★ 50 ans de CFDT : de l’autogestion à la collaboration de classes
« C’est par la lutte de classes et de masse que se réalisera
la transformation démocratique et socialiste de la société. »
37e congrès de la CFDT à Annecy (1976)...
2014 : certains vont commémorer le centenaire du début du premier conflit mondial, d’autres le bicentenaire de la naissance de Bakounine ; la Confédération française démocratique du travail (CFDT) s’apprête, elle, à fêter ses cinquante ans d’existence. Le raout aura lieu lors de son prochain congrès, en juin, à Marseille. On sait déjà que le poste de secrétaire général restera aux mains de Laurent Berger (élu en 2012), par contre la commission exécutive sera, elle, remaniée. Sans doute aussi l’occasion pour la CFDT de retoucher sa déclaration de principes. Rappelons que le texte fondateur entérinait la « déconfessionnalisation » de cette organisation issue de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). La rupture fut donc consommée en novembre 1964, une partie des minoritaires choisissant de rester à la CFTC, les majoritaires abandonnant la référence chrétienne et la remplaçant par la « démocratique » (mais conservant toutefois des références à « l’humanisme chrétien »), et fondant, donc, la CFDT.
L’euphorie post-soixante-huitarde
Quatre ans plus tard, dans la foulée de mai 1968, la donne syndicaliste allait changer : la CGT, principale organisation syndicale – et de loin – à l’époque, se montrait très claire et ferme, par le truchement de sa direction confédérale avec à sa tête l’ineffable Georges Séguy : pas d’union avec les étudiants en grève (surtout avec le rouquin à moitié allemand et complètement juif…), et pas de casse dans les entreprises occupées (on occupe, on entretient le matériel, on tape le carton, mais surtout on n’exproprie pas les patrons et on ne produit pas pour la classe ouvrière : « Pas de provocations camarades… »). Cette attitude réactionnaire, contre-révolutionnaire de la CGT lui vaudra une véritable hémorragie dans ses effectifs.
Force ouvrière (FO), dirigée par André Bergeron, continuait de ronronner et de développer sa « stratégie de concertation » avec le patronat, méritant haut la main le « stylo d’or » de la signature d’accords qu’ils étaient les seuls à accepter.
Ces deux centrales – surtout la CGT – étaient de plus en plus critiquées pour leur comportement pendant le mouvement des occupations. Une opportunité s’offrait donc à la toute jeune CFDT de gonfler ses effectifs aux dépens, notamment, de la CGT, en ratissant très large parmi la jeunesse révoltée. Pour cela, elle basa sa stratégie sur un concept « nouveau », qui était la tarte à la crème de toute la gauche (excepté le PCF) et de l’extrême-gauche : l’autogestion. Évidemment, des sociaux-démocrates, des léninistes ou des marxistes-léninistes autogestionnaires, ça relevait du plus haut comique pour nous libertaires qui avions à l’esprit l’exemple des collectivisations pendant la révolution espagnole. Quant à une CFDT autogestionnaire, on ne se faisait aucune illusion là-dessus, mais nous avons été un grand nombre à y adhérer pour la simple raison qu’il nous était facile de tenir un discours vantant l’autogestion dans nos entreprises, et d’expliquer ce que nous entendions, nous, par socialisme autogestionnaire. Edmond Maire, alors secrétaire de la CFDT, dans un grand numéro de démagogie, allait même jusqu’à affirmer dans Le Monde du 19 octobre 1972 : « Il y a eu deux grands courants socialistes, celui qui est jacobin, centralisateur, autoritaire comme dans les pays de l’Est. L’autre, le socialisme libertaire, anarcho-syndicaliste, autogestionnaire, c’est celui que nous représentons. »
Évidemment, rien de sincère dans cette affirmation, mais bien une manœuvre pour se développer aux dépens de la CGT autoritaire et inféodée au PCF (c’est le moins qu’on puisse dire). L’année suivante, la grève de LIP cristallisera tout ce que le pays comptait de partisans de l’autogestion : « C’est possible, on fabrique, on vend, on se paie. »
Le soufflé retombe
Mais la reprise en mains à la CFDT n’allait pas tarder ; après le ratissage, vint l’écrémage. La direction cédédiste commençait à trouver tous ces « gauchistes » un peu trop remuants, à commencer par les libertaires qui étaient alors assez nombreux – toutes organisations confondues – dans les structures confédérales de base. Tout en continuant d’affirmer son indépendance par rapport à tous les partis, les instances dirigeantes de la CFDT laissaient deviner leur préférence pour le Parti socialiste, lui donnaient son soutien, sans le donner, tout en le donnant ; ça s’appelait « l’autonomie engagée » et malheur à ceux qui étaient contre, à commencer par les libertaires. Tout commença, en 1976-1977, par la dissolution de l’union locale des VIIIe-IXe arrondissements parisiens, alors animée principalement par de (très) nombreux camarades de l’Alliance syndicaliste révolutionnaire anarcho-syndicaliste (1) et un de la Fédération anarchiste (ma pomme), regroupant des salariés des assurances, des banques et des grands magasins…
