La critique anarchiste du marxisme

Publié le par Socialisme libertaire

Anarchisme Communisme


Texte de Sekelj Laslo.  

Laslo Sekelj est yougoslave, universitaire et marxiste. La présence d’un de ses textes peut donc surprendre dans nos colonnes. Mais il s’est beaucoup intéressé à l’anarchisme et a écrit plusieurs textes sur ce sujet. Et sa critique de l’anarchisme a une qualité rare : elle peut être débattue car elle se fait sur des bases honnêtes. Sekelj s’attaque dans ses textes à toutes les pseudo-critiques marxistes (sociales-démocrates, communistes, staliniennes) qui utilisent la falsification, le mensonge, la calomnie, etc. Et quand lui-même critique l’anarchisme, il reste toujours sur le plan des faits, des idées et des analyses. C’est suffisamment rare dans la science officielle des Pays de l’Est pour que nous le signalons. « La critique anarchiste du marxisme » est paru dans la revue Gledista en 1980, et écrit à l’occasion d’un colloque. 


Ce texte, jumeau de celui de Laslo Sekelj, est important, puisque provenant d’un regard marxiste au départ. Voir en fin d’articles des détails sur l’auteur.  

La critique anarchiste du marxisme (*)  

Une double opposition caractérise la théorie sociale anarchiste : d’un côté la société bourgeoise et l’État sont critiqués et rejetés au nom de l’anarchie et de l’idéal humaniste de la société juste. D’un autre côté, l’anarchisme s’est opposé de façon critique au marxisme, en tant que théorie et en tant que praxis politique dans ces manifestations visibles (la sociale-démocratie, le bolchevisme et le communisme). L’anarchisme arrive à ces confrontations au nom et à partir des positions de la théorie révolutionnaire, comme réalisation immédiate de l’idéal humaniste de la société juste, et au nom de la pureté morale des moyens de lutte. Ainsi, du point de vue anarchiste, la critique du socialisme marxiste représente la conséquence et la prolongation de la critique sociale anarchiste de la société bourgeoise et de l’État, et également de la théorie révolutionnaire anarchiste. C’est pourquoi les anarchistes considèrent que le but du marxisme est le socialisme d’État, et donc essentiellement l’extension des rapports sociaux (bourgeois) actuels et la forme structurelle de ces rapports (1).

La critique anarchiste du marxisme n’est pas un tout homogène ni une position unitaire. À mon avis, il faut distinguer clairement trois niveaux dans la critique anarchiste du marxisme.

1) la critique de Marx par Bakounine 
2) la critique de la sociale démocratie (théorie et praxis), 
3) la critique de la praxis des bolcheviks après la révolution d’octobre.
 

Contexte de l’opposition de l’anarchie au marxisme

Pour une compréhension de l’essentiel du conflit entre l’anarchisme et le marxisme, il faut d’abord exposer le contexte historique des faits, c’est-à-dire le rejet anarchiste de la politique dans son ensemble et dans les manifestations visibles (du début du siècle) du concept de politique. Cette position implique en soi, avant tout, le refus de la démocratie bourgeoise et parlementaire sous toutes ses formes (2). Elle devient visible parce que, précisément après l’expérience de la Commune de Paris, il n’est plus possible pour le marxisme et l’anarchisme -les deux tendances dominantes dans l’internationale- de coexister, de se concurrencer et de converger.

Proudhon constatait déjà que la démocratie représentative n’était qu’une dictature déguisée (3), encore que, dans la pratique, il n’ait pas repoussé la participation à la vie politique de la société bourgeoise. Bakounine et Kropotkine, de ce point de vue, ont été bien plus loin que lui (4). Dans l’ensemble, pour l’anarchisme après Proudhon, la position envers l’institution du suffrage direct, de même qu’envers toutes les institutions libérales et démocratiques, est de les envisager comme des moyens de manipuler les masses travailleuses. Ce sont les moyens de la politique bourgeoise et une sorte d’opium qui obscurcit les bases de l’inégalité économique. En outre, Le suffrage universel est la contre-révolution (5). Ou, brièvement, le parlementarisme et la démocratie bourgeoise dans leur ensemble représentent -selon les anarchistes- exclusivement un instrument de la bourgeoisie, partie intégrante de la politique bourgeoise, qui dans le principe même sont contraires au socialisme, et comme moyen et non pas seulement comme but (6). Lorsque l’anarchiste allemand Pierre Ramus déclare que le parlement n’a aucune indépendance par rapport à la classe capitaliste et à l’État, il ne fait qu’exprimer les préliminaires de la principale position de l’ensemble de l’anarchisme, de façon quelque peu extrême. En outre, selon Ramus, il en va tout à fait de même du programme que présentent les parlementaires, parce que le parlement n’a aucun autre pouvoir (et but) que de servir l’État bourgeois actuel (7).

Les positions de Guillaume, Rocker et Malatesta sont plus nuancées. Ainsi Guillaume au congrès de la I internationale de La Haye, en 1872 répondait aux marxistes en déclarant :

Nous ne sommes, en aucun cas partisans de l’indifférence en politique comme on nous l’a injustement reprochés. À l’opposé des marxistes, nous sommes des politiciens négatifs, parce que notre but n’est pas de créer, mais, de détruire tout pouvoir politique (8).

Il faut comprendre cela dans le sens de la vision de la politique de Rocker : Chaque événement qui se déroule dans une société est de nature politique, surtout lorsqu’il apparaît dans un domaine purement économique, comme par exemple la grève générale. Il faut considérer l’activité parlementaire, dans le meilleur des cas, comme une forme ordonnée de l’activité politique générale et, à notre avis, elle ne se présente que sous la forme la plus insignifiante et la plus faible de la lutte politique (9). Et Malatesta se déclare également en faveur de la lutte politique, qu’il comprend comme une lutte contre tout pouvoir, mais en aucun cas comme une participation aux organes électoraux (10). Par conséquent, si nous faisons abstraction de la rhétorique, nous voyons que les trois auteurs de la génération plus jeune se prononcent, en fait, pour les buts pour lesquels Bakounine et Kropotkine (11) ont lutté : le refus total du combat légal, parlementaire et politique. En fait, en ce qui concerne le refus de la lutte politique, selon la position caractéristique anarchiste, chaque forme de participation à la politique ne peut être qu’une participation à la politique bourgeoise dans le cadre de l’État bourgeois (12).

Le refus anarchiste de la lutte politique comme moyen de création de la condition de réalisation de l’anarchie en tant qu’idéal humaniste de la société juste a encore une autre dimension. Chaque action d’un parti politique a pour but unique, entre autre, de conquérir le pouvoir politique. Cependant pour Bakounine, cette conquête du pouvoir politique ne peut qu’être un nouveau despotisme d’une minorité dirigeante : le gouvernement de l’immense majorité des masses populaires par une minorité (13). Selon Kropotkine : [l’organisation politique] se façonne, se fait au régime économique, dont elle est toujours l’expression privilégiée et, en même temps, la consécration, le maintien. Lorsque le pouvoir politique d’un pays est inférieur à son développement économique, alors cette superstructure se détruit, change et se modèle sur le pouvoir économique (14). Kropotkine, cependant, observe que durant la révolution le pouvoir politique n’est qu’un chiffon de papier.

Kropotkine essaie d’expliquer cette thèse dans son livre La Grande Révolution française sur l’explication de la révolution de 1789. Selon Kropotkine, pendant cette révolution la sphère politique a joué un rôle tout à fait secondaire. La Convention (la sphère politique) a décrété le partage des terres, mais ce ne fut que la reconnaissance du fait accompli : le peuple par l’action directe spontanée avait conquis le pouvoir économique, et par là, avait en main le pouvoir de créer (15). Donc, pour les anarchistes le combat politique ne peut avoir pour résultat qu’un changement des personnes au pouvoir, et pas un changement de l’essence du pouvoir. De là découle le refus de la lutte politique (16) et la reconnaissance de l’action directe comme seul moyen -selon les buts socialistes- de combat contre la société bourgeoise et l’État (17).

À la différence des anarchistes, Marx n’a jamais été partisan de la réduction du combat contre la société bourgeoise et l’État sous qu’elle que forme que ce soit. En conséquence, Marx a été contre la réduction de cette lutte au plan économique (l’action directe) et -d’un point de vue organisationnelle- à la seule propagande des idées, comme préparation de la révolution sociale. D’une part Marx a voulu changer la conscience de classe du prolétaire empirique et des couches sociales prolétarisées, ce qui pour l’anarchisme -comme théorie de masses- est totalement inacceptable. En effet Marx considérait que la tâche de réunir les classes travailleuses d’Europe et d’Amérique, de même que les courants idéologiques hétérogènes, n’était que le point de départ de l’lnternationale. Marx visait beaucoup plus haut : un travail organisationnel d’élévation de la conscience de classe des travailleurs jusqu’à la conscience qu’a le prolétariat de sa mission historique (18). Cette question, après l’écrasement de la Commune de Paris et à cause de la nouvelle situation en Europe, devint celle de la participation à la vie politique de la société et de l’État bourgeois, avec la création de partis ouvriers nationaux, avec la centralisation simultanée de l’internationale (19). Sur le plan théorique, cette question se pose comme celle de la lutte de classe totale, comme la non acceptation de la séparation entre la lutte économique et la lutte politique. Pour Marx : Il est de l’essence de toute lutte économique de se transformer en lutte politique et inversement (20). Engels pense la même chose :

Il est donc prouvé que, dans l’histoire moderne tout au moins, toutes les luttes politiques sont des luttes de classes et que toutes les luttes émancipatrices de classes, malgré leur forme nécessairement politique -car toute lutte de classe est une lutte politique- tournent, en dernière analyse autour de l’émancipation économique (21)

Ce survol des idées anarchistes et marxistes et d’Engels sur la lutte contre la société et l’État bourgeois confirme pleinement les propos de Mehring dans sa biographie de Karl Marx : Leur divergence portait sur la tactique que ce mouvement de masse devait adopter pour parvenir au but ; mais, aussi erronées qu’aient pu être les vues de Bakounine sur ce plan, elles n’avaient néanmoins rien de commun avec les manigances d’un sectateur (22). Cette opposition de tactique entre Marx et Bakounine fut particulièrement exagérée dans le sens que l’anarchisme exclut l’adoption de la structure moderne du parti politique (23). D’un point de vue anarchiste -indique A. Rozenberg- La critique de l’État centraliste est étroitement liée au refus du parti politique. En effet, le parti est, par déduction, un État en miniature, qui a l’intention de le devenir. Le parti représente l’autorité de même que l’État (24). C’est pourquoi, pour les anarchistes, par principe la création d’un parti politique ouvrier est inacceptable, et cela indépendamment des déclarations du blanquiste Vaillant, rapporteur d’une résolution au congrès de La Haye :Le prolétariat ne peut agir comme classe qu’en se constituant lui-même en parti politique distinct, opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes (25).

Cette résolution qui amena à la rupture théorique définitive sur la question de la lutte politique part du fait que la classe ouvrière, seulement en tant que classe, peut s’opposer à la domination des classes possédantes face à une situation nouvelle créée par la force unie et brutale de la bourgeoisie. Comme moyen d’expression de la classe ouvrière en tant que classe on cite -dans cette résolution- le parti politique de la classe ouvrière qui s’opposera aux vieux partis bourgeois. Finalement la résolution souligne :que la coalition des forces ouvrières déjà obtenues par les luttes économiques doit aussi servir de levier aux mains de cette classe dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses exploiteurs, la Conférence rappelle aux membres de l’Internationale : que dans l’état militant de la classe ouvrière, son mouvement économique et son action politique sont indissolublement unis (26).

La plate-forme de Marx à la IIe conférence de Londres en 1871 et au congrès de la Haye en 1872 était une vision trop hardie (27), qui ne tenait pas compte des certaines expériences révolutionnaires empiriques, et qui a servi aux anarchistes pour juger la plate-forme du groupe marxiste. Comme cela a été développé par Mehring lui-même : partout où les partis ouvriers nationaux ont commencé à se former l’Internationale s’est écroulée (28). Bakounine, Guillaume et d’autres qui ont donné au mouvement anarchiste une forme, ont tous vécu en Suisse. Et c’est 1à qu’un parti politique fut formé qui appuya Marx contre les anarchistes à partir des couches peu nombreuses et nouvelles de l’aristocratie ouvrière. Ce parti politique des couches privilégiées du mouvement ouvrier n’hésita à se servir de moyens de manipulations politiques et de rapprochements auprès des bourgeois radicaux (29). Dans l’esprit de Bakounine (30), et aussi de Kropotkine (31), ce fut le prototype du parti ouvrier national, dont la création fut proposée par Marx et ses partisans (32).

Au départ, comme nous l’avons vu, la polémique sur la lutte politique créa une situation fondamentalement négative. D’un côté, la totalité de la lutte de classe est réduite à la lutte économique (les anarchistes) -par là elle baisse fortement ou demeure au niveau de la société bourgeoise. De l’autre, la question de la lutte et de l’activité politique -dès le début- fut limitée au niveau des partis parlementaires. Il se créa alors une situation où le mouvement ouvrier et l’union du mouvement ouvrier international se divisa en deux camps opposés. D’un côté il y avait les anarchistes, de l’autre, Marx et Engels, et les représentants des partis ouvriers politiques existants ou en formation.

Bien que, entre Marx et Engels et les partisans de ces partis ouvriers qui devinrent en pratique anti-révolutionnaires et partisans de la tactique pacifiste envers l’État bourgeois, il y eut une profonde différence, la défense commune contre l’anarchisme entraîna, après la fin de l’Internationale, une sorte d’union d’intérêt entre les révolutionnaires Marx et Engels, et les partis parlementaires opportunistes. Les premiers approuvèrent catégoriquement la participation des travailleurs aux élections parlementaires.. En même temps, ils n’ont jamais abandonné la question de la révolution sociale radicale, à la différence des partis ouvriers continentaux. En pratique ils cessèrent de réfléchir à la possibilité d’une situation révolutionnaire. La situation globale même du mouvement ouvrier devint si paradoxale que ces partis présentèrent leur activité comme façon de réaliser les idées de Marx et Engels. Ce rapprochement de Marx des partis ouvriers officiels européens apparut plus tard, pendant la IIe lnternationale, comme un facteur d’importance historique exceptionnelle (33). C’est dans cette coalition pour se défendre de l’anarchisme que se cachent les racines de l’opportunisme de la IIe Internationale.

