★ NI DIEU, NI PATRON, NI MARI !

Publié le par Socialisme libertaire

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« NI DIEU, NI PATRON, NI MARI ! » militantes anarchistes en Argentine (1890-1930) 

par Hélène Finet (2013)  
 

« En 1896, à la faveur du discours sur la révolution sociale prôné par des militants libertaires bien souvent échoués sur les terres argentines par un exil force, un groupe de femmes fonde à Buenos Aires le premier journal anarchiste féminin du continent latino-américain, La Voz de la Mujer. Elles exigent de pouvoir « élever [leur] voix dans le concert social et d’exiger, [disent-elles], [leur] part de plaisirs dans le banquet de la vie » [1]. À l’heure où la condition féminine est encore associée à une minorité de genre, politique et sociale, cette poignée de militantes sulfureuses rend compte de l’enfermement des femmes, qui adopte des formes variées dans la société argentine ainsi que dans les cercles contestataires, qui n’échappent pas à des mécanismes de confinement et d’exclusion. En ce sens, La Voz de la Mujer va ouvrir la voie d’une vaste exploration journalistique, littéraire et militante, à laquelle viennent se greffer bon nombre de figures incontournables de la contestation féminine. Dans l’écriture des femmes anarchistes, le questionnement idéologique sur la société capitaliste se double d’un questionnement sur la condition féminine. Femmes et anarchistes, elles sont doublement marginales à une époque où l’anarchisme est considéré comme un « venin social » [2]. Ouvrières pour la plupart, militantes, et mères [3], toutes ces libertaires qui prennent la plume ou montent à la tribune favorisent l’entrée des femmes dans l’espace public à l’image de la « Louise Michel argentine », Virginia Bolten, elles entrent dans les sociétés de résistance de la puissante Fédération ouvrière régionale argentine (FORA) [4], haranguent les foules telles Salvadora Medina Onrubia et Maria Collazo lors des manifestations « monstres » qui envahissent la capitale lors du premier quart de siècle. Comme Juana Rouco Buela, mère du très révolutionnaire journal Nuestra Tribuna (1919-1922) dont elle féconde les colonnes d’un verbe rageur, ces militantes persistent dans l’écriture féminine, au risque même de passer pour des éléments subversifs aux yeux des hommes du mouvement libertaire, qui n’hésitent pas à le leur faire savoir. Crânement, elles raillent « Anarchie et liberté… et les femmes au ménage ! » [5], et revendiquent haut et fort leur identité féminine. À la différence des militantes socialistes (Alicia Moreau ou Gabriela de Coni) dont le combat s’inscrit dans une mouvance réformatrice s’appuyant sur les lois, les militantes libertaires choisissent d’adopter un discours « contre-féministe », comme l’explique Dora Barrancos [6], afin d’accéder à une liberté capable de faire voler en éclats tous les carcans sociaux et idéologiques qui les confinent à un espace clos où elles étouffent.

Salvadora Medina Onrubia

Salvadora Medina Onrubia

Nous nous proposons ici de restituer les différents aspects et parcours de ces militantes hors normes afin de déterminer l’impact de leur discours et de leurs actions sur le terrain a une période de forte agitation sociale, tant il nous semble d’une certaine façon précurseur du combat des femmes dans l’histoire de l’Argentine au XXe siècle. Plus que jamais, elles questionnent la place des femmes dans un espace militant qui leur est si peu ouvert tout en se démarquant du féminisme classique, l’inscrivant de façon durable dans l’imaginaire social et libertaire.
 

L’avant-garde anarcho-féministe 

« Viens avec nous, Jeune fille, semer la justice
et la liberté. Viens avec nous et sois
la mère des générations du futur.
» [7]

Ana María Mozzoni
 

Dès la fin du XIXe siècle, Buenos Aires devient un haut-lieu de la mouvance anarchiste, « le siège continental et la Mecque universelle des tendances anarchistes » [8]. Les flux migratoires [9] apportent avec eux de nouveaux militants italiens, français ou espagnols qui enrichissent les formes de propagande[10] dans les secteurs ouvriers et populaires et s’enracinent durablement sur le sol argentin, permettant l’élaboration d’une culture alternative [11]. Cependant, hormis quelques exceptions, les femmes demeurent encore en marge de l’espace public. Dans les cercles littéraires et mondains et les cafés de la bohemia, la fréquentation est presque exclusivement masculine [12]. C’est alors qu’un certain nombre de militantes décident de s’inviter aux débats politiques. Cette avant-garde révolutionnaire d’un autre genre adopte un discours assimilant les questions de classe et les questions de genre, qui se matérialise dans la publication de brochures, d’articles ou de journaux féminins. Dès 1895, la rédaction de la bibliothèque de La Questione Sociale, revue créée sous l’influence de l’Italien Malatesta [13] , publie une série de brochures intitulées Propagande anarchiste entre femmes qui paraissent jusqu’en 1897 et défendent l’émancipation économique, politique et religieuse de la femme. Pour les anarchistes, la fameuse « question sociale » [14] est indissociable de la « question féminine ». La première brochure, A las hijas del pueblo, est l’œuvre de la libertaire italienne Ana Maria Mozzoni, responsable de la publication. Elle est suivie de A las muchachas que estudian, de La religión y la cuestión social, et de A las Proletarias signée par l’Espagnole Soledad Gustavo [15] , mère de Federica Montseny et future collaboratrice du journal La Voz de la Mujer, et la quatrième, Un episodio de amor en la Colonia socialista de Juan Rossi, aborde le thème de l’amour libre. Le message est essentiellement antipatriotique, anticlérical, anticapitaliste. Suite à cette initiative, des groupes de femmes apparaissent à Buenos Aires en 1895, notamment Humanité libre et Quelques Femmes insouciantes [16]

