★ L’organisation fédéraliste libertaire

Publié le par Socialisme libertaire

★ L’organisation fédéraliste libertaire

DE LA NÉCESSITE ET DES LOIS DE L’ORGANISATION
L’homme a toujours été un animal social. Depuis ses lointaines origines jusqu’à nos jours, il a toujours fui la solitude pour rechercher la compagnie de ses semblables et organiser avec eux une vie commune. Cette continuité historique démontre sans qu’il soit utile d’insister que, malgré les inévitables servitudes qu’engendrent les structures sociétaires, l’homme ne veut, ni ne peut vivre isolé. Et cela parce que l’apparente liberté dont il dispose dans la solitude n’est, dans la réalité des faits, qu’une étroite prison où, faute de communier avec ses semblables, l’homme est condamné à une vie végétative.
C’est pourquoi, tout au long de la lente succession des siècles, d’innombrables communautés se sont crées, ont eu des durées variables, puis ont disparu, balayées par le vent d’une Histoire, qui est un incessant renouvellement.
Ainsi, à travers cette mouvante histoire de l’Humanité, une constatation s’impose, un fait s’affirme avec une permanence incontestable: jamais les hommes ne se sont révoltés pour détruire la société, mais seulement pour s’insurger contre les servitudes exagérées ou insupportables que certaines communautés prétendaient imposer à leurs membres.
Mais chaque être humain, partie indivisible d’un ensemble qui s’appelle l’Humanité, est également une unité personnalisée, à nulle autre de ses semblables absolument identique, dont l’originalité propre ne peut se fondre dans une commune identité sauf dans la contrainte, qui viole et refoule la personnalité. Entre l’inéluctable nécessité de la vie sociétaire, qui tend à uniformiser l’ensemble, et l’individu, dont l’unicité s’insurge contre cette tendance uniformatrice, il y a toujours eu, il y a et il y aura toujours – sous n’importe quel régime – une opposition de fait, des contradictions irréductibles. Dans ma brochure « Réflexions sur l’Anarchisme », j’ai suggéré comment ces contradictions pourraient être, non pas supprimées, ce qui est impossible et serait néfaste si cela était possible, mais en quelque sorte « harmonisées » par le jeu d’un équilibre, mouvant comme la vie elle-même, équilibre qui résulterait d’une incessante confrontation entre les aspirations contraires de l’être humain, entre sa sociabilité instinctive et son individualisme inné.
L’opposition individu-société représente donc tout à la fois une réalité incontestable et un faux problème. Une réalité parce qu’elle s’inscrit dans l’histoire de l’Humanité comme une loi fondamentale. Et un faux problème parce que cette opposition n’est ni un bien, ni un mal en soi, mais un fait naturel et une nécessité. Elle oblige, d’une part, l’homme à se plier à une discipline sociale, hors de laquelle aucune société ne peut vivre, et limite la liberté de l’individu dans ce qu’elle pourrait avoir de préjudiciable pour la collectivité ; et, d’autre part, empêche cette discipline de se transformer en une tyrannie uniformatrice qui conduirait l’Humanité vers la « civilisation » des fourmis et des termites, évitant ainsi une définitive grégarisation des sociétés humaines. Cette opposition est donc, dans son essence même, une des principales expressions du mouvement – donc
de la vie – et sa disparition, heureusement impossible, signifierait la fin de l’évolution.
L’individu – chaque individu – est donc un être sociable. Il le sait – ou tout au moins le « sent » d’une manière instinctive – au-delà de toutes ses révoltes contre les servitudes sociétaires. Pour permettre à cette vie commune d’exister, les groupes humains ont inventé de nombreuses formes de régimes sociaux. Cependant, malgré cette apparente diversité, ces régimes se réduisent fondamentalement (ainsi que l’a montré Proudhon) à deux catégories :

- ceux qui reposent sur la pratique de l’autorité
- et ceux qui reposent sur la pratique de la liberté.

Mais, qu’ils appartiennent à l’une ou à l’autre catégorie, les régimes sociaux, c’est-à-dire les communautés humaines, sont nécessairement obligées de se plier à certaines lois organiques, hors desquelles aucun ensemble social ne peut naître et se développer. En effet, lorsqu’un certain nombre d’individus se réunissent pour fonder une communauté, quel que soit le nombre de ces individus et quel que soit leur degré d’évolution moral, politique et économique, ils sont toujours amenés :

1) à s’organiser,c’est-à-dire à établir un certain nombre de règles, orales ou écrites, qui régissent la vie commune. Ces règles constituent en fait un contrat qui, en l’occurrence, s’appelle le contrat social, d’où se dégagent et se définissent les structures de la société.
2) à se gouverner, c’est-à-dire à prendre au jour le jour les décisions de toutes sortes et de toutes natures qui doivent permettre à la communauté de vivre, et cela sur tous les plans de la vie sociale.

Qu’on m’entende bien: lorsque je parle d’organisation et de gouvernement, j’emploie ces termes dans un sens général, en dehors de toutes les formes variées qu’ils peuvent revêtir et qui sont – souvent – de détestables formes sur lesquelles je reviendrai d’ailleurs plus en détail dans un instant. Mais je voulais tout de suite préciser ceci: prétendre, comme le font certains, qu’une communauté peut naître, vivre et prospérer sans organisation et sans gouvernement relève de la plus pure utopie. L’expérience, plus de cinquante fois millénaire, des sociétés humaines démontre à l’évidence que celles-ci, pour se constituer et vivre, sont contraintes de se plier à certaines lois fondamentales, dont les deux principales sont celles que je viens d’énoncer.

D’UNE SOMMAIRE DÉFINITION DE QUELQUES TERMES
Avant de passer à la critique des organisations autoritaires et à la description d’une organisation libertaire, je crois utile de définir le plus clairement possible quelques-uns des termes dont je vais faire usage.
Ces définitions sont nécessaires en raison de la confusion dont ces ternes sont généralement l’objet, confusion qui a atteint un sommet lors de la récente campagne pour l’élection du Président de la République.

- Le premier de ces termes est celui de DÉMOCRATIE. L’étymologie du mot est très claire : formé de deux mots grecs, dont l’un signifie: peuple – et l’autre: pouvoir et autorité, il exprime très nettement un régime où le peuple détient le pouvoir, c’est-à-dire l’autorité suprême: la souveraineté. D’où l’expression très juste, mais abusivement employée, de peuple souverain lorsqu’on parle de démocratie.
En effet, on verra plus loin que le sens du mot démocratie, pourtant sans équivoque, a donné lieu à des interprétations pour le moins curieuses, dont la dernière en date et la plus comique, qui tuerait son auteur si le ridicule tuait encore dans ce pays, elle est donnée par le « démocrate » Georges Pompidou lors de sa conférence de presse du 16 décembre 1965 : « Il ne s’agit pas pour les Français de choisir leur avenir. Il s’agit de choisir la personne à qui ils confieront cet avenir pendant un certain nombre d’années ». Voilà une phrase typique qui exprime l’antithèse de la démocratie.
La démocratie est la souveraineté du peuple. A partir du moment où le peuple n’exerce plus directement sa souveraineté, il n’y a plus de démocratie, mais une « cratie » élective, qui peut être mono ou pluri, suivant que la souveraineté est remise à un seul homme ou à plusieurs. Je reviendrai de la démocratie parlementaire. Par la même occasion, je démontrerai que démocratie et suffrage universel, loin de s’identifier, s’opposent.

