★ Gilets jaunes : entre colère légitime, débordements racistes et perte des repères de classe
« Depuis samedi dernier, c’est une vague de gilets jaunes qui semble donc s’être répandue sur l’Hexagone pour dénoncer, au départ, l’augmentation des taxes sur les carburants. Si l’on en croit les derniers décomptes, à l’heure où sont écrites ces lignes, ces rassemblements auraient regroupé près de 290000 personnes sur l’ensemble du territoire depuis samedi. Au programme, des blocages, des opérations escargots et de filtrage, et surtout pas mal de débordements racistes, homophobes et violents.
Mouvement aux origines assez floues, le large mot d’ordre de ras-le-bol fiscal a, dès ses débuts, fait sauter les oppositions de classe en rassemblant dans un même élan, prolétaire, petite bourgeoisie et patronat. Preuve en est, certains transporteurs voyant dans l’augmentation des taxes sur les carburants, une perte de leurs chers profits, ont rejoint le mouvement et participé aux blocages ce week-end. Parallèlement, l’extrême-droite s’est rapidement ralliée à ce mouvement de contestation (celle-ci, attachée à ses idées libérales, se retrouvant pleinement dans la fronde anti-impôt portée par les gilets jaunes), avant d’être rejointe par les courants politiques de tout poil, de droite comme de gauche, qui ne voulaient visiblement pas manquer d’exister dans le cadre d’un mouvement d’ampleur.
Par ailleurs, derrière l’appel premier contre la hausse des taxes sur les carburants semblent s’être rassemblées des colères et des revendications bien diverses. On retrouve ainsi chez ces gilets jaunes, aussi bien des personnes en situation de précarité, poussées à bout par les politiques de casse sociale des gouvernements successifs, que des manifestants aux revendications franchement douteuses voire clairement libérales, fustigeant fonctionnaires, cotisations et aides sociales. Grâce à eux, Macron a d’ores et déjà l’excuse parfaite pour légitimer ses futures attaques contre ce qu’il reste des services publics et des mécanismes de sécurité sociale, en faisant sauter leurs sources de financement.
En tout cas, les multiples agressions homophobes et racistes de ce week-end témoignent de l’idéologie nauséabonde qui plane chez un certain nombre de gilets jaunes. L’épisode de la jeune femme voilée, sommée de retirer son voile sous la pression d’apprentis miliciens, ou encore celui de l’agression raciste d’une jeune femme font vomir. Dernier exemple en date, un barrage de gilets jaunes qui, après avoir repéré des migrants cachés dans un camion, appelle les gendarmes pour qu’ils soient arrêtés. Ces épisodes nous montrent que certains, en prenant leur chasuble jaune, se rêvent en réalité en flic, administrant leur petit justice réactionnaire, raciste et expéditive aux abords d’un rond-point. Car disons-le aussi clairement : ces gilets jaunes, s’ils sont l’expression pour beaucoup d’une colère profondément légitime contre les dirigeants et le système politique en place, ont aussi quelque chose de bel et bien flippant, notamment quand ils se transforment en milices improvisées, sans principes ni règles clairs, jugeant et violentant parfois les individus à la tête du conducteur de la voiture.
Une chose est en tout cas certaine, ce mouvement des gilets jaunes, nous montre qu’il existe des colères bien réelles et légitimes chez nombre de personnes, fruits de la précarité qu’organisent patrons, politiciens et possédants. Cette colère est d’autant plus compréhensible dans les déserts ruraux, espaces où disparaissent années après années, hôpitaux, maternités, gares, bus, écoles. L’émergence d’un futur mouvement social n’est donc pas impossible face aux réformes que nous prépare le gouvernement Philippe. Malheureusement, en rassemblant travailleurs et patrons sur des mots d’ordre communs, les gilets jaunes sont aussi le signe de la disparition de la culture et des repères de classe. Aussi est-il plus que nécessaire aujourd’hui de diffuser massivement nos discours et nos idées, de rappeler nos oppositions de classe, et le fait que ce mouvement, dans la forme qui est la sienne aujourd’hui et les idées qu’il diffuse, ne fait que servir la soupe à l’extrême-droite et préparer le terrain aux futures politiques ultra-libérales du gouvernement, notamment celle de la réforme à venir du régime de retraite. Face aux problématiques de mobilité que posent cette hausse des taxes sur les carburants, il nous faut porter des mots d’ordre et des revendications claires en exigeant notamment la création de transports en commun dans les régions où ils sont inexistants, leur gratuité, la taxation du capital et non des travailleurs, l’augmentation des salaires, des pensions et des retraites. Mais nous ne devons pas oublier que ces revendications immédiates, absolument nécessaires, ne pourront répondre à long terme à la misère sociale que produit structurellement le système capitaliste. C’est pourquoi, nous, anarchistes, prônons une société fédéraliste débarrassée des exploitations de classes, organisée autour d’associations de consommateurs et de travailleurs, assurant la production, la sauvegarde des métiers, et le bien-être de chacun. La révolution que nous devons porter ne doit pas être un mouvement de violence tout azimut, sans principe ni repères de classe, prenant pour ennemi celui ou celle qui ne chante pas la Marseillaise ou qui porte un voile, mais un mouvement de fond de reconstruction de nos institutions sociales porté par les travailleuses et les travailleurs eux-mêmes et qui place notamment au cœur de leur fonctionnement les principes de solidarité et d’égalité. »
Groupe anarchiste Salvador-Seguí
Paris, le 21 novembre 2018
- SOURCE : Le Monde Libertaire