Par ailleurs, certains hommes manifestent leur intérêt pour la question féminine, et parmi eux le docteur Emilio Arana [17] qui donne plusieurs conférences dans la province de Santa Fe sur l’émancipation des femmes. La bibliothèque Science et Progrès de Rosario, autre pôle anarchiste de premier plan [18] les publie sous forme de brochures largement diffusées dans les milieux libertaires. Prenant le contre-pied du discours hygiéniste qui criminalise l’hétérodoxie anarchiste [19], Arana défend l’union libre et la liberté sexuelle de la femme dans La Mujer y la familia [20], et fustige l’institution matrimoniale dans Esclavitud antigua y moderna [21]. Dans la presse anarchiste des années 1890, des journaux emblématiques tels que El Oprimido ou encore Germinal manifestent eux aussi leur préoccupation pour la question féminine, Germinal comptant même une section « Féminisme ». Toutefois, relevons que bon nombre de ces articles sont écrits sous des pseudonymes, derrière lesquels se cachent bien souvent des hommes. Il est temps pour les femmes de créer leur propre presse.

Le 8 janvier 1896 paraît donc le premier numéro La Voz de la Mujer, premier journal anarcho-féministe du continent latino-americain [22], écrit par et pour les femmes, et dont l’emblématique slogan « Ni dieu, ni patron, ni mari » témoigne de la radicalisation du mouvement. La Voz tire entre 1 500 et 2 000 exemplaires et compte 9 numéros jusqu’au 1er janvier 1897. Ses rédactrices, Josefa Calvo, Teresa Marchisio, María Calvia, Virginia Bolten, Pepita Gherra, Josefa Martínez, Carmen Lareva, Rosario de Acuña, Luisa Violeta, proviennent des communautés espagnoles et italiennes de Buenos Aires et s’adressent aux ouvrières [23]. Le journal bénéficie en outre de la collaboration fort précieuse de compañeras espagnoles de premier plan (Teresa Claramunt, Belén de Sarraga, Soledad Gustavo…) tout en publiant Emma Goldman [24] ou Louise Michel, icônes de l’anarcho-féminisme international. La Voz se réclame du communisme anarchique théorisé par Kropotkine dans les années 1880-1890, et n’exclut pas le recours à la violence, donnant ainsi à ses propos un caractère particulièrement combatif. Seule la révolution sociale est capable à leurs yeux de « balayer le clergé, le gouvernement, l’autorité, le capitalisme, les codes, les lois, la magistrature, et toute cette phalange de fainéants qui ne produisent rien et qui profitent de tout sur notre dos » [25]. Pour ces femmes, l’intégration à la lutte sociale passe par le journalisme militant.

Virginia Bolten

Virginia Bolten

L’écriture féconde 

Rappelons, à l’instar de Michelle Perrot, que l’écriture est avant tout perçue comme une nécessité et une forme de libération pour ces femmes qui font irruption dans l’espace public : « L’apprentissage de l’écriture publique des femmes est au cœur du féminisme et s’avère essentiel dans la lutte contre l’oubli et l’éphémère. » [26] L’expérience, bien que trop brève, de La Voz de la Mujer a marqué les militantes, qui ne tardent pas à reprendre le flambeau. En 1914, Salvadora Medina Onrubia rejoint la rédactlon du célèbre quotidien anarchiste fondé en 1897, La Protesta [27], devenant ainsi la première collaboratrice régulière du journal [28]. Dans les colonnes de La Protesta, Salvadora évoque la noblesse de la vocation journalistique contre le mensonge et l’hypocrisie des organes de presse sous influence du pouvoir [29]. Et la motivation première de toutes ces femmes trouve son origine dans ce désir fécond de justice sociale, au-delà des distinctions de classe. En ce sens, en fondant le journal Nuestra Tribuna en 1919 à Necocheca, Juana Rouco affirme :

« Nous considérions le journal comme une arme et nous nous en sommes servi. Tâche oh combien difficile ! Prendre la plume, nous qui ne sommes jamais entrées dans aucune salle de classe à l’université, et qui sommes de simples prolétaires, filles de la misère et de la faim. [30]»

La récurrence de ce « nous » collectif dans la presse libertaire féminine identifie plus que jamais l’énonciateur du message et son destinataire, au-delà du discours de classe. Si les rédactrices de Nuestra Tribuna sont capables de prendre la plume, alors pourquoi pas d’autres ?