- Le deuxième terme à définir est celui de GOUVERNEMENT. Gouverner c’est régir, c’est-à-dire administrer. Pris dans ce sens, gouvernement est inséparable d’organisation: on ne peut, en effet, concevoir une communauté viable qui refuserait toute administration. Mais gouverner ne signifie pas nécessairement décider. Ainsi, le capitaine d’un navire gouverne son navire: il ne décide pas de sa destination, qui lui a été fixée avant son départ; tout au plus peut-il, de sa propre initiative, dévier de son itinéraire précis en fonction des obstacles rencontrés (tempêtes, pannes, avaries. etc.). Le capitaine d’un navire et son état-major représentent donc bien un gouvernement tel qu’il doit être, c’est-à-dire un organisme qui conduit (ou administre) en fonction de directives reçues – et non pas de sa propre autorité. Un capitaine de navire ayant reçu mission de conduire son navire à New-York, qui le dirigerait sur Rio de Janeiro, perturberait l’ordre: de même un gouvernement qui outre- passe son rôle d’administrateur pour s’arroger la fonction de directeur devient nécessairement un facteur de désordre. C’est en usurpant des attributions qui ne sont pas les leurs que les gouvernements sont devenus des instruments de domination politique. Si donc le gouvernement est indispensable à toute société organisée, tout le problème est de situer le niveau où sont prises les décisions, c’est-à-dire, en définitive, et j’en arrive au troisième terme à définir, le POUVOIR.

- « Le pouvoir est maudit » a dit Louise Michel dans une phrase demeurée célèbre. Mais qu’est-ce que le POUVOIR ?

Le pouvoir, qui résulte de la puissance (ces deux termes ont d’ailleurs la même étymologie) est la faculté de faire ce que l’on veut dans la mesure où l’on peut. C’est donc la faculté de faire – et en premier lieu de décider. Car toute action raisonnée commence par une décision. Or, pris dans ce sens littéral, pouvoir est également synonyme d’organisation: on ne peut, en effet, concevoir une vie sociale organisée sans qu’existe, à un stade quelconque, la faculté de décider. Je dis bien: « à un stade quelconque ». Et c’est ici que se noue le problème, que se « substantialisent » les données et que, suivant le « stade » où s’exerce le pouvoir, celui-ci exprime des réalités très différentes. Ceci n’étant qu’une définition de termes, je reviendrai tout à l’heure sur cette notion de pouvoir tel qu’il existe à travers l’héritage de cinquante siècles d’histoire humaine et tel qu’il devrait s’exercer dans une société libertaire.
Dans les sociétés modernes, le pouvoir se divise en trois branches :

1) Le pouvoir législatif,
2) Le pouvoir exécutif,
3) Le pouvoir judiciaire.

Ces trois branches peuvent être, soit concentrées au sommet : cela donne le régime autocratique; soit séparées : cela donne un régime démocratique – ou dénommé tel.

1) Le pouvoir législatif. Le pouvoir législatif exprime la faculté de « faire les lois », c’est-à-dire de décider, en pleine souveraineté, de tout ce qui concerne la société, aussi bien dans ses structures qu’en ce qui concerne son fonctionnement. Il me parait important de souligner ici que, des trois branches qu’on appelle uniformément « pouvoir », le législatif est le seul qui mérite vraiment ce titre, en ce que pouvoir signifie « acte de décision ».

2) Le pouvoir judiciaire. Il ne s’agit pas non plus d’un pouvoir si l’on s’en tient au sens exact du terme. En matière de justice, comme en toute autre matière sociale, le législatif est seul habilité à décider, à faire des lois qui régissent la société et le corps judiciaire ne peut avoir d’autres pouvoirs que d’appliquer ces décisions – ces lois. Sa seule marge d’initiative ne peut consister qu’à « interpréter » ces lois en fonction de chaque cas particulier.

Cette analyse de quelques termes controversés était, je crois, utile à la clarté de l’exposé dont je reprends maintenant le cours.

DE DEUX OPTIONS FONDAMENTALES EN MATIERE D ORGANISATION
Pour parvenir au double résultat de s’organiser et de se gouverner (ou de s’administrer) – et là, j’en arrive aux deux options fondamentales dont je parlais tout à l’heure) – les communautés humaines n’ont eu jusqu’à ce jour et n’auront demain que le choix entre deux méthodes: la première consiste à s’en remettre à UN individu choisi parmi la communauté (peu importe les raisons ou les motivations de ce choix, libre ou imposé) ; la seconde consiste en ce que c’est la communauté elle- La première méthode a pour résultat d’instaurer des régimes autocratiques (monarchies et ses multiples dérivés religieux ou laïcs) ; .la seconde, des régimes démocratiques (républiques sous ses nombreuses variantes). Il est bien évident qu’il s’agit là d’une classification primaire qui ne tient pas compte des particularités propres à chaque régime. Chacun, en effet, a son originalité et si l’histoire a enregistré quelques régimes d’autocratie absolue, il n’y a jamais eu de régimes de démocratie totale – même pas dans l’antiquité, dans les cités grecques, où un grand nombre de citoyens sans droits, les esclaves, étaient ignorés. De plus, et les exemples sont nombreux, d’authentiques autocraties furent beaucoup plus libérales que certaines démocraties gangrenées par le virus autoritaire.
Mais ce sont là des différences circonstancielles qui dépendent, soit du tempérament du ou des autocrates, soit – le plus souvent – du degré de prospérité économique du régime. Aussi, nonobstant ces particularités, il n’en demeure pas moins que les régimes sociaux se divisent en deux grandes catégories: les régimes d’autorité (décisions prises au sommet et répercutées à la base) et les régimes de liberté (décisions prises à la base et répercutées à l’environnement).
Cet exposé préliminaire a pour objet de démontrer que, dans le cadre de deux options fondamentales décrites ci-dessus, le régime social préconisé par les anarchistes s’inscrit, sans aucune équivoque possible, dans la perspective de l’option démocratique, dont il représente – je dirai pourquoi tout à l’heure – la forme la plus achevée.
Certains se hérisseront sans doute de m’entendre employer le mot « démocratie » pour désigner la société libertaire: qu’on tienne compte des définitions données plus haut. D’autre part, si je reconnais bien volontiers que ce mot a été galvaudé, il n’est pas le seul: révolution et liberté, par exemple, sont dans la bouche de tous les soudards en uniformes et de tous les liberticides du monde. Je n’y peux rien et ne peux me résoudre à les renier pour cette raison-là. Et, à moins de changer de vocabulaire et d’inventer de nouvelles expressions, je suis bien obligé de me servir des termes en usage pour exprimer ce que j’ai à dire.
Mais il est bien vrai, par contre, que, de même que les régimes autocratiques se nuancent de l’autoritarisme le plus absolu jusqu’au plus grand libéralisme, de même les régimes démocratiques se diversifient en de nombreuses variétés.
Cependant, on peut, là encore, tracer une ligne de démarcation nette entre deux formes démocratiques très distinctes l’une de l’autre, qui les différencie et permet de les distinguer. Je vais les définir l’une et l’autre et, ainsi, avant d’exposer les grandes lignes d’une démocratie libertaire, faire la critique de la démocratie telle qu’elle existe.

