En Amazonie, les Asháninka, guerriers de la paix et de la forêt

Publié le par Socialisme libertaire

En Amazonie, les Asháninka, guerriers de la paix et de la forêt

Lors de la grande sécheresse de 2010 au Brésil, Benki Piyanko, cacique (« chef ») de la tribu des Asháninka dans l’Etat d’Acre, près de la frontière péruvienne, est allé prier les dieux. Enfoncé pendant deux jours au fin fond de la forêt amazonienne il a imploré le ciel accroupi sur le sol. A son retour, il a dit à sa mère : « Lundi, il pleuvra ». Et la pluie est venue. Inespérée, violente, bruyante.

Quand il raconte son histoire, Benki, un Indien de 42 ans au sang-mêlé – sa mère est blanche, fille de « seringueiros », les récolteurs de caoutchouc –, est rempli d’orgueil et de tristesse. Fier d’avoir été entendu des dieux mais désespéré de voir la nature se détraquer et sa forêt disparaître, mutilée par les trafiquants de bois, les éleveurs de bétail et l’agro-industrie. « Les Blancs ont beaucoup d’ambition. Ils s’estiment plus intelligents. Mais leur intelligence est destructrice, individualiste », observe ce quadragénaire à l’allure athlétique. « Attendrait-on dix ans, vingt ou trente, avant que cette terre de Chanaan prenne l’aspect d’un paysage aride et dévasté ? » écrivait déjà l’anthropologue français Claude Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques.

« L’homme mourra de son propre venin »

Benki avait à peine dix ans quand il a planté son premier arbre pour réparer les dommages de l’homme « civilisé ». C’était au moment de la grande catastrophe, au début des années 1980, quand des coupeurs de bois sont venus s’emparer de millions d’arbres près du village. Benki, son père le chef du village et ses six frères et sœurs se sont battus pour arrêter le désastre. « Les animaux fuyaient, les poissons mourraient empoisonnés par la résine », se souvient-il.

Après des années de bataille pendant lesquelles il a été plusieurs fois menacé de mort, son peuple a gagné, en 1992, la reconnaissance de son territoire. Depuis, la tribu des Asháninka est érigée en modèle. Dans la réserve, chaque famille replante un lopin de terre. Le village est désormais doté d’arbres fruitiers et ses habitants élèvent des poissons dans un vivier où pataugent des tortues qu’on pensait condamnées. Dans l’Etat d’Acre, le « cul du monde » comme l’appellent les Brésiliens, Benki est devenu une sommité.

Adolescent, c’est lui qui est venu faire la leçon aux grands de ce monde lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, en 1992. « Ils s’attendaient à voir un vieux sage et ils ont vu un enfant leur dire que l’homme mourra de son propre venin », sourit le quadragénaire, qui récite encore par cœur des pans entiers de son discours. Dans ce coin d’Amazonie où l’on sait que l’eau que l’on boit vient du fleuve et que la nourriture que l’on mange vient de la terre, l’absurdité de la déforestation semble évidente. Et pourtant, à quelques mètres de la réserve, on sent encore l’odeur de terre brûlée des « fazendeiros », les propriétaires terriens qui y font paître leur bétail.

Le 30 novembre, Benki devait être à Paris pour parler de son combat de Sisyphe, éternellement recommencé. Mais « on a tué beaucoup de gens » là-bas. Son père, sa mère et son peuple l’ont dissuadé de partir après les attentats du 13 novembre. À quoi bon, dit-il, faire de grands discours pour réduire les émissions de CO2 quand résonne en Syrie le bruit des bombes ?

Benki parle souvent avec Marina Silva, l’ancienne candidate aux élections présidentielles, originaire comme lui de l’Etat de l’Acre et ministre de l’environnement de 2003 à 2008 sous la présidence de Lula da Silva. Ami d’ONG comme Greenpeace, Benki est bien introduit à Brasilia. Il parle un portugais parfait grâce à sa mère et maîtrise les secrets de son peuple par son père. Un atout qui lui confère le rôle de « messager », dit-il.

Plantes médicinales et Internet

Depuis 2014, lui et les Asháninka sont soutenus par Pur Projet. L’organisation, qui travaille à sensibiliser les entreprises sur le sujet du climat, a mis sur pied un programme de reforestation. En tout, 90 000 arbres doivent être replantés sur trois sites : dans la réserve indienne Apiwtxa, dans le centre Yorenka, près de la petite ville de Marechal Thaumaturgo et à quelques kilomètres de là, dans un autre centre, au nom envoûtant de Raio do Sol (« rayon de soleil »). Ce dernier est d’ailleurs géré par l’association « Jovens guerreiros da paz e da floresta », « les jeunes guerriers de la paix et de la forêt » en portugais.

Le programme est financé par de grandes entreprises, dont les Françaises Clarins et Caudalie. Benki s’en accommode. « Le monde entier est capitaliste et sans eux, nous planterions quand même. Le financement nous aide seulement à acheter des machines pour défricher », relativise-t-il. Son frère, Moises, est plus circonspect. « Est-ce que ce système peut inciter les entreprises à mieux se comporter ou au contraire à polluer davantage ? Je ne sais pas ».

Les Asháninka sont pragmatiques et dégourdis. Leur médecine vient des plantes et une case, dotée d’un panneau solaire et d’un accès à Internet, leur permet de ne pas être coupés du reste du monde tout en subsistant en quasi-autarcie. Ils vivent en paix du fruit de leurs récoltes, de leur pêche et de la vente de leur artisanat acheté par les boutiques ethniques et chics de São Paulo.