Et certaines vont plus loin. Salvadora Medina Onrubia s’essaie à l’écriture théâtrale. Rappelons que, chez les anarchistes, le théâtre occupe une place de choix dans l’éventail des représentations culturelles destinées à la diffusion de la culture libertaire. Gorki, Ibsen, Mirbeau ou Pérez Galdos font les belles heures des veillées dans les centres ouvriers à la Belle Époque. Parallèlement, on assiste au développement d’une scène théâtrale anarchiste qui remporte un franc succès dans la capitale grâce, notamment, à l’Uruguayen Florencio Sánchez [31], mais aussi à José de Maturana [32] ou à Rodolfo González Pacheco [33]. C’est alors que Salvadora Medina Onrubia publie en 1914 Alma Fuerte. Elle symbolise l’irruption sur la scène porteña (de Buenos Aires) d’une véritable écriture théâtrale féminine. Selon Silvia Saitta, Salvadora Medina Onrubia entreprend de « construire littérairement l’image d’une femme différente » [34] tout en questionnant le modèle culturel dominant. Lors de la première de la pièce le 10 juillet 1914 au prestigieux théâtre Apolo par la compagnie Gámez Rossich (María Gámez [35] est l’une des seules femmes de la scène porteña à diriger sa propre compagnie), La Protesta salue son style dont l’impact est saisissant [36]. Alma fuerte renvoie aux luttes ouvrières et dénonce les injustices sociales qui avilissent la condition féminine. La pièce met en scène Elisa, repasseuse, et son fiancé, militant anarchiste qui participe activement aux luttes ouvrières. Ce dernier est exilé, victime de la loi de défense sociale [37] promulguée en 1910 et qui permet à l’État d’expulser les éléments anarchistes d’origine étrangère. Discours social et discours de genre sont donc indéfectiblement liés. La production théâtrale de celle qu’on surnomme la « Vénus rouge » [38] dans les milieux culturels de la capitale se complète avec La Solución, Un Hombre y su vida ainsi que la très autobiographique Las Decentradas (1929). Toutes ces Pièces figurent parmi ses productions les plus marquantes et les plus controversées, transgressant les stéréotypes féminins de la production littéraire de l’époque et questionnant la binarité des conventions sexuelles. Ceci lui vaudra d’ailleurs une certaine incompréhension des éléments les plus orthodoxes du mouvement libertaire [39], qui éprouvent parfois des réticences à l’encontre de la parole des femmes.

L’actrice Gloria Ferrandiz, tête d’affiche de la pièce Las Descentradas écrite par Salvadora Medina Onrubia.

L’actrice Gloria Ferrandiz, tête d’affiche de la pièce Las Descentradas écrite par Salvadora Medina Onrubia.

Briser les tabous 

Si les mouvements contestataires fondent leur action sur un discours révolutionnaire, force est de reconnaître que les cercles militants demeurent principalement masculins. En dépit de leurs efforts, les femmes se heurtent bien souvent à l’incompréhension des éléments masculins du mouvement anarchiste, et les femmes de La Voz de la Mujer essuient les critiques provenant de leur propre camp dès la publication du premier numéro en 1896 [40]. Elles leur répondent en les traitant de « faux anarchistes » et leur rétorquent :

« Nous, femmes maladroites, nous avons aussi le sens de l’initiative, celle-ci étant le fruit de notre pensée, vous savez ; nous aussi, nous pensons. [41] »

Qualifiées de « plume et langue féroces » [42], les rédactrices se lancent dans une polémique avec leurs « ennemis » par presse interposée. La polémique se poursuit, notamment à l’occasion de la parution d’un article concernant l’une des collaboratrices de La Voz, Anita Lagouardette [43] qui dénonce le comportement machiste et violent de son ex-époux, Francisco Denambride [44], lui-même militant anarchiste. De façon générale, bien des militantes reprochent aux hommes qui se prétendent anarchistes de ne pas appliquer les principes qu’ils défendent dans leur propre foyer 45]. C’est pourquoi même chez les anarchistes la participation des femmes aux luttes sociales reste encore anecdotique à l’orée du XXe siècle, tant les mentalités évoluent lentement. Conscients de cette difficulté, les adhérents de la puissante FORA tentent d’y remédier en abordant dans un premier temps le problème du travail des femmes dans leurs congrès de 1901 à 1903. La question de l’émancipation féminine n’est évoquée que dans le congrès de 1904, et c’est lors de l’historique congrès de 1905 [46] que l’on demande à la femme qu’elle « accompagne l’homme dans la lutte pour l’émancipation » [47]