LA DÉMOCRATIE PARLEMENTAIRE
J’appellerai classique la première forme de démocratie, la démocratie parlementaire, parce que c’est celle qui, sous des aspects divers, s’est transmise depuis l’antiquité jusqu’à nos jours et, telle qu’elle existe en France depuis près de deux siècles. avec quelques éclipses.
Son mécanisme repose essentiellement sur un rouage de base: le suffrage universel. Dans une première phase, la communauté, c’est-à-dire l’ensemble des citoyennes et des citoyens en âge légal de voter, après un choix entre les différents programmes présentés par les divers candidats, mandatent, par voie d’élection et à la majorité, un certain nombre d’entre eux qui, réunis en parlement, constituent le pouvoir législatif. c’est-à-dire le pouvoir de légiférer, d’édicter, d’organiser, de décider en toutes matières. Notons immédiatement qu’à ce premier stade, il y a un transfert de pouvoir; le peuple délègue sa souveraineté (que lui confère la démocratie) à des mandataires et cela pour un temps déterminé à l’avance. Après quoi, ces mandataires reviennent devant leurs mandants qui les réélisent ou les évincent, selon qu’ils jugent leurs mandats remplis conformément aux engagements pris, ou non.
Dans une deuxième phase, le parlement mandate à son tour quelques-uns de ses membres pour constituer un comité restreint: le Gouvernement ou le Ministère. C’est le pouvoir exécutif, placé sous l’autorité et le contrôle du Président de la République, lui-même élu par le Parlement (et, aujourd’hui, au suffrage universel). Ces mandataires au deuxième degré n’ont, en principe, aucun pouvoir d’autorité en ce qui concerne les décisions (prises par le législatif), mais seulement en ce qui concerne leurs applications. Le pouvoir exécutif, comme son nom l’indique et comme je l’ai défini plus haut, a pour tâche d’exécuter les directives qu’il reçoit du pouvoir législatif et les fonctions ministérielles doivent (ou devraient) consister à faire appliquer ces directives par les multiples organismes politiques, administratifs, économiques, financiers et éducatifs, culturels, etc. dont ils sont responsables.
Enfin, le pouvoir exécutif nomme à son tour des magistrats (mandataires au troisième degré), dont l’ensemble constitue le pouvoir judiciaire et dont le rôle est de rendre la justice en fonction des lois édictées par le pouvoir législatif et appliquées par le pouvoir exécutif. Ce troisième pouvoir est, en principe, indépendant des deux pouvoirs qui le précèdent (l’exécutif, qui nomme les magistrats, ne peut, de sa propre autorité, les révoquer).
Le pouvoir judiciaire décide donc souverainement en la matière qui le concerne et, notamment, en l’interprétation du texte des lois. Ce système est appelé régime de la séparation des pouvoirs. Cette séparation résulte du souci louable des constituants d’éliminer dans la plus grande mesure du possible l’arbitraire qui résulte fatalement de la concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme (monarchie absolue), ou d’une seule assemblée (République césarienne). La séparation des pouvoirs est donc le trait essentiel qui sépare une société à constitution démocratique d’une société à constitution autocratique.
Je viens de donner une description théorique du mécanisme de la démocratie parlementaire. En réalité, chacun sait que, dans la pratique, il en va tout autrement. Ainsi, par le biais des décrets-lois, des lois cadres ou des pleins pouvoirs, le gouvernement, c’est-à-dire le pouvoir exécutif, s’approprie des pouvoirs législatifs et ce avec ou sans l’approbation des parlementaires. Cette pratique, devenue courante dans les dernières années de la IIème république, quasi permanente durant la IVème et officialisée par la Vème, a abouti à cette étonnante confusion des pouvoirs qui a illustré la récente campagne pour l’élection présidentielle. Quant au pouvoir judiciaire, son indépendance n’est plus que nominale, de récents exemples ayant démontré qu’il était à la merci d’un exécutif envahissant, d’un exécutif qui, en s’appropriant le législatif et en dominant le judiciaire, a pratiquement aboli le régime de la séparation des pouvoirs, c’est-à-dire de la démocratie.
Mais en admettant même que la démocratie parlementaire fonctionne de manière parfaite, que les pouvoirs soient réellement séparés et n’empiètent aucunement les uns sur les autres, l’analyse de ce système n’en démontre pas moins et à l’évidence qu’il s’agit d’une fausse démocratie ou, plus exactement, d’une forme d’autocratie atténuée.
En effet, en démocratie parlementaire, comme sous un régime autocratique, il y a renoncement de l’ensemble de la communauté à assurer sa responsabilité sociale : en déléguant à des mandataires sa souveraineté, qui est l’élément essentiel de la démocratie, l’électeur nie la démocratie elle-même. Le suffrage universel aboutit donc en fait à ce paradoxe que le peuple n’use de son pouvoir de décision, à intervalles réguliers, que pour se dessaisir de ce pouvoir. C’est en cela que le suffrage universel est une négation de la démocratie. La seule différence qui distingue un régime autocratique d’un régime parlementaire réside dans le fait qu’au lieu d’élire UN autocrate, la communauté en nomme plusieurs, quelques dizaines ou quelques centaines, et qu’au lieu de plébisciter un seul homme, sur un seul programme, elle choisit entre différents programmes et différents candidats.
Mais, dans un cas comme dans l’autre, la communauté renonce à s’organiser et à se gouverner elle-même et se place ainsi sous la tutelle et la direction de ses élus. Sous le pavillon trompeur de la « souveraineté populaire », la démocratie parlementaire ôte en fait tout pouvoir de décision au peuple pour le confier à des mandataires, hommes, partis ou coalition de partis, que rien n’oblige à tenir leurs engagements électoraux.
Le résultat de ce système est que l’on assiste à une cascade de démissions qui finissent par réduire à néant la différence entre autocratie et démocratie.
La première démission est celle des électeurs, c’est-à-dire de la communauté dans son ensemble, qui abandonne son pouvoir de décision aux députés. La deuxième démission est celle des députés qui abandonnent le pouvoir législatif aux ministres. Il ne reste plus alors à ceux-ci qu’à s’en remettre au chef du pouvoir exécutif, le Président de la République, pour aboutir à cette caricature de démocratie qui sévit actuellement en France.
Ainsi, en démocratie parlementaire, par le truchement du suffrage universel, le pouvoir de décision échappe totalement au « peuple souverain » et les électeurs ne sont plus qu’un paravent derrière lequel une fausse démocratie se camoufle en autocratie de fait. Mieux: sous un tel régime, le pouvoir réel échappe même à ceux qui en sont les détenteurs officiels: les députés et les ministres. Il est, en fait, entre les mains d’une caste de hauts fonctionnaires plus ou moins inamovibles qui, par un jeu subtil d’alliances (relations, intérêts, mariages) sont ou deviennent très vite les exécuteurs des oligarchies financières et économiques, lesquelles, à travers les majorités politiques changeantes sont et demeurent les véritables détentrices du pouvoir.
Mais ceci n’est qu’une illustration accessoire et d’ailleurs inévitable d’un régime basé sur le profit. Le fait essentiel à retenir est que, sous n’importe quel régime, fût-il intégralement socialiste, à partir du moment où la communauté délègue son pouvoir de décision à un homme ou à des hommes, à un parti ou à des partis, il n’y a plus de démocratie, mais une forme plus ou moins atténuée, plus ou moins virulente d’autocratie.
Je ne citerai que pour mémoire le régime actuel de la France. Il illustre les exemples de démocratie totalement dégénérés où les citoyens, renonçant à assumer leurs responsabilités, même par mandataires interposés, s’en remettent à l’homme « providentiel » qui piétine la démocratie aux cris répétés de « Vive la République ».
Et j’en viens à la seconde forme de démocratie, que j’appellerai la démocratie libertaire, ou démocratie directe, la seule, à mon avis, authentique et conforme à l’étymologie du mot.

