★ ÉCOLO-SCEPTICISME : À QUI PROFITE LE DOUTE

Publié le par Socialisme libertaire

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« Catastrophisme ou anesthésie ?

D’aucuns prétendent que la société se trouve soumise à une offensive catastrophiste, livrée à un goût macabre pour les pronostics les plus sombres, en proie à un gouvernement par la peur. Certes des écologistes ont commis des erreurs d’appréciation dans leurs hypothèses, prêtant le flanc à une critique facile. Certes aussi, les politiciens s’y entendent, lorsque la situation l’exige, à exacerber les craintes, à jouer sur le registre de l’émotion. Mais, s’agissant des questions écologiques, c’est plutôt le phénomène inverse qu’il faut dénoncer à l’encontre des détenteurs du pouvoir. Combien de censeurs, combien d’autruches pour un lanceur d’alerte ?
L’attitude majoritaire, chez les dirigeants, ne consiste-t-elle pas à nier l’évidence, à rassurer à tout prix, à minimiser les risques, à masquer les périls, à voiler les avertissements, à dissimuler les signaux qui clignotent, à étouffer les alarmes qui se multiplient, quitte à infantiliser l’individu ? Quand les académiciens arrogants taisent les menaces et les dégâts des nitrates, de la dioxine, de l’amiante, du nucléaire, des OGM ou des nanotechnologies, défendant ouvertement les intérêts des industriels, s’attachent-ils à alerter ou à endormir ? Faut-il rappeler que l’Académie de médecine estime que le principe de précaution constitue « une pression dangereuse sur la décision politique », « un obstacle à la démarche scientifique et aux innovations technologiques » ?
Combien de chercheurs ont vu leur carrière brisée parce qu’ils s’obstinaient à crier la vérité, à démontrer la toxicité d’un produit, à mesurer l’impact d’une pollution ? S’il fallait véhiculer la peur, on les aurait encouragés. Faudrait-il passer sous silence le sort réservé, entre autres, à Christian Vélot, enseignant-chercheur en génétique moléculaire, qui anime sur son temps personnel de nombreuses conférences à destination du grand public sur le thème des OGM, c’est-à-dire dans un domaine où l’obscurité et l’opacité sont de règle ? Nombreuses pressions matérielles, confiscation des crédits, privation d’étudiants stagiaires, menace d’un déménagement manu militari.
Comment réagissent les pouvoirs publics à chaque scandale (sang contaminé, vache folle, hormone de croissance…), sinon par une tentative d’étouffer l’affaire ? Il est curieux de constater que le fait de procéder à un inventaire des dangers encourus afin de prendre des mesures salutaires destinées à atténuer ou à éviter des incidences fâcheuses provoque la mise à l’index sous l’appellation « catastrophisme », c’est-à-dire un terme à connotation négative, alors que le fait de refuser ou de négliger d’envisager des situations (très) préoccupantes ne semble pas présenter les mêmes tares ! Et si l’optimisme n’était que le déni de la réalité allié à une espérance religieuse dans le progrès technique ?

Ecolo-facho ?

De la même manière, certains – les mêmes ? – ne manquent jamais de discerner un nazi derrière chaque défenseur des baleines, d’établir, comme l’explique Bertrand Méheust (La politique de l’oxymore, la Découverte, 2009), une filiation entre le souci de la nature affiché par les nazis et les préoccupations de l’écologie, le but étant clairement de délégitimer cette dernière dans sa totalité en la situant dans la continuité des forces obscures.
Certes on peut découvrir des thèmes communs entre l’idéologie nazie et l’écologie fondamentaliste. Certes, ponctués de « territoires » et de « racines », les discours des identitaires, de la nouvelle droite, ne sont que des plaidoyers inégalitaires. Mais est-ce parce que l’Allemagne nazie a réussi à faire croire qu’elle a élaboré les premières grandes législations sur la protection des animaux (1933) et de la nature en général (1935) qu’il faut voir dans chaque militant écologiste un adepte du IIIe Reich ? Est-ce parce des néoruraux fuient à juste titre l’univers bétonné des villes qu’il faut les suspecter de relents terriens et pétainistes ? Est-ce parce que des abrutis comme Luc Ferry ou Claude Allègre ont craché leur haine de l’écologie qu’il faut acquiescer à leur délire ?
Il est évident que la mouvance écologiste compte infiniment plus d’antifascistes que de disciples d’Hitler et que la part de l’écologie profonde demeure dérisoire. Et, comme le note Bertrand Méheust : « On appréciera la posture qui consiste à ignorer ou à sous-estimer une menace présente pour s’en prendre aux dérives virtuelles de ceux qui la dénoncent ! »

Dérèglements climatiques : imposture ?