Parallèlement, les femmes ne tardent pas à s’organiser, puisque l’Espagnole Juana Rouco Buela fonde en 1907 le premier Centre féministe anarchiste, qui compte 19 membres, dont Maria Collazo et Virginia Bolten [48]. Plus que jamais, les femmes sont invitées à rejoindre les rangs de la révolution car, comme le réaffirme plus tard Juana Rouco Buela, « une femme émancipée est le bras droit de son compagnon » [49]

Juana Rouco Buela

Juana Rouco Buela

Pasionarias
 

« Le rebelle d’aujourd’hui est le rédempteur de demain, celui qui prépare avec son sang le chemin du futur. »

Salvadora Medina Onrubia, La Protesta, 30 avril 1923

Occuper l’espace public constitue l’un des défis majeurs des anarcho-féministes. Le monde ouvrier auquel s’adressent les militantes est dominé par la virilité. Si elles gravitent autour des hommes lors des mouvements de grève ou des veillées dans les associations de quartier, leur participation aux formes de contestation ouvrière tarde à se matérialiser. Plus encore, le droit des femmes au travail ne va pas de soi dans une société fondamentalement patriarcale. Le médecin de sensibilité socialiste Juan Bialet Massé, auteur d’un rapport sur les classes ouvrières au début du siècle, explique même que les femmes concurrencent les hommes sur le plan du travail [50]. Dans ces conditions, il n’existe pas de réelles formes de sociabilités féminines dans les secteurs populaires et ouvriers. Dans la rue ou les cafés [51], les seules femmes que l’on croise sont des prostituées. C’est en accédant à une visibilité tangible dans l’espace public que les femmes pourront faire entendre leurs voix. C’est ainsi que certaines militantes s’exposent au regard des autres en prenant publiquement la parole : Virginia Bolten, Maria Collazo ou encore Salvadora Medina Onrubia se distinguent dans les meetings anarchistes. Dans un monde ouvrier et syndical qui reste une affaire d’hommes, ces femmes qui assistent à des réunions publiques ou qui versent activement dans le militantisme sont considérées comme marginales. Pour elles, il s’agit au contraire d’une renaissance. Comme l’évoque alors Michelle Perrot au sujet de l’expérience européenne, « dans l’espace interdit du meeting, elles découvrent l’ivresse de la parole et de la communion » [52]. Les sociabilités militantes, l’expérience de la foule avec laquelle on fait corps, le « tribalisme joyeux » sont autant d’éléments indissociables de cette fameuse culture de la contestation si caractéristique ici de l’anarchisme argentin. Dans l’imaginaire libertaire argentin, elle trouve son essence dans la sacralisation de l’acte de grève et de la manifestation de rue, qui deviennent mythiques. Et pour les femmes, cette subversion mise en action atteint ici un degré particulièrement élevé. En définitive, il s’agit bien là d’une expérience ultime qui transgresse la norme sociale, comme l’explique Michelle Perrot : « Oser faire grève, c’est braver l’opinion publique, sortir de l’usine, c’est se comporter en fille publique. [53] » Et en Argentine, la première à franchir ce pas, c’est l’Uruguayenne Virginia Bolten, militante débordante d’énergie que les socialistes qualifient volontiers de « grossière, vulgaire et violente » [54]. Ses talents d’oratrice lui valent le surnom de « Louise Michel », elle qui prend la parole pour la première fois lors de la manifestation du 1er mai 1890. En 1902, elle entame une tournée de propagande dans tout le pays, et les rédacteurs du quotidien anarcho-communiste La Protesta Humana [55] s’émerveillent :

« Si seulement nous comptions dans nos rangs beaucoup d’autres compagnes du beau sexe qui possèdent l’enthousiasme et la constance de celle-là ! [56] »

Expulsée par la loi de résidence en 1902, elle revient à Buenos Aires en 1904, où elle rejoint le comité de grève de la FOA [57]. Ne connaissant point le repos, elle prend part activement à la « grève des locataires » dans la capitale en 1907, lutte de longue haleine au cours de laquelle les femmes s’illustrent tout particulièrement [58].

L’autre représentante incontournable de cette mouvance anarcho-féministe est sans nul doute Salvadora Medina Onrubia, considérée comme l’une des initiatrices d’un féminisme radical pour l’époque [59]. Le physique de la « Vénus Rouge » contraste singulièrement avec le reste des militantes anarchistes qui s’étaient jusqu’à présent illustrées dans les grèves, meetings et autres réunions, et notamment avec la très masculine Virginia Bolten.