LA DÉMOCRATIE LIBERTAIRE
La démocratie libertaire se différencie nettement de la démocratie parlementaire sur un point capital: la communauté conserve en tout temps et en toutes circonstances sa pleine et entière souveraineté. Ce qui, en définitive, est la seule interprétation possible du mot démocratie.
En d’autres termes, le peuple n’abandonne pas, ne délègue pas à des mandataires élus le pouvoir de décider, qui est le seul réel, c’est-à-dire le pouvoir législatif : celui-ci demeure, inaliénable et indivisible, sans délégation possible, à la base qui décide souverainement dans ses assemblées primaires.
En démocratie libertaire, il y a toujours élections et mandataires élus. Mais, à l’inverse de la démocratie parlementaire, ces élections ne portent pas sur le choix d’un programme proposé pas les candidats, programme qui est alors établi à la base, mais sur le choix des hommes chargés d’exécuter ce programme. Dès lors, ces mandataires élus représentent, non pas le pouvoir (le terme serait impropre, car pouvoir ne peut exprimer que la faculté de décider), mais un organisme exécutif. Et il va de soi qu’une révocabilité permanente permettra de couper court immédiatement à toute tentative d’un mandataire élu de s’approprier une parcelle de pouvoir législatif.
Ainsi, à la démocratie parlementaire, forme camouflée et atténuée d’autocratie, s’oppose la démocratie libertaire, qui rend son plein sens à cette forme d’organisation sociale.
La première délègue à des mandataires des pouvoirs de décisions (ce qui je le répète, est la seule forme du pouvoir réel) : cette délégation constitue une démission de la communauté qui renonce ainsi à assumer ce pouvoir. La seconde, par contre, ne confie à des mandataires qu’une délégation d’exécution: le peuple reste alors réellement souverain puisque, seul, il décide. Il n’abdique pas, ne renonce à aucune de ses prérogatives et assume ainsi pleinement sa responsabilité, ce qui le libère de toutes tutelles et le rend majeur.
Car, en effet, il n’y aura pas de démocratie véritable tant que la communauté délèguera tout ou partie de son pouvoir législatif: c’est au peuple et au peuple seul qu’il appartient de décider souverainement. Toute délégation de pouvoir, c’est- à-dire de décision, introduit au sein d’une société, fût-elle démocratique ou même socialiste, le germe de l’autocratie.
On conçoit sans peine qu’une telle définition condamne toutes les formes de démocraties autoritaires centrées sur la délégation de pouvoir, c’est-à-dire sur l’organisation pyramidale, verticale, de la société: le libéralisme aussi bien que le socialisme ou le marxisme.
Ce qui signifie en outre que socialisme et démocratie ne sont nullement synonymes. Si une véritable démocratie ne saurait être que socialiste, le socialisme, à partir du moment où il s’édifie, sur la délégation de pouvoir, est nécessairement autocratique.
Je résume mon argumentation. Le terme pouvoir, dans sa définition grammaticale, exprime la faculté de décider. Or, le pouvoir, ainsi défini, est inséparable de toute organisation. Car la vie sociale exige de prendre journellement des décisions: c’est un impératif auquel nulle communauté ne peut échapper. Mais ce pouvoir peut être concentré au sommet de la pyramide, soit par appropriation: c’est l’autocratie dans sa forme brutale; soit par délégation: c’est la démocratie parlementaire, forme atténuée d’autocratie. C’est cette forme de pouvoir qu’évoquait Louise Michel dans sa célèbre apostrophe.
Mais le pouvoir peut aussi et doit demeurer à la base: c’est la condition même de la véritable démocratie. Le pouvoir est alors. non plus concentré sur le plus petit nombre, mais divisé par le plus grand nombre – c’est-à-dire par la totalité des membres de la communauté. Ce qui a pour résultat, tout en le maintenant comme un instrument indispensable à la marche de toute société, de lui faire perdre sa nocivité, son caractère « maudit ». Fixé à la base, sans délégation possible, il ne peut plus en effet devenir un outil politique de domination aux mains d’un seul homme, d’un clan, d’une caste ou d’une classe.
De même pour le gouvernement. Gouverner, c’est essentiellement administrer. Pris dans un tel sens, gouvernent est, comme pouvoir, inséparable de toute société organisée. Car, après avoir pris des décisions, il faut les mettre en application.
Mais le gouvernement peut être centralisé, ce qui est absolument inévitable dans un régime où le pouvoir est concentré, ou fédéralisé, c’est-à-dire localisé, avec l’indispensable coordination d’ ensemble. Il va de soi que ses nouvelles structures entraineraient nécessairement la disparition de l’État en ce que ce terme exprime parfaitement la concentration du pouvoir et la centralisation du gouvernement.
Pouvoir et gouvernement sont indissociables de toute société organisée. Mais cinquante siècles d’histoire humaine ont amplement démontré que la concentration de l’un et la centralisation de l’autre introduisaient dans les sociétés le despotisme, la domination, l’exploitation, la non-liberté – l’aliénation.
La simple logique exige donc que le pouvoir soit divisé et le gouvernent fédéralisé; ce sont les conditions mêmes de l’instauration d’une véritable démocratie.

MÉCANISME DE LA DÉMOCRATIE LIBERTAIRE
J’ai défini la démocratie libertaire comme une organisation sociale où le pouvoir de décision reste indivisiblement réparti à la base. Ou, mieux, à la périphérie d’un cercle dont le centre représente l’organisme exécutif. La démocratie libertaire se caractérise par la division du pouvoir et la fédéralisation du gouvernement. A l’organisation verticale des sociétés hiérarchisées, elle oppose l’organisation horizontale structurée sur l’égalité.
Dans cet exposé, je ne m’étendrai pas longuement et en détails sur les structures d’ une société libertaire. Je renvoie mes auditeurs que le sujet intéresse à cet ouvrage de base qu’est Le Monde Nouveau, de Pierre Besnard, aux travaux de Georges Valois et Gaston Leval. Et à une étude critique des réalisations libertaires en Russie et en Espagne.
Je me contenterai d’apporter ici quelques précisions.

La vie est mouvement. Mais tout mouvement, pour se produire, exige une impulsion. Dans la société actuelle, chez l’homme-individu, cette impulsion est produite par les impératifs de la nécessité ou par la recherche du plaisir ; chez l’homme-social, par la recherche du profit. Dans la société libertaire, rien ne sera changé chez l’homme-individu ; la nécessité et le plaisir seront toujours à la base de ses activités. Mais chez l’homme-social, la disparition du profit, conséquence d’une société égalitaire, exigera de trouver une autre impulsion à son activité sociale.
Cette impulsion viendra de la conscience d’une responsabilité que lui donneront des structures sociétaires où l’homme se sentira majeur, par le jeu des confrontations où, au sein d’organismes communautaires, il se déterminera lui-même, en toute liberté.
Quels seront ces organismes ? Les syndicats et les coopératives existants ou les organismes nouveaux surgis de la révolution elle-même ? En fait, je crois que là où les organisations syndicales et coopératives sont par trop intégrées au régime que balaye la révolution, elles se volatilisent avec le régime lui-même (exemple : la Hongrie) ; par contre, là où elles ont conservé leur indépendance et leur vocation, elles s’affirment alors dès les premières heures de la révolution comme les armatures solides autour desquelles se bâtissent les nouvelles structures sociales (exemple : l’Espagne).

Mais que ce soit les organismes existants ou de nouveaux organismes surgis de l’action spontanée des masses; le principe en sera toujours le même : ce seront des cellules de base, autonomes et fédérées entre elles. Et les communes resteront le noyau central autour duquel se renouvellera l’activité sociale.