Autre cheval de bataille, le réchauffement climatique ne serait qu’une sordide machination. Certes ce « nouveau » problème est utilisé en France par le pouvoir pour justifier le nucléaire. Bien entendu, la climatologie n’est pas une science exacte. En outre, chacun sait que toute connaissance scientifique est limitée, partielle et révisable. Il reste que, en dépit de toutes les incertitudes, les imprécisions, les hypothèses un peu osées, des faits sont observables, et il va devenir de plus en plus périlleux de les nier. À noter que, dès la fin du XIXe siècle, le physicien suédois Arrhenius lançait un avertissement sur les conséquences de l’usage de l’énergie fossile, c’est-à-dire l’effet de serre ! Selon le rapport du GIEC 2007, onze des douze dernières années (1995-2006) figurent au palmarès des douze années les plus chaudes depuis que l’on dispose d’enregistrements de la température de surface (1850), le permafrost (sol perpétuellement gelé des régions arctiques) fond déjà en Alaska et en Sibérie, occasionnant de nombreux dégâts, la banquise arctique a perdu en moyenne 37 000 km2 par an, les glaciers connaissent un recul généralisé, le niveau des océans s’élève.
Le plus inquiétant étant l’accélération des phénomènes en cours, le renforcement des tendances, le franchissement de certains seuils, les réactions en chaîne prévisibles. Détérioration irréversible des récifs coralliens, disparition de nombreuses espèces, cyclones, ouragans, typhons de plus en plus violents, multiplication des situations extrêmes (sécheresses plus sévères et plus longues, augmentation de la fréquence des fortes précipitations), déplacements importants de populations, perturbation des systèmes agricoles, risques sanitaires. L’Afrique notamment – et plus particulièrement la région des Grands Lacs –, happée par le cycle pression démographique-déforestation-érosion des sols-perturbations climatiques, voit se profiler un « risque d’effondrement », comme le note le géographe Alain Cazenave-Piarrot. Si le pire n’est pas encore certain, il va tendre à devenir hautement probable !

L’empreinte écologique : fiabilité ?

Relativement nombreux sont aussi ceux qui mettent en cause la pertinence du système comptable de l’empreinte écologique, ce qui leur permet de discréditer dans la foulée l’approche de la décroissance. Rappelons d’abord que cette notion, élaborée au début des années 1990 par Mathis Wackernagel et William Rees, mesure la quantité de capacité régénératrice de la biosphère nécessaire au fonctionnement de l’économie humaine pendant une année pour une population donnée.
Les inventeurs de cette notion n’ont jamais eu la prétention d’un recensement exhaustif des pressions exercées par l’homme. L’empreinte écologique omet inévitablement un certain nombre de phénomènes qui mériteraient d’être pris en compte. Certaines informations sont insuffisantes ou indisponibles. Des imprécisions ou incertitudes méthodologiques existent. Il n’est pas évident de combiner, comme le soulignent A. Boutaud et N. Gondran (L’empreinte écologique, la Découverte, 2009), des données aussi disparates que des quantités d’énergie, d’émissions de CO2, de viande, de céréales, de coton ou de bois. Il n’est pas simple de quantifier précisément des flux biophysiques. D’autre part, des procédés de fabrication d’un produit peuvent avoir des impacts très variés, les surfaces bioproductives offrent des degrés de « productivité » très hétérogènes.
Une bonne part de ces critiques tombe, d’ailleurs, en désuétude dans la mesure où les données statistiques ont largement augmenté, où aussi les modèles de calculs ont sensiblement évolué au cours des dix dernières années. L’argumentation des pourfendeurs de l’écologie pourrait bien se réduire à néant, la marge d’erreur pouvant se situer dans l’autre sens. En effet, par exemple, centrée sur l’aspect utilitaire des ressources, l’empreinte écologique néglige largement la question pourtant cruciale de la biodiversité. En outre, cette empreinte des ressources renouvelables ne prend pas en compte directement les effets négatifs de certaines pratiques agricoles qui ont des conséquences néfastes sur la productivité des sols.
Si donc l’image de la réalité se trouve légèrement déformée, les conclusions n’en restent que plus valables en mettant en lumière l’essentiel. Il est hautement probable que l’empreinte écologique, qui a au moins le mérite d’assurer une fonction pédagogique, sous-estime la « demande en nature » (sur une planète qui compte, chaque année, 60 millions de nouveaux locataires !). Nous sommes bien en train de solliciter la nature au-delà de ses capacités de régénération. La situation mondiale peut être qualifiée d’insoutenable.

Décroissance : une aberration ?