C’est très précisément le 1er février 1914, que Salvadora accède au rang de pasionaria anarchiste. Lors d’un meeting organisé par La Protesta contre la politique répressive du gouvernement, elle s’invite sur une estrade improvisée aux coins des rues Mexico et Paseo Colón. Arborant un foulard noir dévoilant publiquement son appartenance politique, elle exige même de prendre la tête de la manifestation [60].

« Je suis avec vous, avec les anarchistes, ceux qui doivent marcher en avant, la poitrine découverte, bravant le danger, sans que leur importe de mourir pour notre bel idéal. Je donnerai l’exemple […] c’est pourquoi je réclame le droit de marcher avec mes compagnons, en tête, en brandissant le drapeau rouge, qui est semblable au feu des cœurs. [61] »

Salvadora Medina Onrubia devient une habituée des manifestations au cours de la deuxième décennie, notamment lors de l’explosion sociale de la Semaine tragique [62] qui met la capitale à feu et à sang et rend compte une nouvelle fois du rôle prépondérant des femmes dans les luttes sociales [63]. 
 

Le contre-féminisme

« Le féminisme ne peut en aucun cas être un mouvement anarchiste […], il est stupide de qualifier l’anarchisme de masculin ou de féminin. La seule différence qu’il y a entre nous et les hommes, c’est le sexe. »

Nuestra Tribuna, no 2, 1er septembre 1922
 

La nouveauté introduite dans le discours des femmes anarchistes correspond à ce rejet si particulier du féminisme, considéré comme une valeur bourgeoise. Elles se distinguent ainsi des militantes socialistes et transgressent les codes du féminisme en adoptant ce que Dora Barrancos appelle le « contre-féminisme »[64], en s’appuyant sur l’idée qu’« il n’y a pas d’émancipation de la femme. L’émancipation que nous, femmes libres, nous encourageons, est sociale, clairement sociale » [65]. En ce sens, la militante et journaliste Juana Rouco (Nuestra Tribuna) dénonce l’opportunisme politique des socialistes qui militent pour l’égalité hommes-femmes et le droit de vote :

« Conquérir pour la femme les mêmes droits que pour l’homme au regard de la loi et de la politique électorale est un but trop pauvre […] le féminisme est un parti politique essentiellement bourgeois qui poursuit un but intéressé, en même temps qu’il pervertit le cœur et la mentalité féminine par le biais de la politique castratrice. [66] »

Et c’est précisément cette idée que l’on retrouve dans le discours d’une des héroïnes de Salvadora Medina Onrubia :

« Nous ne voulons pas les droits des hommes. Qu’ils se les gardent. Savoir être femme est admirable. Et nous, nous n’aspirons qu’à être des femmes dans toute notre splendide féminité. [67] »

C’est pourquoi toutes ces militantes encouragent les femmes à former des collectifs et à publier des revues, brochures, à organiser des conférences dans le seul but de créer une authentique culture féminine comme le réclame Juana Rouco Buela [68]. De plus en plus, les femmes revendiquent haut et fort leur indépendance, à l’instar de Pepita Guerra qui affirme clairement : « Je ne veux être la boniche d’aucun homme. [69] »

Femmes et anarchistes, certes, mais conscientes que la collaboration entre les sexes est une nécessité dans la lutte pour la révolution sociale. Telles sont les recommandations de Juana Rouco Buela, qui milite par ailleurs dans la FORA, et théorise la relation entre les femmes et la politique dans les rangs anarchistes : « Organisons-nous en corporations et de façon anarchiste, mais sans distinction de sexe. [70] » Par ailleurs, Juana Rouco Buela interpelle toutes les femmes, sans hésiter à bousculer les ouvrières, les militantes et les intellectuelles en les plaçant face à leurs responsabilités :

« Où sont les compagnes des anarchistes, on ne les voit nulle part […]. Ne sentez-vous pas, vous aussi, tas informe de femmes exploitées, le poids des ignominies bourgeoises ? Et vous autres « intellectuelles », ou êtes-vous, vous qui ne contribuez pas à élever la décadence mentale des femmes ? [71] »

Adhérer à la lutte devient donc une nécessité. Dans les années 1920, d’autres militantes manifestent un engagement total, dans le sillage de leurs « mères » libertaires. Citons ici l’une d’entre elle, Josefina América Scarfo, compagne inséparable du sulfureux anarchiste italien Severino Di Giovanni [72], qui met sa vie « au service de l’idéal », tentant de réaliser son but ultime :

« Créer : l’impossible. Conquérir : l’intangible. Aimer : la vie. Pour but : l’idéal. [73]»

En définitive, il est fort probable que, sans l’action déterminée de ces combattantes infatigables, la question féminine n’aurait pas reçu le traitement et l’attention qu’elle méritait et n’aurait certainement pas permis l’éclosion parallèle d’autres formes de luttes contre l’enfermement des femmes dans la société argentine contemporaine. Plus que jamais, les militantes anarchistes ont contribué à élargir la praxis libertaire en la rendant cohérente avec une théorie parfois bien orthodoxe. Ce qui importe par-dessus tout c’est finalement de « prendre part au grand conflit social, comme éducatrice, comme mère, comme propagandiste » [74]. »

HÉLÈNE FINET
Université de Paris VII,
laboratoire ICT EA 337

Tiré du livre :

Viva la Social ! Anarchistes & anarcho-syndicalistes en Amérique Latine (1860-1930)
Co-éditions América libertaria
Paris (France), 2013 - 249 p.

