★ Sur le délit de blasphème
" En France, le délit de blasphème n’existe plus depuis la Révolution, mais l’Organisation de la coopération islamique (OCI), qui regroupe 57 États, fait un battage du tonnerre de Dieu (c’est le cas de le dire) pour faire inscrire le blasphème parmi les crimes et délits reconnus en droit international. Cette organisation fait pression pour que l’ONU reconnaisse le concept de « diffamation des religions », une manière détournée pour imposer un « délit de blasphème ». Les pays occidentaux, l’Amérique latine et l’Afrique, s’y opposent au nom de la liberté d’expression et du droit international – mais jusqu’à quand ?
On ignore en général que le délit de blasphème existe encore en Allemagne, régi par l’article 166 du Code pénal, intitulé « Diffamation des religions, associations religieuses ou idéologiques ». Ainsi, le blasphème peut-il être puni jusqu’à trois ans d’emprisonnement s’il y a trouble de l’ordre public, mais là, reste à savoir qui décide qu’il y a trouble à l’ordre public.
L’Alsace et la Moselle ayant été occupées par l’Allemagne après la guerre franco-prussienne de 1870-1871, elles ont conservé cette disposition après leur retour à la France en 1919. C’est Bonaparte qui, en 1801, avait signé un concordat avec les trois religions – catholique, protestante et israélite. Grâce à quoi, les prêtres, pasteurs et rabbins sont payés par l’État ou, si on préfère, par nos impôts : un accord de 1993 aligne leur rémunération sur celle de la catégorie A de la fonction publique française, et ces messieurs (messieurs dames pour les protestants) peuvent même bénéficier des indemnités de chômage – mais je me demande bien à quoi peut ressembler un curé-pasteur-rabbin au chômage, sauf si tout le monde déserte les lieux de culte.
Les évêques de Metz et de Strasbourg sont nommés par le Président de la République (après accord du pape, tout de même…). Leurs équivalents protestants et juifs sont nommés par le Premier ministre – ce qui tend tout de même à accréditer l’idée que les religions ne bénéficient pas d’un traitement égal…
Bref, nos impôts paient les salaires des officiants des trois religions.
Ces précisions faites, le délit de blasphème qui n’existe pas en France (enfin, je ne sais pas comment l’appeler : la France « normale » ?) existe encore en Alsace-Moselle parce qu’ils ont gardé la loi allemande de l’époque où ils étaient Allemands.
Au Danemark, le Code criminel stipule que « celui qui publiquement raille, ou fait outrage aux doctrines de foi ou aux cultes d’une communauté religieuse légalement établie dans ce pays, est passible de prise de corps » – autrement dit de prison. Même chose en Finlande. En Espagne, l’article 525 du Code pénal interdit « les attaques portées au dogme religieux, croyances ou cérémonies ». En Irlande également, le blasphème est interdit par la constitution. Et là, on ne rigole pas avec la religion. Depuis le 1er janvier 2010 il est un délit. Le Defamation Act 2009 punit le blasphème d’une amende pouvant aller jusqu’à 25 000 euros ! Jusqu’à 2009, le droit irlandais ne protégeait que la foi catholique. Le Defamation Act 2009 a été promulgué pour couvrir les autres religions, du fait de l’immigration croissante. En Norvège, le film des Monty Python : La Vie de Brian a été interdit pendant un an grâce à une loi datant de 1930. Ce même film a été interdit 8 ans en Irlande, 11 ans en Italie, 22 ans à Jersey. Aux Pays-Bas, le Parti communiste avait tenté, en 1932, de faire interdire la célébration de Noël. Résultat : le gouvernement fit ajouter deux articles au Code pénal sanctionnant le blasphème : un à trois mois de prison et 100 à 150 florins d’amende (45 à 67 euros). Rien à voir avec les 25 000 euros de l’Irlande. La dernière fois que le blasphème a été condamné date de 1966. En Grande-Bretagne, le blasphème n’était sanctionné par la loi que s’il s’appliquait au christianisme, et en particulier à l’église d’Angleterre. La dernière condamnation pour blasphème date de 1977 lorsqu’une certaine Mary Whitehouse poursuivit le magazine Gay News pour avoir publié un poème de James Kirchup, The Love that Dares to Speak its Name, qui décrit les amours homosexuelles de Jésus avec un centurion. Lors de l’affaire des Versets sataniques de Salman Rushdie, des organisations musulmanes anglaises avaient tenté de faire condamner l’auteur en s’appuyant sur la loi existante, mais, le 9 avril 1990, la cour rejeta la requête. Le crime de blasphème n’a été aboli qu’en 2008. En Grèce, l’article 198 du Code pénal punit celui qui, en public et avec malveillance, offense Dieu de quelque manière que ce soit, et celui qui manifeste en public, en blasphémant, un manque de respect envers le sentiment religieux.
Bref, tout n’est pas joué. Les différentes Églises, celles qui étaient traditionnellement implantées, peuvent très bien tenter un retour. La prégnance croissante de la religion musulmane dans les sociétés occidentales, par la présence de nombreux immigrés musulmans – mais aussi de convertis à l’islam – fournit un allié de poids aux religions traditionnellement établies qui n’ont jamais accepté d’être remisées dans la sphère privée et qui voient là une ouverture pour repartir à la conquête des esprits et des positions stratégiques dans la société.
Le combat contre la religion n’est pas près d’être achevé. "
René Berthier
SOURCE : Le Monde Libertaire - n°1768 (5-11 mars 2015)
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