Chacun de ces organismes ou groupes d’organismes seront autonomes. C’est-à- dire qu’ils se détermineront librement dans l’aire géographique qu’ils couvriront. La commune sera libre et autonome dans le cadre du pays et le pays, libre et autonome dans le cadre d’une fédération de peuples, autonomes, mais naturellement fédérés.

Et, à ce sujet, il convient de préciser que le fédéralisme, qui est un système de vie collective, impose des limites à la liberté et à l’autonomie des groupes particuliers, exactement comme les nécessités de l’existence sociétaire impose des limites à la liberté et à l’autonomie des individus. Bien plus qu’en société autoritaire où la discipline est imposée, le fédéralisme exige la pratique d’une discipline librement consentie, un sens aigu de responsabilité sociale et la pratique d’une solidarité effective qui se refuse à tout repli sur soi, à tout égoïsme personnel ou collectif.

Prenons un exemple concret : En régime de concentration du pouvoir et de centralisation du gouvernement, l’autonomie communale est réduite à néant. Pour couper un arbre ou déplacer une borne fontaine sur une route dite nationale, la commune est obligée d’obtenir l’autorisation d’un ou plusieurs ministères – ce qui demande des délais interminables et des monceaux de papiers. Il est bien évident qu’en démocratie libertaire, chaque commune sera libre d’aménager son territoire comme bon lui semblera, c’est-à-dire comme en décideront ses habitants, sans avoir à demander d’autorisation à qui que ce soit.

Par contre, une commune ne pourra, par exemple, refuser le passage sur son territoire d’une autoroute, d’une voie ferrée ou d’une ligne de transport d’énergie à haute tension. Par un tel refus, cette commune opposerait son intérêt particulier à l’intérêt général de l’ensemble de la communauté et romprait ainsi le pacte de solidarité qui le lierait à elle. Il est bien évident qu’en démocratie libertaire, il ne serait pas question d’employer la force pour contraindre une commune rebelle à se soumettre. Mais, par un tel refus, elle s’exclurait elle-même de la collectivité, passerait de l’autonomie à l’indépendance. Une indépendance qui, comme je l’ai montré dans un chapitre de ma brochure, est une négation du fédéralisme.

L’ÉTAT, NÉGATION DE LA DÉMOCRATIE
La disparition du pouvoir politique central, remplacé par un système fédéraliste intégré, signifie évidemment la disparition d’un État tel qu’il existe en régimes d’autocratie. Car, qu’est-ce que l’État ? C’est nécessairement la forme structurelle que prend tout système politique issu d’une délégation de la souveraineté du peuple, délégation usurpée par la force ou consentie par élections. Système politique qui entraine tout naturellement la concentration du pouvoir et la centralisation du gouvernement, c’est-à-dire l’État. C’est un ensemble de superstructures artificielles qui se superposent à l’organisation naturelle et qui, du haut en bas, emprisonnent la pyramide dans un cadre rigide. L’État, c’est donc, dans son essence même comme dans son expression, la négation de la démocratie.

Cependant, l’État évolue. A son origine, il se limitait aux seuls domaines politiques et militaires. Mais, depuis un demi-siècle, en raison des gigantesques développements industriels et techniques, il tend à accaparer la totalité du domaine économique. En cela, il devient libéral ou socialiste, avec ou sans dictature, totalitaire. Ce qui le conduit à prendre des dimensions monstrueuses où la simple efficacité qui pouvait résulter d’une direction politique centrale se dilue dans un agglomérat d’organismes de toutes natures dont les initiatives, paralysées par les structures rigides du centralisme étatique, se transforment en autant d’irresponsabilités qui s’enchevêtrent dans un labyrinthe inextricable.

Limité aux seuls domaines politique et militaire, l’État était viable sauf, pour les sujets, les tyrannies qui en résultaient. En accaparant l’économie, l’État moderne s’est gonflé comme la grenouille de la fable, au point de ne plus pouvoir se bouger. Et, par un inexorable enchainement, il tend à accaparer toujours plus. Sa lourdeur et son inefficacité, son inadaptation au monde moderne sont telles qu’elles apparaissent aujourd’hui évidentes, même aux yeux de sociologues et d’économistes non libertaires.

Mais, au lieu de s’attaquer aux sources mêmes de ces maux, à l’État, c’est-à-dire à la concentration et à la centralisation, la tendance actuelle, dans une sorte de fuite en avant, s’engage dans la direction opposée. Constatant l’inefficacité d’un système dont la paralysie augmente au fur et à mesure de sa croissance, on cherche à lui rendre un peu de vie en concentrant et en centralisant toujours plus la direction, jusqu’au point ultime où cette direction repose sur un seul homme, d’où la vogue actuelle dans le monde entier du pouvoir « personnalisé », présidentiel. Rejetant alors le masque démocratique, l’autocratie reprend son véritable visage. Ainsi, pour lutter contre les résultats paralysants de la concentration et de la centralisation, on concentre et on centralise toujours plus – jusqu’au point de revenir aux formes les plus primitives de l’autocratie.

Sans doute, cela aura-t-il un terme. Mais il serait vain et présomptueux de fixer une échéance à ce système politico-économique. Car, contrairement aux prophéties erronées de Marx, le prodigieux développement de la science et de la technique, l’essor gigantesque de l’industrie, ont, non pas précipité ces fameuses contradictions où devait périr le capitalisme, mais l’ont au contraire sauvé en l’orientant vers une alliance étroite avec l’État.

Cette alliance, inconcevable au siècle dernier, qui transforme progressivement le capitalisme privé en capitalisme d’État avec, pour conséquences, la disparition du « patron », classique, peu à peu remplacé par le techno-bureaucrate, cette alliance suivie d’une intégration peut assurer au nouveau système une vie fort longue. En effet, si, politiquement, le régime capitalo-étatique éprouvera de plus en plus de difficultés à s’adapter au monde moderne, ce qui le conduira à s’autocratiser de plus en plus, économiquement. son existence ne sera réellement en péril que le jour où l’industrialisation des pays sous-développés fermera les voies d’écoulement à la surproduction des pays industrialisés. Ce qui n’est pas pour demain…

En conclusion, la démocratie libertaire est un régime où la souveraineté est exercée directement par le peuple, sans délégation. Le pouvoir de décision, c’ est-à-dire, en fait, le pouvoir législatif, appartient indivisiblement à l’ensemble de la communauté qui délègue à des mandataires des tâches exécutives. Les assemblées syndicales (ou les Conseils Ouvriers, ou les Soviets, etc.) décident pour ce qui concerne la production; les coopératives pour ce qui concerne la distribution;
les communes pour ce qui concerne l’administration: aménagements, culture, enseignement, santé publique, sécurité, etc… Le tout intégré dans un système fédéraliste, étant coordonné au niveau communal d’abord, régional ensuite, national et, éventuellement international enfin.

LA DÉFENSE NATIONALE
Quant au système politico-judiciaire, tel qu’il existe aujourd’hui, il doit normalement disparaître dans une société libertaire.
La sécurité et la défense sociales deviennent des attributions de la commune ou de la fédération de communes qui, chacune pour leur compte, aborderont le problème. Des expériences variées qui en résulteront se dégageront alors les meilleures solutions. L’instauration d’une société égalitaire, la suppression de l’argent sous sa forme actuelle, capitalisable et thésaurisable, doit faire disparaître une quantité de délits qui sont étroitement liés au système de profit. Certains autres délits qui sont étroitement liés, eux, à la morale sexuelle contre nature héritée du christianisme, devront progressivement s’atténuer avec la libéralisation de cette morale. D’autres délits, enfin, existeront malheureusement toujours (cas de folie, de sadisme, de perversion, etc.)