NOTES :
 

[1]. Nuestros propósitos », La Voz de la Mujer, no 1, 5 janvier 1896.

[2]. Dora Barrancos, Inclusión/Exclusión. Historia con mujeres, Buenos Aires, FCE, 2001, p. 29.

[3]. Sur le rapport entre politique et maternité voir Marcela Nari, Políticas de maternidad y maternalismo político, Buenos Aires 1890-1940, Buenos Aires, Biblos, 2005.

[4]. La FORA, organisation anarchiste ouvrière, domine le mouvement ouvrier durant le premier quart de siècle en Argentine, son histoire étant ponctuée de ruptures diverses. Voir Edgardo Bilsky, La FORA en el movimiento obrero, Buenos Aires, CEAL, 1985.

[5]. La Voz de la Mujer, no 2, 31 janvier 1896.

[6]. Dora Barrancos, Anarquismo, educación costumbres en la Argentina de principios de siglo, Buenos Aires, Contrapunto, 1990.

[7]. Ana Maria Mozzoni, A las muchachas que estudian, Buenos Aires, Biblioteca La Questione Sociale, 1895, p. 11.

[8]. Juan Carulla, Al filo del medio siglo, Buenos Aires, Editorial Llanura, 1951, p. 79.

[9]. Fernando Devoto, Historia de la inmigración en la Argentina, Buenos Aires, Sudamericana, 2004.

[10]. Pour un panorama complet sur la question voir Ricardo Falcon, La Primera Internacional y los orígenes del movimiento obrero en Argentina (1875-1879), CEHSAL, Cuarderno no 2, 1980 ; Iaàcov Oved, El anarquismo y el movimiento obrero en Argentina, Buenos Aires, Siglo XXI, 1978 ; Hélène Finet, « Identité culturelle et politique du monde ouvrier argentin, fin XIXe-début XXe », L’Identité culturelle dans le monde luso-hispanophone, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2006, pp. 239-252.

[11]. Juan Suriano, Anarquistas, cultura y política libertaria en Buenos Aires, 1890-1910, Buenos Aires, Manantial, 2001.

[12]. Vicente Martinez Cuitiño, dans son récit autour du café des Inmortales, haut-lieu de la bohemia au début du siècle, mentionne la présence d’Angela Tesada, « la seule femme du café […] qui aime lire, étudier, discuter, fumer ». Vicente Martinez Cuitiño, El Café de Los Inmortales, Buenos Aires, Guillermo Kraft, 1954, p. 25.

[13]. Anarchiste italien à l’origine de la théorie de la « propagande par le fait ». Persécuté par les autorités italiennes après l’épisode du Bénévent, il s’exile en Argentine dans les années 1880 et joue un rôle déterminant dans l’organisation du mouvement ouvrier et anarchiste, avant de repartir en Europe.

[14]. Juan Suriano (comp.), La cuestión social en Argentina, 1870-1943, Buenos Aires, La Colmena, 2000.

[15]. Elle utilise alors le pseudonyme de Teresa Mañé.

[16]. Gonzalo Ruvira Zaragoza, Anarquismo argentino, 1876-1902, Madrid, Ediciones de la Torre, p. 440.

[17]. À noter aussi, parmi les contributions masculines, la conférence de l’orateur anarchiste italien Pietro Gori, lors de son séjour en Argentine, en 1900, publiée ultérieurement par la maison d’édition de l’anarchiste italien Severino Di Giovanni, La donna e la famaglia conferenza tenuta in Buenos Aires nell’antico Teatro Iris il 25 novembre 1900, Buenos Aires, Culmine, 1927.

[18]. L’historien Ricardo Falcon la qualifie de Barcelone argentine. Ricardo Falcon, La Barcelona argentina. Migrantes, obreros y militantes en Rosario (1870-1912), Rosario, Laborde, 2005. Sur l’anarchisme à Rosario voir également les travaux de Agustina Prieto, notamment « Rosario, 1904 : cuestión social, política y multitudes obreras », Estudios sociales, Año X, no 19, Santa Fe, 2000, pp.105-119.

[19]. Voir notamment Patricio Geli, « Los anarquistas en el gabinete antropométrico. Anarquismo y Criminología en la sociedad argentina », Entrepasados, Año II, no 2, Buenos Aires, 1992, pp.7-24

[20]. Emilio Arana, La Mujer y la familia, Rosario, Biblioteca Ciencia y Progreso, 1897.