Comme l’a dit Lukacs La fissure la plus frappante et la plus lourde de conséquences, dans la conscience de classe du prolétariat, se révèle dans la séparation entre la lutte économique et la lutte politique (34). L’opposition des marxistes aux anarchistes fut menée afin d’éviter cette rupture de la conscience de classe du prolétariat, plus exactement, pour ouvrir un processus d’élévation de la conscience actuelle des travailleurs au niveau de la conscience de classe du prolétariat comme classe pour soi, et non comme classe en soi. Le résultat fut, cependant, à double tranchant. D’un côté,l’Association lnternationale des Travailleurs fut anéantie et l’anarchisme -après son premier essor- commença à reculer, précisément sur la question de l’organisation (35). D’un autre côté, la réduction de la totalité de la conscience de classe et de la totalité de la lutte de classe prend une forme opposée actuellement -le parlementarisme, la politisation- au lieu de l’économisme. C’est pourquoi nous n’avons pas pris en considération le fait que la politisation a -pour la conscience actuelle- une grande signification par rapport à l’amélioration des conditions des couches sociales de la classe ouvrière, et en même temps par rapport à la prise de conscience du prolétariat. Cependant, cela se fait au moment où apparaît le droit des citoyens à exprimer un choix entre la théorie révolutionnaire hautement développée et la praxis de cette théorie.

La critique de Marx par Bakounine

Dans la conscience de ceux qui partageaient les problèmes de la 1ère Internationale le conflit entre le marxisme et l’anarchisme fut accentué par le personnalisme. Les attaques personnelles furent échangées par les deux camps, en particulier pour les deux leaders, Marx et Bakounine (36). Quant à ce dernier, il s’efforça d’être mesuré et que le conflit ne s’envenimât pas. Marx, perdant de vue l’intérêt de l’Internationale, considérant qu’il ne fallait plus rien en attendre et qu’elle avait rempli sa tâche, se retira grossièrement. Étant donné que son orgueil était touché -à cause de l’imbroglio au sujet de la traduction en russe de Bakounine du premier livre du Capital, me semble-t-il-, Marx perdit toute mesure : il traita un homme extraordinaire et sûrement impétueux, de voleur et d’espion tzariste, bien que ce même individu ait consacré toute sa vie (quarante ans d’esclavage et d’exil) à la révolution sociale (37).

Je considère le jugement de Bernstein sur la dimension personnelle du conflit entre Marx et Bakounine, comme très adéquat. D’un point de vue individuel, dans cette opposition entre Marx et Bakounine, ce dernier apparaît incontestablement dans une lumière considérablement plus favorable que son adversaire. Même celui qui considère dans ce conflit que Marx représente les intérêts du mouvement ouvrier et celui qui ne se permet aucune concession sentimentale, ne peut que regretter que Marx n’ait pas utilisé dans ce combat d’autres moyens et une manière différente (38).

Si on laisse de côté l’aspect personnel, on constate qu’on interprète habituellement la critique de Marx par Bakounine comme une position qui part de ce que l’opposition à l’État est fondamentalement anarchiste (39). Je ne suis pas d’accord, car cette attitude ne définit pas la position anarchiste. En fait ce refus se trouve aussi bien dans le marxisme que l’anarchisme. L’attitude positive est celle de l’anarchisme : réaliser l’anarchie (l’idéal humaniste) par le processus même de la révolution. On le voit clairement dans la critique de Marx par Bakounine, qu’on ne peut comprendre que dans cette approche de l’anarchisme. L’essentiel de la critique Bakouninienne de Marx consiste dans le fait que, selon Bakounine, les révolutionnaires doctrinaires, sous la direction de Karl Marx, ont été partout -combattants et défenseurs- pour l’étatisme et contre la révolution du peuple. [Les marxistes veulent imposer la dictature de leur parti ou groupe et] le gouvernement de la majorité par la minorité au nom de la bêtise supposée de la première ; et de la prétendue intelligence de la seconde (40). Ensuite, Bakounine estime que le but du marxisme est l’État populaire de Lasalle, qu’il interprète selon le Manifeste communiste comme le pouvoir représentatif des représentants du peuple, composés d’anciens ouvriers (41), élus.

Dans l’interprétation bakouniniene le fondement de ces deux versions de l’État marxiste, était la suivante : par rapport à une société structurée, ce serait une société où tout le pouvoir social, économique et politique irait aux mains de l’État ; le pouvoir politique appartiendrait à un pouvoir fort, et l’économie dans une banque étatique unique qui concentrera entre ses mains la totalité du commerce, de l’industrie, de l’agriculture et même la production scientifique, tandis que la masse du peuple sera divisée en deux armées : l’armée industrielle et l’armée agricole, sous le commandement direct des ingénieurs de l’État qui formeront une nouvelle caste politico-savante privilégiée (42). Bakounine considère que Marx et les marxistes veulent créer ce socialisme étatique, en ayant comme but les moyens adaptés : la conquête de l’État et le rétablissement du pouvoir des institutions autoritaires (43). Cette pensée de Marx est explicitement développé dans le fameux Manifeste des communistes allemands rédigé et publié en 1848 par MM. Marx et Engels. C’est la théorie de l’émancipation du prolétariat et de l’organisation du travail par l’État (44).

Bakounine voyait dans la démarche marxiste et sociale-démocrate de la conquête de l’État la raison principale de l’insistance des marxistes pour centraliser les prérogatives du Conseil Général de l’lnternationale. De même, Bakounine interpréta cette raison comme la cause du désir des marxistes de créer des partis ouvriers nationaux (45), ce qui équivaut pour Bakounine à tomber au niveau de la politique bourgeoise. En plus du parlementarisme, dans le sens de l’opportunisme, Marx, selon Bakounine, est en même temps partisan de la dictature jacobine par laquelle le prolétariat conquiert et acquiert le pouvoir. Dans certains passages, cette dictature jacobine s’accompagne de la domination (46) du prolétariat urbain et industriel sur les millions de membres du prolétariat agricole, et dans d’autres, de la dictature scientifique (47).

Un aspect particulier des critiques de Bakounine concerne l’interprétation du prétendu patriotisme envers l’État allemand. Cette façon de voir domine les critiques de Bakounine contre la personne de Marx (48). Ces accusations de Bakounine (49) apparaissent sur le plan théorique sous une forme adoucie, dans le sens que Marx est partisan de l’État populaire de Ferdinand Lassalle (50), et sous une forme dure, avec Marx en faveur de l’État allemand semi-totalitaire, chauviniste et hégémonique. Pour Bakounine, le concept même d’État populaire signifie accompagner la vie des règles politiques et juridiques de la bourgeoisie radicale. Cette question veut également dire l’abandon de l’internationalisme au profit d’un type de majorité nationale, et la création de grands États nationaux chauvinistes. Ces État militaristes centralisés, selon Bakounine, doivent être structurés pour qu’une nation, la plus puissante et la plus intelligente, opprime et en exploite une autre. Puisqu’il voit dans le marxisme une forme de patriotisme allemand, Bakounine conclut : Ainsi le marxisme, sans le reconnaître, en arrive inévitablement au pangermanisme (51).

L’exposé et l’évaluation de la méthode de Marx occupe une place toute particulière dans la critique et l’interprétation de Bakounine. Dans tout ce qu’il a écrit sur Marx et Engels, il n’a eu de cesse de souligner deux faits. D’abord, ces personnes sont valables, très respectables , vu l’aide concrète donnée à l’Internationale et au prolétariat allemand en particulier (52). Cela explique la valeur et le sens de la méthode scientifique marxiste, que Bakounine a toujours préférés à celle de Proudhon. Aussi Bakounine fait une différence entre Marx, théoricien révolutionnaire concret, et Marx, politicien et théoricien de l’État, sous l’effet de la tradition jacobine et de l’école française du socialisme étatique de Louis Blanc.

En évoquant Proudhon et Bakounine, ce dernier écrit dans l’impitoyable critique qu’il [Marx] en a fait, il y a sans aucun doute beaucoup de vrai, malgré tous ses efforts pour se placer sur un terrain solide, Proudhon est resté un idéaliste et un métaphysicien. Son point de départ est la notion abstraite du droit ; il va du droit au fait économique, tandis que M. Marx, contrairement à lui, a énoncé et démontré l’incontestable vérité, confirmée par toute l’histoire ancienne et moderne de la société humaine, des nations et des États, que le fait économique a toujours précédé et continue de précéder le droit politique et juridique. Un des principaux mérites scientifiques de M.Marx est d’avoir énoncé et démontré cette vérité (53).

Bakounine présente sous une lumière différente la théorie de Marx dans Sophismes historiques de l’école doctrinaire des communistes allemands (1871) : dont les fondements, selon Bakounine, se base sur un principe qui est profondément vrai lorsqu’on le considère sous son vrai jour, c’est-à-dire à un point de vue relatif, mais qui envisagé et posé d’une manière absolue, comme l’unique fondement et la source première de tous les autres principes, comme le fait cette école, devient complètement faux. Ce principe qui constitue d’ailleurs le fondement essentiel du socialisme positif, a été pour la première fois scientifiquement formulé et développé par M. Charles Marx. Et c’est pour Bakounine la forme de pensée dominante du célèbre Manifeste des Communistes. Les idéalistes, selon Bakounine, de cette école déduisent toutes les institutions économiques des idées : les communistes allemands, au contraire, ne veulent voir dans toute l’Histoire humaine, dans les manifestations les plus idéales de la vie, tant collectives qu’individuelles, de l’humanité, dans tous les développements intellectuels et moraux, religieux, métaphysiques, scientifiques, artistiques, politiques, juridiques et sociaux qui se sont produits dans le passé et qui continuent de se produire dans le présent rien que des reflets ou des contrecoups nécessaires du développement des faits économiques. Tandis que les idéalistes prétendent que les idées dominent et produisent les faits, les communistes, d’accord en cela d’ailleurs avec le matérialisme scientifique, disent au contraire que les faits donnent naissance aux idées et que ces dernières ne sont jamais autre chose que l’expression idéale des faits accomplis et que parmi tous les faits, les faits économiques, matériels, les faits par excellence, constituent la base essentielle, le fondement principal dont tous les autres faits intellectuels et moraux, politiques et sociaux, ne sont plus rien que des dérivatifs obligés (54).

Chez Bakounine ce principe scientifique apparaît sous sa forme absolue dans le cadre de la théorie politique marxiste et dans le point de vue suivant : L’État politique de chaque pays, dit-il, est toujours le produit et l’expression fidèle de sa situation économique ; pour changer le premier, il faut seulement transformer cette dernière. Tout le secret des évolutions historiques, selon M. Marx, est là. Il ne tient aucun compte des autres éléments de l’histoire, tels que la réaction, pourtant évidente, des institutions politiques, juridiques et religieuses sur la situation économique. Il dit : La misère produit l’esclavage politique, l’État ; mais il ne permet pas de retourner cette phrase et de dire : L’esclavage politique, l’État reproduit à son tour et maintient la misère, comme une condition de son existence (55). Et Bakounine de critiquer Marx qui méconnaît un élément fort important dans le développement historique de l’humanité, c’est le tempérament et le caractère de chaque race et de chaque peuple (56).

À ce propos, la brochure de Marx La guerre civile en France (1871), pour ce qui a trait à la lettre-circulaire, représente une sorte de rupture de la théorie de Marx sur l’État, et également sur celle de la révolution. Vu cet élément et l’ensemble des interprétations de Marx par Bakounine, il faut souligner que, surpris par cette lettre-circulaire, il la commente ainsi : à l’envers de la plus simple logique et de leurs sentiments véritables, ils [les marxistes] proclamèrent que son programme et son but étaient les leurs (57). Plus loin, Bakounine commente l’attitude de Marx sur la Commune de Paris, tout en doutant fortement de sa sincérité : L’étonnante adoption, après la Commune, et l’appropriation de son but et de son programme (58).

Si on devait juger l’aspect théorique de l’opposition entre Bakounine et Marx seulement à partir des interprétations bakouninienes de la pensée de Marx alors on pourrait l’interpréter fondamentalement comme le fait Richard Huch : Marx a voulu une fois de plus justifier l’État [...] entre l’individu et le système, Marx s’allie au système et Bakounine à l’individu (59). Il est évident que Huch, pas plus que Bakounine, ne connaissait l’ensemble de l’œuvre de Marx, c’est-à-dire qu’on voit clairement à la présentation de l’interprétation de Marx par Bakounine (qui fut le premier traducteur du Manifeste communiste en russe) que ce dernier avait une connaissance très vague des travaux de Marx et Engels, à part la brochure sur l’Alliance. Bakounine avait encore des idées incertaines et floues sur le premier chapitre du Capital et la préface d’observations critiques de l’économie politique. Il faut ajouter la lecture -avec méfiance- des écrits de Marx sur la Commune de Paris. Dans cette perspective, on voit clairement comment Bakounine a tellement insisté sur la réduction de l’ensemble des œuvres théoriques de Marx (et Engels) au Manifeste. Le deuxième élément de l’optique bakouninienne de Marx, qui semble réfuté par le précédent, est l’affirmation d’un trait d’union entre le prolétariat et l’attitude politique concrète des partisans du congrès d’Eisenach et la théorie de l’État chez Marx. La troisième composante est la vision de la méthode marxiste. D’un point de vue méthodologique, Bakounine n’est jamais sorti du cadre existant, et donc de la société bourgeoise. On constate ainsi pourquoi sa compréhension de la méthode marxiste repose sur une réduction à l’économisme (du point de vue méthodologique) et au matérialisme vulgaire. Du reste, sur ce plan Bakounine n’est pas isolé : de nombreux commentateurs marxistes ont négligé ou faussé le fondement marxiste de la position marxiste, comme la conception que c’est l’individu qui est par essence un être vraiment producteur et que le mode de production de la vie matérielle n’est qu’un aspect aliéné, de surcroît de son activité de producteur ... (60).

Dans l’ensemble, l’interprétation bakouniniene de Marx est réductionniste et donc inexacte. Elle est inapplicable -non seulement dans sa finalité consciente-, et tout à fait fausse, par rapport à la totalité des œuvres de Marx, de même que les conséquences que tirent Bakounine et les autres anarchistes (61). Cependant nous ne pouvons ne pas prêter attention aux éléments de cette critique qui peuvent avoir un certain fondement rationnel, malgré les limites connues de l’interprétation bakouniniene et des critiques qui en découlent de la sociale démocratie marxiste, tant dans l’ensemble que pour certaines parties. Dans la perspective limitée de la critique de Marx par Bakounine, et non pas de l’œuvre de Marx, on peut isoler l’interprétation du concept de la dictature du prolétariat et la prévision des futurs partis politiques ouvriers nationaux.