Mais, de toutes façons, les prisons et l’appareil policier actuels, survivance anachronique d’un système judiciaire antique de répression doivent disparaître pour faire place à un service de la sécurité et de la santé sociales orienté vers la prévention des délits et le traitement médico-psychiatrique des malades mentaux.

Cependant, il convient en ce domaine comme en tout autre, de se montrer réaliste. La suppression des prisons ne signifie nullement qu’en société libertaire, des hommes ne seront pas privés de leur liberté de mouvements: on ne saurait raisonnablement. sous prétexte de liberté, laisser un fou massacrer ses semblables ni un sadique exercer ses tristes exploits. Mais cette privation de liberté de mouvements est la seule sanction qu’une société civilisée peut prendre à l’égard d’êtres anormaux ou insociaux incurables (à l’exclusion de toutes mesures de violences physiques ou d’humiliations préméditées).

Les prisons seront donc remplacées par des « maisons », non rébarbatives, aux allures d’hôpitaux, conçues et construites spécialement. Ces maisons où l’on retiendra les individus dangereux, devront avoir, au moins certaines d’entre elles, des portes qui ferment à clés de l’extérieur et, si besoin est, des barreaux aux fenêtres. Mais les gardiens seront remplacés par un personnel spécialisé, dont la formation sera à la fois médicale et psychologique et les directeurs en seront des médecins, des psychologues ou des sociologues. Ainsi disparaitra, avec ces lugubres bâtisses où s’évanouissent, dès le seuil franchi, toute espérance de réadaptation, cet état d’esprit de vengeance doublé de sadisme qui règne dans toutes les prisons: le détenu ne sera plus un coupable à punir, mais un malade à soigner et à guérir si possible – sinon à empêcher de mal faire.

Ce qui signifie que, hors la liberté de mouvements dont il sera privé, le détenu ne pourra être l’objet d’aucun sévice, d’aucune mesure humiliante: à l’intérieur de la « maison », il sera libre et, dans toute la mesure du possible, les « pensionnaires » organiseront eux-mêmes leur vie collective.

DES FORMES DE LA PROPRIÉTÉ
La démocratie libertaire se caractérise par une organisation horizontale qui substitue l’administration des choses au gouvernement des hommes des sociétés à structures verticales. Elle fait disparaitre l’État, c’est-à-dire l’aliénation politique, et le Capital, donc le profit, c’est-à-dire l’aliénation économique. L’organisation libertaire repose essentiellement sur ces deux structures de base: la division du pouvoir et la fédération du gouvernement. Ainsi, l’égalité politique et l’égalité économique.
En conséquence, la propriété des moyens de productions et distributions deviennent propriétés collectives et indivises de la communauté. Cependant, le socialisme libertaire ne saurait exclure la propriété individuelle des biens de consommation sans sombrer dans un collectivisme totalitaire où s’évanouit la liberté de l’individu.

Si, sur le plan de la production et de la répartition, on peut aisément concevoir une organisation collective, on ne saurait collectiviser la vie de l’individu. Précisément parce que l’être humain est une unité autonome dont les aspirations sont diversifiées à l’infini, il faut lui laisser la complète liberté d’organiser sa vie privée comme bon lui semble. Vouloir fondre tous les hommes dans le moule commun d’une existence strictement collectivisée, c’est aller au-devant d’un inévitable échec, car ce serait aller contre les aspirations naturelles de l’individu à affirmer sa personnalité et son originalité.

L’être humain, a qui son destin impose une vie sociale, c’est-à-dire collective, aspire à une autonomie qui le libère dans toute la mesure du possible de ces liens collectifs. Et si, aujourd’hui, il s’entasse dans ces cages à lapins que sont les immeubles modernes, c’est en rêvant du petit pavillon individuel.

Le socialisme libertaire ne saurait ignorer cette loi fondamentale des sociétés humaines, pas plus qu’il ne saurait méconnaitre cette aspiration irrépressible de l’individu à une plus grande liberté.
Hors son temps de travail, qu’il doit naturellement à la collectivité, l’homme peut et doit demeurer totalement libre. Or, une telle liberté ne sera réelle qu’à partir du moment où il disposera des moyens de la réaliser, c’est-à-dire de la possibilité de choisir.
Cette possibilité de choix, il ne la trouvera que dans l’usage de la monnaie.

RÔLE DE LA MONNAIE
A son origine – fort lointaine – la monnaie avait un rôle bien défini: celui d’un instrument permettant l’échange des produits sans recourir à la formule peu pratique du troc.
Ce n’est qu’à la longue que la monnaie est devenue une richesse en soi. D’abord uniquement représentative de la valeur d’un objet, elle s’est muée en objet elle-même, constituant sa valeur propre, un capital.
La démocratie libertaire doit donc restituer à la monnaie son origine première. Pour cela, il faut lui interdire toute possibilité d’acquérir la fonction d’objet – de valeur – en lui interdisant de se transformer en richesse par la capitalisation. Il apparaît que la seule solution à ce problème est, actuellement, de recourir à ce que l’on appelle la monnaie fondante.

La monnaie fondante a cette particularité qu’elle ne conserve sa valeur d’échange que pendant une période déterminée – en principe une année. Cette particularité suppose évidemment une refonte complète du système financier actuel. En effet, en régime capitaliste, la monnaie est, théoriquement. basée sur la valeur or du stock en ce métal détenu par l’État. Ce qui veut dire que tout détenteur de monnaie peut, en principe, et à tout instant réclamer la contrepartie or de la monnaie billets ou pièces, qu’il détient.

En fait, les dévaluations successives (dont la première remonte en France à Philippe le Bel…) ont rendu pratiquement impossible un tel échange. Aucun pays ne pourrait aujourd’hui rembourser en or les détenteurs de billets. Et cela pour la simple raison que l’État, spécialiste en escroqueries de tous genres, à progressivement augmenté la circulation fiduciaire dans de telles proportions que la garantie or ne représente plus qu’une illusion.

A cela, deux raisons très différentes. La première, qui aurait pu être évitée, mais qui est inséparable de toute organisation étatique, réside dans le besoin sans cesse accru de l’État à satisfaire ses dépenses parasitaires: prestige, somptuosités, guerres, etc.). Pour se procurer les liquidités nécessaires, lorsque les impôts ne peuvent plus y pourvoir, l’État diminue la portion d’or garantissant la monnaie, ce qui lui permet d’augmenter le volume de celle-ci.
La seconde, inévitable celle-là, date du premier tiers du XXème siècle. Elle est la conséquence de l’explosion industrielle qui, en créant des marchandises à un rythme de plus en plus accéléré, a créé une richesse dont l’écoulement se serait avéré impossible si le volume de la monnaie qui en permet l’achat, n’avait pas augmenté.

Pendant des siècles, dans une économie artisanale statique, dont la production était faible, et à peu près stable, l’or a pu tenir le rôle de régulateur de l’économie. Il en va tout autrement dans une économie industrielle dynamique, en continuelle expansion. L’industrie jette journellement sur le marché une quantité croissante de produits, qui constituent en eux-mêmes une valeur. Mais ce qui en permet l’échange, l’écoulement: la monnaie, elle, est tributaire d’un métal relativement rare: l’or, qui n’augmente pas dans les mêmes proportions. D’où l’absolue nécessité pour tous les États modernes de recourir à ce qu’on appelle l’inflation et qui constitue tout simplement le moyen – frauduleux au point de vue de la stricte orthodoxie financière – de faire suivre à la monnaie la courbe ascendante de la production.