État le plus riche des États-Unis, symbole de la réussite technologique, la Californie a commencé son effondrement : le gouverneur a annoncé en juin 2009 la banqueroute de l’État, les services publics seront fermés trois jours par mois, 5000 fonctionnaires devraient être licenciés, les dépenses d’éducation sont réduites de cinq milliards de dollars. Et parmi les mesures envisagées prochainement : la suppression des aides aux familles modestes, la fermeture de plusieurs dizaines de casernes de pompiers… La situation est si grave que certains envisagent sérieusement de légaliser la marijuana et de la taxer pour combler en partie un déficit budgétaire de 26 milliards de dollars ! Non, ce ne sont pas les tenants de la décroissance qui conduisent à l’âge de pierre mais bien l’ultraperformant capitalisme industriel, la sacro-sainte croissance économique, le jubilatoire productivisme techno-scientiste !
Parce qu’elle inflige une blessure narcissique à l’homme, parce qu’elle bouscule l’imaginaire du consommateur occidental, parce qu’elle menace le productivisme, parce qu’elle compromet le profit, la décroissance dérange, inquiète, perturbe. Venant de tous les horizons, les accusations fusent : archaïsme, irréalisme, obscurantisme, idéologie réactionnaire, technophobie, lubie de gosses de riches, pourvoyeuse de chômage… Les mensonges aussi, les amalgames, la malhonnêteté intellectuelle, les invectives. Même pour ceux qui n’y sont pas franchement hostiles, le terme lui-même serait mal choisi. Le « dé » privatif symboliserait la régression, le retour à la bougie (voir plus haut).
Mais, précisément, ce terme confirme l’impasse dans laquelle nous nous sommes fourvoyés et la nécessité d’un virage à 180° (désaliéner, déconditionner, désintoxiquer, désencombrer…) concrétise la faillite de la « rationalité » techno-scientifique et de la vision anthropocentrique, marque l’inéluctabilité d’une rupture avec ce qui précédait. Méprisant l’adaptation aux contraintes naturelles des sociétés anciennes au nom du culte infantile de la modernité, la civilisation thermo-industrielle a favorisé l’avancée du désert et multiplié les ruines. La boulimie consumériste a engendré une misère psychique et morale, un appauvrissement de la sensibilité, des carences émotionnelles, l’uniformisation des comportements et des désirs, l’aliénation, l’intoxication, le conditionnement, le surencombrement.
Abandonnons notre fantasme d’immortalité. Nous n’échapperons pas à notre finitude. Nous ne nous affranchirons pas des lois de la biosphère. Le problème n’est pas la légitimité des besoins de l’homme, mais la capacité de cette biosphère à supporter ces besoins. C’est bien parce que nous nous heurtons aux limites physiques de la planète (dont la fin du pétrole bon marché constitue sans doute l’aspect le plus lourd de conséquences) qu’il faut remettre en cause nos modes de vie. C’est bien parce que nous avons usé de la consommation ostentatoire, du gaspillage généralisé et de la dilapidation des ressources qu’il va falloir repenser l’économie au sein de la biosphère et s’orienter vers plus de sobriété. C’est bien parce qu’ont été sacrifiés l’inutile, le gratuit, le rêve qu’il faut retrouver cette dimension humaine perdue. La décroissance, ce n’est pas seulement la baisse de l’empreinte écologique, c’est aussi une perspective d’émancipation de l’homme par la diminution du temps de travail.

Malthus : illuminé ou visionnaire ?

L’inflation démographique constitue un autre thème ultrasensible. En 1798, dans un ouvrage intitulé Essai sur le principe de population, l’économiste anglais Thomas Malthus soutient que la population croît en progression géométrique alors que les subsistances n’augmentent qu’en progression arithmétique, entraînant périodiquement guerres, famines, épidémies. Pour mettre un terme à ce fléau, Malthus préconise la chasteté, et plus particulièrement pour les pauvres. Évoquer aujourd’hui la question de la « surpopulation » provoque souvent une levée de boucliers, à tel point que « malthusien » est devenu une injure.
Si Malthus a posé le problème de manière erronée (l’agriculture industrielle a considérablement augmenté les rendements – argument auquel on pourrait opposer qu’une agriculture post-pétrole verra décroître ces rendements – et proposé des solutions inacceptables, faut-il pour autant, là aussi, sombrer dans un optimisme béat et imbécile qui consiste à prétendre que l’espèce humaine recule les limites. Faudrait-il croire que la Terre puisse accueillir vingt ou trente milliards d’individus ?
L’espèce humaine se trouve dans l’incapacité de contrôler sa démographie. Une population de plus en plus nombreuse dispose de ressources de plus en plus rares : les conséquences (qui sont déjà à l’œuvre) ne vont pas tarder à se manifester de la façon la plus dramatique qui soit, les conflits vont nécessairement se multiplier et s’intensifier. Il importe donc de réhabiliter Thomas Malthus en reconnaissant qu’il posait, à travers l’intuition des limites de la croissance économique, un problème fondamental, celui de l’adéquation entre les populations, les territoires qu’elles occupent, les ressources alimentaires dont elles disposent.
Si l’espèce humaine ne prend pas conscience de la fragilité de l’équilibre planétaire et ne limite pas sa prolifération par le libre arbitre de chacun, certains pourraient envisager des mesures plus radicales. Lors de la dernière université d’été du Medef portant sur la décroissance, de nombreux patrons semblaient préoccupés, voire obsédés par la question démographique. La décroissance vue par le patronat, ce ne sera pas la sobriété conviviale pour tous, mais la liquidation de centaines de millions de personnes. Qu’on se le dise !