Ainsi dans l’analyse du livre de Bakounine l’État et l’Anarchie expliquant le sens de sa thèse sur le prolétariat élevé au rang de classe dominante, (62) Marx écrit : Cela signifie que, tant qu’existent encore d’autres classes, et spécialement la classe capitaliste, tant que le prolétariat combat contre elle (car avec son avènement au pouvoir, ses ennemis et la vieille organisation de la société n’auront pas encore disparu), des mesures de violence et par conséquent des mesures de gouvernement doivent être employées ; s’il reste lui-même encore une classe et si les conditions économiques sur lesquelles reposent la lutte de classes et l’existence des classes, n’ont pas encore disparu, elles doivent être éliminées ou transformées par la violence, et le processus de transformation doit être accéléré par la violence (63). Deux pages plus loin, Marx précise une chose : Cela signifie que le prolétariat, au lieu de lutter dans chaque cas particulier contre les classes économiquement privilégiées, est devenu suffisamment puissant et organisé pour employer contre elles les moyens de coercition généraux ; mais il peut employer seulement des moyens économiques qui lui enlèvent son caractère propre en tant que travailleurs salariés, par conséquent , en tant que classe ; avec sa victoire complète s’achève également sa domination, car son caractère de classe a disparu (64).

Le véritable problème est de savoir comment interpréter ces deux passages. L’interprétation de Bakounine de l’élévation du prolétariat en classe dominante va dans le sens de la dictature du prolétariat qui veut dire le pouvoir économique et politique de l’État centralisé, selon les mots et l’esprit du Manifeste communiste (65). Ensuite Bakounine explique qu’il est conscient, comme Marx et les marxistes le pensent, que la dictature ne sert que de moyen provisoire pour amener la libération complète du peuple (vers la société anarchiste). Cependant Bakounine remarque que chaque État, et en particulier la dictature révolutionnaire, entraîne d’une part le despotisme et de 1’autre 1’esclavage. En effet : aucune dictature ne peut avoir d’autre fin que de durer le plus longtemps possible et elle est seulement capable d’engendrer l’esclavage dans le peuple qui la subit et d’éduquer ce dernier dans cet esclavage ; la liberté ne peut être créée que par la liberté, c’est-à-dire par le soulèvement du peuple entier et par la libre organisation des masses laborieuses de bas en haut (66).

Ces paroles de Bakounine semble, selon Arnold Künzli, la prévision exacte -inévitable aux yeux des anarchistes- du développement de la théorie marxiste dans sa praxis d’étatisme bureaucratique de nature répressive (67). À mon avis, ces paroles à double sens dans l’exposé de la critique du Manifeste par Bakounine, n’acquiert leur signification que si elles sont dirigées contre les auteurs incriminés et les dimensions de la dictature du prolétariat et le prolétariat comme classe dominante. Néanmoins dans son Analyse Marx expose clairement que quand il parle du prolétariat comme classe dominante, il pense vraiment à tout le prolétariat (68) en liaison avec la paysannerie, et non pas à ses représentants. Bakounine se demande : Il y a à peu près quarante millions d’Allemands. Ces quarante millions seront-ils tous membres du gouvernement ? Et Marx de répondre Certainly, car la chose commence par l’autonomie communale (69). Plus loin Marx explique ce qu’est, en fait, l’autonomie (70). De même Marx insiste clairement sur les limitations de la période de transition : ... étant donné que le prolétariat, pendant la période de lutte pour le renversement de la vieille société, agit encore sur la base de la vieille société et par conséquent donne encore à son mouvement des formes politiques, qui lui sont plus ou moins propres, il n’a pas encore atteint sa constitution définitive durant cette période de combat et emploie pour sa libération des moyens qui tombe en désuétude après cette libération (71).

Finalement, je veux dire qu’à mon sens l’échec principal de la critique de Marx par Bakounine n’est pas seulement dans ce qu’il dit, mais précisément dans ce qu’il ressent. Bakounine sent que dans les écrits de Marx sur la Commune de Paris, où Marx a incorporé dans sa philosophie 1’essence de la théorie anarchiste de la révolution, se trouve le principe même du socialisme libertaire. Dans l’exposé marxiste, en effet, il y a trois formes de prise du pouvoir par le prolétariat. Dans le Manifeste, c’est la dictature jacobine ; dans le Dix-huit brumaire, c’est la dictature autoritaire (72) ; et dans La guerre civile en France, c’est la gestion fédérale libertaire. Ainsi, une fois arrivé à ce bouleversement dans la conception des moyens de réaliser la libération de la société, on ne sait plus, jusqu’à aujourd’hui, si ce processus commence par la prise de l’appareil de 1’État , ou bien si -comme chez les anarchistes- la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l’État et de la faire fonctionner pour son propre compte (73). Quant à la Commune de Paris c’était la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser 1’émancipation économique du Travail. Aussi, Marx termine sa brochure par Le Paris ouvrier, avec sa Commune,(...) est le glorieux fourrier d’une société nouvelle (74). Pour analyser objectivement les positions marxistes, il est très important de souligner que d’après la description de la structure, des mesures et du programme de la Commune, il est clair qu’il s’agit de la commune dans le sens de la conception proudhonienne du programme concret (75), bien que le nom de Proudhon ne soit pas mentionné (76).

La critique anarchiste du socialisme étatique

Le choc entre Bakounine et Marx se fit à trois niveaux : personnel, politico-organisationnel et théorique pour ce qui est des rapports personnels, aucun des deux ne peut servir d’exemple. Sur le plan politico-organisationnel, le conflit portait sur la tactique révolutionnaire, en particulier les moyens de combattre la société et l’État bourgeois.

Bakounine a commencé par un réductionnisme de la conception de Marx et d’Engels sur l’ensemble de la lutte de classe, où la lutte économique et politique semble un tout (77). Cependant, la sociale-démocratie allemande et la majorité des partis ouvriers du continent ont transformé l’ensemble marxiste de la théorie de la révolution sociale en en faisant une critique de la société et de l’État bourgeois. Ce processus s’est accompagné de l’édification d’une structure interne, fondée sur la copie de la structure de l’État et de la société bourgeoise (la sagesse de la minorité conduit la bêtise de la majorité , les membres et les électeurs). Les éléments constitutifs de ce processus ont été le presque complet effondrement de l’internationalisme à cause de l’aliénation due à l’existence d’une organisation bureaucratique (78). Ce processus d’embourgeoisement et d’oligarchie des partis ouvriers accompagne le processus d’abandon de la conception de la Commune la forme politique enfin trouvée qui permettrait de réaliser 1’émancipation économique du Travail (Marx dans La guerre civile en France). En effet, les deux courants -réformiste (les sociaux-démocrates) et révolutionnaire (les bolcheviks)- considèrent que la classe ouvrière ne peut se contenter de prendre telle quelle la machine de l’État et de la faire fonctionner pour son propre compte ( préface du Manifeste).

C’est comme si la prophétie de Bakounine critiquant Marx et Engels s’était accomplie.

Néanmoins il faut remarquer deux points. D’abord certaines formes, et non la totalité de la praxis du mouvement ouvrier qui se rattachent au marxisme comme à son idéologie (ou une partie), sont tout à fait différentes du marxisme de Marx et d’Engels (79). Il y a une différence entre le marxisme comme philosophie (théorie) d’une époque et ses aspects idéologiques et pratiques. Cette différence est due, avant tout, aux circonstances sociales modifiées et aux conditions économiques distinctes de la vie de la classe ouvrière -au niveau le plus abstrait. Elle se manifeste comme une séparation entre la théorie unique et complète de la révolution sociale et la critique scientifique d’aspects isolés, partiels de la société et de l’État bourgeois. Au niveau théorique de l’État et de la tactique de la lutte révolutionnaire, cette différence apparaît comme l’abandon de la position de Marx sur la commune comme glorieux fourrier d’une société nouvelle, et d’autre part, comme ce qu’on appelle généralement une déviation du marxisme. Cette déviation de par sa nature corrompt la théorie révolutionnaire marxiste et en fait une critique scientifique tout à fait antirévolutionnaire, qui ne remplit que par hasard les tâches pratiques de la révolution. Cela apparaît très clairement si on compare le Manifeste et les Statuts de la I Internationale de Marx aux programmes des partis socialistes de l’Europe centrale et occidentale, et en particulier ceux des partis sociaux-démocrates allemands de la deuxième moitié du XIXe siècle (80).

Les modifications des conditions de la praxis n’ont cependant pas touché la théorie. C’est plus tard que Engels a passé toute la théorie de la révolution par le tamis de la critique scientifique. Cette analyse s’est accompagnée -ce qui est d’une importance toute particulière pour notre sujet- d’un nouvel exposé de la théorie de l’État visible dans la Première adresse du Conseil Général de l’Association Internationale des Travailleurs sur la guerre franco-allemande, La guerre civile en France et la préface de 1872 au Manifeste. Cet exposé dépasse la thèse selon laquelle le prolétariat peut prendre l’appareil de l’État et l’utiliser comme moyen pour ses buts. Il est inutile de souligner que jusqu’au rejet de l’idée de la deuxième partie du Manifeste, Engels est précisément en train de polémiquer avec les anarchistes (81). Ainsi, par exemple, dans la lettre largement diffusée à Philip Van Patten, Engels répète les mesures révolutionnaires de la deuxième partie du Manifeste. La conséquence logique de ce retour au passé est l’accusation que les anarchistes posent le problème à l’envers. En effet, ces derniers veulent que dès le départ la révolution prolétaire détruise l’État comme ce fut le cas pendant la Commune, ce qui, d’après Engels, a amené son écrasement et le massacre de la classe ouvrière. En remettant les choses à l’endroit, Engels veut conserver la prise de l’appareil de l’État et l’utiliser comme moyen pour résister à l’ennemi capitaliste, et pour diriger la révolution au niveau économique. Autrement dit, Engels est pour la libération et l’organisation du travail au moyen de l’État (82).

Huit ans plus tard, dans l’introduction à l’édition allemande de La guerre civile en France en 1891, Engels revient sur la position de près vingt ans auparavant : La Commune dut reconnaître d’emblée que la classe ouvrière, une fois au pouvoir, ne pouvait continuer à administrer avec la vieille machine d’État ; pour ne pas perdre à nouveau sa propre domination qu’elle venait à peine de conquérir cette classe ouvrière devait, d’une part éliminer la vieille machine d’oppression jusqu’alors employée contre elle-même, mais d’autre part, prendre des assurances contre ses propres mandataires et fonctionnaires en les proclamant, en tout temps et sans exception révocables.(...) Le philistin social-démocrate a été récemment saisi d’une terreur salutaire en entendant prononcer le mot de dictature du prolétariat. Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir de quoi cette dictature a l’air ? Regardez la Commune de Paris. C’était la dictature du prolétariat (83).

Cependant, quatre ans plus tard, Engels reprend sa position étatique -non pas dans le sens de l’étatisme révolutionnaire de Marx, mais dans le sens social-démocrate de l’opportunisme parlementaire. Il s’agit de la préface à l’édition allemande de 1895 des Luttes de classes en France 1848-1850 de Marx. Là Engels glorifie et confirme le passage à la politique bourgeoise et, de plus, par l’étatisation de la social-démocratie. La théorie de la révolution se cache dans le lent travail de propagande et l’activité parlementaire, et la pratique révolutionnaire dans le bon ordre dans le parti (ce qui est véritablement l’ironie de l’histoire mondiale ) (84). Alors pourquoi ne pas citer le correspondant à Londres des Koln Zeitung disant que les anarchistes et les sociaux-démocrates ont absolument les mêmes buts, mais ne se différencient que par le choix des moyens (85). Du reste au congrès de Zurich de la IIe Internationale en 1893, Bebel justifiait 1’exclusion par la violence des anarchistes en disant : Ils n’ont ni programme ni principes , si ce n’est le point commun de combattre les sociaux-démocrates qu’ils considèrent comme de plus grands ennemis que la bourgeoisie.

Cependant le fait que les anarchistes ne pensaient pas ainsi est visible au congrès de Londres en 1896. Nieuwenhius, répliquant à cette position, déclarait que l’appel à ce congrès montre qu’il s’agit d’une assemblée sur le socialisme en général et que Personne ne peut nier que des militants comme Kropotkine et Reclus et tout le mouvement anarcho-communiste reposent sur des bases socialistes. Et les sociaux-démocrates allemands le nièrent. Sur leur proposition, les anarchistes furent chassés, et l’appel au congrès qui suivit précisait que les leaders anarchistes seront expulsés (86). Telle fut la réponse de la sociale démocratie -répétant la rupture du congrès de La Haye- à l’appel sans cesse renouvelé de Bakounine et des anarchistes à une solidarité pratique dans la lutte contre la société bourgeoisie, indépendamment des différences théoriques (87).

Cet ensemble est juste, mais cette tentative de description du cadre de la critique anarchiste du socialisme étatique serait incomplète et inexacte, si on ne soulignait pas que l’anarchisme n’a rien offert de positif : aucune pratique personnelle efficace pour s’opposer à la société et à l’État bourgeois et les détruire. C’est un facteur d’une très grande importance et, précisément pour cela, il amène au problème de la critique souvent exacte de certains aspects de la sociale-démocratie. À exception de l’Espagne et en partie de la Russie, la réponse à ces critiques est que l’histoire s’est déroulée en dehors de leur action. Bien sûr il ne s’agit pas de l’histoire au sens large, mais exclusivement de celle du mouvement ouvrier européen, dont le cours aurait pu être autre et différent.

La critique de la sociale démocratie

Les auteurs anarchistes post-bakouniniens comme leurs prédécesseurs, découvrent un lien direct entre Marx et la sociale démocratie. De ce point de vue rien n’a changé, pas même avec la publication en 1891 de Critique du Programme de Gotha. Cette critique de Marx présente à peine un changement valable, si ce n’est des absurdités. On répète dogmatiquement Bakounine et on ne lit pas les œuvres de Marx. Il est significatif que des anarchistes s’occupent alors d’affirmer de façon absurde, par exemple, que Marx et Engels ont plagié, et pas dans n’importe quel ouvrage, dans le Manifeste. Selon Tcherkessof, le Manifeste est un plagiat du livre de Victor Considérant Principe du socialisme, manifeste de la démocratie au XIX siècle (1843) (88). L’éditeur allemand de cette brochure découvre que le livre d’Engels Situation des classes laborieuses en Angleterre est une compilation de De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France (Paris, Paulin, 1840) (89).

