★ La société, l'État et le reste
★ La société, l'État et le reste.
Il ne faut pas confondre l'État et la société.
" La société, écrivait Bakounine, c'est la réunion, le groupement des hommes unis pour satisfaire leurs nécessités ; elle se dirige par des lois spécifiques, des traditions dont elle n'a pas toujours conscience mais qui sont effectives ; elle se maintient par la conjonction des intérêts et elle est aussi vieille que l'humanité, car l'homme est le fruit de la société et il ne se civilise que parce qu'il est un être social. La société est l'œuvre de la sociabilité, elle a existé avant l'État qui n'est qu'une forme transitoire de l'organisation sociale, et elle continuera d'exister après lui.
Si les anarchistes veulent détruire l'État pour y substituer un autre mode d'organisation, fruit d'une étape supérieure de l'ascension humaine, ils ne veulent ni détruire la société, ni moins encore la civilisation. Les préjugés politiques ont la vie dure et une propagande propage le centième de ce que nous disons depuis que nous existons, présentant l'État comme un instrument d'ordre, comme l'ossature, la colonne vertébrale de la société qui s'effondrerait s'il venait brusquement à disparaître, que les hommes s'entre-déchireraient, que le chaos serait général alors... Alors que la classe bureaucratique a été un facteur de paralysie, a causé un désordre organisé et épuisant. Mais dans la société actuelle, il déploie certaines activités utiles... et cela ne fait qu'augmenter son pouvoir. Car il accapare de plus en plus les rouages de la machine sociale, malgré les vagues de privatisations économiques de plus en plus violentes et profondes. Il n'en maintient pas moins un certain équilibre (dont il est bénéficiaire) pour l'ordre social et l'ensemble de l'économie capitaliste.
Anars, nous sommes des constructeurs
L'État - que je ne qualifierai pas de "bourgeois", tout État étant un État de classe - maintient un équilibre utile, lorsque par exemple il aide les régions - à l'échelon "national" comme européen - défavorisées "par la nature", en répartissant l'impôt prélevé sur les régions plus riches. Les réseaux routiers, les productions d'énergies, l'organisation scolaire ou sanitaire, etc. sont prises en charge et coordonnées par lui. Il ne s'agit donc pas de simplement le détruire, mais de le remplacer, quand son rôle est utile, après avoir redéfini cette "utilité", à la lumière de sa vraie utilité sociale, dans le cadre d'une société sans classes. Les libertaires sont d'avantage des constructeurs que des destructeurs. La collectivité humaine doit se gouverner elle-même, sans le concours du monstre froid qui mord avec des dents volées et possède la force brutale lui permettant d'imposer sa volonté et son appétit. Il faut donc aller au-delà de l'État, vers une société ayant la liberté comme base, l'égalité comme moyen, la fraternité comme but. Le remplacement de l'État a déjà été expérimenté, quoique de façon incomplète, durant la grande révolution libertaire espagnole de 1936-1939. Il y a là de quoi puiser des idées fécondes, c'est pourquoi son examen est indispensable, même s'il doit être vigilant et critique.
À chacun selon ses besoins, de chacun selon ses forces, le socialisme libertaire défend le droit de tout membre de la société - qui n'est pas un parasite volontaire - à l'accès aux biens matériels quelle que soit la "valeur" de son apport personnel. Les Espagnols avaient été préparés depuis longtemps, - grâce à la construction d'un puissant mouvement social libertaire organisé - aux idées et à la pratique permanente des solutions solidaristes dans le travail et les relations sociales. Ils ont prouvé au monde qu'il n'est pas besoin d'État - ou tout autre organisme parasitaire spécialisé dans le gouvernement des êtres humains - pour développer l'Humanité dans l'amour, le bien-être et la liberté. C'est en cela que la révolution libertaire espagnole fut victorieuse !
L'idolâtrie de l'État fait croire aux gens non informés, que nous voulons une société sans organisation, ce qui est absurde. Les coopératives, les associations de toutes sortes peuvent constituer l'ossature de cette société nouvelle en se fédérant, apportant ainsi une éthique nouvelle et supérieure pour une nouvelle étape de l'humanité. Nous ne préconisons pas absolument la lutte armée contre l'État, qui dispose de moyens d'extermination bien supérieurs à ceux dont peut disposer la population, car c'est se placer sur son terrain et donner à la lutte le caractère de violence qui lui convient. Il faut plus d'héroïsme pour se battre avec des moyens civils, car cette action est la seule qui puisse aboutir, même si nous n'excluons jamais le "coup de pouce"...
Les aspects malgré tout nouvellement favorables à notre mouvement - crises morales et politiques, effondrement des "marxismes" - justifient nos espoirs, à condition que nous voulions et sachions nous organiser selon de nouvelles "normes", de nouveaux "critères". Ne faisons pas la somme des impossibilités, mais celle des possibilités d'orienter les nouveaux mouvements sociaux vers l'œuvre de transformation sociale libertaire au moyen de l'auto-organisation avant d'atteindre un point de non-retour écologique et humain, car le bilan définitif se joue dans le temps. Une société "saine" est le fruit de la participation du plus grand nombre ; il faut donc rogner les serres et les griffes de l'État et de l'économie capitaliste et voir en tout prétendant aux organismes officiels de direction - Bleu, Rouge ou vert - un exploiteur, un oppresseur, un imposteur à démasquer.
L'Humanité ne sortira pas de l'enfance en un seul jour, c'est d'un long processus dont nous parlons ici, il a déjà commencé et dépasse la simple échelle d'une seule vie. Et peut-être que la seule justification de notre existence individuelle se mesure à la lumière de notre révolte contre la "fatalité" de l'oppression. "
Franck Thiriot
Cet article doit beaucoup à l'ouvrage de Gaston Leval :
L'État dans l'Histoire, éditions du Monde Libertaire.
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