Mais, et cela explique les crises cycliques du régime capitalo-étatique, cette extension de la circulation fiduciaire n’est pas exactement synchronisée avec l’augmentation de la production, c’est-à~dire avec la richesse réelle du pays. Cette synchronisation serait d’ailleurs impossible à réaliser dans un régime où l’inégalité des rétributions et la capitalisation de l’épargne met « en sommeil », c’est-à-dire hors circuit une part importante des signes monétaires.

De telle sorte que, ou bien l’État, dominé par tendance politique conservatrice, n’augmente pas ou insuffisamment le volume des billets, et, en ce cas, les marchandises ne trouvant pas preneurs du fait de la raréfaction des moyens d’échange – la monnaie, il y a mévente, crise et régression économique. Ou bien l’État, à tendance politique progressiste, augmente trop vite le volume de la monnaie, et en ce cas, il y a une trop forte demande, les prix augmentent en flèche, dans une proportion telle que, au bout d’un temps relativement restreint, le gouvernement de « gauche » est obligé, soit de se démettre, soit de recourir lui-même à de brutales mesures de déflation.

En démocratie libertaire, il n’existe qu’une seule valeur – une seule richesse réelle – : celle des produits créés. Dès lors, la monnaie ne peut être que le reflet fidèle de cette production. Son volume doit sans cesse varier en raison de l’accroissement de cette production. La monnaie redevient ainsi un instrument d’échange travail-produit et perd toute référence à un stock d’or entreposé dans les caves d’une banque. L’or cesse d’être un étalon, ce qu’il a en fait cessé d’être depuis longtemps pour devenir simplement une marchandise comme les autres, une marchandise ayant sa valeur intrinsèque en raison de sa rareté ou de son abondance et du travail nécessaire à son extraction et à sa transformation.

Mais les produits créés n’ont qu’une durée restreinte, quoique variable. Ainsi, la nourriture est absorbée dans la journée, un costume dure quelques années, une voiture cinq ou six ans, une maison toute une vie, etc. Il faut donc créer un signe monétaire, ayant seule valeur d’échange, dont la durée, liée à la production, devra être également restreinte quoique variable. D’où le principe de la monnaie fondante, dont la durée fixée en principe à une année, pourrait être étendue par un système de renouvellement en vue de l’achat ou du règlement d’une marchandise dont la durée excède une année: voiture, maison, etc…

Mais cette « épargne » ne pourra, en aucun cas, prendre la forme d’une capitalisation. Son produit ne pourra servir qu’à acquérir la marchandise invoquée et rien d’autre. Pendant l’exercice en cours, la monnaie distribuée permet à son possesseur d’acheter ce que bon lui semble. Au-delà d’une année, elle ne permet plus que de servir à l’achat d’une marchandise déterminée à l’avance. Son non emploi à cette destination provoque son annulation.

La création et la pratique d’un tel système monétaire poseront certainement des problèmes compliqués – mais pas plus que ceux que posent actuellement une monnaie fluctuante dont la garantie or n’est plus qu’une illusion et qui oblige les spécialistes financiers à de périlleuses acrobaties journalières pour écarter la catastrophe.

Quelle qu’en soit la difficulté, la création d’une monnaie ayant exclusivement une fonction d’échange, est indispensable pour assurer à chaque membre de la communauté une liberté de choix hors de laquelle l’autonomie de l’individu serait inexistante. Sans une telle liberté de choix, qui permettra à chaque être humain d’extérioriser et de concrétiser sa personnalité, le socialisme ne serait plus qu’un collectivisme de caserne, dont la durée ne pourrait être qu’éphémère, parce qu’absolument opposé à la nature humaine.

Cependant. il va de soi qu’en société libertaire seront distribués gratuitement. sans remise d’aucune monnaie, toute marchandise que l’abondance libérera du rationnement, et tout service public d’une nécessité ou d’une utilité évidentes. Ainsi, pour citer quelques exemples, on peut concevoir la distribution gratuite du pain et des médicaments, la gratuité des services de santé et des transports urbains, métro et bus. En ce qui concerne l’habitat, on peut également envisager un service gratuit de logement en immeubles collectifs. ceux-ci étant propriété collective de la commune. Mais, dans la mesure où le pavillon individuel (rêve de presque tous les français…) ne pourrait être étendu à tous, il resterait dans les limites du rationnement, donc du choix, c’est-à-dire tributaire d’une acquisition par le moyen d’une monnaie.

LE PROBLÈME DU VOTE
Avant de conclure, je voudrais parler d’un problème qui a toujours soulevé de vives controverses au sein du mouvement anarchiste: c’est la question du vote.

On a vu qu’un régime républicain pouvait se nuancer sous trois formes différentes : en démocratie ouvertement autoritaire: ce fut le cas de la IIème République qui précéda l’Empire et c’est celui de l’actuelle Vème République; en démocratie parlementaire: c’étaient les cas de la IIIème et IVème Républiques; et, enfin, en démocratie libertaire.

Voyons la nature du vote dans les trois systèmes. Car il faut distinguer, me parait-il, entre le vote politique ou plus exactement, électoraliste, de ce que j’appellerai le vote administratif. Le premier a pour objet de nommer, par mandataires interposés, un gouvernement des hommes ; le second par mandataires directs, de pourvoir à l’administration des choses.

Le vote en démocratie autoritaire
Dans le cas, d’une république césarienne où toutes les décisions sont prises au sommet, il est bien évident que le vote est inutile, sinon pour élire l’autocrate lorsque le choix est libre – et c’est la cas actuel en France. Il s’agit alors d’un vote plébiscitaire derrière lequel l’autocrate se camoufle en démocrate. Un tel vote ne peut qu’être rejeté par tout citoyen conscient – et, en particulier, par les libertaires.
N’insistons pas sur cette mascarade démocratique et venons-en au vote en régime de démocratie parlementaire.

Le vote en démocratie parlementaire
Dans un tel régime, le citoyen électeur ne décide de rien, puisque le pouvoir lui échappe. Le suffrage universel n’a précisément, pour unique raison, que de concrétiser, d’officialiser, de légaliser cet abandon du pouvoir par le « peuple souverain ». Le rôle de l’électeur est donc passif: il consiste simplement à choisir non pas même entre différents programmes nettement définis, mais entre des séries de promesses plus ou moins vagues (on appelle cela aujourd’hui des « options »), promesses que rien n’oblige l’auteur, une fois élu, de tenir. Ce dont il ne se prive pas, au point de faire parfois exactement le contraire de ce qu’il avait promis: ainsi Guy Mollet envoyé au pouvoir par les électeurs pour y faire la paix en Algérie, y amplifia la guerre en y ajoutant par surcroit et pour faire bonne mesure, l’imbécile festival guerrier de Suez. Par contre, De Gaulle, envoyé, lui, au pouvoir par les activistes pour y maintenir l’Algérie française, la liquida brutalement après une certaine valse-hésitation. Si l’électeur, ainsi dupé et bafoué, avait un quelconque sens civique, il s’insurgerait contre de tels jeux. Mais précisément, le vote politique, en dépouillant le citoyen de tout pouvoir réel, lui retire du même coup le sens de sa responsabilité. Trompé, sa seule réaction, qui est celle d’un enfant mineur irresponsable, est alors d’accuser le tuteur – le député – au profit de qui il s’est dépouillé de son droit inaliénable de décision. Après quoi, il retourne aux urnes – ces chapeaux de prestidigitateurs d’où il ne sort régulièrement que des lapins !