Indépendamment de cette fable sur le plagiat, même le théoricien le plus en vue de l’anarchisme après Bakounine, Pierre Kropotkine, ne s’est pas précisément soucié d’examiner les écrits de Marx (et Engels). On le voit clairement au fait que Kropotkine identifie complètement les objectifs des théories de la société de Marx et de Proudhon. Et lorsque Kropotkine rejette la société pour laquelle Proudhon a combattu, il ajoute laconiquement qu’elle rejoint le collectivisme de Marx (90). Kropotkine a réduit à la notion de collectivisme les éléments de la théorie révolutionnaire de Marx et Engels du Manifeste qu’il a lus selon les interprétations de Bakounine. C’est ainsi que Kropotkine considère qu’une vision collectiviste de la société adopte les bases de la société bourgeoise : la division du travail, la séparation des membres de la société en producteurs et chefs, le salariat pour les travailleurs. Kropotkine voit un changement par rapport à la forme de la société bourgeoise de l’époque dans le changement physique de employeurs : Seulement l’État, c’est-à-dire le gouvernement représentatif national ou communal, se substitue au patron. Ce sont les représentants de la nation ou de la commune et leurs délégués, leurs fonctionnaires qui deviennent gérants de l’industrie. Ce sont eux-aussi qui se réservent le droit d’employer dans l’intérêt de tous la plus-value de la production (91). L’erreur la plus grande du collectivisme est, pour Kropotkine, son autoritarisme : Pour que le collectivisme puisse expérimenter, lui faut l’ordre avant tout, la discipline, l’obéissance.(...) Ce sera un renouvellement de 1793 (...) Si l’ordre est rétabli, disons-nous, les collectivistes guillotineront les anarchistes. les possibilistes guillotineront les collectivistes, et enfin ils seront guillotinés eux-mêmes par les réactionnaires (92).

Kropotkine rejette fondamentalement les orientations des partis de la IIe Internationale, la lutte parlementaire en tant que moyen de conquérir le pouvoir de l’État. Néanmoins, il jette le bébé avec l’eau du bain, car il refuse toute lutte politique puisque le but est la conquête du pouvoir politique, et le moyen, les élections et la lutte parlementaire, etc. Pour Kropotkine ce sont des buts et des moyens que la bourgeoisie utilise et non le prolétariat, le peuple. La révolution signifie que les travailleurs deviennent les maîtres immédiats et les utilisateurs des moyens de production et des résultats du travail, ce qui est impossible sans la destruction de l’État, de la base politique et de la propriété privée (93). La domination au nom du peuple est pour Kropotkine le césarisme (94). Ainsi, d’après Kropotkin, il est impossible dans la société bourgeoise actuelle que les socialistes conquiert le pouvoir Et dans la mesure où les socialistes deviendront un pouvoir dans la société et l’État bourgeois actuels, leur socialisme disparaîtra (95). Selon Kropotkine, la conquête du pouvoir économique est la seule voie vers la société communiste. Le changement des dirigeants de l’État ne change rien à la propriété privée et toutes ses conséquences demeurent : quarante ans de lutte parlementaire des partis ouvriers amène, non pas à la conquête du pouvoir, mais à la stabilisation du système de la bourgeoise et de l’État, pense Kropotkine.

Le seul résultat possible de la lutte politique des partis socialistes, dit Kropotkine, ne peut être que la conquête du pouvoir politique. Le pouvoir politique en soi, cependant ne signifie aucun pouvoir, si ce n’est un non-pouvoir : Nous avons vu, au siècle passé, le dictateur révolutionnaire Kosciuszko décréter l’abolition du servage personnel ; le servage continua d’exister quatre-vingt ans après ce décret (96).

Pour Kropotkine l’arrivée de la classe ouvrière au pouvoir dans l’État bourgeois ne signifierait qu’un changement de pouvoir. C’est pourquoi le pouvoir ouvrier pourrait uniquement édicter des lois, mais non les appliquer matériellement, parce qu’il serait démuni de pouvoir économique, comme ce fut le cas, selon Kropotkine, pour la Convention et la Commune de Paris.

Kropotkine estime que si le pouvoir politique ne peut de détruire le vieil ordre, la forme dictatoriale peut encore moins être le moyen de construire la nouvelle société. Le processus de construction de la nouvelle société est la révolution en elle-même, et La libération des travailleurs ne peut être l’œuvre que des travailleurs eux-mêmes (statut de la I Internationale). L’auto-libération des travailleurs est le processus qui doit développer l’activité créatrice spontanée la plus large des individus. Or, c’est précisément ce qu’empêchera la dictature, lors même qu’elle serait la mieux intentionnée du monde, et en même temps elle sera incapable d’avancer d’un seul pouce la révolution (97). La nouvelle société, d’après Kropotkine, ne peut se faire par le pouvoir, par décret, et quel décret donne la liberté ? Le pouvoir de l’État et la société communiste sont incompatibles, pour Kropotkine.

La cause de la lutte des partis socialistes (ou du marxisme) pour prendre le pouvoir politique est ainsi expliquée par Kropotkine : Pour eux, comme pour tous les radicaux bourgeois, la révolution sociale, c’est plutôt une affaire de l’avenir à laquelle il n’y a pas à songer aujourd’hui. Ce qu’ils rêvent au fond de leur cœur, sans oser l’avouer, c’est tout autre chose. C’est l’installation d’un gouvernement pareil à celui de la Suisse ou des États-Unis, faisant quelques tentatives d’appropriation à l’État de ce qu’ils appellent ingénieusement services publics.(...) C’est un compromis, fait d’avance, entre les aspirations socialistes des masses et les appétits des bourgeois (98). Kropotkine met en relief -ce que Bebel, Staline et Plekhanov feront plus tard- la différence qualitative absolue entre la conception marxiste et anarchiste des objectifs de la révolution sociale.

Ni la maturité théorique ni l’évolution du syndicalisme n’ont influencé la vision kropotkinienne du marxisme. Quarante ans après ces citations de Paroles d’un Révolté, Kropotkine définit le matérialisme historique comme une position selon laquelle : aucun changement essentiel dans un sens socialiste n’est possible, tant que le nombre des capitalistes ne sera pas diminué par la concurrence entre eux (99).

Soulignant avec satisfaction que les facteurs empiriques montrent clairement le contraire, c’est-à-dire l’augmentation et non la diminution du nombre des membres de la classe bourgeoise, Kropotkine en conclut à l’inexactitude des prémisses sur lesquelles repose le matérialisme historique (100). Et lorsque la fausseté du matérialisme historique est ainsi démontrée triomphalement, Kropotkine, sur la base de la déduction, montre les motifs de sa critique : Le matérialisme historique est en fait une philosophie de l’histoire qui doit protéger la position des politiciens socialistes de la centralisation nécessaire de l’État, comme hypothèse du socialisme. La conclusion qui en découle est que si la doctrine des partis politiques socialistes se fonde sur une philosophie de l’histoire empirique et erronée, alors la doctrine elle-même est fausse. Donc, la conception de la lutte politique repose sur des hypothèses inexactes, et qu’on ne peut accepter valablement.

À la différence de Kropotkine, Rudolf Rocker est conscient de la différence entre Marx (et Engels) et la sociale-démocratie allemande : L’affirmation si souvent réitérée que c’étaient ceux qu’on appelle les Eisenachiens, et non-les partisans de Lassalle, qui étaient les représentants des théories de Marx, est généralement une fable convenue (en français, NDT) qui ne correspond pas à la réalité des faits. Du marxisme proprement dit, les premiers n’en connaissaient guère plus que les seconds. Et bien qu’il se soit souvent présenté comme disciple de Marx, Liebknecht (...) est resté complètement étranger à la théorie de l’État de Marx. Le socialisme de Liebknecht était davantage une reprise du jacobinisme socialiste français que le résultat de l’idée marxiste. Dans l’ensemble, le démocrate prenait toujours chez lui le pas sur le socialiste (101). Cette appréciation de Liebknecht concerne d’abord les idées (et celles de Lassalle) de l’État populaire. Rocker y voit le programme avant-coureur de la vieille orientation de la sociale-démocratie allemande de l’opposition au parlementarisme (102), à la collaboration parlementaire. Cette voie, selon Rocker, devait nécessairement se terminer après 1914-19 dans le régime socialiste de Weimar. Ce que le révisionnisme a tenté depuis des dizaines d’années est devenu aujourd’hui un fait. Et en même temps, c’est la fin d’un lent processus de transformation du parti social-démocrate en parti bourgeois (103).

La critique anarchiste de la sociale-démocratie a également une autre dimension, qui est en liaison avec une révision tacite de certains principes fondamentaux de la théorie anarchiste. En effet, l’anarchisme est traditionnellement une théorie de masse. Ainsi, par exemple Kropotkine, une force sociale immanente du peuple (l’entraide) et la sagesse innée du peuple (rappelons ses définitions de l’anarchisme comme théorie) sont les porteuses de tout le progrès historique. De même, Bakounine -sans s’occuper de certains éléments de l’étatisme- voit dans le peuple en tant que masse le sujet de la révolution. Cependant à l’heure actuelle, les masses non seulement ne suivent pas les anarchistes, mais où en même temps elles appuyent constamment et fortement les partis politiques ouvriers (les travailleurs des villes) et les partis conservateurs (les paysans), les rivaux et les adversaires traditionnels des libertaires. Certains anarchistes ont revu tacitement, et d’autres ouvertement, leur théorie des masses (104).

Ainsi l’explication conventionnelle de ce phénomène est qu’il provient de la corruption de tout le système du vote (Bakounine), et plus largement, des techniques de manipulation de la politique bourgeoise. Toutefois, pour certains anarchistes cette explication n’est pas suffisante s’ils cherchent une cause satisfaisante dans le fait qu’une nette minorité du peuple, ou de la classe ouvrière, partage l’analyse anarchiste des luttes parlementaires, et en général politiques. La solution est placée dans un abandon implicite de la théorie des masses, comme le fait Malatesta en faveur de l’élitisme révolutionnaire. Les anarchistes sont la minorité la plus avancée , qui joue le rôle de détonateur révolutionnaire. Ils persuadent et conduisent par la force de l’intelligence et de l’exemple la majorité en retard (105).

Pour la radicale Emma Goldman, l’anarchisme apparaît ouvertement comme une théorie élitiste comme dans son article de 1910 La majorité contre la minorité. Elle parle avec un grand dédain du peuple-masse. Selon Emma, son époque est caractérisée par la domination de la quantité (majorité, masse) sur la qualité (minorité, individu). Ce trait de l’époque apparaît le mieux en politique, où seul compte le nombre de voix, et non l’idéal, les principes ou la justice. Dans la lutte pour les votes, pour influencer les masses, les partis utilisent tous les mauvais coups et les manipulations. De par ses structures, l’opinion publique, de plus, représente la tyrannie de la moyenne et la pauvreté spirituelle. En général les masses annihilent toujours l’individualité, la liberté, l’initiative et l’originalité. Pour Emma Goldman donc : Oui, l’autorité, la coercition et la dépendance repose sur les masses, mais jamais la liberté ou le libre développement de l’individu, jamais la naissance d’une société libre (106). La liberté c’est ce que savent les démagogues des partis socialistes. Mais ils maintiennent le mythe des vertus de la majorité, parce que le régime même de leur vie équivaut à la perpétuation du pouvoir. Emma, laissant de côté tout lien de l’anarchisme avec une théorie de masse, donne donc à cet abandon une dimension universelle et historique : Politiquement la race humaine serait encore dans l’esclavage le plus absolu (...) les innombrables géants individuels qui ont combattu pied à pied contre le pouvoir des rois et des tyrans (...) Je sais très bien qu’une masse compacte n’a jamais défendu la justice ou l’égalité (107).

Cet essai d’Emma Goldman finit par une position typiquement élitiste : Chaque effort pour le progrès, les lumières, la science, la religion, la politique, et la liberté économique, émane de la minorité et non de la majorité (108) Dans cette perspective, il est tout à fait clair que cette anarchiste ne voit dans toute l’histoire du parlementarisme rien que des échecs et des défaites, pas même une seule réforme pour améliorer la tension économique et sociale dont le peuple souffre (109 ).

La critique anarchiste du bolchevisme

Selon un professeur d’Iena Karl Diehl, le refus de l’État et de l’activité parlementaire est commun à l’anarchisme (en particulier les anarcho-communistes) et le bolchevisme. Cependant, comme le souligne Diehl, alors que l’anarchisme rejette tout État et affirme que la société doit être édifiée sur le libre accord d’individus libres, les bolcheviks ne s’opposent qu’à l’État capitaliste, l’État bourgeois, et en aucun cas au principe même de la nécessité de l'État et de l'appareil étatique en soi. Diehl voit une autre différence fondamentale dans l’aspiration des bolcheviks à la centralisation de l’économie et de l’État au moyen de la dictature du prolétariat, à l’opposé de l’aspiration des anarchistes à la décentralisation de l’économie et de la société dans leur ensemble (110).

Cette position de Diehl n’est pas entièrement acceptable. Quand il parle de ce qui sépare les anarchistes des bolcheviks, il a plus raison que lorsqu’il évoque ce qui les unit. Ainsi, Lénine, le tacticien génial, en ce qui concerne le parlementarisme de la sociale-démocratie et la politique en général, aboutit à pragmatisme extrême. Il défend seulement pour l’Allemagne les points principaux de la critique anarchiste contre la sociale-démocratie (111). C’est pourquoi il n’est nullement étonnant que trois ans plus tard, Lénine considère la critique anarchiste du parlementarisme (et de la politique) comme une Négation absurde de la politique dans la société bourgeoise (112). Lénine n’a donc pas vu l’anarchisme seulement comme une théorie, mais comme une politique concrète rivale et opposée du mouvement ouvrier en Russie. Pour Lénine, la polémique contre l’anarchisme n’était pas théorique, mais de nature pratique et politique et organisationnelle (après la révolution d’octobre).

Pour toutes ces raisons, et durant la révolution, Lénine s’est référé à l’anarchisme suivant les besoins du moment. À l’occasion de sa rencontre avec Nestor Makhno en juin 1918, Lénine déclare par exemple : La majorité des anarchistes ne réfléchissent et n’écrivent que sur l’avenir, sans comprendre le présent. C’est là ce qui nous sépare d’eux, nous autres communistes. Et Lénine d’ajouter que les bolcheviks sont prêts à un accord avec les anarchistes à certaines conditions bien connues (...) et à agir en faveur d’une libre organisation de producteurs (113). On peut se demander dans quelle mesure ce n’était pas une question de tactique. surtout si l’on tient compte que finalement l’Armée Rouge s’est retournée contre son allié Makhno dans le combat contre l’intervention blanche.

La critique anarchiste des bolcheviks fut avant tout une critique de leur pratique après la révolution d’octobre. Pour la majorité des auteurs, cette pratique venait de l’expérience et des déceptions face à la réalité. Ce fut une fois de plus l’exemple de comment la révolution sociale et l’édification de la nouvelle société ne doivent pas être faites. C’est pour cette raison que l’aspect théorique dans ce groupe d’auteurs (appelés plus tard jeunes) est moins souligné que chez les auteurs non russes ou Kropotkine. Aussi, sans respecter l’ordre chronologique, je vais passer à la position des auteurs du deuxième groupe.