[21]. Emilio Arana, Esclavitud antigua y moderna, Rosario, Biblioteca Ciencia y Progreso, 1898.

[22]. Sur la question du militantisme féministe dans le Cône Sud, voir Asunción Lavrin, Women, feminism and social change in Argentina, Chile and Uruguay (1890-1940), Lincoln, University of Nebraska, 1996.

[23]. Le taux d’analphabétisme demeure particulièrement élevé, rendant ainsi plus difficile l’impact du discours révolutionnaire. Voir María del Carmen Feijoo, Marcela Nari, « Imaginando el lector/la lectora de La Voz de la Mujer », Lea Fletcher, (comp.) , Mujeres y cultura en la Argentina del Siglo XIX, Buenos Aires, Feminaria, pp. 276-284.

[24]. Emma Goldman fonde Mother Earth en 1905.

[25]. La Voz de la Mujer, no 3, 20 février 1896.

[26]. Michelle Perrot, « Sortir », in Georges Duby, Michelle Perrot, Histoire des femmes en Occident. IV. Le XIXe siècle, Paris, Tempus Histoire, p. 583.

[27]. Littéralement, « la protestation ».

[28]. Avant elle, Juana Rouco collabore à La Protesta en 1907, alors que le journal est dirigé par Alberto Ghiraldo.

[29]. La Protesta, 5 février 1914.

[30]. Nuestra Tribuna, Año I, no 1, 15 août 1925.

[31]. Sur Florencio Sánchez, voir Eva Golluscio de Montoya, « Sobre iLadrones ! (1897) y Canillitas (1902-1904) : Florencio Sánchez y la delegación de poderes », Gestos, no 6, novembre 1988, pp. 87-97. Roberto Giusti, Florencio Sánchez su vida y su obra, Buenos Aires, 1920.

[32]. José de Maturana, Gentes Honradas, Buenos Aires, Centro de Educación Popular, 1907 ; La Flor del trigo, Buenos Aires, Pascual Mediano, 1909.

[33]. Rodolfo Gonzalez Pacheco, Teatro Completo, Buenos Aires, La Obra, 1953.

[34]. Sylvia Saitta, « Anarquismo, teosofía y sexualidad : Salvadora Medina Onrubia », Mora, UBA, no 1, 1995, p. 55.

[35]. Beatriz Siebel, Historia del teatro argentino. Desde los rituales hasta 1930, Buenos Aires, Corregidor, p. 486.

[36]. La Protesta, 18 janvier 1914.

[37]. Elle renforce la loi de résidence de 1902 qui avait déjà décimé une partie des militants les plus actifs du mouvement anarchiste. Cette loi visait à expulser les anarchistes d’origine étrangère qui mettent en péril la sécurité de l’État. De nombreux anarchistes trouvent refuge à Montevideo, qui devient un autre pôle incontournable du militantisme anarchiste dans le Rio de la Plata. En dépit de ces obstacles, le courant anarchiste se reconstitue néanmoins rapidement et participe aux événements de la Semaine rouge en mai 1909 puis aux manifestations contre la célébration du centenaire de l’Indépendance en 1910 qui s’achèvent également dans un bain de sang.

[38]. Cristina Guzzo, Las Anarquistas rioplatenses (1890-1990), Phoenix, Orbis Press, 2003, p. 69.

[39]. A ceci s’ajoute bien évidemment le fait qu’elle épouse le très charismatique Natalio Botana, fondateur du très populaire journal Crítica, qui la fait pénétrer dans les cercles bourgeois de la culture porteña.

[40]. Juana Rouco Buela, en publiant Nuestra Tribuna entre 1919 et 1922 à Necochea, rencontre les mêmes problèmes : « Il y en eut beaucoup qui augurèrent de sa disparition rapide, car il était quichottesque de publier un journal anarchiste, écrit et dirigé par des femmes, mais ce fut une réalité qui vécut de façon bimensuelle pendant trois ans, et qui réveilla l’enthousiasme des femmes du monde. » Juana Rouco Buela, Historia de un ideal vivido por una mujer, Buenos Aires, Reconstruir, 1964, p. 30.

[41]. La Voz de la Mujer, no 2, 31 janvier 1896.

[42]. La Voz de la Mujer, no 3, 20 février 1896.

[43]. La Voz de la Mujer, no 5, 15 mai 1896. Denambride reçoit Anita Lagouardette, venue récupérer des effets personnels suite à leur séparation à coups de feu ; les rédactrices de La Voz s’en prennent aux défenseurs du « prétendu anarchiste ».