Un luxe que n’ont pas nombre d’autres tribus condamnées à monnayer leur survie à prix d’or et en mendiant des subventions du gouvernement. Avec la construction d’une fabrique de transformation de fruits en pulpes, financée notamment par la Banque brésilienne de développement, la BNDES, les Asháninka pourraient même engranger un petit capital. « Environ 200 000 reais (50 000 euros) la première année », calcule Moises.

C’est davantage que n’obtiendront jamais beaucoup de « Blancs » de Marechal Thaumaturgo. Contrairement à l’Etat du Mato Grosso, où dominent les riches fazendeiros, l’Acre est peuplé de propriétaires modestes, voire indigents. « Une région d’agriculture très rudimentaire, presque de subsistance », décrit Marcos Douglas, de l’Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE) venu depuis la ville de Cruzeiro do Sul faire ses relevés.

COP21 : « A quoi bon parler si personne n’écoute ? »

A Marechal Thaumaturgo, le soleil donne à la misère un aspect moins sordide, mais la population frise parfois l’extrême pauvreté. Le trafic de cocaïne, venu du Pérou ou de la Colombie voisine, parvient à séduire une jeunesse désœuvrée. Benki se bat contre ça aussi. Dans la plantation de Raio do Sol, avec les « Jovens guerreiros da paz e da floresta », il tente de faire comprendre à ceux qui représentent l’avenir du Brésil que leur vraie richesse est sous leurs pieds.

Populaire, l’Indien a été tenté par la politique. Mais c’est son frère Isaac qui se présentera aux élections municipales à Marechal Thaumaturgo en 2016. Un brin cynique, ce dernier a pris l’étiquette du Parti du mouvement des démocrates brésiliens (PMDB, centre). Ce mouvement, dirigé par Eduardo Cunha, le président de la chambre des députés, défend un projet de loi visant à revenir sur les droits des Indiens. Candidater sous la bannière du parti vert de Marina Silva, Rede, aurait eu plus de sens mais cette formation disposait de moins de moyens, nous explique-t-on. Et peu importe : s’il gagne, Isaac sera le premier Asháninka à diriger une ville.

Mais il faudra plus qu’un édile indigène pour changer la planète. Depuis un peu plus d’une vingtaine d’années, les Indiens observent le climat changer. « Certaines années, les arbres ne donnent aucun fruit. La rivière s’assèche, les poissons prennent un goût infâme, le soleil brûle de plus en plus fort », détaille Moises qui se dit « très préoccupé pour l’avenir ». Benki semble lui aussi avoir perdu beaucoup d’illusions depuis ses dix ans et semble ne rien attendre de cette nouvelle COP. « À quoi bon parler si personne n’écoute ? »

Populaire, l’Indien a été tenté par la politique. Mais c’est son frère Isaac qui se présentera aux élections municipales à Marechal Thaumaturgo en 2016. Un brin cynique, ce dernier a pris l’étiquette du Parti du mouvement des démocrates brésiliens (PMDB, centre). Ce mouvement, dirigé par Eduardo Cunha, le président de la chambre des députés, défend un projet de loi visant à revenir sur les droits des Indiens. Candidater sous la bannière du parti vert de Marina Silva, Rede, aurait eu plus de sens mais cette formation disposait de moins de moyens, nous explique-t-on. Et peu importe : s’il gagne, Isaac sera le premier Asháninka à diriger une ville.

Mais il faudra plus qu’un édile indigène pour changer la planète. Depuis un peu plus d’une vingtaine d’années, les Indiens observent le climat changer. « Certaines années, les arbres ne donnent aucun fruit. La rivière s’assèche, les poissons prennent un goût infâme, le soleil brûle de plus en plus fort », détaille Moises qui se dit « très préoccupé pour l’avenir ». Benki semble lui aussi avoir perdu beaucoup d’illusions depuis ses dix ans et semble ne rien attendre de cette nouvelle COP. « À quoi bon parler si personne n’écoute ? »

Populaire, l’Indien a été tenté par la politique. Mais c’est son frère Isaac qui se présentera aux élections municipales à Marechal Thaumaturgo en 2016. Un brin cynique, ce dernier a pris l’étiquette du Parti du mouvement des démocrates brésiliens (PMDB, centre). Ce mouvement, dirigé par Eduardo Cunha, le président de la chambre des députés, défend un projet de loi visant à revenir sur les droits des Indiens. Candidater sous la bannière du parti vert de Marina Silva, Rede, aurait eu plus de sens mais cette formation disposait de moins de moyens, nous explique-t-on. Et peu importe : s’il gagne, Isaac sera le premier Asháninka à diriger une ville.

Mais il faudra plus qu’un édile indigène pour changer la planète. Depuis un peu plus d’une vingtaine d’années, les Indiens observent le climat changer. « Certaines années, les arbres ne donnent aucun fruit. La rivière s’assèche, les poissons prennent un goût infâme, le soleil brûle de plus en plus fort », détaille Moises qui se dit « très préoccupé pour l’avenir ». Benki semble lui aussi avoir perdu beaucoup d’illusions depuis ses dix ans et semble ne rien attendre de cette nouvelle COP. « À quoi bon parler si personne n’écoute ? »

Claire Gatinois, journaliste au Monde.

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