Rocker donne le cadre théorique de l’ensemble de la critique anarchiste des bolcheviks, lorsqu’il voit dans leur action après la révolution d’octobre la mise en pratique de la théorie marxiste de l’État (l14). Selon Rocker, Lénine voulut également gouverner l’État, mais la législation immanente du mécanisme étatique de fer s’imposa aux bolcheviks. Au lieu d’être un instrument de libération le prétendu moyen de libération est devenu dans leurs mains un pur instrument d’oppression qui inflige au peuple les mêmes plaies que le knout du régime tzariste. Au lieu d’abolir les classes et les contradictions de classes, le nouvel État a créé une nouvelle caste de membres de l’appareil du parti bolchevique, et a continué de développer de nouvelles contradictions entre lui et les masses laborieuses qu’il prétendait vouloir protéger.

Rocker, comme l’ensemble des anarchistes, passe légèrement sur le problème de la contre-révolution armée, cause immédiate du caractère répressif marqué de cet appareil bolchevique : La dictature du prolétariat, qui n’a jamais été en fait qu’une dictature sur le prolétariat et qui, originairement, fut conçue comme provisoire tant que les forces contre-révolutionnaires ne seraient pas vaincues, est actuellement beaucoup plus enragés contre les représentants de toute autre pensée socialiste qu’à l’époque où Youdenitch, Denikine et Vranguel lançaient leurs armées réactionnaires contre la Russie soviétique. Pour Rocker, les bolcheviks ont abandonné le socialisme (il écrit au temps de la NEP) et le seul but qui reste est le maintien coûte que coûte de la domination de leur parti sur toutes les masses du peuple. Rocker en conclut : L’expérience russe a clairement démontré que le socialisme ne peut être réalisé dans le cadre du vieux système étatique mais qu’il doit, pour exister, se créer de nouveaux organes politiques (115).

Ailleurs Rocker appelle laconiquement ces nouveaux organes politiques : une nouvelle forme d’organisation politique dans laquelle le gouvernement des hommes cède la place à l’administration des choses (116). En laissant de côté le fait que (et peut-être justement pour cela) Rocker adopte l’optique de Saint-Simon de même que Marx et toutes les orientations marxistes, il s’agit de la théorie anarchiste traditionnelle de la révolution vue comme un processus d’abolition simultané de la société bourgeoise et d’auto-réalisation immédiate de l’idéal humaniste de la société juste (anarchie). Cette position qui consiste à critiquer la praxis bolchevique à partir de la théorie libertaire est caractéristique de l’ensemble de la critique anarchiste des bolcheviks (117).

Le participant-apologiste du mouvement controversé de Makhno dans le sud de l’Ukraine, Voline (V.M. Eichenbaum) renouvelle essentiellement la critique de Rocker : Pour voir ce qu’est devenue la révolution russe (...) pour comprendre quelle raison ont travesti la victoire gigantesque du peuple en un échec pitoyable. Les causes les plus importantes de cette transformation, Voline les attribue à la conception bolchevique de la révolution comme moyen de création d’un pouvoir étatique qui, avant tout, est une structure autoritaire du régime post-révolutionnaire. D’un point de vue politique cette dernière apparaît comme le pouvoir d’une caste privilégiée qui désire concentrer dans ses mains tout le pouvoir économique et politique de la société.

Pour Voline durant le processus même de concentration du pouvoir dans les mains de l’appareil de répression, ll faut utiliser la force. L’intensité de la répression augmente en mettant en place l’appareil coercitif, qui fonctionne sur la collaboration entre les causes et les conséquences. Voline considère que le fondement de cet appareil ne vient pas de la défense contre les armes de la contre-révolution, mais de l’anéantissement et de la stérilisation de la puissante activité créatrice et spontanée des masses, vers la révolution libératrice. D’après Voline, si la base de l’appareil de répression avait été la défense contre la contre-révolution, alors elle aurait été organisée d ’en bas et non d’en haut. Les masses populaires révolutionnaires conçoivent l’essence de la révolution purement instinctivement ; et les anarchistes sont ceux qui la formulent et la comprennent plus ou moins précisément. (118)

L’opposition de Voline à la critique trotskiste du stalinisme trahison la révolution revient à cette formulation et compréhension de l’essence de la révolution. Pour Voline : Le régime stalinien ne fut que le résultat inévitable des agissements de Lénine et de Trotsky (...) Le stalinisme est le résultat naturel de la banqueroute de la révolution véritable et non le contraire ; et la banqueroute (...) fut la conséquence normale de l’orientation fausse que les bolcheviks imprimèrent à la révolution. Autrement dit, c’est la dégénérescence de la révolution qui a conduit à Staline, et non Staline qui fit dégénérer la révolution. Du reste, la révolution a décliné parce qu’elle à imposé aux masses une obéissance aveugle à tout ce qui venait d’en haut. Et dans ce sens, conclut Voline, Trotsky est intervenu très vigoureusement (119).

Kropotkine essaie d’adapter la thèse anarchiste de la révolution à la critique des bolcheviks et aux nouvelles conditions, pour la transformer en un programme politique concret. Il cherche à ce que les travailleurs occidentaux soient contre 1’Intervention, sous toutes ses formes. C’est ainsi qu’il insiste sur le droit à l’autodétermination de chaque partie de l’ancien régime tzariste. Plus tard, Kropotkine pense -sans considérer toutes les fautes des bolcheviks- que la conduite de la révolution envers les travailleurs, leurs positions dans la société et les obligations de chaque citoyen, est l’apport le plus important à long terme (120). Ou bien comme il le dit dans une lettre à Jacob Herzog, 28-4-1919 : Ce changement que les bolcheviks veulent appliquer représente le principe essentiel du socialisme. Malheureusement, leur méthode rend ce but inaccessible (121).

Kropotkine cite les raisons suivantes pour critiquer la pratique politique des bolcheviks :

l) La dictature du Parti : l’aspiration à ce que chaque secteur de la vie se trouve sous le contrôle d’un pouvoir fortement centralisé.

2) Quelle que soit la façon d’agir le prétexte était l’état de guerre, ou bien cet autre : une forte centralisation et la dictature du parti bolchevique considéré comme l’unique moyen révolutionnaire, donc comme solution durable.

3) Autre prétexte à la domination dictatoriale : que ce moyen sert à détruire l’ancien régime. Toutefois, si la dictature est un moyen de détruire cet ancien régime, elle est aussi et sûrement tout à fait inadaptée à l’édification d’un nouveau régime.

4) L’idée de tels conseils contrôlant la vie politique et économique du pays est une grande idée. D’autant plus que cela conduit à cette autre idée que ces conseils soient composés de tous ceux qui prennent une part réelle dans la production de la richesse nationale par leurs propres efforts personnels (122).Les bolcheviks, cependant, veulent que les soviets soient réduits à un rôle passif, de troisième ordre, insignifiant.

5) Sans liberté de presse et sans élections libres pour les soviets, ils n’auront pas une grande signification.

Outre la transformation de la dictature du parti bolchevique par la domination des soviets, Kropotkine cherche une nouvelle fois la décentralisation de la Russie tzariste et la création d’une fédération de ces parties, grâce à la mise en place du droit à l’autodéterminatlon du peuple (123).

Les événements n’allaient cependant pas dans le sens désiré. Dans son article Que faire ?, Kropotkine propose l’attente : la révolution est un phénomène naturelle, indépendant de la volonté humaine et comme un typhon. Les vainqueurs sont totalement impuissants face à cette manifestation de la nature , mais vu que la révolution est un phénomène naturel, l’espoir est permis : le typhon cesse, disparaît. Ce processus est absolument inévitable : la poussée révolutionnaire est certaine, mais ensuite la réaction l’est également. C’est la loi de la nature et de l’histoire. Tant que la révolution n’arrive pas -écrit Kropotkine nous ne pourrons rien (124). Tout est solidement déterminé et automatique, lorsqu’il n’y a pas d’explication juste de la théorie :

Mais en l919, l’anarchiste Kropotkine est encore optimiste : il estime que l’autogestion des travailleurs privera le pouvoir dictatorial de la puissance économique, et donc, selon lui, de toute force. Par l’autogestion ouvrière, pense Kropotkine, la Russie soviétique se libérera de la dictature bolchevique et sera une fédération de communes (125).

La révolution d’octobre ne s’est pas déroulé dans le sens espéré par Kropotkine. Il présenta à Lénine ses critiques du bolchevisme au cours de leur rencontre de mai 1919 et dans une lettre de mars 1920 : La Russie n’est une république que de nom (...) Maintenant en Russie, ce ne sont pas les soviets qui dirigent, mais les comités du parti. (...) Si la situation actuelle se poursuit, le mot même de socialisme deviendra une malédiction, comme cela se passa en France avec le mot égalité, après quarante ans de jacobinisme (126).

Après l’échec des anarchistes pendant la révolution d’octobre, Kropotkine passa dans l’opposition syndicale extrême. En mai 1920, il écrivait : Je crois profondément en l’avenir. Je crois que le mouvement syndicaliste, c’est-à-dire le mouvement des unions de métiers au congrès desquelles récemment assistaient des représentants de 20 millions de travailleurs, deviendra une grande puissance dans le cours des cinquante années qui viennent, pour jeter les bases d’une société communiste sans État (127). Quelque temps avant, Kropotkine avait affirmé dans une conversation avec Emma Goldman : que le syndicalisme allait probablement fournir ce dont la Russie manquait le plus : un instrument par lequel pourrait s’effectuer la construction économique et industrielle du pays (128). Nous avons déjà cité l’esprit syndicaliste de la Lettre aux ouvriers occidentaux de 1921, qui finit sur la nécessité de créer l ’union de tous les groupements de métier du monde. De tous ceux qui produisent la richesse du monde, unie en vue de libérer la production de monde de son présent esclavage du capitalisme (129).

Avec Alexandre Berkman, la critique anarchiste du bolchevisme prend une forme extrême. Berkman publie dans l’émigration sa brochure sur le soulèvement de Kronstadt en 1921, où il évoque la troisième révolution, qui sera dirigée contre les bolcheviks : Kronstadt a été la première tentative populaire et entièrement indépendante de se libérer du joug du socialisme d’État, une tentative faite directement par le peuple, par les ouvriers, les soldats et les marins eux-mêmes. C’était le premier pas vers la troisième révolution, qui est inévitable et qui, nous l’espérons, amènera à la malheureuse Russie la liberté permanente et la paix (130).

Dans son article à l ’occasion de la mort de Kropotkine, le bolchevik tout récent Novomirski [ex anarchiste NDT] affirme que l’anarcho-syndicalisme (le syndicalisme révolutionnaire) a assimilé et détruit toutes les autres orientations de l’anarchisme russe (131). Cette affirmation est confirmée non seulement par Kropotkine ,mais par la métamorphose de Pierre Archinov et d’Emma Goldman. Pour eux, il est notable que la cause de l’échec de la révolution russe, à la différence des auteurs précités, ne vient pas exclusivement de la dictature bolchevique, mais de la faiblesse immanente et de la non-adéquation de l’activité des anarchistes russes. Toutefois, si de ce point de vue Archinov est catégorique, Emma Goldman est assez réservée, car pour elle c’est le faible nombre des anarchistes et leur activité pas très efficace -de même que leur négligence organisationnelle- qui ont fait que la révolution ne put réorganiser la vie sur des bases libertaires (132). Encore qu’ils reprennent la critique anarchiste habituelle de la pratique bolchevique, il est intéressant de constater qu’Emma Goldman et Archinov -pour la première fois dans l’anarchisme- abandonnent implicitement la théorie anarchiste traditionnelle de la révolution. En effet, ces deux auteurs parlent -évidemment sous l’influence des bolcheviks- d’une période transitoire, d’une phase de transition. Il est vrai que chez Archinov, on ne peut que la déduire, puisqu’il parle de la prise des usines et de l’application de l’autogestion comme tâche indispensable après la chute du pouvoir étatique et le renforcement de l’industrie aux mains des travailleurs. Dans cette ligne, Archinov voit non seulement le meilleur moyen d’empêcher le renforcement du Pouvoir, mais aussi celui de créer une situation sociale durable qui rendra possible la réalisation complète et universelle de la société libre : le communisme de type anarchiste. Cette période de transition, Archinov l’appelle période révolutionnaire. En général, il ne parle pas de réalisation immédiate de la nouvelle société après le combat révolutionnaire (133).

Lorsqu’elle parle de période transitoire, Emma Goldman, comme Archinov, a en tête la période révolutionnaire de 1905 à 1917, lorsque les travailleurs prirent spontanément les usines et créèrent les soviets, version russe de la commune (et ses buts extrêmes). Goldman voit dans cette création l’identification totale entre les buts et les moyens révolutionnaires, à la différence de la devise bolchevique de la fin qui justifie les moyens. Emma voit dans ce postulat l’essence du bolchevisme et du socialisme marxiste tout entier.

Pour Emma Goldman cette identification satisfaisante des buts et des moyens se trouve dans la période de la vraie révolution, ce qu’on appelle la période de transition [qui] doit être l’introduction, le prélude à de nouvelles conditions sociales (...) Les moyens qui sont utilisés pour préparer l’avenir deviennent la pierre de touche (...) Les méthodes révolutionnaires doivent être en accord avec les buts révolutionnaires et ne pas conduire à une situation de terreur, de force et de coercition, où la vie humaine est très bon marché, le travail une souffrance, et où toute dignité humaine est éliminée (134).

Ni Emma Goldman et Archinov, ni Berkman, ni Kropotkine, ni Voline et Rocker -et donc toutes les variantes de la critique anarchiste des bolcheviks- n’ont donné une réponse satisfaisante à la plus importante question de la révolution d’octobre. La pierre de touche de la praxis bolchevique fut effectivement la contre-révolution armée, dès le premier jour de la révolution. Dans cette situation, la création d ’un appareil coercitif fort et centralisé était le problème non seulement de l’existence même de la révolution, mais de sa survie. Dans ce sens la défense de la révolution proposée par Voline par le bas (à l’opposé de celle des bolcheviks par le haut) aurait été à peine possible. (Du reste, lorsqu’il se trouva avec Makhno, il put s’en rendre compte par lui même.) Et si ce par le bas a un sens, alors on ne peut que copier la société anarchiste, en organisant la défense sur la base du libre accord et de la fédération, ou bien sur des principes identiques à ceux de la Commune de Paris en 1871, qui résista à peine un mois. En face il y avait les armées professionnelles des États européens, les armées blanches, les mouvements séparatistes, etc. Avec l’idée d’Emma Goldman c’est pire encore. C’est bien beau de parler de l’unité des buts révolutionnaires et des moyens révolutionnaires, si on ne les prend pas au pied de la lettre. En effet, si en 1917-1919 on désirait un régime libertaire, il fallait faire le coup de feu, même si cela était le fondement du nouveau régime. Toute l’idée sur la période révolutionnaire ou transitoire reposait sur cela ce qu’évidemment Emma Goldman ne concevait pas ainsi.