[44]. Immigré italien, Francisco Denambride appartient successivement aux groupes Amor Libre et La Expropriación. D’une autre union, il aura une fille prénommée Anarquia. Horacio Tarcus, Dictionario biográfico de la izquierda argentina. De los anarquistas a la « nueva izquierda » (1870-1976), Buenos Aires, Emecé, 2007, p. 181.

[45]. Nuestra Tribuna, no 5, 15 octobre 1922. Voir aussi l’éditorial du no 6, 31 octobre 1922, « La collaboration de la femme à la lutte sociale ».

[46]. Congrès au cours duquel est théorisé le communisme anarchique, qui fonde les principes de l’organisation anarchiste ouvrière et la distingue ainsi du syndicalisme révolutionnaire qui commence à émerger en Argentine.

[47]. FORA, Acuerdos y declaraciones, op. cit.

[48]. La lutte qui s’engage pour la captation des secteurs populaires entre socialistes et anarchistes trouve ainsi un écho chez les militantes féminines. Dans les rangs socialistes, Carolina Muzzili soutient la grève des lavandières dès 1895, puis quelques années plus tard Cecilia Grierson, Gabriela Lamperiere de Coni, Julieta Lantieri, Alicia Moreau se lancent dans le combat pour le vote des femmes et créent le Centre socialiste féminin en 1906.

[49]. Nuestra Tribuna, no 5, 15 octobre 1922.

[50]. Juan Bialet Massé, Las Clases obreras en Argentina a principios de siglo, Córdoba, Universidad Nacional de Córdoba, 1904, p. 424.

[51]. Sandra Gayol, Sociabilidad en Buenos Aires. Hombres, honor y cafés, 1862-1910, Buenos Aires, Signo, 2000.

[52]. Michelle Perrot, op. cit., p. 551.

[53]. Ibid., p. 550.

[54]. La Vanguardia, Buenos aires, 23 août 1902.

[55]. Le quotidien devient La Protesta en 1904.

[56]. La Protesta Humana, Buenos Aires, 5 mars 1902.

[57]. La Fédération ouvrière argentine, créée en 1901, devient la Fédération ouvrière régionale argentine en 1904.

[58]. Mabel Belluci, Cristina Camusso, La Huelga de inquilinos de 1907. El papel de las mujeres anarquistas en la lucha, Buenos Aires, Cuadernos de Cisco, no 58, 1987.

[59]. Angel Capelletti, Carlos Rama, El Anarquismo en América Latina, Caracas, Biblioteca Ayaucho, 1990, XLVIII (prologue).

[60]. Au cours des années 1910, les femmes prennent la tête de manifestations anarchistes et socialistes à plusieurs reprises.

[61]. La Protesta, 3 février 1914.

[62]. Josefina Delgado, Salvadora, la dueña del diario Critica, Buenos Aires, Sudamericana, pp. 42-44. Alors enceinte de sa fille, dans le tumulte d’une manifestation faisant suite à l’enterrement des ouvriers massacrés de l’usine Vasena, elle égare son fils, retrouvé par la suite dans le local syndical de la rue México 2070.

[63]. Victor Garcia Costa, « La solidaridad femenina en la Semana trágica », in Todo es Historia, no 390, 1999.

[64]. Dora Barrancos, Mujeres en la sociedad argentina. Una historia de cinco siglos, Buenos Aires, Sudamericana, 2007, pp. 129-132.

[65]. Phrase qui figure en dessous du titre de la publication de Juana Rouco Buela, Nuestra Tribuna (1922-1925).

[66]. Juana Rouco Buela, Mis Proclamas, s.l. , Lux, s.d., pp. 12-13.

[67]. Salvadora Medina Onrubia, Las decentradas y otras piezas teatrales, Buenos Aires, Biblioteca Nacional, 2007, p. 119.

[68]. Juana Rouco Buela, op. cit, p. 13.

[69]. La Voz de la Mujer, no 2, 31 janvier 1896.

[70]. Nuestra Tribuna, no 2, 1er septembre 1922.

[71]. Juana Rouco Buela, Mis Proclamas, op. cit, p. 6.

[72]. Elle n’a que 14 ans quand elle le rencontre en 1926. Voir le témoignage de América Scarfo dans le documentaire de Leonardo Fernandez, Anarquistas, II, Martires y vindicadores (1919-1931), 2005 (scénario de Osvaldo Bayer). Suite à l’arrestation puis à l’exécution de Di Giovanni en 1931, elle continue de diffuser l’anarchisme en créant notamment en 1943 avec son époux Domingo Landolfi la librairie et la maison d’édition Americalee, qui publie les grands auteurs du socialisme libertaire.

[73]. Lettre de Severlno Di Giovanni à América Scarfo, 6 mai 1929, citée par Osvaldo Bayer, Severino Di Giovanni, el idealista de la violencia, Tafalla, Txalaparta, 2000, p. 216.

[74]. Nuestra Tribuna, no 18, 1 er mai 1923.
 

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