Pour un « catastrophisme éclairé »

Que chacun se doive de dénoncer des propos excessifs, des analyses superficielles, des points de vue trop subjectifs, que des scientifiques soient critiques face à des méthodes peu fondées, à des généralisations hâtives, au manque de rigueur, c’est la garantie d’un progrès collectif. Mais que certains s’acharnent à nier la réalité par peur d’affronter les problèmes où ils se posent, à recourir aux raccourcis et aux clichés pour mieux duper l’opinion, à s’abriter derrière les incertitudes pour contourner un phénomène, à n’aborder que les aspects marginaux, litigieux qui ne modifient en rien les conclusions… tout en laissant entendre le contraire, c’est intolérable.
Le scientifique danois Bjorn Lomborg est sans doute l’exemple type de l’écolo-sceptique. On serait peut-être tenté d’accorder quelque crédit à ses thèses s’il se situait au-dessus de tout soupçon. Mais tel n’est pas le cas. Contrairement à ce qu’il affirme, Lomborg n’a jamais adhéré à Greenpeace. Par ailleurs, il n’a conduit aucun travail de recherche sur les sciences de l’environnement et la philosophie qu’il développe flirte sans ambiguïté avec les positions ultralibérales : le libre-échange, la croissance économique, les innovations technologiques­, résoudront « naturellement » tous nos maux. En outre, il conteste la réalité de la déforestation. Or, selon la FAO, environ treize millions d’hectares de forêts disparaissent annuellement (soit un terrain de football toutes les quinze secondes). Les forêts primaires reculent au point de ne plus constituer en 2005 que 36 % de la surface forestière mondiale. Si, dans certaines régions, la surface forestière se stabilise, elle perd de sa qualité en termes de biodiversité et surtout d’intégrité écologique, en particulier à cause de la fragmentation par les routes et des plantations d’essences de rentes. L’essentiel étant de les comptabiliser pour embellir les statistiques !
Dans la même lignée, l’appel de Heidelberg lancé en juin 1992, recueillant plus de 4 000 signatures dont plus de 70 nobélisés, présentait la lutte écologique comme une « idéologie irrationnelle ». Fabriqué de toutes pièces par les lobbies de la pharmacie et de l’amiante pour discréditer les écologistes, ce texte dévoile l’arrogance des savants disposant de la science éclairée, s’indignant de l’audace d’un public qui commençait à s’interroger sur le fonctionnement de la science et ses procédures, ne tolérant aucune remise en cause du développement, du progrès, des « avancées » scientifiques et techniques. En recourant le plus souvent à un jargon difficilement accessible, ces « experts » écartent du débat le citoyen ordinaire. Or, comme l’affirmait Anatole France, « écrire intelligemment, c’est écrire pour le plus grand nombre ».
Dans le domaine précis de l’écologie, alors que les dégradations s’accélèrent chaque jour, le risque est considérable de semer le trouble, de brouiller les repères, de démobiliser ceux qui engageaient une prise de conscience. Ceux qui s’obstinent à ternir l’écologisme contribuent, par aveuglement ou lâcheté, à prolonger le système au lieu de chercher à le transformer, c’est-à-dire concourent à amorcer des bombes à retardement. Encourager l’inaction publique sous prétexte que des impacts ne sont pas totalement connus ou que des données sont incomplètes relève d’une totale irresponsabilité.
Qui gagne à attendre que les scénarios les plus pessimistes adviennent pour agir ? Est-il si exaltant, pour certains, de jouer au poker avec l’avenir de l’humanité ? Faute d’avoir anticipé les changements écologiques, climatiques, énergétiques, l’humanité devra affronter sans préparation des bouleversements d’une ampleur imprévisible. Entre les gesticulations des hommes politiques qui n’ont jamais rien fait et les élucubrations des futurologues qui n’ont jamais rien vu venir, n’y a-t-il pas place pour un engagement lucide, pour une vigilance permanente, pour un « catastrophisme éclairé », selon la formule de Jean-Pierre Dupuy ? « Il faut savoir que les choses sont sans espoir et tout faire pour les changer », écrivait Rainer Maria Rilke. »
 

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