La critique de la critique anarchiste ne doit pas écarter -en dépit de l’échec fondamental de la critique anarchiste de la praxis bolchevique- le fait que les anarchistes ont raison lorsqu’ils parlent de la logique immanente de l’appareil ou quand ils critiquent la concentration de tout le pouvoir dans la main de cet appareil. Les anarchistes ont raison pour bien d’autres détails dans leur critique de la pratique bolchevique, mais il était facile d’avoir raison avec la plume et le papier. Je crois que les anarchistes, ou tout autre groupe socialiste, confrontés à la force des événements, auraient cédé une partie de leurs principes, comme du reste le firent les bolcheviks. Cette appréciation ne concerne pas l’opposition anarchiste à la centralisation et à la concentration des forces sociales qui se fonde -sur un mot d’ordre bolchevique d’autrefois - Tout le pouvoir aux soviets. Malgré cela, il faut tenir compte du caractère abstrait de la vision anarchiste sur les soviets. Comme le déclare un historien russe du mouvement ouvrier S.P. Turin, proche des anarchistes, dès 1905 les anarchistes ne furent pas admis par les soviets, et les anarchistes n’y étaient pas représentés en tant que parti ou organisation indépendante (135).

Lorsqu’on évoque la critique anarchiste des bolcheviks -et cela vaut pour l’ensemble de la critique anarchiste du marxisme-, elle peut être juste dans chaque détail, sans être cependant réelle. Car la vérité vient du tout, et fait partie de l’ensemble, qui n’est pas uniquement ce qui est critiqué à juste titre chez les bolcheviks, mais le fait que (traditionnellement) les anarchistes, et en particulier les Russes, n’avaient aucune alternative valable, rien de concret à proposer. Ce fait, ajouté à la cécité face à l’expérience empirique, eurent pour résultat que l’histoire, pour ce qui est de la révolution elle-même, s’est jouée aux dépens des anarchistes et de l’anarchisme. C’est ainsi que la révolution d’Octobre a signifié la fin réelle de l’anarchisme traditionnel, non seulement en Russie, mais dans tout le continent sauf en Espagne, dans un certain sens. Tant comme mouvement que comme idéologie, l’anarchisme est tombée au niveau d’une secte.

Cette baisse au niveau d’une théorie de secte sociale, pour ce qui concerne une idéologie aux prétentions théoriques, est parfaitement illustrée par le livre de Pierre Ramus L’enseignement mensonger du marxisme (19l9). Ce livre, très cultivé, découvre des plagiats pour Engels et le Manifeste. Et cet éditeur allemand Pierre Ramus gâche avec cette œuvre toute son activité antérieure.

Selon lui, le Manifeste communiste représente la seule œuvre de Marx et Engels qui ait un rapport direct avec les idées socialistes. Mais Ramus est impitoyable : il nous montre rapidement le caractère anti-socialiste du Manifeste, car son but est d’instaurer la domination du prolétariat industriel. Ramus en conclut que (puisque le prolétariat industriel ne compose nulle part la majorité des habitants) il a besoin de la coercition de l’État pour assurer sa domination et l’exploitation de la majorité non prolétarienne. Selon notre auteur, telle est la cause de l’anti-socialisme de Marx et de son étatisme extrême (136). Après avoir massacré scientifiquement le Capital, La Lutte de classes en France et quelques autres écrits marxistes, Ramus conclut : Si on retire du marxisme tous les enseignements théoriques mensongers, il ne reste que le mot d’ordre de la lutte de classe. Et Ramus de nous montrer le juste sens de ce slogan : C’est la lutte politique qui a pour but la conquête du pouvoir étatique dans l’intérêt des chefs (137).

Ramus montre dans son introduction le fond de sa pensée quant aux idéologies politiques : Ce que le fascisme est en Italie, le bolchevisme l’est en Russie. Tout deux créent la branche de l’arbre dont ils sont issus et avec lequel ils disparaîtront ; tous deux sont des descendants de la sociale-démocratie, ce premier rejeton du marxisme (138). Après de telles affirmations, on ne s’étonne plus des affirmations absurdes de Ramus : Le fascisme n’est que le résultat qui découle de la théorie marxiste sur la lutte de classe (...) Le fascisme en tant que parti veut fonder le pouvoir étatique d’une couche ouvrière privilégiée

Le problème est parfaitement éclairé : Chaque création de pouvoir d’État signifie le fascisme, la domination brutale et l’oppression (139). Pour Ramus, le fascisme compose avec le marxisme au pouvoir : tout un monde complexe d’institutions autoritaires : militarisme, commandement absolu, dictature absolue des principes étatiques, participation représentative du prolétariat dans l’État par des individus nommés, mesures social-démocrates envers les esclaves journaliers, liquidation de tous les rivaux, adoration de la force comme principe, vision matérialiste du monde appliquée jusqu’à refuser l’éthique, création de groupes paramilitaires et de garde prétorienne pour défendre la dictature du Parti, pour combattre les libertés sociale et individuelle’ ; tous ces principes sont communs au marxisme et au fascisme (140).

Un tel livre ne peut avoir été écrit que par un fanatique sectaire. Le fanatisme caractérise les membres des sectes et les aveugles quant à tout ce qui est extérieur à la secte. Dès que quelque chose contredit le dogme -ou si on le prétend -, toute logique et toute expérience disparaissent. Les opinions et les déclarations objectives ne sont pas seulement inutilisées, mais sont interdites. Ce livre est un paradigme de ce genre de littérature : il reflète l’esprit de secte par un autre aspect ; la secte est toujours composée de membres. La secte compense son petit nombre par l’agressivité et le fanatisme de la foi vis à vis de la vérité du dogme. Dans l’esprit de ses membres, cette foi apparaît comme une tâche culturelle, car la vérité de la secte n’est pas universelle à cause d’une raison purement technique, le reste du monde ne la connaît pas encore. Le monde changera de base lorsqu’il saura. Du reste, écoutons Ramus : Je sais que mon écrit expliquera les choses et ne sera compris que par un cercle restreint. C’est à ce dernier que revient la tâche de le propager afin que mon écrit touche la conscience et la pratique de larges couches du peuple (141).

Lénine et Bakounine

Bakounine et Lénine ont en commun l’orientation principale de leur vie : tous deux ont été des révolutionnaires professionnels, tous deux ont marqué durant leur vie la lutte révolutionnaire, et enfin -indépendamment des différences- ils ont profondément désiré et agi en faveur d’un régime de liberté. ils furent internationalistes au sens propre du mot et en même temps russes. ils étaient spécifiquement russes : lorsque l’Europe avait les yeux fixés à l’Ouest, dans l’attente de l’éclatement de la révolution dans les pays les plus proches, Bakounine et Lénine (chacun à son époque) attendaient le déclenchement de la révolution mondiale comme la conséquence de la révolution russe.

Pour certains auteurs le rapport entre Bakounine et Lénine est de loin plus profond que leurs positions globales. De ce point de vue, les réactions des sociaux-démocrates aux Thèses d’Avril 1917 sont typiques. Dans cet écrit programmatique -commencé juste après le soulèvement en Russie-, Lénine insiste pour donner tout le pouvoir aux soviets d’ouvriers et de paysans apparus spontanément, et pour abolir la police, l’armée et la bureaucratie, de même que pour l’égalité des revenus. Dans cet écrit, le génial tacticien qu’est Lénine, s’oppose au parlementarisme et cherche à transformer la guerre mondiale impérialiste en combat révolutionnaire contre le système capitaliste.

Commentant les Thèses d’avril, I.P. Goldenberg écrit : Lénine a posé sa candidature à la place libre en Europe depuis trente ans, de Bakounine. Ces dernières paroles de Lénine nous ramènent à la vieille époque. Ces mots indiquent l’anarchisme dépassé et primitif (142).

Au moment où Kropotkine adressait sa Lettre aux ouvriers occidentaux en 1920, le social-démocrate allemand Wilhelm Blos éditait une brochure au titre évocateur Marx ou Bakounine ? Démocratie ou dictature ? Pamphlet contre le prédécesseur du bolchevisme. Sous ce titre matraqueur se cache l’esprit de la brochure -selon l’auteur dans son introduction- de Marx et Engels contre l’Alliance : afin de montrer la position réelle de Marx et Engels envers le bakouninisme, et en particulier le bolchevisme. En effet, comme l’affirment Blos, le bolchevisme se protège derrière Marx, comme un défenseur divin. Toutefois, souligne notre auteur, les rapports entre le marxisme et le bolchevisme sont précisément opposés : On verra que cette orientation (le bolchevisme) qui veut aujourd’hui placer tout le monde culturel sous sa domination de la révolution universelle, dès le départ n’a pas eu de pire ennemi que Karl Marx. Car le bolchevisme de notre époque n’est que le bakouninisme sous une nouvelle forme (143).

Pour Blos, l’anarchisme est le frère jumeau des bolcheviks, parce qu’il fait appel, non à la démocratie comme chez Marx, mais au système des soviets (144) comme les bolcheviks. Ainsi le rôle que joue le lumpenproletariat chez Bakounine offre une grande parenté avec celui qu’il a chez les bolcheviks. Après ces mots, Blos donne directement sa pensée : Le but politique de Marx a toujours été la démocratie, et en aucun cas le despotisme (145). Par conséquent, le but marxiste est identique à la position de la sociale-démocratie d’alors. (Pauvre Bakounine : voilà que finalement son but politique est le despotisme étatique, ce qui est pour notre auteur est la même chose que le système des soviets)

Sûrement sans rapport avec Blos, et afin de justifier son passé anarchiste, Novomirski -devenu fonctionnaire du komintern- critique Kropotkine et fait l’éloge de Bakounine. Cette appréciation prend la forme suivante : Bakounine a été, comme Marx, un partisan de la lutte de classe du prolétariat contre la bourgeoisie. En outre, Bakounine était réaliste et pour lui tout se faisait en faveur des classes (146).

Cinquante ans après ces escarmouches idéologiques, Paul Avrich, l’historien de l’anarchisme russe, compare Bakounine et Lénine dans l’article L’héritage de Bakounine. Pour Avrich, Bakounine a prévu la vraie nature de la révolution moderne plus clairement que tous ses contemporains, sans excepté Marx (147). Bakounine -selon Avrich- et non Marx a vu le cours de la révolution russe et ses porte-paroles : les paysans, les intellectuels déclassés et le lumpenprolétariat. De même Bakounine a également annoncé son développement : l’établissement d’une dictature et le pouvoir d’une nouvelle classe. Sur cette base, Avrich cherche ces éléments chez Lénine. Et il trouve aussitôt l’anti-libéralisme et l’antiparlementarisme, en se fondant sur les Thèses d’avril. Avrich trouve également d’autres éléments anarchistes dans d’autres parties de cet écrit, qu’il groupe de la façon suivante : le problème de la réalisation immédiate du socialisme, en évitant la phase capitaliste (en se basant de nouveau sur les Thèses). Tout montre, pour Avrich, l’adoption de la tradition anarcho-populiste russe par Lénine : Alors que le côté marxiste demande à Lénine d’être patient, pour laisser la Russie évoluer selon les lois du matérialisme historique, le côté bakouninien lui suggère que la révolution doit être faite tout de suite , en fondant la révolution prolétarienne dans celles de la paysannerie assoiffée de terre, et de l’élite militante des intellectuels déclassés ; éléments sociaux que, comme nous l’avons vu, Marx méprisait (148).

Faisant allusion à la période suivant la conquête du pouvoir, Avrich affirme que Bakounine a prévu les conséquences autoritaires de la révolution russe. Cela correspond, avant tout, à l’apparition d’une nouvelle classe d’intellectuels, qui s’empareront de la position de forces sociales, comme celles des propriétaires terriens et de la bourgeois dépossédés. À la différence de Künzli (149) et de la majorité des interprétations de Bakounine, Avrich insiste sur la réalisation de la prophétie de la théorie anarchiste de la révolution de Bakounine. Ce dernier a affirmé -ce qui s’est avéré exact- que les méthodes révolutionnaires doivent déterminer de façon décisive la nature de la société post-révolutionaire.

Avrich -faisant référence à la collaboration (jamais démontrée) de Bakounine et de Netchayev (150) au Catéchisme Révolutionnaire- déclare que c’est justement ce qui est arrivé dans la société post-révolutionnaire, à cause de l’emploi de moyens présentés dans cet écrit. Avrich va encore plus loin, en reliant de prétendus jugement amoralistes de la téléologie révolutionnaire de Bakounine à la théorie de l’organisation révolutionnaire : Bakounine fut amené à créer sa propre société secrète de conspirateurs, dont les membres seraient sujets à une hiérarchie stricte et à une obéissance inconditionnelle (151). Cette organisation clandestine, de plus, demeurera intacte même après la révolution, afin d’éviter l’établissement de toute dictature officielle (152).

En falsifiant la théorie bakouniniene de la révolution et en la réduisant à une contradiction latente (le blanquisme) contre laquelle Bakounine a lutté toute sa vie, Avrich en arrive à la thèse centrale de son article : par sa croyance en une organisation clandestine de révolutionnaires et en une dictature révolutionnaire provisoire, Bakounine était un ancêtre direct de Lénine (153). Ainsi Avrich mène exactement à la même conclusion que Goldenberg et Blos, avec une différence : ce qui chez les deux sociaux-démocrates étaient un argument au plan des luttes politiques, devient chez notre historien un argument scientifique.

Laslo Sekelj

*)  Revue Kulturni Radnik, Zagreb, N°6, 197

Lorsque cela a été possible les citations du français et du russe - que l’auteur cite souvent à partir d’éditions allemandes- sont indiquées selon les œuvres originales. Dans la cas contraires, elles sont retraduites du serbo-croate : r.s.c.

1) Pour la critique anarchiste du marxisme, de Bakounine à Ramus, le socialisme étatique n’est pas seulement la praxis actuelle du marxisme mais le but normatif même du marxisme.

2) En fait cela n’apparut pas dans l’Internationale jusqu’à la scission, à cause des désaccords sur la théorie et la pratique. Au centre du conflit entre les partisans de Bakounine et Marx, il y avait le problème de la fondation de partis politiques ouvriers nationaux, et de leur participation à la vie parlementaire et politique de l’État bourgeois. Cela était en même temps étroitement lié à la question des compétences du Conseil Général (sur le centralisme dans l’lnternationale).

