon seraient abolie par des attaques de la part des pauvres qui, si le gouvernement ne les en empêchait pas, réduiraient les riches à être leurs égaux par la violence ouverte."
(Texte original : “Laws and government may be considered in this and indeed in every case as a combination of the rich to oppress the poor, and preserve to themselves the inequality of the goods which would otherwise be soon destroyed by the attacks of the poor, who if not hindered by the government would soon reduce the others to an equality with themselves by open violence.”)
Ceci est toujours vrai de nos jours, où les lois visent davantage à protéger la propriété privée que les gens. Par exemple, il n’est pas illégal que des spéculateur-trice-s retiennent des denrées alimentaires, créant ainsi des pénuries afin de faire grimper les prix, pendant que des gens meurent de faim – mais il est illégal qu’une personne qui meurt de faim vole de la nourriture.
Que fait l'État ?
Les différents États accomplissent des tâches diverses et variées, depuis les repas gratuits à l’école jusqu’au maintien des pratiques religieuses. Toutefois, comme nous l’avons évoqué plus haut, la fonction primaire de tout État dans une société capitaliste est de protéger et de promouvoir l’économie et les profits.
Mais, comme les entrepreneur-se-s sont en concurrence permanente les un-e-s contre les autres, ils-elles ne se préoccupent que de leurs propres gains financiers immédiats – ce qui peut nuire à l’économie plus large. Ainsi, l’État doit par moments intervenir pour défendre l’économie dans son ensemble.
Donc les États assurent l’éducation et la formation de la future force de travail de leur pays et construisent l’infrastructure (le réseau ferré, des systèmes de transport public etc.) qui nous permet de nous rendre au travail et de transporter les marchandises. Parfois les États protègent leurs entreprises de la compétition internationale en taxant les biens qui entrent dans le pays ou en forçant l’expansion de leurs marchés sur le plan international à travers les guerres et la diplomatie avec d’autres États. D’autres fois, ils offrent des réductions d’impôts ou des subventions, ou ils les sauvent de la faillite lorsqu’il s’agit d’acteurs économiques trop importants pour disparaître.
Ces mesures entrent des fois en conflit avec les intérêts particuliers de certaines entreprises ou industries. Toujours est-il que l’État agit dans l’intérêt de l’économie dans son ensemble. En fait, l’État peut être vu comme une manière de résoudre les divergences entre différents capitalistes sur la question « comment assurer la survie de l’économie à long terme ? ».
L'État-providence
Certains États procurent pleins de services qui protègent les gens des pires effets de l’économie. Mais ceci n’a rarement – ou plutôt jamais – été le fruit d’une générosité de la part de politicien-en-s. Ces services ont toujours été obtenus suite à une pression qui a été exercée par le bas.
Par exemple, après la deuxième guerre mondiale au Royaume Uni (et dans d’autres États européens), on a vu émerger un État-providence qui assurait les soins de santé, du logement social etc. à celles-ceux qui étaient dans le besoin. Mais cette évolution reflète la crainte des politiciens que la fin de la guerre pourrait conduire à des soulèvements révolutionnaires tels qu’ils ont eu lieu après la première guerre mondiale comme les révolutions russes et allemandes, le Biennio Rosso en Italie, les mutineries de l’armée britannique etc.
Cette crainte était tout à fait justifiée. En effet, vers la fin de la guerre, les troubles sociaux de plus en plus importants se propageaient dans les pays guerriers. Des soldats sans logement reprenaient des maisons vides tandis que les grèves et émeutes s’étendaient. Le député du parti britannique des Tories (conservateur) Quitin Hogg résumait l’humeur ambiante parmi les politiciens en 1943 ainsi : « Si nous ne leur donnons pas de réformes, ils nous donneront la révolution. »
Ceci ne signifie pas que les réformes sont « contre-révolutionnaires ». Cela veut juste dire que l’État n’est pas le moteur des réformes ; c’est nous, la classe ouvrière – et plus spécifiquement, nos luttes – qui les impulsons.
Lorsque nos luttes atteignent une ampleur qui ne peut plus être ignorée ou réprimée, l’État s’engage à faire des réformes. Les 100 années suivantes, nous aurons le droit aux discours sur le « grand réformateur » untel, alors qu’en réalité ce sont nos luttes qui l’ont obligé à l’application de ces réformes.
Si nous nous organisons et nous militons en tant que classe, nous pouvons obtenir des réformes sociales. Mais lorsque l’activisme disparaît ou est réprimé, nos acquis sont vite sapés. Les budgets des services publics sont limités, avant d’être tout à fait privatisés, les prestations sociales sont réduites, on introduit ou augmente des frais pour des services publics et on baisse les salaires.
Donc le niveau de protection sociale et des services publics destinés à la classe ouvrière d’une société révèle le rapport de pouvoir entre patron-ne-s et travailleur-se-s. Par exemple, la classe ouvrière française a un niveau d’organisation et d’activisme plus élevée que la classe ouvrière américaine. Il en résulte que les travailleur-se-s françai-se-s ont généralement de meilleures conditions de travail, une semaine de travail plus courte, ils partent plus tôt à la retraite et bénéficient de meilleurs services sociaux (p.e. soins de santé, éducation etc.) – et ce indépendamment du fait que le gouvernement soit de droite ou de gauche.