Motif de la dissolution de notre union local : les affrontements idéologiques dans les réunions avec l’union départementale. Prétexte trouvé : notre collage, dans tout le IXe arrondissement, d’une affiche qui nous avait été inspirée par le comportement de la direction confédérale. Affiche tirée en sérigraphie avec un dessin (2) représentant un travailleur (salopette et casquette) portant sur son dos un capitaliste (cigare et chapeau haut de forme) et avec comme slogan : « Travailleur, comme ton patron, adhère au PS. » Le tout signé CFDT. Ça n’a évidemment pas fait rire les instances dirigeantes, qui se sont empressées de dissoudre l’UL et de récupérer notre local. Puis la chasse aux sorcières a continué : l’UD 33 dissoute en 1977, la section syndicale d’Usinor-Dunkerque (à l’époque la plus importante de la CFDT) dissoute en 1979, etc. En même temps se profilait la « modernisation » de la sidérurgie, qui allait supprimer 120 000 emplois de 1981 à 1984 (merci la gauche) et qui succédait aux fermetures d’usines à Longwy et dans tout le bassin lorrain en 1979 (merci la droite). Fermetures qui avaient provoqué grèves et manifestations extrêmement violentes, notamment à Paris où une dizaine de militants de la Fédération anarchiste furent interpellés, jugés et, pour certains, condamnés à des peines de prison (3).
« La chasse aux coucous »
À la CFDT, pour Edmond Maire, l’heure n’était plus à l’autogestion ni au socialisme libertaire, mais à la chasse aux « coucous », comme il dénommait toute l’extrême-gauche qui « venait pondre ses œufs dans le nid de la CFDT ». Les exclusions de structures animées par des libertaires se succédèrent dans le silence assourdissant observé par nos « chers » camarades de la Ligue communiste révolutionnaire. Mal leur en prit, ils firent partie de la deuxième charrette, sauf ceux qui avaient choisi d’occuper les douillets postes de permanents syndicaux.
À partir des années 1980-1990, on assista aux départs, volontaires ou non, de nombreux adhérents qui fondèrent SUD (principalement dans la santé, les PTT et la SNCF), laissant la CFDT glisser vers un syndicalisme, non plus de combat, mais de plus en plus réformiste, consistant le plus souvent à signer des accords reflétant les positions patronales ou gouvernementales (réforme des retraites, ANI…).
Quel futur ?
Reste à savoir ce qui va être « relooké » dans six mois au congrès de Marseille : « l’humanisme chrétien », le « contrôle démocratique du pouvoir économique et politique » (qui contrôle ? qui dirige ?), la « construction d’une société démocratique » (sous l’égide du syndicat ?). Cinquante ans pour se déconfessionnaliser, puis tremper un pied dans la vague révolutionnaire de 1968, et revenir bien vite vers un réformisme inodore et sans saveur, en n’oubliant pas de recaser confortablement ses anciens dirigeants après qu’ils ont quitté leur fonction de secrétaire général. Ainsi Nicole Notat après avoir abandonné la direction de la CFDT, reprit l’agence de notation sociale en France, puis devint membre du conseil d’administration de la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur ; avant elle, Jacques Chérèque s’était rendu célèbre avec sa formule (pas très lutte des classes) : « Il faut retirer les hauts-fourneaux de la tête des sidérurgistes lorrains. » Sûr que ces sidérurgistes n’ont pas eu le loisir d’être, comme lui, bombardé préfet, puis carrément ministre délégué à l’Aménagement du territoire. Quant à son fils François, plus modestement, il est devenu inspecteur général des affaires sociales, puis président de l’Agence du service civique, ce qui devrait lui permettre de couler des jours pas trop angoissants… Comme on peut en juger, la boucle est bouclée et le syndicalisme révolutionnaire n’est toujours pas à l’ordre du jour.
Ramón Pino
Groupe anarchiste Salvador-Seguí
1. Plus connue sous le nom d’Alliance syndicaliste. Organisation regroupant, dans les années 1970, des anarcho-syndicalistes adhérents à la CGT, à FO, mais surtout à la CFDT. Pour plus de détails, on peut consulter À propos de l’Alliance syndicaliste sur le site Monde-nouveau. net
2. Dessin dû au grand talent de René B., militant à l’époque à l’Alliance syndicaliste et aujourd’hui à la Fédération anarchiste.
3. C’est ainsi que notre camarade Patricio S. passa un mois à la prison de la Santé aux frais de l’État (pour une fois qu’on lui offrait quelque chose…).
- SOURCE : Groupe anarchiste Salvador-Seguí
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