3) Proudhon Résumé de la question sociale, voir Gottfried Salomon Proudhon und der Sozialismus Berlin, 1925, p.92

4) À ce sujet nous ne devons pas oublier le programme politique concret de Bakounine et Kropotkine pour la Russie, dans lequel tous deux penchaient pour une conception de la démocratie représentative est la condition indispensable de la réalisation du communisme en Russie. Voir l’article Anarhija i humanisticki ideal pravednog drustva, (l’anarchisme et l’idéal humaniste de la société juste) Kulturni Radnik, N°6, 1976

5) Bakounine L’empire knouto germanique et la révolution sociale. [citation de Proudhon des Idées Révolutionnaires ( Paris, 1849 ,p.22-23) Bakounine De la guerre à la Commune (éd. de Fernand Rude) Anthropos,1972, p.186 NDT]

6) Kropotkine La Grande révolution Française éd. anglaise, Londres, l909

7) Pierre Ramus Die Lüge des Parlamentarismus Bruxelle, 189l, p.8-12, r.s.c.

8) Rudolf Rocker Zur Geschichte der parlamentarischen Tätigkeit in der modernen Arbeiterbewegun verlag der Freie Arbeiter,s. d., p.3, r.s.c.[James Guillaume rapporte ainsi sa propre intervention dans L’lnternationale,tome II p.342 : "...ce que la minorité du Congrès voulait c’était, non l’indifférence politique, mais une politique spéciale, négatrice de la politique bourgeoise (...) la minorité veut la destruction du pouvoir politique. (NDT]

9) idem p.2

10) Malalatesta Programme anarchiste

11) Bien qu’il ait présenté plus tard une double position sur l’opposition de classes, Proudhon, dans son dernier ouvrage De la capacité politique des classes ouvrières appuyait les candidatures parlementaires ouvrières indépendantes, comme conduite parlementaire et politique indépendante de la classe ouvrière. Grâce à cela, il fut le premier théoricien qui exerça une influence directe dans le mouvement ouvrier, dans lequel ses idées ont eu, jusqu’à la fin des années 1880, plus de forces que celles de Marx. Erwin Oberländer Der Anarchismus Olten,1972, p. 20-21]

12) Bakounine Protestation de l’Alliance , éd. allemande, Staatlichkeit und Anarchie und andere Scriftern (= STA) Frankfut, 1972, p.362J

13) Étatisme et Anarchie Champ Libre, vol. 4, p.347

14) Kropotkine Paroles d’un révolté Paris, Flammarion, 1978, p.135

15) Kropotkine La Grande révolution Française o.c., p. l83

16) Voir la résolution de la fondation du congrès anti-autoritaire de l’Internationale. les anarchistes considéraient cette lnternationale comme légale et continuatrice de la première et les congrès la prolongeaient sans reconnaître celui de La Haye de 1872. Bakounine ne prit pas une part active dans cette Internationale. Au départ, des groupes non anarchistes y étaient représentés, mais ils l’abandonnèrent progressivement à cause de la question politique précisément. En 1879, tous les groupes et individualités non anarchistes étaient partis, et alors Kropotkine devint le principal théoricien de l’anarchie. Voir Georg Stieklow Die bakuninistische lnternationale nach dem Haager Kongres Stuttgart,1914

17) Comme Bakounine, Kropotkine indique qu’il y a un progrès historique par rapport à l’absolutisme, qui peut être attribué à la démocratie représentative. Ainsi, il dit qu’il n’est pas du tout indifférent qu’une forme de pouvoir en domine une autre. r.s.c. (Syndicalismus und Anarchismus Berlin,1908, p,8)

18) Lukacs Histoire et conscience de classe Paris, éd. de Minuit, 1979, p. 95

19) Deux ans plus tôt, Bakounine avait appuyé cette question. il est théoriquement important que déjà dans le Manifeste communiste, Marx et Engels ne considèrent pas comme premier résultat du combat des ouvriers contre la bourgeoisie, les succès matériels, mais uniquement l’union des travailleurs : organisation du prolétariat en classe, et donc en parti politique (éd. Sociales, 1959, p.23).

20) Lukacs o.c. p.96

21) Engels Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande Paris, éd. Sociales,1966, p.73

22) Franz Mehring Karl Marx [éd ; fr. p.535]

23) Cela s’applique pleinement à Bakounine et à ses continuateurs ; et l’un des effets négatifs est quarante ans d’échec organisationnel de l’anarchisme.

24) Arthur Rosenberg Demokratie und Sozialismus Frankfurt, l962, reprint, p.142, r.s.c. Le parti politique révolutionnaire ne fait que renforcer le degré d’autoritarisme, en particulier dans ses buts. En 1’honneur de la vérité, il faut reconnaître que Bakounine, en tant que théoricien, fut très respectueux de la discipline. (Voir ses statuts de sociétés et sa différenciation entre autorité rationnelle et obligatoire)

25) Résolution du congrès de septembre 1871 à Londres reproduit dans Marx-Engels-Lenine Sur l’anarchisme et l’anarcho-syndicalisme Moscou, éd. du Progrès, 1973, p. 57

26) ibidem p.57 (souligné par Sekelj)

27) Surtout que cela ne représentait aucune expérience empirique en faveur de l’efficacité -du point de vue du prolétariat- des partis politiques ouvriers ; d’un autre côté, toutes les expériences empiriques existantes ont montré que la participation des organisations ouvrières dans la vie politique de la société bourgeoise et de l’État entraîne le dépendance vis à vie de la politique bourgeoise, comme les partis ouvriers de Lassalle et Schweitzer en Allemagne, les chartistes et les autres organisations ouvrières en Angleterre intégrés aux libéraux et la majorité des voix ouvrières pour les conservateurs. La même chose s’est passée en Suisse, en Belgique et en France.

28) Mehring o.c. p.533

29) Ce que confirme Mehring, o.c. p.544 et suivantes.

30) Bakounine À Nabruzzi Œuvres Champ Libre vol 2

31) Kropotkine Autour d’une vie.

32) Voir les paroles de Guillaume et de Vaillant, dans Mehring, o.c., p,483

33) Arthur Rosenberg o.c., p.188-191

34) Lukacs o.c. p.96

35) Ce fut, à proprement parlé, le chant du cygne de l’anarchisme. Cependant en Russie et en Espagne, et dans une moindre mesure en ltalie et en France, ce processus fut très durable. Ainsi, le problème du syndicalisme révolutionnaire -à l’ouest et au nord de l’Europe- reste encore actuel jusqu’à aujourd’hui.

36) À ce niveau d’opposition, on trouve une vaste littérature. Le travail présenté ici est envisagé comme une interprétation et une localisation historiques et théoriques d’une théorie sociale. C’est pourquoi, cet aspect personnel (intéressant pour un autre type de recherche) n’est abordé que très superficiellement. C’est la raison pour laquelle je veux souligner que je ne pense pas que les idées théoriques naissent d’une sorte de vide extérieur à l’individu, mais dans un siècle donné, ce milieu personnel peut s’avérer entièrement secondaire -pour la recherche d’idées théoriques-, à cause des moyens d’explications de certains aspects des oppositions théoriques. Autrement dit, on ne parle pas ici de la conscience psychologique d’un individu, mais de la conscience théorique de quelques idéologues et, en partie, du contenu de la conscience d’un philosophe-penseur d’une époque.
C’est ainsi que Mehring a démontré l’absurdité, l’arbitraire et la fausseté des affirmations principales de la brochure d’Engels, Marx et Lafargue : L’Alliance de la Démocratie Socialiste et l’Association internationale des Travailleurs.

37) Comme le rapporte Mehring, Marx lui-même comprit le caractère extravagant et inexact de certaines de ses propres accusations, voir o.c. p.543

38) Fritz Brupbacher Marx und Bakunin. Ein Beitrag zur Geschichte der lnternationalen Arbeiterorganisation Munich, 1913, p.l97, r.s.c. Mehring s’est servi de cette étude historique exceptionnelle en écrivant sa biographie de Marx.

39) April Carter The political theorie of Anarchism New York, Harper Torchbook, 1976, p.28

40) Bakounine Étatisme et Anarchie p.313

41) Ibidem p.347. Dans cette nouvelle règle, Bakounine voit le sens de la question de Marx sur l’élévation du prolétariat au rang de classe dominante. Selon lui, Marx et Engels se proposent, comme penseurs positivistes et métaphysiques, d’établir un type d’organisation sociale où toute la force sociale est concentrée entre les mains de certains travailleurs (voir o.c. p.312)

42) Ibidem p.349 Il est important de comprendre que, d’après Bakounine, cela représente les buts normatifs de la théorie marxiste de l’État.

43) Selon Bakounine, à la différence des marxistes, les anarchistes veulent détruire le concept même de l’État et ses formes de domination ; et pour cela, il faut d’abord abattre l’appareil étatique.

44) Bakounine Écrit au journal La Liberté de Bruxelle Champ Libre vol. 3 p.160 Ce n’est pas un hasard que Proudhon décrive, littéralement, la position du socialisme d’État et de la commission du Luxembourg comme son expression (Selected Writings of P.J. Proudhon éd. par S. Edward, Londres, 1970 p.93). De même, dans Les confessions d’un révolutionnaire Proudhon attribue ces buts et ces moyens au socialisme et au communisme étatiques, comme Bakounine attribue le communisme autoritaire de Marx et Engels aux lassaliens et aux partisans du congrès d’Eisenach.

45 ) Bakounine À mes frères en Espagne

46) Bakounine Écrit au journal ....o.c. p.160 Pour la conscience sociale dont l’expression représente l’anarchie, la phrase d’introduction de cette citation de Bakounine est caractéristique : Il est dans ce programme [du Manifeste communiste] une autre expression qui nous est profondément antipathique, à nous anarchistes révolutionnaires qui voulons franchement la complète émancipation populaire : c’est le prolétariat, le monde des travailleurs présenté comme classe, non comme masse ( o.c . p .160-161).

47) Bakounine, voir le Programme de la section slave de Zurich [éd. Champ Libre vol.4 p.379-380 ennemi de tout gouvernement, elle repousse avec colère et mépris, le gouvernement des savants, comme le plus arrogant et le plus néfaste de tous. NDT] C’est l’interprétation bakouninienne de la conception de Marx et Engels du socialisme scientifique.

48) Bakounine Rapports personnels avec Marx Champ Libre vol 1

49) Il faut cependant reconnaître qu’il existe un ensemble de circonstances qui donne à ces accusations un certain fondement rationnel : il s’agit d’une lettre personnelle connue de Marx au comité du parti à Brunswik, et de déclarations anti-russes et anti-slaves d’Engels et Marx.

50) C’est inexact si on prend la Critique du programme de Gotha (1875). Mais Bakounine ne put connaître cette protestation de Marx et Engels contre le programme et la praxis d’une fraction parce que cette lettre ne fut publiée qu’en 1891, facteur qui ne peut s’expliquer que par l’union intéressée dont parle Rosenberg, r.s.c.

51) Bakounine À mes frères ... o.c. Il faut replacer cette position dans le contexte des affirmations d’Étatisme et Anarchie, selon lesquelles la théorie de l’État de Marx est identique au programme du parti social-démocrate allemand.

52) Dans la série d’articles groupés dans STA p.374, 396,768, 803, etc.

53) Étatisme et Anarchie o.c. p.317

54) Sophismes historiques des doctrinaires du communisme allemand Œuvres. éd. Stock, t.lll , p.11,12 et 15-18 ( également dans À mes frères ... o.c.)

55) Bakounine Écrit au journal .... o.c . p.162,163. C’est cet abandon qui, pour Bakounine, marque la différence fondamentale entre 1’anarchisme et le marxisme.

56) C’est sur cet élément que Bakounine construit une bonne part de son analyse historique et du futur de l’Europe.

57) F. Brupbacher o.c. p.102, r.s.c.

56) Bakounine Écrit au journal .... o.c . p. 166

59) Richard Huch Mihail Bakunin und Anarchie (1923) Francfort, 1972, p.178 ; et aussi G.D.H. Cole A history of Socialist thaught vol 2, p.222, r.s.c.

60) Veljko Korac Marskovo shvatanie coveka, istorije i drustva (approche marxiste de l’individu, de l’histoire et de la société) Belgrade, 1971, p.66

61) Cela vaut aussi pour la littérature secondaire, par exemple, les livres précités de R. Huch et de Cole, qui adoptent la présentation bakouniniene du marxisme.

62) Il s’agit de la réponse de Marx à la question de Bakounine : Si le prolétariat devient la classe dominante, qui, demande-t-on, dominera-t-il ? (Étatisme et Anarchie o.c. p.346)

63) Karl Marx Extrait de l’analyse du livre de Bakounine l’État [sic NDT] et Anarchie, dans Marx-Engels-Lénine Sur l’anarchisme ...

64) Ibidem p.l64-165.

65) Voir la seconde partie sur les mesures révolutionnaires.

66) Bakounine Étatisme et Anarchie o.c., p. 347-348 (souligné par Sekelj)

67) Arnold Künzli Problemi moci u anarhistkoj kritici marxiszma (problème de la valeur de la critique anarchiste du marxisme) dans Praxis, n 1-2, 1970, p.l22

68) Marx pense aux ouvriers qualifiés des villes avec une grande conscience de classe, et en aucun cas au lumpenproletariat et autres couches sociales similaires

69) Marx Extrait ... o.c.,p.105

70) Je pense que c’est le sens des paroles de Marx : Quand un homme se gouverne lui-même, il ne se gouverne pas selon ce principe ; car il est seulement lui-même et personne d’autre. ibidem o.c. p.165

71) Ibidem p.169. On ne parlera que de marxisme idéologique et pratique de la période transitoire, en exprimant par là qu’il s’agit en fait d’une position absolue de structures sociales et de rapports sociaux entre le capitalisme et le socialisme (c’est-à-dire le communisme, parce que le socialisme ne peut exister que jusqu’à la première phase du communisme)

72) Marx pense autrement : Dans le dernier chapitre de mon 18-Brumaire, je remarque, comme tu le verras si tu le relis, que la prochaine tentative de la révolution en France devra consister non plus à faire passer la machine bureaucratique, militaire en d’autres mains, comme ce fut le cas jusqu’ici, mais à la détruire. C’est la condition première de toute révolution véritablement populaire sur le continent Lettre à Ludwig Kugelmann, 12-lV-1871, dans Marx-Engels-Lénine Sur :la Commune de Paris Moscou, Progrès, 1971,p. 282 .