Le vice, la tare du vote politique tient donc dans ce fait qu’un tel vote n’a pour unique objet que d’obtenir du citoyen un renoncement à son droit, à son pouvoir de décision: il est la négation de la démocratie. Un tel système ne peut que structurer une société hiérarchisée, verticale, au sommet de laquelle s’ installe, plus ou moins despotique, plus ou moins libéral, le gouvernement des hommes et d’où redescendent en cascades sur l’électeur ahuri les décisions autoritaires. Après la manière forte du despote qui l’ impose à coups de triques,. le suffrage universel représente la manière douce du politicien qui impose l’aliénation à coups de bulletins de vote.
Voyons maintenant ce que j’ai appelé le vote administratif.

Le vote en démocratie libertaire
En démocratie libertaire, le citoyen ne délègue pas son pouvoir de décision -son pouvoir législatif. Celui-ci demeure, à la base même, une prérogative inaliénable et indivisible. La démocratie libertaire représente donc bien la seule forme de démocratie authentique. Mais elle n’exclut pas le vote. Elle rend au contraire ce vote nécessaire, indispensable, en lui restituant – si j’ose ainsi m’exprimer – ses lettres de noblesse, c’est-à-dire son utilité et sa justification.

Je m’explique, En démocratie libertaire, la communauté refuse de se dessaisir au profit de mandataires élus de tout pouvoir de décision: il faut donc qu’elle se décide elle-même. Et cela sur deux plans: d’abord en définissant un programme, ensuite en désignant les mandataires chargés d’exécuter ce programme.

La vie communautaire exige de prendre des décisions dans tous les domaines: politique, économique, scientifique, culturel, etc. Si ces décisions ne sont pas prises au sommet, elles doivent être prises à la base. Mais il faut qu’elles soient prises- sous peine de désintégration de la communauté – et cela dans un temps nécessairement limité. Pour cela, il n’existe que deux méthodes qui d’ailleurs, ne s’opposent pas et se complètent.

La première consiste en une ample discussion entre les divers projets proposés, discussion dont l’objet est d’arriver à un compromis acceptable par tous. En ce cas, la discussion se termine par un vote unanime, ou même par une absence de vote, devenu inutile en l’absence de tout opposant.

Je le dis très sincèrement. non pour faire une concession à un certain nombre de mes camarades à qui répugnent toute idée de vote ; je considère cette solution comme étant idéale.

Je dis bien: idéale. Mais, si l’on veut rester les pieds sur la terre des hommes vivants, il faut aussi être réaliste. Or, la recherche de l’unanimité, érigée en règle absolue, représente deux dangers de paralysie sociale qui risqueraient de désintégrer toute communauté dans un temps très court.

Le premier est celui de l’inefficacité: à vouloir à tout prix synthétiser des projets contradictoires, on court le risque inévitable d’ôter à chacun d’eux ce qu’ils ont de positif pour n’en conserver que les aspects négatifs, plus facilement acceptables par tous. On aboutit alors à ces fameuses motions nègres-blancs qui ont illustré les congrès radicaux. On sait où, en un demi-siècle, cela a amené le Parti radical. Mais une société, elle, n’y résisterait pas quelques semaines.

Le deuxième danger est représenté par le temps. Les opinions sont extrêmement diversifiées et le seront encore plus lorsque les décisions à prendre le seront, non plus par un homme ou par quelques centaines d’individus, mais par plusieurs millions. Or, les nécessités de la vie sociale exigent de prendre des décisions rapides dans tous les domaines. On ne peut donc éterniser les discussions sous le prétexte de rechercher une aléatoire unanimité. Pour citer un exemple, une grande ville, telle que Paris, exige un ravitaillement quotidien: il ne saurait donc être question de discuter pendant des jours sur la meilleure méthode d’effectuer ce ravitaillement. Il faut faire un choix immédiat entre les divers projets proposés, quitte à revenir sur le problème si ce choix s’avère mauvais à l’expérience. Je le répète une fois encore: la vie est mouvement et le mouvement condamne sans appel tout immobilisme. Mieux vaut un choix mauvais, qu’une absence de choix, car le premier est réparable, alors que le second est mortel.

Or, quand après une discussion, dont la durée peut varier en fonction de l’urgence du projet discuté, mais qui, de toutes façons, doit avoir une limite, un choix s’avère indispensable entre diverses propositions, il n’y a, il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais d’autres solutions que de recourir au vote. Et il en sera de même lorsque, la décision prise, le projet adopté, il conviendra de nommer, parmi plusieurs candidats, celui ou ceux qui seront chargés de mettre à exécution cette décision.

Comment voter? De la manière la plus simple possible. Tout recours au vote représente une solution imparfaite, mais réaliste et nécessaire. Il convient donc d’adopter le système le plus simple et de s’en tenir là. « La majorité », a écrit Pierre Besnard dans son livre Le Monde Nouveau « la majorité va de la moitié plus un à l’unanimité moins un ». C’est le simple bon sens. Il ne faut pas chercher à alourdir une méthode peu maniable par des complications inutiles. Et ne pas chercher la perfection là où elle ne peut exister.

Le vote ne représente qu’un moyen – le seul – pour une communauté de se déterminer rapidement sur des problèmes urgents. Il ne faut donc pas ériger ce moyen en une méthode miraculeuse propre à résoudre toutes les difficultés. Mais, à l’inverse, il ne faut pas non plus élever le refus du vote au niveau d’un dogme qui séparerait les vrais des faux, les purs des impurs. Au niveau des hautes spéculations philosophiques, l’homme peut s’enfermer dans sa tour de cristal. Au niveau des réalités sociales, il faut se plier aux nécessités impératives qu’impose la vie collective des hommes.

Mais, en démocratie libertaire, le vote n’a ni le même sens, ni la même signification qu’en démocratie parlementaire. Le citoyen ne vote pas pour déléguer son pouvoir à des mandataires irresponsables sur de vagues promesses électorales. Son vote EST un acte de décision qui, d’une part, détermine la vie de la collectivité, d’autre part, désigne les exécuteurs chargés de mettre en œuvre sa décision. Tout jeu politique, au sens électoral de ce terme, se trouve donc exclu du vote administratif, dont le résultat est de substituer l’administration des choses au gouvernement des hommes.

Et, à moins de renoncer à assumer ses responsabilités sociales, l’homme libertaire ne peut se refuser à utiliser l’un des rouages indispensables au fonctionnement de toute vie collective.

CONCLUSIONS
Voici, très brièvement, très incomplètement, exposées les grandes lignes d’une organisation fédéraliste libertaire adaptée à l’évolution du monde moderne.
Il est bien évident qu’un tel travail nécessiterait, pour offrir un panorama complet, non pas quelques dizaines de pages, mais plusieurs centaines.
Aussi bien, mon but n’a pas été aujourd’hui de préciser dans ses moindres détails le fonctionnement d’une société fédéraliste libertaire, mais seulement d’analyser les mécanismes de base qui animent les différentes formes de démocraties: autoritaire, parlementaire, libertaire.
Certains trouveront que j’ai été trop loin, d’autres pas assez. Et ce sera sans doute vrai également. Ce qui est certain, c’est que j’accueillerai avec plaisir les critiques que ne manquera pas, je l’espère, de susciter ce travail.

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