Un État des travailleurs ?
Pendant des décennies des ouvrier-ère-s ont, en plus de leurs luttes sur le lieu de travail et dans la rue, tenté d’améliorer leur condition en s’appuyant sur l’État.
Les méthodes employées ont divergé en fonction de l’endroit et du contexte historique, mais elles ont principalement pris deux formes : former et soutenir des partis politiques qui se présentent aux élections et qui sont censés agir dans l’intérêt des travailleurs, ou alors, de manière plus radicale, amener le parti au pouvoir et former un gouvernement des travailleur-se-s à travers une révolution.
Le cas du Labour Party (parti travailliste) au Royaume-Uni
Le Labour Party au Royaume-Uni a été créé par les syndicats en 1906. Rapidement, il s’est fixé pour objectif de créer une société socialiste.
Cependant, une fois arrivé au parlement et confronté à la réalité parlementaire, et donc à la dépendance d’une économie capitaliste prospère, le parti a bientôt laissé tomber ses principes et a régulièrement soutenu des politiques contre la classe ouvrière, autant lorsqu’il était dans l’opposition que plus tard, au gouvernement : en commençant par le soutien que le parti a donné à la boucherie de la première guerre mondiale, en passant par l’assassinat de travailleur-se-s dans d’autres pays afin d’assurer le maintien de l’Empire Britannique, jusqu’à couper les salaires et envoyer des troupes contre des dockers en grève.
Quand la classe ouvrière était vigilante et offensive, le parti travailliste a fait passer des réformes, tout comme l’ont fait les autres partis. Mais, tout comme les autres partis, quand la classe ouvrière est restée calme, les politiciens travaillistes ont vidé les réformes de tout contenu et s’en sont pris aux conditions de vie des gens. Par exemple, seulement quelques années après l’introduction du service de santé national gratuit, le Labour party a rajouté des frais de prescriptions, puis une participation aux frais de lunettes et de dentiers.
Comme nous l’avons souligné, ils n’ont pas agi ainsi parce que les membres et responsables du parti travailliste étaient des mauvaises personnes, mais parce qu’en fin compte, ils étaient des politiques dont l’objectif principal reste la compétitivité de l’économie britannique sur le marché mondial.
Les Bolchéviques
En Russie en 1917, quand les travailleur-se-s et paysan-ne-s, femmes et hommes, se sont soulevé-e-s pour prendre le contrôle des usines et des terres, les bolcheviques ont défendu la mise en place d’un État ouvrier « révolutionnaire ». Or, cet État ne pouvait pas se débarrasser de ses fonctions primaires : la défense violente d’une élite, et une tentative de développer et d’étendre l’économie afin d’assurer sa propre survie.
Le soi-disant « État ouvrier » s’est retourné contre la classe ouvrière : la gestion des entreprises par une seule personne fut réinstaurée, la grève interdite et le travail imposé par les armes. Cet État a même éliminé ceux de son propre camp qui s’opposaient à ces changements. Peu de temps après la révolution, beaucoup de bolchéviques de la première heure ont été exécutés par les institutions du gouvernement qu’ils ont eux-mêmes aidé à mettre en place.
Contre l'État
Tout ceci ne signifie pas que nos problèmes seraient résolus si l’État disparaissait du jour au lendemain. Mais cela montre que l’État est indissociable du conflit de base qui réside au cœur de la société capitaliste : celui entre employeur-se-s et employé-e-s. En fait, l’État en constitue une partie intégrante qui se range clairement du côté des employeur-se-s.
Chaque fois que nous, travailleur-se-s, nous nous sommes battus pour l’amélioration de notre condition, nous sommes entrés en conflit non seulement avec nos patron-ne-s, mais aussi avec l’État, qui utilise la police, les cours de justice, les prisons, et parfois même le militaire pour maintenir l’ordre existant.
Là où les travailleur-se-s ont essayé d’utiliser l’État, voire d’en prendre le contrôle pour défendre nos intérêts, ils ont échoué – car la nature de l’État est profondément opposée à la classe ouvrière. Ils n’ont que contribué à légitimer et à renforcer l’État qui, plus tard, s’est retourné contre eux.
En utilisant nos forces et nos volontés collectives nous pouvons déranger, perturber l’économie afin de changer la société. Quand nous forçons l’État à réaliser des réformes, nous ne gagnons que momentanément de meilleures conditions. Mais nos actions aspirent, plus profondément, à une société nouvelle, basée sur des principes différents. Nous voulons une société où nos vies comptent plus que leur « croissance économique ». Une nouvelle forme de société où il n’y aurait plus de minorité riche qui doit protéger sa richesse contre celles-ceux qui n’ont rien ; c’est-à-dire, une société qui n’a pas besoin d’État.
L’État a besoin de l’économie pour survivre et va donc toujours soutenir ceux qui la contrôlent. Mais l’économie et l’État sont fondés sur le travail que nous effectuons chaque jour, et cela nous donne le pouvoir de les arrêter pour enfin nous en débarrasser. »
- SOURCE : libcom.org
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