73) Ce n’est nullement un hasard si dans la préface de l’édition allemande du Manifeste en 1872, Marx et Engels, citant justement ce passage, écrivent : [après l’expérience de la Commune de Paris] ce programme est aujourd’hui vieilli sur certains points. o.c. p.4 On pense aux moyens de la révolution, qui sont précisément la cible de la critique anarchiste.

74) Marx La guerre civile en France dans Sur la Commune de Paris o.c. p.67

75) Voir Anarhija i humanisticki ideal... ( N°4)

76) Cela situe bien Marx en tant que politicien

77) Dans la lettre à Bolte, 23-XI-1871, Marx écrit : Mais d’autre part, tout mouvement dans lequel la classe ouvrière s’oppose aux classes dominantes en tant que classe et cherche à les contraindre par pression de l’extérieur, est un mouvement politique. Par exemple, la tentative de forcer des capitalistes, au moyen des grèves, etc., dans telle ou telle usine ou branche d’industrie, à réduire le temps de travail, est un mouvement purement économique ; au contraire, le mouvement ayant pour but de faire édicter une loi des huit heures, etc., est un mouvement politique. Et c’est que partout les mouvements économiques isolés des ouvriers donnent naissance à un mouvement politique (dans Sur l’anarchisme ... p.60). Bakounine dans sa brochure L’Alliance révolutionnaire universelle de la démocratie sociale considère les grèves partielles comme la meilleure préparation des travailleurs pour remporter la victoire parce qu’elles les habituent à sortir de la routine quotidienne. Ces grèves sont une préparation organisationnelle ruinant ainsi, dans le sentiment des masses, aujourd’hui exploitées et asservies par le Capital et la grande propriété, toute possibilité de compromis ou d’arrangements. Bakounine en conclut : oui, il n’y a pas de meilleur moyen que la grève pour soustraire les travailleurs à l’influence politique de la bourgeoisie(Œuvres ,éd. Champ Libre, vol. 6 p.323)

78) Voir l’oeuvre classique de Robert Michels Les partis Politiques rééd. Flammarion,1971

79) Bakounine a attribué précisément les conséquences idéologiques et pratiques du marxisme aux sources du marxisme.

80) Karl Korsh Marxizam i Filozofia Belgrade, 1970, p.59-63

81) Mehring o.c. p.5O4.

82) Engels Lettre à Von Patten, 18-IV-1883, dans Sur l’anarchisme . . . p . 191

83) Engels, introduction de 1891 à La guerre civile en France p.18,20 (souligné par Sekelj) dans Sur la Commune...

84) Engels, lntroduction de 1095 des Luttes de classes en France 1848-1850 Paris, éd. Sociales, 1952, p. 21,. Le lent travail de propagande et l’activité parlementaire se poursuivit jusqu’à la veille de la première guerre mondiale (1912). Le SPD devint le plus fort parti au Reichstag. Indépendamment du prix que cela coûta, qu’a apporté cette progression constante des bulletins de vote à la prétendue avant-garde qui décide de l’armée prolétarienne internationale ? Comme l’a monté Pierre Renouvin dans son ouvrage La crise européenne et la grande guerre (Paris, Alcan, 1934), le Reichstag n’avait même pas le pouvoir ce dire son mot sur le choix du chancelier, pour ne pas parler de la politique du kaiser. Ce schéma est valable, mis à part quelques exceptions pour tous les autres parlemente européens de l’époque.

85) Anonimo Der Anarchismus und der Träger Berlin, 1887, p.185

86) George Woodcock Anarchism Penguin, 1975, p.245-248 [Les citations de Bebel et Nieuvenhius sont données par Woodcock sans indications de source, NDT]

87) il s’agit d’un résumé de la position de Bakounine à partir des lettres à Nabruzzi, Œuvres, vol 2, et Écrits au ...

88) W. Tcherkessov Die Urheberschaft des komunistischen Manifest (sans lieu ni date) où Antonio Labriola est également cité.

89) Pierre Ramus Friedich Engels als Plagiator dans la même brochure que celle de Tcherkessov. [Il faut ajouter que cet ouvrage d’Engels prétend décrire la situation de 1841 à partir de faits de 1801, comme le remarque Krisham Numar dans Prophecy and Progress, Penguin, 1978, p.51, 332 NDT]

90) Voir l’article précité Anarhija humanisticki idela ...

91) Kropotkine La conquête du Pain Paris, Fédération Anarchiste, 1975, p.67-68

92) Ibidem, p.69-70. Dans l’édition anglaise (1913), au lieu de collectivistes on lit sociaux-démocrates, et au lieu de possibilistes, les fabiens.

93) Voir La morale anarchiste et anarchist communism reproduits dans Kropotkin’s revolutionary pamphlets New-York, 1970, p.68-69, 105-106

94) La science moderne et l’anarchie p.

95) Kropotkin’s...chapitre Les moyens d’action de la science moderne et l’Anarchie, version anglaise, que nous conservons (p.189). Dans l’édition française, la phrase est moins vigoureuse : Mais à mesure que les socialistes deviendront un parti de gouvernement et partageront le pouvoir avec la bourgeoisie, leur socialisme devra nécessairement pâlir , c’est ce qu’il a déjà été fait. NDT]

96) Paroles d’un Révolté Paris, Flammarion, 1978, p.1908

97) Ibidem p.198

98) Ibidem p.199-200

99) Syndikalismus und Anarchismus 1912, p.8

100) C’est que a littéralement affirmé Bernstein en 1899 dans Le socialisme évolutionniste en employant le terme de dialectique et non de matérialisme historique comme Kropotkine, voir The Marxists édité par C. Wright Mills, Londres, 1973, p.179-180

101) Rudolf Rocker Zur geschichte der parlamentarischen Tötigheit p.20, r.s.c.

102) Selon Rocker ce parlementarisme négatif va à l’encontre de la tactique conçue par Marx et Engels lors de la rupture de l’Internationale.

103) Rocker o.c. p.18-22

104) Le passage de Kropotkine à une position syndicaliste révolutionnaire représente une révision indirecte, dans le sens où le syndicalisme et sa tactique sont proposés comme ce que l’anarchisme a propagé depuis longtemps Syndikalismus und ...

105) Malatesta, article de 1916, cité par Cole o.c., p.356

106) Emma Goldman Minority versus majorities dans Anarchism and other essays New York, 1969, p.78

107) Ibidem p.78

108) Ibidem p.75,78

109) Ibidem p.74

110) Anarchism dans le livre précité p.64

111) Über Sozialismus, Komunismus und Anarchismus Iena,1923, p.370,371, r.s.c.

112) voir Que faire de Lénine

113) Lenine, écrit de l901, publié en 1936, dans Sur l’anarchisme ... p.206

114) Paul Avrich Les anarchistes russes [p.241 ; traduction revue d’après l’original russe de « Pod udarami kontr-revoliutsii » p.131 NDT]

115) Marx (à la différence des anarchistes, note de L. Sekelj) voulait utiliser l’appareil étatique comme moyen d’application pratique du socialisme et d’abolition des contradictions de classes dans la société. Ce n’est qu’après la disparition des classes que devait disparaître l’appareil de pouvoir d’État et faire place à l’administration des choses. R. Rocker Zur Geschichte ...(p.23, r.s.c.)

116) Ibidem p.23,24. Herbert Read voit dans les membres de l’appareil du parti bolchevique une nouvelle classe dirigeante, dans Anarchy and Order Londres, 1954, p.96.

117) R.Rocker Der Kampf um täglichen Brot Berlin (sans date)p.32, r.s.c.

118) [Elle souligne également les contradictions internes du léninisme Maximoff The guillotine at work NDT]’

119) Voline Warum die Revolution fehlschug dans Borries und Brandles Anarchismus p.232-242, r.s.c.

120) Ibidem p.246-248

121) Kropotkine Aux ouvriers Occidentaux dans Kropotkine Œuvres p.345-346

122) Brief von Peter Kropotkin dans Briefe nach Schweiz T.Pinkus,Zurich,1972, p.78, r.s.c.

123) Aux ouvriers, in Œuvres p.345,346

124) [Ce texte est originairement intitulé Remarque sur la Révolution par la fille de Kropotkine ; dans d’autres éditions -comme celle qu’a suivi Sekelj -voir n°93- il passe comme .que faire ? p. 381, dans Kropotkine Œuvres NDT]

125) Post-face de 1919 à 1’édition russe de Paroles d’un Révolté, o.c. p.276

126) Kropotkine Œuvres o.c. p.339

127) Ibidem p.374

128) reproduit dans Guérin Ni Dieu ni Maître vol II p.169,170

129) Kropotkine Œuvres 348

130) Le soulèvement de Kronstadt trad. esp. dans Timón 1938,Barcelone.

131) I Novomirski P.A. Kropotkin als Theoretiker des Anarchismus dans la revue Komunistische Internationale. 1921 n°16, p.206, r.s.c.

132) Emma Goldman My Further desillusionment in Russia p.278. Pour Archinov, voir Théorie anarchiste de la révolution, p.631 dans Borries ... o. c.

133) Archinov Problèmes constructifs de la Révolution Sociale dans la revue Autogestion et Socialisme 1972, n°18-19

134) Emma Goldman My Further ... p.244-231

135) S.P. Turin From Peter the Grest to Lenin Londres,1968 p.83

136) Pierre Ramus Die Irlehre des Marxismus Wien und Leipzig, 1937, p.55-73, r.s.c.

137) Ibidem p.l77,195, r.s.c.

138) Ib,. p.XXI, r.s.c.

139) Ib. p,l78,184. Rocker a suivi la position de Ramus : la dictature du Prolétariat, que des esprits naïfs estiment être une étape de transition vers le véritable socialisme, est devenue aujourd’hui un despotisme épouvantable et un nouvel impérialisme à côté duquel la tyrannie de l’État fasciste n’est rien. Anarchism and anarcho-syndicalism p.233-324, r.s.c.

140) Ib. p.l92,193 , r.s.c.

141) Ib. p.XXIV, r.s.c.

142) Erwin Oberländer Der Anarchismus p.41, r.s.c.

143) Wilhelm Blos Marx oder Bakunin ? Democratie oder Diktatur ? Ein Kampfschrift gegen der Vorläufer des Bolchewismus Stutgart 1920, p.3, r.s.c.

144) Voir à ce propos l’interprétation déjà citée des soviets de Radek dans Critique marxiste de l’anarchisme.

145) Ibidem p.4

146) Novomirski o. c. p.214, 215, 226.

147) Paul Avrich The legacy of Bakunin dans l’ouvrage de Sam Dolgoff Bakunin on Anarchy,p.XV : Pour Marx la révolution socialiste avait besoin de la formation d’un prolétariat bien organisé et ayant une conscience de classe, événement attendu dans des pays hautement industrialisés, comme l’Allemagne ou l’Angleterre.

148) Ibidem p.XXI

149) Arnold Künzli o. c.,p.118-120. Comme Avrich, Künzli s’appuie sur Étatisme et Anarchie et Lettres ... (consulté de seconde main)

150) Cette accusation absurde a été abandonnée même par l’historiographie soviétique actuelle, voir Natalia Piroumova Bakunin édition [russe ou] serbo-croate (Rijeka, 1975, p.223)

151) Paul Avrich indique comme source Principe et Organisation de la Société Internationale Révolutionnaire (1866) -reproduit dans Guérin Ni Dieu ni Maître I p.178 une forte discipline - et La Fraternité Internationale (1868) -texte non consulté-. Mais dans Programme et objet de l’Organisation secrète révolutionnaire des frères internationaux -Guérin o.c.- on lit Cette organisation exclut toute idée de dictature et de pouvoir dirigeant tutélaire (1868) p.226. De plus le volume VI des Œuvres sur les rapports avec Netchayev présente des textes de Bakounine qui contredisent cette interprétation d’Avrich (NDT)

152) Avrich o. c. p.XXII. Tel est le commentaire d’Avrich du texte de Bakounine Programme et objet ...

153) Ibidem p.XXIII

Le traducteur tient à remercier le CIRA de Genève (actuellement Lausanne) pour la localisation de Syndicalismus und Anarchismus de Kropotkine et la vérification de la traduction sur les textes originaux de citations de Rocker, Voline et Emma Goldman.


P.-S.

En guise d’introduction

Il peut sembler absurde de publier deux textes d’il y a une vingtaine d’années sur un sujet théorique sans liens précis avec l’actualité. De plus, je les ai laissé dans leur version de revue, sans reprendre les rajouts de 1982 et 1987 dans les deux éditions du livre o Anarhizmu à Belgrade.

Je considère, néanmoins, que de même que les idées les plus réactionnaires sont toujours véhiculées par certaines couches des classes dirigeantes (par exemple sur l’avortement, les races, les femmes, etc.), il est nécessaire de continuer à analyser le marxisme, qui n’est pas forcément le marxisme-léninisme. Personnellement, je n’ai pas tranché la question, parce que les calomnies conscientes de Marx, ses magouilles dans l’Internationale et son rejet global des idées libertaires me poussent à penser que Lénine, Staline et Trotsky (par ordre alphabétique) sont ses dignes disciples.

Bien entendu, les critiques de type raciste contre Marx et certaines magouilles dans l’Internationale de Bakounine sont inadmissibles. Mais Bakounine a toujours reconnu la valeur intellectuelle de Marx et n’a jamais rejeté en bloc ses idées. C’est toute la différence entre le jésuitisme et l’inquisition latente qui imprègne Marx (sans doute jamais sevré de ses origines rabbiniques) et l’aspiration à la liberté de Bakounine (très porté lui-aussi par un milieu familial ouvert). Ne croyant pas au déterminisme prévisible et déductible de la petite enfance, j’arrête ici la comparaison.

Quoi qu’il en soit, ces documents peuvent être utiles, car ne voit-on pas pulluler les apprentis Lénine dans différents groupes marxistes-léninistes ?

L’auteur, Yougoslave d’origine juive hongroise, né en 1949, est diplômé en sciences politiques et en philosophie à Belgrade et à Zagreb, et expulsé du parti communiste yougoslave en juin 1980 « pour raisons politiques ». Il écrit de façon assez sympathique sur l’anarchisme et a donc eu du mal à publier ses articles dans le cadre titiste de marxisme-léninisme évolué (par rapport au bloc soviétique). Il est évident qu’il a dû enterré toute critique interne à la Yougoslavie, comme l’évidente influence proudhonienne sur l’autogestion.

En tant que traducteur, je me suis permis de signaler en note quelques préjugés qui entraîne des erreurs d’analyse. Le chapitre de comparaison entre Lénine et Bakounine me semble farfelu, parce que ce sont des citations d’auteurs lançant des invectives sans la connaissance des textes que Confino et Lehning ont savamment analysés.

Frank Mintz (1997 et 2001)
 

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